Déclaration de M. Jean-Pierre Chevèvenement, président du Mouvement Républicain et Citoyen, sur sa proposition de "refondation républicaine" de la France, en opposition au projet de Constitution européenne, Paris le 7 avril 2004.

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Circonstance : Réunion publique à la Mutualité à Paris, le 7 avril 2004

Texte intégral

Le peuple français a été poussé dans les cordes du ring. Il ne sait pas par qui ni comment. Mondialisation, Europe, son destin lui échappe : il n'a désormais plus de prise sur les décisions qui lui permettraient de reprendre barre sur la gestion de ses affaires. L'hégémonie du dollar qui fait des Etats-Unis le moteur de la croissance et de la technologie à l'échelle du monde s'est établie insidieusement, sans même que le Parlement français ait été consulté en son temps, sur les accords de la Jamaïque. La concurrence des pays à bas salaires d'Europe et d'Asie résulte de décisions prises à son insu : élargissement non réellement négocié de l'Union européenne, extension de l'OMC à des pays voire à des continents nouveaux. Il n'y a plus de protection communautaire. Le tarif extérieur commun a été gommé.
Le dogme du libre-échange a tétanisé tout esprit critique et toute velléité de résistance. Les expertocraties libérales règnent au nom de l'Europe. Des fonctionnaires européens ont en charge l'un, M. Trichet, la politique monétaire ; l'autre, M. Monti, la politique industrielle ; la politique budgétaire est régie par MM. Prodi et Solbes ; la politique commerciale par M. Lamy.
Le traité de Maastricht et le pacte de stabilité, approuvés dans des conditions de totale opacité, font sentir leurs effets délétères. Délocalisations, restructurations, plans sociaux se succèdent à une vitesse accélérée, sans que les élus politiques dont c'était le mandat puissent en infléchir l'inexorable cours.
Drogué et comme sonné de coups, le peuple français se retourne, en dernier ressort, contre ses mandataires. Il les sanctionne tour à tour, mais sans avoir compris que le vrai pouvoir désormais leur échappait. Ce qui demeure d'attente dans sa colère ne pourra malheureusement être satisfait tant que les règles du jeu n'auront pas été modifiées (Maastricht, la mondialisation, etc.). Le raz-de-marée socialiste aux élections régionales du 28 mars 2004 est non pas l'envers du 21 avril. Il en est plutôt le redoublement. On peut le lire aussi comme le contrecoup du 5 mai 2002, date de l'élection triomphale à 82 % de Jacques Chirac à la Présidence de la République et de la politique libérale mise en oeuvre depuis lors par le gouvernement Raffarin.
L'instauration du quinquennat et la tenue des élections législatives dans la foulée des élections présidentielles ont équivalu, sans que ses auteurs eux-mêmes y aient pris garde, à un changement de Constitution. L'inversion du calendrier électoral a abouti, comme prévu, à concentrer à nouveau tout le pouvoir à l'Elysée, comme en 1981 et plus encore qu'en 1988.
L'UMP contrôle l'Elysée, l'Assemblée Nationale, le Sénat, le Conseil Constitutionnel. Cette situation, qui résulte en grande partie du " changement de Constitution ", opéré en 2001-2002, a conduit à surpolitiser les élections intermédiaires de 2004, régionales et même cantonales.
L'intensité du vote de rejet à l'égard du gouvernement Raffarin ne tient certes pas qu'aux contraintes extérieures ou à ses erreurs. Il procède aussi de l'excès de la victoire acquise le 5 mai 2002 par Jacques Chirac. Le raz-de-marée PS du 28 mars 2004 dans les régions a été la correction du vote intervenu deux ans auparavant. Il est probable qu'avec le temps cette hyperpolitisation des élections intermédiaires diminue d'intensité. Mais on peut également soutenir que le raccourcissement à cinq ans du mandat présidentiel, et surtout la confusion de tous les mandats politiques nationaux dans la même période de cinq ans vont conférer durablement aux élections intermédiaires un caractère politique qu'elles n'avaient pas.
M. Raffarin a eu tout faux en prétendant faire des élections régionales un enjeu régional seulement. Il a été puni par là où il avait péché : lui, le chantre des régions et de la décentralisation à tous crins s'est vu renvoyer à la figure vingt-et-une régions à majorité socialiste. Il a oublié que la France restait avant tout une nation politique. Le vote sanction du 28 mars n'est pas un vote d'adhésion au PS. C'est pourquoi le MRC, dont les divergences avec le PS sont anciennes et profondes, notamment sur l'Europe, n'a aucune raison de changer sa ligne.
La crise du pays va donc s'approfondir encore. La France, nation politique, va entrer en conflit de plus en plus violent avec le cadre qui lui a été imposé, notamment par le traité de Maastricht, et qui l'empêche de réagir efficacement au processus d'un déclin apparemment inexorable.
Seule la crise de la globalisation et celle de l'Europe de Maastricht, en nous permettant de changer les règles du jeu, peuvent offrir une voie de sortie. La crise de la globalisation en amenant les Etats-Unis à accepter de nouvelles règles de financement de l'économie mondiale ; la crise de l'Europe telle qu'elle se fait en permettant de redéfinir l'architecture de politique économique et monétaire conçue à Maastricht. Il faut pour cela un volontarisme puissant.
Mais rien ne dispensera dans l'ordre intérieur d'un profond renversement des priorités : accent mis sur la formation, la recherche et l'industrie et surtout retour aux fondamentaux républicains, et d'abord à l'Ecole. C'est cette équation gagnante que le pays attend sûrement d'un nouveau changement de majorité. Le courage sera-t-il au rendez-vous ? Ce que nous n'avons pas pu imposer du temps de la gauche plurielle a-t-il, demain, une meilleure chance de se réaliser ?
Difficulté d'une refondation républicaine
Le parti socialiste ne répond pas aujourd'hui à la question principale : quel sens convaincant redonner à la notion de progrès pour rendre à la gauche le crédit durable qu'elle a perdu dans les classes populaires ? Comment par ailleurs pourrait-il retrouver en profondeur la confiance du peuple sans une idée claire de la nation et sans s'adresser au pays tout entier ? Le redressement reste à accomplir. La gauche ne pourra plus faire l'impasse sur la remise en cause des orientations libérales de la construction européenne et plus profondément des règles biaisées d'une mondialisation impitoyable.
Mais si elle veut retrouver la confiance des couches populaires, elle devra plus profondément encore retrouver ses fondamentaux, réapprendre à parler le langage de la vérité, poser des repères fermes et des règles simples. Bien loin de communier dans l'illusion d'un monde sans forme ni frontière où l'humanité, enfin réconciliée, aurait surmonté toutes ses différences, ce qui donnerait comme résultat un électroencéphalogramme plat, la refondation républicaine implique la redécouverte des limites qui sont dans la nature.
Ainsi, à propos de l'allongement de la vie et du financement des retraites, la gauche doit prendre en compte les conséquences inévitables du retournement de la pyramide des âges que ne pourra compenser la prolongation indéfinie de la durée du travail prônée par la droite.
Ainsi encore de l'Ecole, que l'individualisation pédagogiste a niée comme institution vectrice de la Culture et de l'inscription dans la société et qui doit retrouver ses droits.
Ainsi enfin dans l'ordre politique, de la permanence des vieilles nations, après que le mythe d'un peuple européen unique s'est effondré.
La refondation républicaine commande ainsi une profonde réforme intellectuelle, morale et politique. Tâche immense, car elle implique des responsables de la gauche qu'ils se révèlent capables de remettre en cause la succession des choix libéraux qui, depuis 1983 au moins, leur ont fait dévaler la pente de la résignation à l'ordre des puissants. Mais tâche encore plus surhumaine que d'amener la gauche à s'interroger sur ses " fondamentaux ".
Après le 28 mars 2004 comme après le 21 avril 2002, les problèmes demeurent. Ils se poseront à nouveau en 2007 avec une acuité accrue : contraintes de la mondialisation redoublées par celles de Maastricht, désindustrialisation, chômage, vieillissement, déficit des comptes sociaux, insécurité, défi migratoire, panne de l'intégration, crise de l'Ecole.
La fuite en avant dans une Europe où la France se retrouvera minoritaire sur tous les sujets d'intérêt vital pour elle, ne saurait suppléer l'absence d'un projet national mobilisateur. La France ne peut repartir de l'avant qu'en s'appuyant sur sa tradition démocratique, celle où la volonté populaire s'exprime au travers d'un Etat fort. Le gouvernement actuel, tout comme le PS, paraissent aujourd'hui également incapables de lui proposer une telle voie de redressement. Un très bon exemple est fourni par le projet de privatisation ou d'ouverture du capital d'EDF-GDF et d'AREVA. Soumettre ces grandes entreprises à la logique des marchés financiers est une hérésie, surtout au moment où la décision heureuse a été prise de lancer le réacteur de nouvelle génération EPR. Il s'agit d'investissements à très long terme dans des domaines où les exigences de sûreté sont maximales et où les aléas financiers sont importants. Il est essentiel que la France ne brade pas l'outil puissant du secteur public.
Le malaise est profond. La sanction du 28 mars 2004 manifeste la profondeur du rejet. Elle ne signifie pas un vote d'adhésion à une gauche qui n'a pas su tirer la leçon du 21 avril ni élaborer un projet à la hauteur des défis que la France va rencontrer sur sa route. Le salut ne peut venir que du dehors, d'une crise de la globalisation telle qu'elle oblige à l'invention d'un nouveau chemin.
Dans la grave crise qui traverse le pays, l'hypothèse d'une coagulation de la droite et de l'extrême droite ne peut être exclue. Heureusement il y a une autre hypothèse : celle d'un gouvernement de salut public qui impliquerait des dirigeants socialistes qu'ils rencontrent la France.
Il n'y a pas d'issue dans le système actuel. La crise de la globalisation s'exprime à travers la guerre monétaire que les Etats-Unis font à l'Europe mais les Etats-Unis sont eux-mêmes enlisés dans le conflit qu'ils ont ouvert en Irak avec le monde arabo-musulman et dans lequel la France ne doit pas se laisser entraîner.
L'Europe doit s'affirmer vis-à-vis des Etats-Unis. En aucune manière le projet de " Constitution européenne " ne répond aux impératifs des temps à venir. C'est un projet de Constitution libérale. C'est un mécanisme d'impuissance. Il est temps que s'organise un sursaut républicain et que l'idée d'un gouvernement de salut public commence à faire son chemin. Il y a un espace important pour la gauche républicaine et populaire à la gauche d'un PS social libéral rallié à la " Constitution européenne ". Cette gauche républicaine et populaire doit porter un projet en phase avec l'intérêt national. Celui-ci commande un profond rebrassage des cartes. C'est cette perspective qu'il faut affirmer à l'occasion des élections européennes, si possible sur des listes de large rassemblement de tous ceux qui contestent l'orientation fondamentalement libérale de la pseudo Constitution européenne.



(source http://mrc-france.org, le 30 avril 2004)