Texte intégral
La réunification de l'Europe est d'abord un événement d'une immense portée qui nous fait renouer avec notre profondeur historique commune. L'Europe retrouve le périmètre de sa longue histoire : celui de l'art gothique, celui de l'art baroque, celui de l'art classique, celui de l'art romantique...
Les huit pays, les huit peuples, d'Europe centrale et orientale qui nous rejoignent avaient été artificiellement soustraits au concert européen durant un demi-siècle par Yalta et le rideau de fer. Pendant que nous retrouvions notre prospérité, ils étaient annexés et brisés par le totalitarisme. Nous les retrouvons aujourd'hui comme acteurs européens à part entière. Ces retrouvailles sont d'abord une joie profonde : l'Europe peut à nouveau respirer avec ses deux poumons.
Malheureusement, cet événement historique n'a pas trouvé de réponse politique à sa mesure et ce qui était une espérance s'est peu à peu transformé en menace.
Les retrouvailles, la réunification ont été dénaturées en élargissement. Elargissement, c'est-à-dire extension de quelque chose de préexistant. Au lieu d'inventer une nouvelle Europe à la faveur de la réunification du continent, on a simplement prolongé - élargi - le processus de construction européenne lancé à six dans les années 1950, sans tenir compte de ce que venaient de vivre pendant cinquante ans sur le plan politique, économique, social ceux qui nous rejoignent. On les a considérés comme des candidats standards à l'absorption de l'acquis communautaire. On les a supposés avides d'entrer dans un processus de création d'un gros Etat supranational appelé à se substituer aux démocraties nationales. Au lieu de les accueillir immédiatement au sein d'une Europe politique qui aurait dû devenir avec eux une confédération, on les a laissés pendant quinze ans en tête à tête avec les commissaires dans une interminable négociation technocratique et comptable. En prétendant faire entrer en bloc les nouveaux candidats dans le moule d'un marché unique aux prétentions uniformisatrices illimitées, la Commission européenne a réussi à transformer, à l'est, l'adhésion en camisole et à l'ouest, l'espérance en menace. Repliée frileusement sur la préservation à tout prix de l'idéologie supranationale, la Commission à qui les Etats membres avaient eu la faiblesse de laisser le monopole de la négociation, n'était évidemment pas en mesure de réorienter la construction européenne vers une nouvelle Europe en réseaux, où respect des souverainetés nationales et coopération européenne étroite, loin de s'exclure, s'articuleraient au contraire étroitement. L'occasion était belle pourtant, à la faveur d'une réunification du continent qui rassemblait des peuples et des Etats très diversifiés, pour passer d'une Europe rigide, disciplinaire et centralisée, qui déjà à quinze suscitait paralysie et rejet à une Europe décentralisée, souple et respectueuse des singularités. Une Europe qui laisse respirer les Etats et leur ouvre le champ des initiatives créatrices.
Mais cette occasion historique a été manquée. Au lieu de retenir, sur le plan économique, une ligne prudente, des procédures différenciées, des approches sectorisées, de façon à préserver les intérêts majeurs de chacun, la Commission a choisi un processus uniforme et brutal. Cette manière désastreuse dont l'élargissement a été conduit suscite aujourd'hui chez beaucoup de nos concitoyens méfiance et inquiétude. Inquiétude devant les risques de délocalisation dus au dumping fiscal et social. Avec des différences de salaires de 1 à 6 à notre porte, on ouvre l'écluse alors même que les niveaux d'eau sont très loin d'être en face. Méfiance envers des aides financières dont on voudrait être sûr qu'elles parviendront bien à leurs destinataires réels et ne seront pas englouties dans les réseaux de la corruption post-soviétique. Inquiétude face au contrôle de frontières extérieures immenses et jusqu'ici particulièrement poreuses, alors même que la menace terroriste et les trafics mafieux sont de plus en plus omniprésents. Quant aux pays d'Europe centrale et orientale, ils redoutent l'effondrement de leur agriculture et la fuite de leurs élites.
Pour que l'élargissement ne se transforme pas en cauchemar, il est donc plus urgent que jamais de modifier radicalement l'orientation de la construction européenne et les nouveaux entrants vont nous y aider.
Ceux qui imaginent que les nouveaux peuples et les nouveaux Etats membres, une fois entrés dans l'Union européenne, vont alimenter la moulinette fédéraliste se trompent. Ils viennent de faire l'expérience douloureuse de l'ablation de souveraineté. Ils savent ce qu'il en coûte de récupérer sa liberté. Ils n'entendent nullement renoncer à l'exercice de leur souveraineté retrouvée. Ils ne souhaitent aucunement troquer une chape de plomb contre une autre. Ils ne sont pas sortis d'un bloc pour en construire un nouveau. Ils veulent rester eux-mêmes, tout en rattrapant le temps perdu. Ils vont faire avec nous la démonstration que la seule Europe qui peut fonctionner à l'échelle du continent n'est pas celle du gros Etat supranational uniformisateur, qui absorbe les unes après les autres les compétences des peuples et des nations et aboutit à une impasse. Ils vont être avec nous des architectes de l'Europe à géométrie variable.
Les peuples des nouveaux Etats membres refuseront une Constitution européenne qui mutile notre histoire et notre géographie communes, qui propose une Europe incapable de nommer ses racines et de fixer ses contours, une "Europe en apesanteur" .
Dans l'Europe réunifiée, deux volontés vont converger. Celle des nouveaux membres qui veulent coopérer, mais en gardant leur liberté retrouvée. Celle des anciens membres, qui sentent la nécessité de retrouver une liberté de choix et les instruments de cette liberté pour répondre à la volonté qu'expriment, d'élection en élection, chaque fois davantage, leurs peuples désemparés, mais qui n'acceptent pas la nouvelle aliénation, l'éloignement définitif des décisions qui fixeront leur destin et celui de leurs enfants.
(source http://www.villiers2004.com, le 3 mai 2004)
Les huit pays, les huit peuples, d'Europe centrale et orientale qui nous rejoignent avaient été artificiellement soustraits au concert européen durant un demi-siècle par Yalta et le rideau de fer. Pendant que nous retrouvions notre prospérité, ils étaient annexés et brisés par le totalitarisme. Nous les retrouvons aujourd'hui comme acteurs européens à part entière. Ces retrouvailles sont d'abord une joie profonde : l'Europe peut à nouveau respirer avec ses deux poumons.
Malheureusement, cet événement historique n'a pas trouvé de réponse politique à sa mesure et ce qui était une espérance s'est peu à peu transformé en menace.
Les retrouvailles, la réunification ont été dénaturées en élargissement. Elargissement, c'est-à-dire extension de quelque chose de préexistant. Au lieu d'inventer une nouvelle Europe à la faveur de la réunification du continent, on a simplement prolongé - élargi - le processus de construction européenne lancé à six dans les années 1950, sans tenir compte de ce que venaient de vivre pendant cinquante ans sur le plan politique, économique, social ceux qui nous rejoignent. On les a considérés comme des candidats standards à l'absorption de l'acquis communautaire. On les a supposés avides d'entrer dans un processus de création d'un gros Etat supranational appelé à se substituer aux démocraties nationales. Au lieu de les accueillir immédiatement au sein d'une Europe politique qui aurait dû devenir avec eux une confédération, on les a laissés pendant quinze ans en tête à tête avec les commissaires dans une interminable négociation technocratique et comptable. En prétendant faire entrer en bloc les nouveaux candidats dans le moule d'un marché unique aux prétentions uniformisatrices illimitées, la Commission européenne a réussi à transformer, à l'est, l'adhésion en camisole et à l'ouest, l'espérance en menace. Repliée frileusement sur la préservation à tout prix de l'idéologie supranationale, la Commission à qui les Etats membres avaient eu la faiblesse de laisser le monopole de la négociation, n'était évidemment pas en mesure de réorienter la construction européenne vers une nouvelle Europe en réseaux, où respect des souverainetés nationales et coopération européenne étroite, loin de s'exclure, s'articuleraient au contraire étroitement. L'occasion était belle pourtant, à la faveur d'une réunification du continent qui rassemblait des peuples et des Etats très diversifiés, pour passer d'une Europe rigide, disciplinaire et centralisée, qui déjà à quinze suscitait paralysie et rejet à une Europe décentralisée, souple et respectueuse des singularités. Une Europe qui laisse respirer les Etats et leur ouvre le champ des initiatives créatrices.
Mais cette occasion historique a été manquée. Au lieu de retenir, sur le plan économique, une ligne prudente, des procédures différenciées, des approches sectorisées, de façon à préserver les intérêts majeurs de chacun, la Commission a choisi un processus uniforme et brutal. Cette manière désastreuse dont l'élargissement a été conduit suscite aujourd'hui chez beaucoup de nos concitoyens méfiance et inquiétude. Inquiétude devant les risques de délocalisation dus au dumping fiscal et social. Avec des différences de salaires de 1 à 6 à notre porte, on ouvre l'écluse alors même que les niveaux d'eau sont très loin d'être en face. Méfiance envers des aides financières dont on voudrait être sûr qu'elles parviendront bien à leurs destinataires réels et ne seront pas englouties dans les réseaux de la corruption post-soviétique. Inquiétude face au contrôle de frontières extérieures immenses et jusqu'ici particulièrement poreuses, alors même que la menace terroriste et les trafics mafieux sont de plus en plus omniprésents. Quant aux pays d'Europe centrale et orientale, ils redoutent l'effondrement de leur agriculture et la fuite de leurs élites.
Pour que l'élargissement ne se transforme pas en cauchemar, il est donc plus urgent que jamais de modifier radicalement l'orientation de la construction européenne et les nouveaux entrants vont nous y aider.
Ceux qui imaginent que les nouveaux peuples et les nouveaux Etats membres, une fois entrés dans l'Union européenne, vont alimenter la moulinette fédéraliste se trompent. Ils viennent de faire l'expérience douloureuse de l'ablation de souveraineté. Ils savent ce qu'il en coûte de récupérer sa liberté. Ils n'entendent nullement renoncer à l'exercice de leur souveraineté retrouvée. Ils ne souhaitent aucunement troquer une chape de plomb contre une autre. Ils ne sont pas sortis d'un bloc pour en construire un nouveau. Ils veulent rester eux-mêmes, tout en rattrapant le temps perdu. Ils vont faire avec nous la démonstration que la seule Europe qui peut fonctionner à l'échelle du continent n'est pas celle du gros Etat supranational uniformisateur, qui absorbe les unes après les autres les compétences des peuples et des nations et aboutit à une impasse. Ils vont être avec nous des architectes de l'Europe à géométrie variable.
Les peuples des nouveaux Etats membres refuseront une Constitution européenne qui mutile notre histoire et notre géographie communes, qui propose une Europe incapable de nommer ses racines et de fixer ses contours, une "Europe en apesanteur" .
Dans l'Europe réunifiée, deux volontés vont converger. Celle des nouveaux membres qui veulent coopérer, mais en gardant leur liberté retrouvée. Celle des anciens membres, qui sentent la nécessité de retrouver une liberté de choix et les instruments de cette liberté pour répondre à la volonté qu'expriment, d'élection en élection, chaque fois davantage, leurs peuples désemparés, mais qui n'acceptent pas la nouvelle aliénation, l'éloignement définitif des décisions qui fixeront leur destin et celui de leurs enfants.
(source http://www.villiers2004.com, le 3 mai 2004)