Texte intégral
Q - Quelle opinion le gouvernement français a-t-il de l'évolution de la situation à Jolo ?
R - Dès l'origine de la prise d'otages, le gouvernement français avec les gouvernements finlandais et allemand a fait passer le message aux autorités philippines par tous les moyens - d'abord c'était l'envoi de M. Solana au nom des Quinze, c'étaient les interventions du président de la République, de nombreux messages, le voyage que j'ai fait sur place avec les ministres allemand et finlandais - un seul message précis : " ne faites rien qui puisse mettre en péril la vie des otages ".
Il y a eu aux Philippines depuis ce moment-là, il faut le dire, une sorte de lutte d'influence entre les autorités politiques sensibles à notre préoccupation et à nos demandes et les autorités militaires pressées d'en finir. Car cette affaire de Jolo s'inscrit pour elles dans un ensemble où il y a toute une zone au sud des Philippines qui est en rébellion depuis extrêmement longtemps et elles jugent cela intolérable. Malheureusement, cette affaire de prise d'otages est arrivée à un moment où les Philippins avaient décidé justement de reprendre le contrôle de toute cette zone. En raison de notre pression, de notre insistance, nous avons réussi à ralentir, à retenir cette action et malheureusement ces derniers jours, les arguments des militaires l'ont emporté sur les arguments des politiques aux Philippines.
Dans cette situation nous avons, à tous les niveaux, redit de la façon la plus claire, la plus solennelle et la plus grave, aux autorités philippines qu'il leur appartenait, après les décisions qu'elles ont prises, toujours de préserver la vie des otages et que c'est la consigne qui devait être donnée à leur armée. C'est ce que le président Estrada dit avoir fait. Nous n'avons qu'un souhait, ardent, c'est que ce soit vrai, qu'il ait vraiment donné ces consignes là, ces instructions là et qu'elles puissent être suivies d'effets par les militaires en action dans cette zone et que nos otages soient préservés et libérés au plus tôt./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2000)
Q - On a appris cette nuit la libération de nos confrères Jean-Jacques Le Garrec et Roland Madura. Evidemment tout le monde se réjouit de cette libération. C'est un grand soulagement. D'après les premiers éléments, on sait qu'ils se sont échappés, qu'ils ont faussé compagnie à leurs ravisseurs pour pouvoir ensuite rejoindre l'armée philippine. Est-ce que les pressions françaises ont été importantes ou est-ce qu'il fallait laisser faire ?
R - Je pense qu'elles ont été importantes puisque tout se termine bien, enfin "bien" parce que les otages ont eu des moments terribles. Je rappelle que, depuis le début, les autorités françaises n'ont cessé de dire chaque jour, à chaque heure, aux autorités philippines de tout faire pour ne pas mettre en danger la sécurité des otages, et qu'il fallait qu'ils puissent être libérés sains et saufs. Je veux rappeler qu'il y a beaucoup d'otages, il n'y a pas que des occidentaux, mais aussi un Américain, un Malaisien, des Philippins. Il y a une exaspération face à la dissidence de cette zone sud et aux actes de terrorisme qui sont accomplis. Il y a eu des prises d'otages qui se sont terminées par des exécutions de sang froid. Donc l'opinion veut en finir et nous avons eu du mal au début à retenir la volonté des Philippins de terminer tout cela par la force. Et dans la dernière période, quand le président philippin a décidé de passer à l'action militaire après de nouvelles prises d'otages de malaisiens, cela a porté l'exaspération à son comble. Nous avons continué à dire la même chose, en disant "c'est leur responsabilité, ils sont chez eux après tout", même si c'est un "chez eux" contesté. Notre priorité, c'est la sécurité des otages et je crois qu'aujourd'hui, il faut le dire, il faut leur être reconnaissant, le président Estrada a tenu compte de cela, il a donné des instructions à son armée, qui fait qu'elle a maintenu une pression sur les preneurs d'otages mais sans rien faire d'irréparable. Et c'est sans doute comme cela, on aura des détails après, les ex-otages nous le diront, qu'ils ont pu s'échapper en profitant de la confusion et que l'un des commandos de l'armée philippine, qui était là pour faire pression sur cette zone où était concentré le groupe d'Abou Sayyaf, les a retrouvé. C'est comme cela que cela a dû se passer. Mais si on simplifie, les autorités philippines, finalement, depuis le début et jusqu'à cette nuit, ont entendu notre demande constante concernant la sécurité des otages.
Q - Donc tout est bien qui finit bien ?
R - Pour eux, oui.
Q - Et pour les relations franco-philippines ?
R - Comme le président l'a dit, comme le Premier ministre l'a dit, comme je le répète, nous devons être reconnaissants d'avoir réussi à concilier cette situation nationale, qui est intolérable en réalité, et le besoin légitime qu'ils ont de rétablir l'ordre public dans cette zone, avec cette sécurité des otages. Et j'espère que cela se terminera bien pour les autres otages.
Q - Pendant l'affaire des otages, c'est-à-dire avant la libération, il y a eu des dissensions franco-allemandes au départ ?
R - Non, il n'y a pas eu de dissensions franco-allemandes. Il y a une sorte d'ajustement délicat, sensible. Il y avait des Finlandais, des Allemands, des Français, donc nous discutions tous les jours sur le fait de savoir ce qu'il fallait faire ou pas, nous étions bien d'accord sur ce qu'il fallait éviter, c'est-à-dire des actions de force brutales, inconsidérées et mal menées. A un moment donné, les Allemands, étant donné que les Philippins n'arrivaient à rien, au début, ont dit "au fond, on devrait peut-être passer par des intermédiaires libyens, étant donné les liens de la Libye autrefois avec certains mouvements, peut-être que cela peut rétablir les liens". Nous avons réfléchi avec les Finlandais, et les Sud-Africains d'ailleurs, et nous avons conclu que nous n'avions pas le droit de refuser ces hypothèses, étant donné que les Philippins n'arrivaient à rien. Donc ce n'était pas une dissension, c'était une discussion, à un moment donné, une sorte de carrefour dans la gestion de cette affaire. Et nous avons accepté d'autant plus que la normalisation avec la Libye a commencé il y a un an et demi, cela n'a aucun rapport avec cette affaire.
Q - Je souhaiterais que l'on parle un peu de l'Europe. On est dans le vif du sujet avec les négociations sur la CIG. On entend des bruits très divers. Est-ce que c'est le dégel, est-ce que vous êtes optimiste, moyennement optimiste, ou carrément pessimiste ?
R - Je rappelle que c'est une négociation pour réformer les institutions de l'Europe, qui déjà à Quinze a un peu de mal à fonctionner, et à fortiori à 27 serait paralysée. Nous l'avons entamée sous la présidence portugaise et elle doit théoriquement se conclure sous notre présidence en décembre. Nous sommes attelés à cette tâche quasiment constamment, Pierre Moscovici et moi-même. C'est difficile. La plupart des pays campent sur leurs positions. On voit un début de discussion, de négociation sur certains points. Mais enfin on ne peut pas conclure aujourd'hui, vous entendrez donc les bruits les plus divers encore pendant plusieurs semaines. L'essentiel c'est qu'à Nice on puisse déboucher sur un traité qui réforme les institutions de l'Europe pour qu'elle puisse fonctionner mieux, et que l'élargissement ne les paralyse pas. Cela reste possible, mais il faudra que chaque pays fasse preuve de bonne volonté.
Q - Est-ce que ces hésitations ne sont pas un facteur de l'affaiblissement de l'euro, qui devient franchement préoccupant, comme le disait le Premier ministre hier ?
R - Je crois que ce sont deux choses différentes. En ce qui concerne l'euro, là il faut raisonner en zone euro ; l'euro-groupe, ce n'est pas les Quinze, ni les 27. Il est clair que les fondamentaux économiques européens sont bons, ils sont même très bons. Il est vraisemblable qu'il y a un manque de pilotage politique dans la zone euro, et d'expression politique qui devrait être plus forte. D'autre part des spécialistes font remarquer qu'il y a des mouvements de fond des monnaies, c'était le cas du dollar il y a quelques années, qu'il faut les apprécier avec sang froid, que les critères qui font que les opérateurs sur la monnaie choisissent plutôt ceci que cela, ce sont des critères bien à eux, donc il ne faut se tromper dans l'analyse. Moi je continue à penser qu'à un moment ou à un autre, la monnaie européenne exprimera de nouveau la réalité de l'économie européenne qui est forte.
Q - Même s'il n'y a pas de coordination au niveau du prix du pétrole, de ces choses-là, qui sont des signes forts quand même ?
R - Je crois qu'il ne faut pas tout mélanger.
Q - C'est-à-dire que l'harmonisation fiscale n'a rien à voir par exemple ?
R - Non, l'harmonisation fiscale à Quinze est une chose importante en elle-même. Mais là on parle de la zone euro, c'est différent, et je crois qu'il faut garder cette idée simple à l'esprit : l'économie européenne est forte, et donc à un moment ou à un autre, la monnaie européenne exprimera de nouveau cette réalité de fond.
Q - Les Quinze ont promis la levée des sanctions en ex-Yougoslavie, si Milosevic est battu, vous croyez que c'est un signal ? Il y a un encouragement fort ?
R - Je crois que c'est très important, quelques jours avant ces élections, que, évidemment, le régime va essayer de trafiquer. Enfin, les élections ont lieu, l'opposition a réfléchi, ils ont décidé de participer quand même, on ne peut pas décider à leur place. Donc il faut plutôt soutenir l'opposition démocratique. Et nous avons dit clairement qu'une victoire de la démocratie en République fédérale de Yougoslavie, lors des prochaines élections dans quelques jours, entraînerait une révision radicale de la position européenne. C'est-à-dire que les sanctions seraient levées et que l'economie de ce pays serait réintégrée dans l'économie européenne. Ce serait un changement très important pour toute la région. Je ne dis pas que tous les problèmes disparaîtraient, mais ils pourraient être traités autrement. Nous avons adressé un message au peuple serbe, qui est un message d'accueil, de bienvenue, un message européen. Et j'espère qu'ils l'entendront et qu'ils auront les moyens de le traduire en vote et que le régime n'arrivera pas à trafiquer cette expression démocratique forte.
(...)./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2000)
Monsieur le ministre des Affaires étrangères, vous êtes à l'extérieur, ,j'ai en studio, avec moi, M. Tessier, le président de France Télévision. Comment avez-vous appris la libération des deux otages français des Philippines, dans la nuit ?
H. Védrine : "Je l'ai appris par mon directeur de cabinet au milieu de la nuit."
Monsieur Sellal ?
H. Védrine : "Oui, P. Sellal qui m'a appris que l'armée philippine venait d'annoncer la libération et que, à peu près simultanément, le Président Estrada appelait le Président Chirac pour le lui annoncer personnellement."
Qui lui-même a annoncé la bonne nouvelle aux familles ?
H. Védrine : "Exactement."
Et vous M. Tessier ?
M. Tessier : "Je l'ai appris dans les mêmes conditions par l'ambassade, par L. Boussié, notre journaliste sur place à Manille."
Il était ?
M. Tessier : "Il était 2 heures et demi du matin à peu près, 2 heures 40."
Cela a failli se terminer en tragédie. Les familles sont soulagées, les Français sont évidemment soulagés, vous aussi. Ils se sont échappés d'après ce que vous savez ?
M. Tessier : "Tout à fait. Ils viennent de tenir une conférence de presse au palais présidentiel, à Manille, et ils ont confirmé qu'ils avaient quitté le groupe au moment d'une offensive. Ils s'étaient cachés au bas d'un talus et qu'au passage d'un des premiers camions militaires ils avaient attendu, et qu'ils étaient sortis pour rejoindre les militaires au deuxième. C'est donc une bande de baroudeurs qui se sont échappés par eux-mêmes."
En prenant naturellement des risques qu'ils raconteront eux-mêmes... Il y a eu différentes phases, monsieur Védrine, d'espoir, de crainte. Je pense que depuis l'offensive militaire de l'armée philippine, on pouvait même craindre pour leur vie ?
H. Védrine : "Oui mais je crois que si cette offensive n'avait pas eu lieu, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils seraient encore otages. Donc, depuis le début nous avons constamment, par tous les moyens, chaque jour - si ce n'est chaque heure - dit aux autorités philippines que notre priorité c'était la libération des otages sains et saufs, et de tous les otages. Mais je n'oublie pas non plus qu'il reste
d'autres otages, philippins, malaisiens et un américain. Nous avons évidemment dit cela pour nos otages français, si je puis dire. Je dois dire aujourd'hui que les autorités philippines ont tenu compte de cela, y compris dans la phase de l'opération militaire. C'est grâce à l'opération militaire et grâce à la confusion créée par les commandos philippins autour de la zone où s'était regroupé le groupe Abu Sayyaf, que les deux journalistes français, on vient de l'entendre, ont pu en profiter pour s'enfuir."
Est-ce que cela veut dire que le Président de la République française, l'un des chefs d'Etat les plus habitués, les plus compétents - si je puis dire - en matière d'otages, vous, monsieur Védrine, le Gouvernement, l'ambassadeur de France à Manille, avez souffert de voir qu'on ne pouvait pas utiliser la manière forte ? Vous avez dû souffrir de voir qu'on tratait directement avec les hommes d'Abu Sayyaf et le commandant Robot, qu'on passait par des médiateurs, qu'on en arrivait à des rançons ?
H. Védrine : "Attendez, il faut distinguer : notre priorité absolue était la libération des otages sains et saufs. Ce résultat est atteint aujourd'hui, et nous en sommes soulagés pour eux humainement, et je pense à eux et à leur famille. Nous en sommes soulagés à tout point de vue."
Nous aussi à Europe 1.
H. Védrine : "Dans la conduite de cette affaire, à un moment donné, il y a un certain temps, comme les Philippins n'arrivaient à rien par leurs propres négociateurs, nous avons accepté la suggestion allemande - ainsi que les Finlandais et les Sud-Africains, qui l'ont aussi accepté - de passer par des médiateurs libyens qui pouvaient avoir gardé des contacts. On l'a accepté parce que la normalisation avec la Libye a commencé il y a un an et demi, sur décision du Conseil de sécurité et de l'Union européenne. Cela n'a aucun rapport avec cette affaire de Jolo. On l'a acceptée, cela a donné des résultats pour certain des otages, mais pas pour tous. Aujourd'hui, il faut aussi reconnaître que les Philippins sont chez eux et que c'est leur souveraineté. On ne peut pas leur contester le droit de faire face à ce problème extrêmement grave de cette dissidence du Sud. Ils ont réussi à concilier cet impératif national avec la libération des otages, ou en tout cas avec le fait que ceux-ci ne soient pas finalement les victimes de cette opération. Donc ces différents objectifs apparemment contradictoires ont pu être conciliés. C'est ce qu'il faut avoir à l'esprit aujourd'hui."
C'est cela : à la fois la négociation et à un moment donné, la fermeté. On ne peut pas dire qu'il faut choisir la voie préférée des Américains, c'est-à-dire tout de suite l'utilisation des armes ?
H. Védrine : " D'abord cela dépend. Je ne suis pas sûr que les Américains le fassent tout le temps. D'autre part, par rapport aux nombreuses prises d'otages... "
Là, ils n'ont pas découragé le gouvernement philippin ?
H. Védrine : "Oui, on le dit. Mais rien ne prouve qu'il y a un lien entre les deux. Dans toutes les prises d'otages que malheureusement j'ai
8PRISES DE PAROLE
eues à suivre depuis longtemps, il n'y a pas de règles, on ne peut pas faire de théorie."
M. Tessier, avez-vous été renseigné sur les conditions de détention des otages français ,
M. Tessier : "Je veux dire simplement un mot : rappelons-nous que la négociation qu'a menée le Gouvernement français - et je tiens à rendre hommage à l'ensemble de la cellule qui est sous l'autorité d'H. Védrine, en particulier P. Sellal, avec lequel nous étions en contact tous les jours pour mener cette opération, - la première partie de la négociation a permis de libérer la plupart des otages occidentaux. Qu'aurait été la manière forte si cette négociation n'avait eu lieu avant ? Il se trouve qu'il ne restait que nos deux journalistes français et d'autres otages auxquels nous devons penser aujourd'hui. C'est comme cela que nous avons pu aujourd'hui avoir cette bonne nouvelle."
C'est par cette cellule de crise que vous étiez en permanence informé et que les familles étaient informées?
M. Tessier : "Tout à fait. Je tiens à dire à tous vos auditeurs qu'il faut qu'ils sachent que le président de France Télévision remercie cette cellule et sait comment elle a travaillé, et qu'ils sont protégés par des équipes très professionnelles."
Que vous a-t-on raconté sur les conditions de détentions?
M. Tessier : "Les preneurs d'otage ont été très convenables sur le plan quotidien. Ils ont laissé passer, tous les jours des colis ou des lettres dans un grand désordre, en en prélevant une partie. Cela a permis aux otages, et en particulier à l'équipe des trois journalistes qui étaient dans un camp légèrement décalé du camp principal, de s'aménager des abris, de s'installer en étant gardés par des gamins qui changeaient pratiquement tous les jours et tiraient des rafales toutes les cinq minutes en l'air. Donc des conditions dures sur le plan psychologique, acceptables pour eux sur le plan physique. Ils l'ont dit, M. Burgot l'a dit, je pense que R. Madura et J.J. Le Garrec le rappeleront ; mais les tensions n'ont pas été, heureusement, marquées à leur égard par des violences."
Monsieur Védrine, c'est la première fois que des preneurs d'otage, au-delà de l'idéologie, se comportent comme des bandits de grand chemin ou de jungle et se soucient surtout de l'argent ?
H. Védrine : "Ce n'est pas la première fois. Nous avons au ministère une cellule qui est le coeur névralgique du système, où sont rassemblées toutes les informations, toutes les analyses. Mais nous n'avons pas négocié directement avec les preneurs d'otage. D'ailleurs, on ne le fait jamais pour des tas de raisons, ne serait-ce que pour ne pas mettre en péril la vie des Français présents partout dans le monde pour des raisons personnelles ou professionnelles."
Mais ce sont des médiateurs comme les Libyens qui négocient ?
H. Védrine : "D'abord les Philippins. Un négociateur philippin a été au contact depuis le début."
Mais il y a eu des versements de rançons ?
H. Védrine : "Pas de notre fait."
Qui venaient d'où ?
H. Védrine : "Si d'autres trouvent un intérêt à intervenir par rapport à leur propre objectif, leur propre stratégie, c'est leur problème et si cela concourt à la solution, tant mieux. Mais ce n'est pas de notre fait."
France Télévision a payé ?
M. Tessier : "Non bien entendu. Et je tiens à dire que si nous avons été très perturbés par la négociation et les comptes-rendus qu'en ont donnés les participants pour le journaliste du Spiegel, qui n'a pas facilité - je le dis officiellement, et je sais que H. Védrine pense comme moi - la suite des opérations pour l'ensemble des otages. "
Quelle est la leçon de tout cela ?
H. Védrine : "La leçon de tout cela devra être tirée : il faut que tous ceux qui ont été mêlés d'une façon ou d'une autre fassent le point. Il faut que l'on reconstitue exactement les évènements, que l'on réfléchisse ensemble à la façon dont cela s'est passé, que l'on regarde comment cette affaire a été gérée - elle a été bien gérée parce qu'elle se termine bien, mais il y a certainement des choses à apprendre. Cela concerne les otages eux-mêmes, leurs familles, France Télévision, les autorités françaises aux différents niveaux. Il faut réfléchir ensemble pour voir ce qu'il y a à faire pour réduire encore les risques de prises d'otage dans l'avenir, dans d'autres pays qui seraient confrontés à des situations malheureusement de ce type, et éviter les erreurs de réaction."
Ce matin il n'y a plus d'otage français ?
H. Védrine : "Il n'y a plus d'otage français aux Philippines."
M. Tessier, la mission de la presse est d'être présente sur tous les lieux dangereux de la planète, et il faut continuer. Mais sans remettre en cause ces missions, ne faut-il pas dans certains cas éviter de prendre des risques ?
M. Tessier : "Bien entendu, c'est une leçon essentielle. C'est une affaire d'analyse de chaque situation. En l'occurrence, nous étions avec des rapteurs et nous devions évidemment en tenir compte. Mais notre première mission est informer. Il faut qu'il y ait des journalistes français partout dans le monde. Si nous n'y allons pas, ce seront les journalistes anglo-saxons qui feront l'actualité."
Ils rentrent directement à Paris ?
M. Tessier : "Le détail n'est pas encore connu. L'ambassade s'en occupe activement, mais ils seront là certainement demain matin."
R - Dès l'origine de la prise d'otages, le gouvernement français avec les gouvernements finlandais et allemand a fait passer le message aux autorités philippines par tous les moyens - d'abord c'était l'envoi de M. Solana au nom des Quinze, c'étaient les interventions du président de la République, de nombreux messages, le voyage que j'ai fait sur place avec les ministres allemand et finlandais - un seul message précis : " ne faites rien qui puisse mettre en péril la vie des otages ".
Il y a eu aux Philippines depuis ce moment-là, il faut le dire, une sorte de lutte d'influence entre les autorités politiques sensibles à notre préoccupation et à nos demandes et les autorités militaires pressées d'en finir. Car cette affaire de Jolo s'inscrit pour elles dans un ensemble où il y a toute une zone au sud des Philippines qui est en rébellion depuis extrêmement longtemps et elles jugent cela intolérable. Malheureusement, cette affaire de prise d'otages est arrivée à un moment où les Philippins avaient décidé justement de reprendre le contrôle de toute cette zone. En raison de notre pression, de notre insistance, nous avons réussi à ralentir, à retenir cette action et malheureusement ces derniers jours, les arguments des militaires l'ont emporté sur les arguments des politiques aux Philippines.
Dans cette situation nous avons, à tous les niveaux, redit de la façon la plus claire, la plus solennelle et la plus grave, aux autorités philippines qu'il leur appartenait, après les décisions qu'elles ont prises, toujours de préserver la vie des otages et que c'est la consigne qui devait être donnée à leur armée. C'est ce que le président Estrada dit avoir fait. Nous n'avons qu'un souhait, ardent, c'est que ce soit vrai, qu'il ait vraiment donné ces consignes là, ces instructions là et qu'elles puissent être suivies d'effets par les militaires en action dans cette zone et que nos otages soient préservés et libérés au plus tôt./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2000)
Q - On a appris cette nuit la libération de nos confrères Jean-Jacques Le Garrec et Roland Madura. Evidemment tout le monde se réjouit de cette libération. C'est un grand soulagement. D'après les premiers éléments, on sait qu'ils se sont échappés, qu'ils ont faussé compagnie à leurs ravisseurs pour pouvoir ensuite rejoindre l'armée philippine. Est-ce que les pressions françaises ont été importantes ou est-ce qu'il fallait laisser faire ?
R - Je pense qu'elles ont été importantes puisque tout se termine bien, enfin "bien" parce que les otages ont eu des moments terribles. Je rappelle que, depuis le début, les autorités françaises n'ont cessé de dire chaque jour, à chaque heure, aux autorités philippines de tout faire pour ne pas mettre en danger la sécurité des otages, et qu'il fallait qu'ils puissent être libérés sains et saufs. Je veux rappeler qu'il y a beaucoup d'otages, il n'y a pas que des occidentaux, mais aussi un Américain, un Malaisien, des Philippins. Il y a une exaspération face à la dissidence de cette zone sud et aux actes de terrorisme qui sont accomplis. Il y a eu des prises d'otages qui se sont terminées par des exécutions de sang froid. Donc l'opinion veut en finir et nous avons eu du mal au début à retenir la volonté des Philippins de terminer tout cela par la force. Et dans la dernière période, quand le président philippin a décidé de passer à l'action militaire après de nouvelles prises d'otages de malaisiens, cela a porté l'exaspération à son comble. Nous avons continué à dire la même chose, en disant "c'est leur responsabilité, ils sont chez eux après tout", même si c'est un "chez eux" contesté. Notre priorité, c'est la sécurité des otages et je crois qu'aujourd'hui, il faut le dire, il faut leur être reconnaissant, le président Estrada a tenu compte de cela, il a donné des instructions à son armée, qui fait qu'elle a maintenu une pression sur les preneurs d'otages mais sans rien faire d'irréparable. Et c'est sans doute comme cela, on aura des détails après, les ex-otages nous le diront, qu'ils ont pu s'échapper en profitant de la confusion et que l'un des commandos de l'armée philippine, qui était là pour faire pression sur cette zone où était concentré le groupe d'Abou Sayyaf, les a retrouvé. C'est comme cela que cela a dû se passer. Mais si on simplifie, les autorités philippines, finalement, depuis le début et jusqu'à cette nuit, ont entendu notre demande constante concernant la sécurité des otages.
Q - Donc tout est bien qui finit bien ?
R - Pour eux, oui.
Q - Et pour les relations franco-philippines ?
R - Comme le président l'a dit, comme le Premier ministre l'a dit, comme je le répète, nous devons être reconnaissants d'avoir réussi à concilier cette situation nationale, qui est intolérable en réalité, et le besoin légitime qu'ils ont de rétablir l'ordre public dans cette zone, avec cette sécurité des otages. Et j'espère que cela se terminera bien pour les autres otages.
Q - Pendant l'affaire des otages, c'est-à-dire avant la libération, il y a eu des dissensions franco-allemandes au départ ?
R - Non, il n'y a pas eu de dissensions franco-allemandes. Il y a une sorte d'ajustement délicat, sensible. Il y avait des Finlandais, des Allemands, des Français, donc nous discutions tous les jours sur le fait de savoir ce qu'il fallait faire ou pas, nous étions bien d'accord sur ce qu'il fallait éviter, c'est-à-dire des actions de force brutales, inconsidérées et mal menées. A un moment donné, les Allemands, étant donné que les Philippins n'arrivaient à rien, au début, ont dit "au fond, on devrait peut-être passer par des intermédiaires libyens, étant donné les liens de la Libye autrefois avec certains mouvements, peut-être que cela peut rétablir les liens". Nous avons réfléchi avec les Finlandais, et les Sud-Africains d'ailleurs, et nous avons conclu que nous n'avions pas le droit de refuser ces hypothèses, étant donné que les Philippins n'arrivaient à rien. Donc ce n'était pas une dissension, c'était une discussion, à un moment donné, une sorte de carrefour dans la gestion de cette affaire. Et nous avons accepté d'autant plus que la normalisation avec la Libye a commencé il y a un an et demi, cela n'a aucun rapport avec cette affaire.
Q - Je souhaiterais que l'on parle un peu de l'Europe. On est dans le vif du sujet avec les négociations sur la CIG. On entend des bruits très divers. Est-ce que c'est le dégel, est-ce que vous êtes optimiste, moyennement optimiste, ou carrément pessimiste ?
R - Je rappelle que c'est une négociation pour réformer les institutions de l'Europe, qui déjà à Quinze a un peu de mal à fonctionner, et à fortiori à 27 serait paralysée. Nous l'avons entamée sous la présidence portugaise et elle doit théoriquement se conclure sous notre présidence en décembre. Nous sommes attelés à cette tâche quasiment constamment, Pierre Moscovici et moi-même. C'est difficile. La plupart des pays campent sur leurs positions. On voit un début de discussion, de négociation sur certains points. Mais enfin on ne peut pas conclure aujourd'hui, vous entendrez donc les bruits les plus divers encore pendant plusieurs semaines. L'essentiel c'est qu'à Nice on puisse déboucher sur un traité qui réforme les institutions de l'Europe pour qu'elle puisse fonctionner mieux, et que l'élargissement ne les paralyse pas. Cela reste possible, mais il faudra que chaque pays fasse preuve de bonne volonté.
Q - Est-ce que ces hésitations ne sont pas un facteur de l'affaiblissement de l'euro, qui devient franchement préoccupant, comme le disait le Premier ministre hier ?
R - Je crois que ce sont deux choses différentes. En ce qui concerne l'euro, là il faut raisonner en zone euro ; l'euro-groupe, ce n'est pas les Quinze, ni les 27. Il est clair que les fondamentaux économiques européens sont bons, ils sont même très bons. Il est vraisemblable qu'il y a un manque de pilotage politique dans la zone euro, et d'expression politique qui devrait être plus forte. D'autre part des spécialistes font remarquer qu'il y a des mouvements de fond des monnaies, c'était le cas du dollar il y a quelques années, qu'il faut les apprécier avec sang froid, que les critères qui font que les opérateurs sur la monnaie choisissent plutôt ceci que cela, ce sont des critères bien à eux, donc il ne faut se tromper dans l'analyse. Moi je continue à penser qu'à un moment ou à un autre, la monnaie européenne exprimera de nouveau la réalité de l'économie européenne qui est forte.
Q - Même s'il n'y a pas de coordination au niveau du prix du pétrole, de ces choses-là, qui sont des signes forts quand même ?
R - Je crois qu'il ne faut pas tout mélanger.
Q - C'est-à-dire que l'harmonisation fiscale n'a rien à voir par exemple ?
R - Non, l'harmonisation fiscale à Quinze est une chose importante en elle-même. Mais là on parle de la zone euro, c'est différent, et je crois qu'il faut garder cette idée simple à l'esprit : l'économie européenne est forte, et donc à un moment ou à un autre, la monnaie européenne exprimera de nouveau cette réalité de fond.
Q - Les Quinze ont promis la levée des sanctions en ex-Yougoslavie, si Milosevic est battu, vous croyez que c'est un signal ? Il y a un encouragement fort ?
R - Je crois que c'est très important, quelques jours avant ces élections, que, évidemment, le régime va essayer de trafiquer. Enfin, les élections ont lieu, l'opposition a réfléchi, ils ont décidé de participer quand même, on ne peut pas décider à leur place. Donc il faut plutôt soutenir l'opposition démocratique. Et nous avons dit clairement qu'une victoire de la démocratie en République fédérale de Yougoslavie, lors des prochaines élections dans quelques jours, entraînerait une révision radicale de la position européenne. C'est-à-dire que les sanctions seraient levées et que l'economie de ce pays serait réintégrée dans l'économie européenne. Ce serait un changement très important pour toute la région. Je ne dis pas que tous les problèmes disparaîtraient, mais ils pourraient être traités autrement. Nous avons adressé un message au peuple serbe, qui est un message d'accueil, de bienvenue, un message européen. Et j'espère qu'ils l'entendront et qu'ils auront les moyens de le traduire en vote et que le régime n'arrivera pas à trafiquer cette expression démocratique forte.
(...)./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2000)
Monsieur le ministre des Affaires étrangères, vous êtes à l'extérieur, ,j'ai en studio, avec moi, M. Tessier, le président de France Télévision. Comment avez-vous appris la libération des deux otages français des Philippines, dans la nuit ?
H. Védrine : "Je l'ai appris par mon directeur de cabinet au milieu de la nuit."
Monsieur Sellal ?
H. Védrine : "Oui, P. Sellal qui m'a appris que l'armée philippine venait d'annoncer la libération et que, à peu près simultanément, le Président Estrada appelait le Président Chirac pour le lui annoncer personnellement."
Qui lui-même a annoncé la bonne nouvelle aux familles ?
H. Védrine : "Exactement."
Et vous M. Tessier ?
M. Tessier : "Je l'ai appris dans les mêmes conditions par l'ambassade, par L. Boussié, notre journaliste sur place à Manille."
Il était ?
M. Tessier : "Il était 2 heures et demi du matin à peu près, 2 heures 40."
Cela a failli se terminer en tragédie. Les familles sont soulagées, les Français sont évidemment soulagés, vous aussi. Ils se sont échappés d'après ce que vous savez ?
M. Tessier : "Tout à fait. Ils viennent de tenir une conférence de presse au palais présidentiel, à Manille, et ils ont confirmé qu'ils avaient quitté le groupe au moment d'une offensive. Ils s'étaient cachés au bas d'un talus et qu'au passage d'un des premiers camions militaires ils avaient attendu, et qu'ils étaient sortis pour rejoindre les militaires au deuxième. C'est donc une bande de baroudeurs qui se sont échappés par eux-mêmes."
En prenant naturellement des risques qu'ils raconteront eux-mêmes... Il y a eu différentes phases, monsieur Védrine, d'espoir, de crainte. Je pense que depuis l'offensive militaire de l'armée philippine, on pouvait même craindre pour leur vie ?
H. Védrine : "Oui mais je crois que si cette offensive n'avait pas eu lieu, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils seraient encore otages. Donc, depuis le début nous avons constamment, par tous les moyens, chaque jour - si ce n'est chaque heure - dit aux autorités philippines que notre priorité c'était la libération des otages sains et saufs, et de tous les otages. Mais je n'oublie pas non plus qu'il reste
d'autres otages, philippins, malaisiens et un américain. Nous avons évidemment dit cela pour nos otages français, si je puis dire. Je dois dire aujourd'hui que les autorités philippines ont tenu compte de cela, y compris dans la phase de l'opération militaire. C'est grâce à l'opération militaire et grâce à la confusion créée par les commandos philippins autour de la zone où s'était regroupé le groupe Abu Sayyaf, que les deux journalistes français, on vient de l'entendre, ont pu en profiter pour s'enfuir."
Est-ce que cela veut dire que le Président de la République française, l'un des chefs d'Etat les plus habitués, les plus compétents - si je puis dire - en matière d'otages, vous, monsieur Védrine, le Gouvernement, l'ambassadeur de France à Manille, avez souffert de voir qu'on ne pouvait pas utiliser la manière forte ? Vous avez dû souffrir de voir qu'on tratait directement avec les hommes d'Abu Sayyaf et le commandant Robot, qu'on passait par des médiateurs, qu'on en arrivait à des rançons ?
H. Védrine : "Attendez, il faut distinguer : notre priorité absolue était la libération des otages sains et saufs. Ce résultat est atteint aujourd'hui, et nous en sommes soulagés pour eux humainement, et je pense à eux et à leur famille. Nous en sommes soulagés à tout point de vue."
Nous aussi à Europe 1.
H. Védrine : "Dans la conduite de cette affaire, à un moment donné, il y a un certain temps, comme les Philippins n'arrivaient à rien par leurs propres négociateurs, nous avons accepté la suggestion allemande - ainsi que les Finlandais et les Sud-Africains, qui l'ont aussi accepté - de passer par des médiateurs libyens qui pouvaient avoir gardé des contacts. On l'a accepté parce que la normalisation avec la Libye a commencé il y a un an et demi, sur décision du Conseil de sécurité et de l'Union européenne. Cela n'a aucun rapport avec cette affaire de Jolo. On l'a acceptée, cela a donné des résultats pour certain des otages, mais pas pour tous. Aujourd'hui, il faut aussi reconnaître que les Philippins sont chez eux et que c'est leur souveraineté. On ne peut pas leur contester le droit de faire face à ce problème extrêmement grave de cette dissidence du Sud. Ils ont réussi à concilier cet impératif national avec la libération des otages, ou en tout cas avec le fait que ceux-ci ne soient pas finalement les victimes de cette opération. Donc ces différents objectifs apparemment contradictoires ont pu être conciliés. C'est ce qu'il faut avoir à l'esprit aujourd'hui."
C'est cela : à la fois la négociation et à un moment donné, la fermeté. On ne peut pas dire qu'il faut choisir la voie préférée des Américains, c'est-à-dire tout de suite l'utilisation des armes ?
H. Védrine : " D'abord cela dépend. Je ne suis pas sûr que les Américains le fassent tout le temps. D'autre part, par rapport aux nombreuses prises d'otages... "
Là, ils n'ont pas découragé le gouvernement philippin ?
H. Védrine : "Oui, on le dit. Mais rien ne prouve qu'il y a un lien entre les deux. Dans toutes les prises d'otages que malheureusement j'ai
8PRISES DE PAROLE
eues à suivre depuis longtemps, il n'y a pas de règles, on ne peut pas faire de théorie."
M. Tessier, avez-vous été renseigné sur les conditions de détention des otages français ,
M. Tessier : "Je veux dire simplement un mot : rappelons-nous que la négociation qu'a menée le Gouvernement français - et je tiens à rendre hommage à l'ensemble de la cellule qui est sous l'autorité d'H. Védrine, en particulier P. Sellal, avec lequel nous étions en contact tous les jours pour mener cette opération, - la première partie de la négociation a permis de libérer la plupart des otages occidentaux. Qu'aurait été la manière forte si cette négociation n'avait eu lieu avant ? Il se trouve qu'il ne restait que nos deux journalistes français et d'autres otages auxquels nous devons penser aujourd'hui. C'est comme cela que nous avons pu aujourd'hui avoir cette bonne nouvelle."
C'est par cette cellule de crise que vous étiez en permanence informé et que les familles étaient informées?
M. Tessier : "Tout à fait. Je tiens à dire à tous vos auditeurs qu'il faut qu'ils sachent que le président de France Télévision remercie cette cellule et sait comment elle a travaillé, et qu'ils sont protégés par des équipes très professionnelles."
Que vous a-t-on raconté sur les conditions de détentions?
M. Tessier : "Les preneurs d'otage ont été très convenables sur le plan quotidien. Ils ont laissé passer, tous les jours des colis ou des lettres dans un grand désordre, en en prélevant une partie. Cela a permis aux otages, et en particulier à l'équipe des trois journalistes qui étaient dans un camp légèrement décalé du camp principal, de s'aménager des abris, de s'installer en étant gardés par des gamins qui changeaient pratiquement tous les jours et tiraient des rafales toutes les cinq minutes en l'air. Donc des conditions dures sur le plan psychologique, acceptables pour eux sur le plan physique. Ils l'ont dit, M. Burgot l'a dit, je pense que R. Madura et J.J. Le Garrec le rappeleront ; mais les tensions n'ont pas été, heureusement, marquées à leur égard par des violences."
Monsieur Védrine, c'est la première fois que des preneurs d'otage, au-delà de l'idéologie, se comportent comme des bandits de grand chemin ou de jungle et se soucient surtout de l'argent ?
H. Védrine : "Ce n'est pas la première fois. Nous avons au ministère une cellule qui est le coeur névralgique du système, où sont rassemblées toutes les informations, toutes les analyses. Mais nous n'avons pas négocié directement avec les preneurs d'otage. D'ailleurs, on ne le fait jamais pour des tas de raisons, ne serait-ce que pour ne pas mettre en péril la vie des Français présents partout dans le monde pour des raisons personnelles ou professionnelles."
Mais ce sont des médiateurs comme les Libyens qui négocient ?
H. Védrine : "D'abord les Philippins. Un négociateur philippin a été au contact depuis le début."
Mais il y a eu des versements de rançons ?
H. Védrine : "Pas de notre fait."
Qui venaient d'où ?
H. Védrine : "Si d'autres trouvent un intérêt à intervenir par rapport à leur propre objectif, leur propre stratégie, c'est leur problème et si cela concourt à la solution, tant mieux. Mais ce n'est pas de notre fait."
France Télévision a payé ?
M. Tessier : "Non bien entendu. Et je tiens à dire que si nous avons été très perturbés par la négociation et les comptes-rendus qu'en ont donnés les participants pour le journaliste du Spiegel, qui n'a pas facilité - je le dis officiellement, et je sais que H. Védrine pense comme moi - la suite des opérations pour l'ensemble des otages. "
Quelle est la leçon de tout cela ?
H. Védrine : "La leçon de tout cela devra être tirée : il faut que tous ceux qui ont été mêlés d'une façon ou d'une autre fassent le point. Il faut que l'on reconstitue exactement les évènements, que l'on réfléchisse ensemble à la façon dont cela s'est passé, que l'on regarde comment cette affaire a été gérée - elle a été bien gérée parce qu'elle se termine bien, mais il y a certainement des choses à apprendre. Cela concerne les otages eux-mêmes, leurs familles, France Télévision, les autorités françaises aux différents niveaux. Il faut réfléchir ensemble pour voir ce qu'il y a à faire pour réduire encore les risques de prises d'otage dans l'avenir, dans d'autres pays qui seraient confrontés à des situations malheureusement de ce type, et éviter les erreurs de réaction."
Ce matin il n'y a plus d'otage français ?
H. Védrine : "Il n'y a plus d'otage français aux Philippines."
M. Tessier, la mission de la presse est d'être présente sur tous les lieux dangereux de la planète, et il faut continuer. Mais sans remettre en cause ces missions, ne faut-il pas dans certains cas éviter de prendre des risques ?
M. Tessier : "Bien entendu, c'est une leçon essentielle. C'est une affaire d'analyse de chaque situation. En l'occurrence, nous étions avec des rapteurs et nous devions évidemment en tenir compte. Mais notre première mission est informer. Il faut qu'il y ait des journalistes français partout dans le monde. Si nous n'y allons pas, ce seront les journalistes anglo-saxons qui feront l'actualité."
Ils rentrent directement à Paris ?
M. Tessier : "Le détail n'est pas encore connu. L'ambassade s'en occupe activement, mais ils seront là certainement demain matin."