Déclaration de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, sur les conditions de recrutement, d'accueil, d'encadrement dans les centres de formation de clubs professionnels de football, Paris le 14 février 2000.

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Circonstance : Réunion sur la situation des centres de formation des clubs de football à Paris le 14 février 2000

Texte intégral

Le 15 septembre dernier, j'ai demandé à l'Inspection Générale du Ministère de la Jeunesse et des Sports, d'effectuer une enquête administrative sur les conditions de recrutement, d'accueil et d'encadrement dans les centres de formation des clubs de football français.
J'ai souhaité que cette enquête porte tout particulièrement sur la situation des jeunes mineurs originaires de pays non-membres de la Communauté européenne.
J'ai pris cette initiative à la suite d'une série de faits dont certains ont été révélés par la presse, et d'informations préoccupantes qui ont été portées à ma connaissance.
Le cas de Serge LEBRI est exemplaire de cette situation. Ce jeune avait 14 ans lorsqu'un intermédiaire a organisé son voyage de Côte d'Ivoire en France, pour le proposer à deux centres de formation de clubs professionnels, contre une somme d'argent. Cette négociation s'avérant infructueuse, ce jeune mineur a fait l'objet de transferts dans plusieurs clubs amateurs.
Les promesses successives d'une régularisation de sa situation n'ont jamais été tenues. À sa majorité, ce jeune garçon s'est retrouvé en situation irrégulière, et s'est vu contraint de regagner son pays après un arrêté d'expulsion.
Pour lui, le rêve d'une carrière de footballeur s'est terminé dans la désillusion et l'humiliation.
Le travail effectué par les directions de la Jeunesse et des Sports dans plusieurs départements et régions laisse penser que le cas que je viens d'évoquer n'est pas isolé.
Il était donc indispensable de mieux connaître cette réalité, et, en étroite concertation avec les instances du football, de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre de telles dérives.
Je dois dire, à ce propos, que tant du côté de la Fédération Française de Football, que de celui de la Ligue Nationale, l'initiative du Ministère a été comprise, et a bénéficié du concours de ces deux instances, et de la Direction Technique Nationale placée sous l'autorité de Monsieur Aimé JACQUET.
Je tiens également à souligner que les clubs sollicités ont, en grand nombre, affiché une volonté de transparence, et un souci réel de prendre en compte les préoccupations exprimées par le Ministère. J'ajoute que les réactions, parfois très vives, de certains clubs, ont été provoquées par des articles de presse avant la publication du rapport lui-même. Je n'avais donc pas à les commenter.
Avec le Président Claude SIMONET, nous avions d'ailleurs estimé nécessaire de ne pas agir dans la précipitation.
Nous avons pris le temps d'étudier le rapport de l'inspection générale du Ministère, et de travailler ensemble sur les mesures à retenir.
Notre objectif commun, et j'insiste particulièrement sur ce point, n'est pas de fragiliser le dispositif de formation des jeunes dans le football français, mais bien de le consolider, de le rendre plus efficace encore, dans le respect des droits, de la dignité, et de l'intérêt global de chaque jeune concerné.
Du rapport qui m'a été remis par l'inspection générale du Ministère, je retiens principalement trois éléments.
En premier lieu, le système de formation mis en place par la Fédération Française de Football, et qui s'est progressivement étendu à de nombreux clubs professionnels, apparaît satisfaisant, même si la direction technique nationale souhaite encore l'améliorer.
Les centres de formation officiellement labellisés par la DTN, à partir d'une série de critères, constituent un dispositif de qualité, performant sur le plan sportif, et prenant en compte l'ensemble du parcours individuel de chaque jeune.
Face à une concurrence déloyale au niveau européen, face à une surenchère financière particulièrement choquante, une bonne politique de formation des jeunes est certainement le meilleur atout du football français.
Ce constat est une raison supplémentaire pour protéger ce dispositif des dérives qui apparaissent.
C'est le deuxième enseignement du rapport qui m'a été remis.
Nous constatons la mise en place de structures qui se situent à la périphérie des centres de formation des clubs.
Dans de nombreux cas, les effectifs de ces structures sont équivalents, voire supérieurs à ceux des centres officiels.
L'existence de cette frange non officielle et non contrôlée de la formation des jeunes, conduit à de grandes inégalités, d'un club à l'autre, dans la manière dont les jeunes concernés sont accueillis, encadrés, suivis.
Dans un certain nombre de structures périphériques aux centres de formation, il apparaît notamment une prise en compte insuffisante des problèmes liés à l'éloignement familial, aux difficultés scolaires, ou à l'avenir professionnel.
Ces problèmes prennent une acuité particulière chez les jeunes de moins de quinze ans.
C'est précisément dans ce contexte d'un développement de structures de formation, non labellisées et non contrôlées, que se situent les dérives spécifiques liées à la situation de jeunes étrangers.
Il s'agit, pour l'essentiel, de jeunes mineurs originaires de pays non-membre de la Communauté Européenne, et en particulier de pays de l'Afrique Francophone.
C'est le troisième enseignement que je tire du rapport qui m'a été remis.
Aujourd'hui, à partir de plusieurs faits et de cas précis, personne ne peut contester que la venue de ces jeunes mineurs dans des centres de formation officiels ou périphériques, donne lieu à des transactions commerciales.
Des informations recueillies par l'Inspection Générale du Ministère, il ressort que la venue de ces jeunes est le plus souvent organisée par des intermédiaires, dans le seul but de gagner de l'argent.
Le résultat de ce commerce indigne est connu : pour une infime minorité de ces jeunes qui va parvenir à l'élite et décrocher un contrat, combien vont se retrouver hors du système, livrés à eux- mêmes, coupés de leur famille, en situation de très grande précarité ?
Certes, ce phénomène, lié à des inégalités de développement de plus en plus criantes, n'est pas propre au football ou au sport en général, et nous savons qu'il concerne la plupart des pays de la communauté européenne.
Mais cela ne le rend pas plus acceptable pour autant.
C'est pourquoi, à partir du rapport qui m'a été remis, j'ai fait part tout à l'heure, au Président SIMONET et au Président LE GRAET, d'une série de dispositions.
Je précise d'emblée que ces dispositions ne concernent pas seulement le football mais bien l'ensemble des structures de formation sportive.
Plusieurs de ces mesures découlent directement de l'application de la loi du 28 décembre 1999 :
En premier lieu, toute transaction commerciale relative à des sportifs mineurs est interdite. Les clubs doivent être informés de cette disposition nouvelle et doivent l'appliquer.
Deuxième mesure : les centres de formation de jeunes, dans toutes les disciplines sportives, seront désormais agréés par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, sur proposition de la fédération concernée, et après avis de la Commission Nationale du Sport de Haut Niveau.
Cette commission sera également amenée à diligenter des études sur l'ensemble des pôles espoirs. Je vais par ailleurs demander au Ministère de l'Education Nationale d'accorder une attention particulière à la situation des sections sports-études.
L'agrément des centres de formation sera rendu sur la base de l'application de critères proposés conjointement par la Fédération et la Commission Nationale de Sport de haut niveau.
Troisièmement, l'entrée d'un jeune dans un centre de formation donnera lieu à une convention définissant les droits et les devoirs de chaque partie. Le contenu de cette convention fera l'objet d'un décret en Conseil d'Etat après concertation du mouvement sportif.
Quatrième mesure : je demande que dans chaque centre de formation, soit mis en place un suivi particulier de la situation de jeunes éloignés de leur famille et de leur pays d'origine. Ce suivi doit porter en particulier sur la scolarité, l'insertion sociale et la situation administrative des jeunes concernés.
Ce suivi, qui peut être nécessaire pour tout jeune confronté à des problèmes sociaux, implique la présence dans les centres de formation de personnels qualifiés, ainsi que la mise en place, certainement au plan régional, d'une structure de conseil associant le mouvement sportif et l'ensemble des administrations concernées.
Par ailleurs, pour les jeunes de pays non membres de l'Union Européenne, qui souhaitaient venir suivre une formation sportive en France, et qu'il nous faut accueillir dans les meilleures conditions, il nous faut mettre en place une véritable coopération sportive, qui prenne en compte l'intérêt des jeunes, et l'intérêt des pays du Sud et de l'Est.
Le but de notre politique de formation ne doit pas être de piller d'autres régions du monde de ses meilleurs talents.
Enfin, s'agissant des structures périphériques aux centres de formation et de la question spécifique de la préformation, je demande à M. Aimé JACQUET, Directeur Technique National, d'engager une concertation avec l'ensemble des partenaires concernés, et de me remettre des propositions d'organisation de l'ensemble de ce dispositif, avant le 1er juin.
Je conclurai ce propos en insistant sur le fait que la quasi- totalité de ces mesures ne se limitent pas au football, et devront s'appliquer à l'ensemble des disciplines sportives qui développent une politique de formation des jeunes.


(source http://www.jeunesse-sports.gouv.fr, le 15 février 2000)