Déclaration de M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la politique de l'enseignement supérieur, les créations d'emploi dans l'université et la recherche et le cursus des diplômes, notamment le LMD, licence, master, doctorat, Paris le 22 avril 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence des présidents d'université à Paris le 22 avril 2004

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que je renoue avec la conférence des présidents d'université.
Je vous retrouve dix ans plus tard.
Au cours de cette décennie, la situation s'est transformée. La forte croissance de la démographie étudiante à laquelle nous devions faire face à l'époque s'est atténuée. Aux préoccupations quantitatives ont fait place des enjeux plus qualitatifs ; enjeux qui s'inscrivent dans un univers universitaire et scientifique désormais ouvert à l'Europe, voire au monde.
Cette ouverture nous oblige à innover, à nous réinventer, afin de placer notre système au premier rang des pays développés.
Dans un climat que je sais à la fois tendu mais réceptif aux évolutions négociées, j'engage cette mission avec détermination et pragmatisme. Je ne crois pas aux idées préconçues, mais à l'écoute et à la précision des actions.
J'ai une conviction qui a été renforcée à l'occasion de mon passage au Ministère du Travail, des Affaires sociales et de la Solidarité : dans le monde ouvert d'aujourd'hui, la France livre un véritable combat dont dépend son influence internationale, sa force économique et sa prospérité sociale.
Dans ce combat, notre atout central se situe dans la formation de notre jeunesse et dans notre capacité d'innovation scientifique. C'est une priorité nationale dont je défendrai le principe.
Pour moi, il ne peut y avoir le " camp de l'intelligence " contre je ne sais quel autre camp, pas plus qu'il ne peut y avoir de muraille entre les missions publiques de l'université et de la recherche et les intérêts économiques et sociaux de notre pays. Du collège aux universités, des universités aux laboratoires, des laboratoires aux entreprises françaises, il doit, selon moi, y avoir un fil conducteur qui est celui d'une nation qui mise sur la " matière grise " et sur la formation, qu'elle soit intellectuelle ou professionnelle.
C'est avec cette conviction, que j'ai souhaité, dès ma prise de fonctions, trouver, avec mon collègue François d'Aubert, une " sortie par le haut " à la crise de la recherche.
La situation était bloquée. Cela ne pouvait plus durer. J'ai immédiatement engagé une négociation avec les partenaires concernés, conformément à ma méthode : j'écoute, je dialogue, j'agis en m'efforçant de saisir le fil de l'intérêt général.
Vous le savez, nous avons pris les mesures exceptionnelles qui s'imposaient pour restaurer la confiance. Vous les connaissez - je n'y reviens pas.
Cette crise aura eu le mérite de provoquer une prise de conscience de tous sur la situation. Elle a donné au gouvernement l'occasion de réaffirmer que la recherche est une priorité nationale. Quant à la communauté scientifique, elle s'est déclarée prête à engager une réflexion de fond sur les nécessaires évolutions de la recherche publique et de son organisation. Ensemble, il nous faut maintenant tracer des perspectives claires et fortes pour notre recherche.
Ces perspectives seront fixées à l'automne dans une loi d'orientation et de programmation. Elle sera élaborée dans le cadre d'un débat national sur la recherche qui s'appuiera, notamment, sur le comité d'initiative et de proposition présidé par MM. BAULIEU ET BREZIN, sur les propositions des établissements de recherche et d'enseignement supérieur et sur le dialogue mené avec les organisations représentatives, tout particulièrement sur l'emploi scientifique.
C'est comme cela que nous sortirons collectivement et " par le haut " de cette crise.
Dans ce contexte, j'ai voulu donner toute sa place à l'université.
Dans notre pays, il ne peut y avoir de stratégie scientifique qui ne tiendrait pas compte de la recherche universitaire. Les organismes l'ont parfaitement compris. Dans tous les grands pays comparables, l'université s'impose comme l'un des standards internationaux d'organisation : une institution puissante, alliant étroitement et consubstantiellement, formation et recherche, rassemblant les grandes disciplines, accueillant des milliers d'étudiants, autonome dans la définition de sa politique de formation et de recherche comme dans la gestion de ses moyens.
C'est pourquoi, les mesures immédiates qui ont été prises concernent également vos établissements ; c'est aussi pourquoi dans le débat qui s'ouvre, les perspectives à définir pour la recherche devront intégrer, pour une part, l'avenir des universités.
S'agissant des mesures immédiates, 300 emplois sont créés pour la rentrée 2004, 700 au 1er janvier 2005, au total 1000 emplois qui, tous, sont des emplois scientifiques.
Bien entendu, cet effort exceptionnel a été consenti pour renforcer la puissance scientifique de notre dispositif. Il est donc essentiel que, en commun, nous démontrions à ceux qui pourraient en douter, notre capacité à utiliser ces emplois au bénéfice de la recherche française.
Il faut agir rapidement - chacun le comprend - pour permettre en temps utile les nouveaux recrutements. A cette fin, j'ai demandé à Jean-Marc MONTEIL, Directeur de l'enseignement supérieur, d'engager une concertation avec vous et les autres acteurs pour définir, dans les toutes prochaines semaines, les modalités les plus efficaces.
Mes principes en la matière sont clairs :
- la répartition doit s'appuyer sur une approche qualitative, ancrée sur les besoins scientifiques ; - chaque université doit pouvoir dans ce cadre valoriser ses points forts ou structurer des alliances pour conforter des pôles d'excellence ;
- les modalités pourront être spécifiées selon qu'il s'agit d'établissements déjà bien dotés ou au contraire en retard de dotation.
Ces principes restent à ce stade généraux et vous aurez votre mot à dire. Mais je tenais à vous en donner l'esprit. Il s'agit, pour l'université elle-même, d'une occasion à ne pas manquer ! Votre Conférence s'est, je le sais, suffisamment battue pour que la recherche universitaire soit reconnue et, au delà, pour que le dispositif national de recherche s'articule avec l'université.
Nous ne devons pas décevoir cette perspective à la fois au niveau national mais aussi au niveau européen et international.
L'exigence de visibilité internationale est désormais criante. L'enseignement supérieur et la recherche sont devenus l'un des enjeux vitaux de la compétition mondiale. Il y va de l'intérêt national que nous ne soyons pas considéré en la matière comme une nation de " second ordre ".
Un rapport récent du Conseil d'analyse économique placé auprès du 1er Ministre, met en lumière le risque pour notre pays de quitter le camp de " l'innovation " pour rejoindre celui de " l'imitation ". Ce scénario est contraire à l'idée que je me fais du rang et de l'influence de la France. Il doit évidemment être à tout prix évité, dans l'intérêt de notre jeunesse, de notre économie, de notre culture.
Des signes d'inquiétudes existent, des rapports s'accumulent, des classements internationaux témoignent des risques que notre système encoure.
C'est pourquoi, en tout premier lieu, je vous confirme les orientations qui ont été définies dans le cadre de la construction de l'espace européen de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce qui est couramment appelé le " LMD " (Licence-Master-Doctorat).
Je le confirme non seulement parce que cette politique relève d'objectifs internationaux peu contestables, mais aussi parce qu'il permet des évolutions positives au plan national. Je sais que votre Conférence soutient depuis l'origine cette démarche Mais permettez-moi cependant d'éclairer devant vous ce qui à mes yeux est essentiel.
La démarche LMD concerne l'ensemble de l'enseignement supérieur français : les universités comme les grandes écoles. C'est une première qui permet - dans le respect des différences - de rassembler les énergies et d'organiser une offre française plus forte et plus lisible.
Tout repose sur l'initiative et les propositions des établissements dans le cadre d'un dispositif régulé nationalement par l'évaluation. C'est une voie moderne pour le service public : plus de marges de manuvres, plus de responsabilité, plus d'évaluation.
Cette innovation, je le sais, a pu susciter des inquiétudes Il faut qu'ensemble nous les apaisions par l'explication, le dialogue et une certains force de convictions. En la matière, chacun expérimente - les établissements comme le ministère - des voies nouvelles. Il n'est pas étonnant pour un chantier d'une telle ampleur que des ajustements méthodologiques soient nécessaires. Là encore le dialogue est et devra être la règle.
Dans notre pays, c'est l'université qui concrétise le droit à l'éducation supérieure en accueillant sans sélection tous les bacheliers. C'est la tradition française et c'est l'un des honneurs de notre université. Aujourd'hui 50 % d'une classe d'âge accède à l'enseignement supérieur, ce qui nous situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Toute régression est inenvisageable : elle serait néfaste pour le pays. Mais, en même temps, on demande de porter au plus haut niveau d'excellence l'enseignement supérieur et la recherche. C'est là, d'une certaine façon, la " quadrature du cercle " qu'il nous faut résoudre. Concilier démocratisation, professionnalisation, perfection : voilà le triple défi qui nous est lancé.
A bien des égards, le LMD permet - me semble-t-il - de mieux appréhender cette quadrature que j'évoquais, en assignant à chacun des trois cursus - licence, master, doctorat - des objectifs spécifiques :
- le cursus licence, c'est la proximité et l'accueil de publics divers dans des filières elles-mêmes diversifiées. Il doit permettre de faire accéder une large part d'une génération aux qualifications supérieures, tout en orientant les étudiants en fonction de leurs capacités et de leurs projets soit vers l'insertion professionnelle, soit vers la préparation à des études plus longues ;
- le cursus master, c'est l'attractivité pour les étudiants français et étrangers. Au niveau master, les établissements valorisent leurs compétences spécifiques fondées sur leurs forces scientifiques et leurs domaines de recherche reconnus. Le master est une des clefs du portage international de l'offre française ;
- enfin, le cursus doctoral, c'est l'excellence fondée sur des pôles de recherche qui fédèrent, sur un site, les capacités des établissements d'enseignement supérieur et de recherche au sein de puissantes écoles doctorales.
On le voit donc, le LMD clarifie le paysage en distinguant les finalités de chacun des cursus. C'est l'un de ses principaux intérêts. Il offre, par ailleurs, une reconnaissance internationale, en permettant à l'université de délivrer un diplôme reconnu à niveau 5 après un cursus continu.
En évoquant certains des objectifs de l'enseignement supérieur, je ne puis oublier, mesdames et messieurs, qu'il y a encore un mois j'étais en charge du ministère du travail.
Dans cette fonction, je me suis fortement engagé pour faire avancer un projet que je juge central : celui de la formation tout au long de la vie. C'est un immense et formidable enjeu dont nous devons nous saisir.
Dans un pays comme le nôtre, où 2 jeunes sur 3 atteignent le niveau du baccalauréat, la demande de formation supérieure ne peut que s'accroître au cours de la vie professionnelle, l'accès aux qualifications supérieures étant l'une des clés de la promotion professionnelle et de l'actualisation des compétences dans un univers technique très évolutif.
Dès à présent, la rénovation des formations supérieures est fondée sur la construction de parcours de formations - initiale et continue - qui permettent d'atteindre des objectifs diversifiés et d'optimiser, grâce à la validation d'acquis, le temps de formation. Nous avons là un socle pour agir !
L'université peut être - doit être ! - une université de la formation tout au long de la vie. Elle doit accueillir aussi bien les jeunes que les adultes ; elle doit répondre à leurs besoins de qualifications ; elle doit être un espace où il est facile de revenir après ou pendant une période d'activité professionnelle.
Ce but peut être atteint. Bien des choses se font déjà en ce sens Mais il faut aller beaucoup plus loin, en cherchant à placer l'université au coeur des enjeux économiques et sociaux. Elle doit devenir un carrefour au sein duquel les acteurs qui comptent - partenaires sociaux, économiques et territoriaux - travaillent, réfléchissent, construisent ensemble des stratégies.
Cette adaptation du modèle universitaire soulève bien d'autres points structurels que je me permets de vous évoquer en quelques mots.
Il y a, en premier lieu, celui de l'autonomie.
Depuis plusieurs années vous avez souhaité un renforcement de l'autonomie des universités. Force est de constater que les tentatives législatives n'ont pas donné les résultats que vous escomptiez, faute d'un consensus suffisamment large.
Peut-être la méthode suivie n'était-elle pas adaptée ? Peut-être aussi le problème n'était-il pas suffisamment cadré ? Aujourd'hui, je me laisse un peu de temps pour trancher cette question délicate de l'autonomie. Je considère cependant que le débat sur la recherche peut nous permettre de réfléchir à des perspectives nouvelles en terme d'organisations.
Le second point, c'est celui du renforcement et de l'efficacité de l'évaluation.
En matière d'enseignement supérieur comme en matière de recherche, l'impératif de qualité doit prévaloir et, pour cela, il nous faut le dispositif d'évaluation le plus efficace possible.
En France comme dans les autres pays, l'évaluation donne lieu à des controverses passionnées ! Faut-il évaluer les établissements, les programmes, les équipes ? Faut-il de l'évaluation externe aux établissements ou interne ? Faut-il de l'évaluation a priori ou a posteriori ? Faut-il de l'évaluation qualitative ou quantitative ? Faut-il introduire une dimension coûts/résultats ? Quelles conséquences tirer de l'évaluation en termes de labels, en termes de moyens ? J'arrête ici la liste des interrogations qui parcourent cette thématique...
Visiblement, nous avons en France le "don " de vouloir un peu de tout cela. En conséquence, nous avons accumulé les dispositifs
Des clarifications me semblent nécessaires. C'est pourquoi je souhaite que la Conférence des présidents d'université puisse adopter une position sur le système qui lui semble le plus pertinent au regard des objectifs qualitatifs que nous poursuivons. Un regard sur ce qui se fait à l'étranger est ici certainement utile.
Le troisième point qui me semble important, c'est celui du maillage du territoire qui doit être consolidé.
Avec la croissance des effectifs étudiants, avec les aspirations compréhensibles à un enseignement supérieur de proximité, le maillage du territoire universitaire s'est depuis 20 ans considérablement densifié. C'était légitime. Ce maillage doit désormais être consolidé. Pour cela, il ne doit pas, sauf exception, être étendu. Il serait en la matière déraisonnable de disperser notre potentiel, au moment même où nous cherchons à structurer la puissance de nos forces éducatives et scientifiques.
Certes, il convient de rester à l'écoute des collectivités territoriales et de définir de façon concertée les voies et moyens de répondre à leurs attentes Mais il existe d'autres solutions que la création de nouveaux sites universitaires qui irait à l'encontre des perspectives que nous poursuivons pour l'enseignement supérieur.
Autre point sur lequel je veux attirer votre attention : c'est celui de l'accompagnement social des étudiants
Le Premier ministre l'a confirmé dans sa déclaration de politique générale : les engagements pris pour améliorer l'accompagnement social des étudiants devront être tenus. Mon prédécesseur a retenu et annoncé, en matière de logement, certaines des propositions du député Jean-Paul ANCIAUX. Elles devraient permettre une accélération du programme de rénovation et d'accroissement des chambres des cités universitaires.
Dans les prochaines semaines, sera signé le contrat d'objectifs du CNOUS.
Enfin ont été soumises aux organisations représentatives étudiantes et à votre Conférence, des mesures concernant, d'une part, la santé et le handicap et visant, d'autre part, à améliorer le dispositif des aides directes ( bourses et allocations d'études). J'arrêterai mes décisions à l'issue de cette concertation.
Enfin, je conclurai sur la nécessité d'approfondir la politique contractuelle.
Peut-être certains d'entre vous s'en souviennent-ils mais j'avais, à l'époque, arrêté le principe du contrat unique fondant dans un même contrat ce qui auparavant faisait l'objet de deux processus distincts pour la recherche d'une part, pour la formation d'autre part.
Ce contrat unique est devenu aujourd'hui une réalité et vous y êtes, je le crois, attachés. Le recteur FREMONT dans un récent rapport remis dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques a confirmé la réussite de cette pratique et a formulé un certain nombre de préconisations.
Cette politique sera maintenue et approfondie. Il faut qu'ensemble nous trouvions les moyens de faire de ces contrats qui nous lient - ministère et établissement - de véritables contrats d'objectifs, ce à quoi nous invite la loi organique sur les lois de finances.
Telles sont, mesdames et messieurs, quelques unes des réflexions et pistes que je souhaitais vous livrer à l'occasion de ce premier contact. Il y en aura beaucoup d'autres, car j'entends, avec la CPU comme avec chacun d'entre-vous, nouer une relation de travail fondée sur la confiance, la franchise et l'imagination.
L'université française a des défis à relever. Il ne s'agit pas de tout changer, mais d'ajuster et de moderniser tout ce qui mérite de l'être. Cette nécessité s'inscrit dans le cadre d'une conjoncture économique qui n'est pas facile pour notre pays. Nous ne pouvons nous abstraire totalement de cette réalité, même si je n'entends pas en être le prisonnier.
C'est ensemble, de façon concertée, que nous pourrons agir !

(Source http://www.education.gouv.fr, le 27 avril 2004)