Texte intégral
Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je suis heureux de recevoir à Paris mon ami et homologue danois Per Stig Moller. Il représente un pays ami, qui nous est très proche : le Danemark. Proche par les liens qui unissent la famille royale à la France - comme l'on sait, bien sûr, le Prince consort est d'origine française - proche aussi grâce aux 700.000 visiteurs danois qui, chaque année, font de la France leur destination touristique favorite ; proche aussi par l'histoire, depuis le Traité de paix et d'amitié perpétuelles de 1742, traité d'ailleurs toujours en vigueur.
Nos deux pays partagent aujourd'hui de nombreuses préoccupations et valeurs communes. Le maintien de la paix, la stabilité du continent européen, l'attachement au multilatéralisme. La présidence danoise de l'Union européenne réussie - nous avons eu l'occasion de le souligner à maintes reprises -, au second semestre 2002, a permis de rendre notre coopération encore plus étroite et nos contacts plus fréquents. Aussi, nous sommes convenus d'engager, sous la conduite de nos ambassadeurs et de nos ministères respectifs, un processus de dynamisation, de rapprochement de nos rapports bilatéraux.
Ce déjeuner a également été pour nous l'occasion d'un échange de vues, ouvert et fructueux, sur les principales questions européennes et internationales. S'agissant bien sûr d'abord de la Conférence intergouvernementale qui s'est ouverte à Rome le 4 octobre dernier, nous avons pu constater que le Danemark est attaché, comme la France, au texte qui a été élaboré par la Convention présidée Valéry Giscard d'Estaing, et nous restons en étroit contact lors des travaux en cours. Certains points restent bien sûr à préciser, notamment le statut du ministre des Affaires étrangères, la présidence des Conseils et la coopération structurée dans le domaine de la défense. S'agissant de la composition de la Commission, j'ai noté les réticences des autorités danoises, qui tiennent à ce que chaque Etat dispose d'un commissaire avec un droit de vote. La France considère, pour sa part, que la Convention a trouvé un bon équilibre entre le principe d'égalité entre les Etats et l'exigence d'efficacité de l'ensemble de nos institutions. Concernant le transfert, dans le nouveau traité, des dérogations danoises, j'ai indiqué à Per Stig Moller que nous sommes ouverts pour examiner les termes des protocoles portant sur les dérogations.
Nous avons bien sûr évoqué la situation de l'Irak, constatant avec inquiétude la situation sur le terrain. J'ai indiqué à Per Stig Moller que la résolution 1511, adoptée le 16 octobre, constituait pour nous un pas dans la bonne direction, un progrès, mais restait dans une logique sécuritaire, en deçà de ce qui nous paraît nécessaire pour stabiliser l'Irak. Nous regrettons notamment l'absence de calendrier contraignant et rapproché sur le transfert de responsabilités, ainsi que sur la transition politique. Comme je l'ai précisé à mon homologue danois, la France aborde la Conférence de Madrid dans un esprit ouvert. Je lui ai rappelé notre volonté de jouer un rôle constructif dans la reconstruction du pays. Les autorités françaises ont d'ores et déjà engagé des actions à titre bilatéral, notamment une aide humanitaire significative, et mis à disposition des experts au sein des agences de l'Onu notamment.
S'agissant de la situation du Proche-Orient, nous partageons l'idée que l'Europe doit jouer pleinement son rôle dans la reprise du processus de paix. Nous devons pour cela adopter des positions fortes et déterminées, mobiliser nos efforts pour la relance de la Feuille de route et obtenir des parties l'application des mesures qu'elle prévoit. Vous savez que j'ai reçu ce matin M. Beilin et M. Abed Rabbo, respectivement israélien et palestinien, qui ont lancé l'idée d'un plan dit "de Genève" et nous estimons que cette approche-là constitue un encouragement dans la recherche de la paix.
Concernant l'Iran, nous nous sommes félicités de l'attribution du Prix Nobel de la paix à Shirin Ebadi. Nous sommes convaincus que le dialogue entre l'Union européenne et l'Iran, entamé en décembre 2002, est utile, même s'il n'a pas, jusqu'à présent, été à la hauteur de nos propres attentes. La clarification, les progrès qui ont été constatés hier à Téhéran sur le programme nucléaire iranien, représentent, nous l'estimons, une bonne nouvelle pour l'Iran, qui a pris des décisions importantes demandées par la communauté internationale, et qui a fait preuve d'un sens des responsabilités, selon la position de l'Europe également, qui a marqué sa capacité à intervenir dans le règlement d'une crise majeure pour la communauté internationale, qui doit elle-même définir une méthode de règlement des crises de prolifération. Nous sommes, c'est le sentiment de la France, sur la bonne voie et il est important de conserver l'élan. Je redis une nouvelle fois le plaisir que j'ai d'accueillir ici Per Stig Moller, qui connaît bien la France, parce qu'il a vécu parmi nous, et dont je peux dire qu'il est un ami de notre pays.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez évoqué la Conférence de Madrid, qui aura lieu demain. Dans quelles conditions la France pourra déclarer une nouvelle aide pour l'Irak ?
R - Nous avons déjà eu l'occasion de préciser ce qu'était notre position pour la Conférence de Madrid, dont je tiens à dire que nous y serons représentés par le ministre du Commerce extérieur, M. François Loos. Nous avons dit clairement que nous participerons, bien évidemment, au titre de l'Union européenne, selon la quote-part qui est celle de la France dans le cadre de l'aide de 200 millions d'euros qui sera apportée par l'Europe. Nous apportons par ailleurs à titre bilatéral une aide humanitaire, et sommes donc présents à ce titre pour la reconstruction de l'Irak. Nous n'envisageons pas, à ce stade, d'aide supplémentaire, qu'il s'agisse d'aide financière, ou de coopération dans le domaine militaire, et nous avons redit que, pour nous, le point de départ était véritablement la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté irakienne ; nous considérons qu'il faut avancer vers cette reconnaissance qui est la condition centrale si l'on veut véritablement lancer le processus de reconstruction de l'Irak, sortir de cette situation douloureuse de violence et de résistance que connaît aujourd'hui ce pays.
Q - Une question sur l'initiative de Genève, dont vous venez de vous entretenir avec votre homologue danois. Dans la mesure où la Feuille de route est dans l'impasse, et où vous avez cette initiative qui semble échapper à l'impasse actuelle, puisqu'il y a déjà un accord, que pouvez-vous faire, à l'échelle européenne, de plus qu'un simple encouragement ?
R - Nous avons ensemble, avec Per Stig Moller, salué cette initiative. J'ai moi-même reçu ce matin MM. Rabbo et Beilin, je les ai reçus ensemble, avec leur délégation, justement pour mieux connaître le sens et la portée de cette initiative. Elle éclaire l'avenir, puisqu'elle essaie de porter jusqu'à son terme ce que pourrait être un véritable processus de paix, donc nous ne pensons pas du tout que cela puisse être contradictoire avec la Feuille de route, mais bien au contraire complémentaire. Je crois qu'il est temps que tous ceux qui veulent avancer dans la direction de la paix unissent leurs efforts. Dans ce contexte, je crois qu'il s'agit d'une initiative bienvenue. Il est important de sortir de cette logique de violence, de cet engrenage du terrorisme, et de ce point de vue, cela marque un apport tout à fait important que nous voulons, une nouvelle fois, saluer.
Q - Partagez-vous les mêmes idées sur la coopération structurée et la possibilité d'une intégration plus profonde de quelques pays de l'Union européenne, et la France souhaite-t-elle toujours un Quartier général pour la défense européenne ?
R - Nous avons évoqué les perspectives justement, dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, et en particulier ce qui était offert dans le domaine de la défense. C'est pour la France, vous le savez, un élément très important. Nous avons été partie à l'initiative des quatre pays, au mois d'avril, sur les questions de défense. Nous souhaitons que le plus grand nombre de pays puisse appuyer ce projet, et nous saluons en particulier, de ce point de vue, le dialogue constructif que nous avons nourri et que nous nourrissons avec le Royaume-Uni. Nous pensons que c'est tous ensemble qu'il convient d'avancer dans ce domaine. Nous sommes donc naturellement tout à fait soucieux de développer ces coopérations structurées. Elles nous paraissent importantes pour marquer la vitalité de l'Europe. L'Europe à vingt-cinq ne peut pas se gérer de la même façon qu'une Europe à quinze, et il faut naturellement prévoir des mécanismes de souplesse. Il faut le faire dans un esprit ouvert, dans un esprit de transparence qui montre bien que cette Europe ne se fait pas contre quiconque, mais bien dans un esprit ouvert et constructif. Je tiens à dire par ailleurs, dans le domaine de la défense, que notre souci est que les mécanismes, les politiques qui sont mis en uvre ne le sont bien évidemment pas dans un esprit concurrent de l'OTAN. Il ne s'agit pas de se substituer à l'OTAN, mais d'agir d'une façon complémentaire pour affirmer les capacités et les autonomies de l'Europe dans son domaine. Je me félicite, et nous nous sommes félicités ensemble des initiatives en Macédoine, où le Danemark a une responsabilité particulière. De la même façon, nous considérons des initiatives qui ont pu être prises en Afrique, en Ituri, au Congo. Nous pensons que l'Europe a pour vocation de développer, dans la mesure où c'est nécessaire, ce genre d'initiatives et naturellement, nous soutenons l'idée de renforcer nos capacités. Vous savez que nous faisons, dans le cadre de la loi de programmation militaire, un effort particulier et tout ce qui peut aller dans le sens d'une meilleure capacité de planification, comme la création éventuelle d'un Quartier général permettant de rassembler nos forces et nos capacités, une fois de plus dans un esprit de complémentarité et pas du tout de rivalité avec l'OTAN, me paraît aller dans le bon sens.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2003)