Interviews de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire à RFI le 6 novembre 2003, dans "Le Monde" du 21 et à France 2 le 28, sur la laïcité, l'islam, la prévention des violences à l'école et la sécurité des établissements scolaires.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - France 2 - Le Monde - Radio France Internationale - Télévision

Texte intégral

RFI -Le 6 novembre 2003
P. Ganz-. C'est la mixité dans tous ses états qui retient aujourd'hui l'attention de RFI pour cette journée spéciale, en France et dans le monde. Et dans le monde scolaire, dont vous avez la charge au Gouvernement, bien sûr, c'est la mixité religieuse visible dont il est d'abord question, et donc de l'atteinte ou non aux règles de la laïcité. La question du voile, des signes ostentatoires religieux, voire maintenant politiques ou syndicaux, est au centre de ce débat. Alors, cette question directe liée à l'actualité française : pouvez-vous confirmer, ce matin, qu'une loi est en préparation sur cette question ?
- "Non, je ne peux pas vous confirmer qu'une loi est en préparation. Ce que je constate c'est que, bon gré, mal gré, petit à petit, les voix qui s'expriment en faveur d'une loi sont de plus en plus nombreuses et que, vraisemblablement, nous y viendrons. Je crois que le président de la République lui-même a indiqué clairement qu'il voulait attendre les conclusions de la commission Stasi, qui n'arriveront pas avant Noël, au début de l'année prochaine. Que pour lui, la laïcité n'était pas négociable, que ce n'était pas un objet qui était mis à la discussion. Et en conséquence, si la commission Stasi recommande que l'on fasse un rappel au règlement, je dirais légal, sur la laïcité, je pense que, sans aucun doute, le président de la République accompagnera ce souhait. Pour l'instant, ce n'est pas encore aussi net que vous le dites."
Ce rappel au règlement devrait-il, s'il a lieu, aller au-delà des questions religieuses - l'islam étant au centre de cet aspect religieux - pour parler des questions politiques et syndicales dans les lieux publics et à l'école ?
- "Non, je crois...on voit bien que ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est une remise à plat des problèmes de la relation qui existe entre le monde laïc et le monde confessionnel. Au début du siècle, cette question s'est posée, d'une manière très très brutale, entre l'Eglise catholique et la République laïque, les fameuses lois laïques de 1905. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation qui n'est pas comparable, bien entendu. Mais cependant, nous avons 4 ou 5 millions de musulmans en France qui n'existaient pas naguère. Il faut, peut-être, avec eux aussi, fixer des règles du jeu comme nous les avons fixées précédemment avec l'Eglise catholique. Avec eux, les musulmans et avec tous les autres. Bien entendu, que les musulmans ayant droit de culte, que nous les aidions à avoir des mosquées, que toute liberté confessionnelle leur soit garantie. Mais que l'on fixe bien les relations des croyants avec l'espace républicain."
Alors la place de la femme dans la société, elle est au centre quand même de ce débat. Cela concerne, bien sûr, l'école, garçons et filles ensemble depuis au moins une génération si ce n'est deux maintenant. La mixité est-elle en danger à l'école ?
- "En tous les cas, elle n'est pas en danger par ceux qui sont responsables de l'école. Nous, nous considérons toujours..."
Mais certains la mettent-ils en danger ?
- "Nous, nous considérons que la mixité c'est l'idéal républicain et que nous devons la défendre. Ce que nous voyons c'est que, aussi bien par des aspects, je dirais ségrégationnistes ou sexistes - tel que, à mes yeux, est le voile, qui, quand même, qu'on le veuille ou non, est un enfermement de la femme, et une stigmatisation -, par ces aspects-là donc, que par des tensions qui existent à l'intérieur de certains groupes scolaires, ou à l'intérieur de certaines classes, nous sommes bien obligés de voir que la question de la mixité est frôlée par les sujets de société que nous évoquons aujourd'hui."
Et hors de l'école, dans le sport, dans les loisirs, peut-être dans les hôpitaux aussi - mais restons sur le sport, les loisirs, qui sont très proches de votre département ministériel - peut-on accepter des entorses à la mixité ?
- "Mais non, elles me choquent. Je vois, par exemple...on me dit que, maintenant, il y a des équipements sportifs qui ne sont ouverts que pendant telle période à tout le monde, pendant telle autre, à ceux qui se réclament de telle ou telle religion. Cette conception des choses n'est pas la mienne. Il est impensable qu'en France, on doive montrer son appartenance communautaire ou religieuse pour savoir si on a le droit ou pas, à tel moment, d'entrer dans une piscine. Pour moi, ce genre d'apartheid, car aussi de cela aussi dont il s'agit, et surtout d'apartheid religieux, est inacceptable."
Comment l'empêcher ? Faut-il interdire aux maires de prendre des décisions permettant à certains groupes d'aller, à tel moment, dans une piscine ou sur un stade ?
- "Je n'ai pas à juger des arrêtés municipaux qui sont pris ici ou là. Mais je vous dis que, au plan des principes ce n'est pas acceptable, et j'espère que la loi qui sera prise ou que les dispositifs réglementaires qui seront pris l'année prochaine, qui viendront forcément, le rappelleront."
On note souvent que le communautarisme est brandi comme un danger. La mixité sociale, c'est-à-dire des gens de niveau social, de religions, de cultures différentes dans le même immeuble, dans le même quartier, est peut-être en cause. Fait-on assez pour maintenir cette mixité sociale ?
- "Sans doute que non. Sans doute que, l'une des difficultés que nous avons en particulier à l'école, c'est que l'école est très susceptible en tous les cas, de recevoir le climat qui l'entoure, celui de son quartier. On classe un peu les écoles en fonction des quartiers dans lesquels elles sont. Donc, je crois que des opérations, comme celle qui conduit J.-L. Borloo, par exemple, de refaire entièrement les quartiers, sont les bonnes. Nous avons d'autres expériences intéressantes : dans mon propre département, dans une ville moyenne, dans une sous-préfecture, à Bergerac, on a carrément pris une école primaire qui était devenue un véritable ghetto, on l'a rasée, on a pris tous les élèves qui étaient là-dedans et on les a redistribués dans toutes les écoles de la ville pour éviter la ghettoïsation."
Vous parliez, hier, concernant les écoles dans le monde rural, "d'écoles intercommunales". Est-ce que cette notion d'intercommunalité pour l'école ne devrait pas être étendue justement pour lutter contre cette disparition de la mixité sociale ?
- "Si, je crois qu'il faut tout faire pour lutter contre l'isolement des lieux et des lieux scolaires. Parce que, qui dit isolement, dit, je le répète capacité, susceptibilité de subir le quartier, en conséquence, classement."
Est-ce que, concrètement, on pourrait prendre des enfants du nord de Paris pour les mettre à l'école dans les arrondissements de Paris, où il y a un peu moins de gens de religion unique ?
- "Ce serait certainement très difficile. Mais ces méthodes ont été utilisées, vous savez, aux Etats-Unis, on appelle cela la "busing", à cause du nom du bus qui vient les chercher. Je ne sais pas si on peut aller jusque-là. En tous les cas, tout ce qui va le sens de la "déghettoïsation" de nos écoles est à notre faveur évidemment."
Quand cette loi éventuelle pourrait être proposée aux députés ?
- "Si c'est une loi qui est à caractère scolaire, ce que je crois, à mon avis, le plus simple serait, pour éviter de trop stigmatiser ce sujet, de la mettre dans la grande loi d'orientation qui viendra à l'automne prochain au plus tard."
Un mot, si vous le permettez, monsieur le ministre, X. Darcos, de politique immédiate. Vous avez été désigné par l'UMP, principal parti de la majorité, pour conduire la liste UMP donc en Aquitaine. F. Bayrou est chef de file, peut-être à terme, tête de liste, d'une liste concurrente de l'autre partie de la majorité, l'UDF. Vous appréciez comment ?
- "D'abord, nous attendrons de savoir ce que les membres de l'UDF vont dire. D'ici au 19 décembre, on verra. J'espère toujours que l'union est possible. L'union, c'est une philosophie, la désunion, c'est un calcul."
Est-ce que vous sentez en accord avec F. Bayrou en Aquitaine ?
- "Bien entendu. Je souhaite toujours un accord. Mais je persiste à penser, contrairement à ce que dit F. Bayrou, et ce que disent d'ailleurs certains sondages généraux, que notre électorat souhaite l'union. Je ne rencontre jamais personne, jamais, sur le marché de Périgueux, où je suis tous les samedis, ou en Aquitaine, des gens qui disent : surtout, soyez divisés, nous comptons bien sur vous pour vous disputer. Personne ne nous demande cela. Tout le monde souhaite l'union. Bon, alors l'union ne se fera peut-être au second tour. J'aurais préféré qu'elle se fasse au premier."
N'y aura-t-il pas une querelle de savoir qui va conduire à ce moment-là cette liste du second tour, vous êtes amis de plus, F. Bayrou et vous, ça ne va pas être facile à trancher ?
- "Nous sommes amis tout à fait, et je pense que nous le resterons, même si nous allons défendre des couleurs légèrement différentes au moins jusqu'au premier tour."
Ca vous paraît acquis qu'il y aura deux listes ?
- "Non, ça ne me paraît pas absolument certain. Mais enfin, je vois ce qui se dit autour de moi, et donc c'est plutôt cette thèse qui prévaut aujourd'hui. Au second tour, nous verrons si les électeurs auront voté au premier tour. On verra quelle est la liste qui a le plus d'ascendant sur l'autre."
Quand rencontrerez-vous F. Bayrou pour en parler ?
- "Je le rencontre presque au moins une fois par semaine. Nous nous appelons beaucoup, nous sommes très amis depuis très longtemps. Et j'attends de savoir un peu comment il voit les choses avec son propre parti. Mais nous nous verrons au milieu du mois de décembre."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 novembre 2003)
Le Monde du 21 novembre 2003
Personne ne peut plus aujourd'hui nier la réalité ni la légitimité de la demande de sécurité. Car la sécurité fonde, comme bien des intellectuels le redécouvrent, tout "contrat social". Faute de pouvoir s'en prendre frontalement à la politique du gouvernement dans ce domaine, massivement soutenue par les Français, certains feignent de n'y voir qu'une forme de répression, rappelant qu'elle ne résout rien sur le fond, qu'elle ne fait que traiter les effets du mal sans s'attaquer à ses causes.
Ils reprochent, en d'autres termes, au gouvernement actuel de ne pas faire assez pour la "prévention".
Il me paraît tout d'abord caricatural d'opposer brutalement aux tenants de la répression les apôtres de la prévention. Dans toute politique à caractère social, répression et prévention vont de pair. La répression, parce qu'elle seule permet, à court terme, le maintien de l'ordre.
La prévention, parce que sans elle les mêmes causes reproduisent les mêmes effets. Y renoncer serait renoncer à toute réforme en profondeur de notre société, ce serait, par avance, condamner toute une partie de la jeunesse française.
Redisons-le donc haut et fort : nous sommes évidemment partisans d'une politique de prévention de la violence. Toute la question cependant est de savoir de quelle prévention l'on parle. Pendant de nombreuses années a prévalu un discours qui faisait de la violence la conséquence mécanique d'une structure socio-économique aliénante. La seule prévention efficace consistait alors à débloquer des crédits pour améliorer les conditions matérielles de vie dans les quartiers difficiles. Ou à attendre le retour de la croissance économique avec, selon le mot malheureux de Lionel Jospin, la "naïve" conviction que s'ensuivrait un recul de la délinquance.
Une semblable démarche ne pouvait aboutir : de nombreuses études nous indiquent en effet que la violence et la délinquance ne sont pas une simple réaction à une situation socio-économique d'exclusion. Contrairement aux idées reçues, on s'est même aperçu que la plupart des jeunes violents ont une vie sociale relativement comparable à celle des autres jeunes : ils sortent, ils ont des amis, suivent des études... Si les politiques de prévention menées par le passé n'ont guère eu de résultats, c'est peut-être parce qu'elles partaient d'une analyse fausse, d'un préalable erroné.
L'action préventive que nous avons engagée se déploie sur un autre terrain : celui de l'éducation. Loin des grands déterminismes macroéconomiques, il s'agit de revenir à la personne, dans sa complexité psychologique et humaine. En comprenant que celle-ci ne peut s'épanouir que dans l'apprentissage progressif de limites qui donnent au monde ses formes et à la liberté individuelle son assise.
Les troubles dont souffrent nombre de nos enfants ne sont pas d'ordre matériel, mais psychologique et symbolique. Ces jeunes évoluent bien souvent dans un environnement chaotique, sans règles, le plus angoissant qui soit. D'où leur hyperréactivité à tout événement extérieur, perçu a priori comme une menace. Je remarque que les adolescents eux-mêmes réclament, à leur manière confuse, ces limites qu'on n'a pas voulu ou su leur transmettre. La faveur dont bénéficient certains mots (celui de "respect", par exemple) ainsi que les formes très rigides d'organisation que les jeunes gens s'imposent parfois à eux-mêmes sont là pour témoigner de ce refus presque instinctif de l'anomie, fût-ce sous la forme dangereuse de la promotion de la loi du plus fort, qui n'a de loi que le nom.
Tous ces faits disent assez à quel point aujourd'hui nous avons besoin de cette éducation à la limite, sans laquelle toute autre éducation est impossible. C'est ici, nous objectera-t-on, que l'on se heurte au fameux paradoxe de l'autorité. L'obéissance aux règles, semble-t-il, suppose toujours déjà le respect des règles, de sorte qu'il paraît vain de vouloir les imposer. L'autorité ne se commande pas. Certes, mais ce cercle vicieux n'est-il pas celui de l'éducation en général ? N'a-t-il pas fallu de tout temps enseigner des normes à des êtres pour qui au départ elles ne signifiaient rien ? Les "sauvageons" ne sont pas un phénomène contemporain. Toute éducation a, par définition, vocation à conduire des "sauvageons" vers la culture commune.
Il ne faut donc pas céder aux paradoxes faciles, qui sont autant d'invitations à baisser les bras. A condition de bien garder à l'esprit ce qui fait la dureté de notre temps : nous devons à présent enseigner les limites dans un monde sans limites. Non seulement l'école ne peut plus s'appuyer sur les valeurs traditionnelles, mais elle entre aujourd'hui en concurrence avec de nouveaux pôles d'autorité prônant, plus ou moins consciemment, le "no limit". Je pense à certaines émissions de télévision ou à des jeux vidéo.
Le problème de l'école, si isolée dans sa mission éducative, est alors de ne pas succomber à la tentation réactionnaire, sans pour autant retomber dans l'angélisme. C'est pourquoi nous souhaitons un nouveau pacte scolaire où s'affirme sans complexe la valeur de la règle, sans pour autant que soit fait référence à un ordre ancien. Nous voulons construire un univers symbolique cohérent dans lequel les jeunes puissent à nouveau vivre. D'où notre insistance sur d'apparents détails : la diffusion du livret des droits et des devoirs, l'affichage du règlement dans toutes les classes, la remise solennelle du carnet de notes, etc. D'où aussi des questions épineuses que je soumets, sans idée préconçue, au débat, tel le port de l'uniforme. Toutes mesures qui paraissent parfois dérisoires, mais qui peuvent influer sur la mentalité ambiante.
Certaines des dispositions prises rappellent peut-être des pratiques du passé. Mais l'esprit dans lequel nous les mettons en uvre est nouveau : il s'agit - le mot "pacte" l'indique - de fonder les normes, non sur une tradition, mais sur l'examen raisonné des responsabilités de chacun.
A nos bonnes intentions on oppose souvent la réalité d'adolescents enfermés dans leur cynisme, riant au nez de ceux qui se risquent encore à leur parler le langage de la République. Pour sauver ces adolescents, le simple travail sur les "symboles" ne suffit plus. Seule l'invention de solutions concrètes, à mille lieues de toute recette miracle, semble encore en mesure d'éviter le formidable gâchis en train de s'accomplir. Le détour par des activités artistiques et physiques peut dans cette perspective se révéler très efficace. L'art ou le sport sont, au sens propre, de véritables disciplines, en même temps qu'ils offrent à des jeunes en rupture avec le système une forme d'évasion.
Les difficultés que nous rencontrons avec les adolescents doivent nous inciter à donner le plus tôt possible à nos enfants les repères dont ils ont besoin. C'est dès l'école maternelle et primaire que la prévention doit se mettre en place. Nous avons naturellement tendance à faire de cet âge de la vie un univers à part, où règne l'innocence, et nous avons raison. Mais nous ne devons jamais oublier que l'essentiel de l'éducation se joue, précisément pour cette raison, à ce moment-là.
Mais l'école à elle seule ne peut pas tout. Elle doit sortir de son isolement et trouver des alliés. En premier lieu auprès des familles. On parle beaucoup de la crise de la famille, laissant imaginer que beaucoup d'enfants seraient comme livrés à eux-mêmes. Ce n'est fort heureusement pas vrai. J'ai mentionné l'apparition d'une autorité d'un type inédit, émanant des nouveaux médias (télévision, Internet, etc.), en soulignant leur action potentiellement néfaste. Rien n'interdit de penser que ces nouveaux maîtres de vérité, parfois révérés par nos enfants, puissent jouer un rôle éducatif positif. De nombreuses initiatives ont déjà été prises dans ce sens. On pourrait enfin évoquer la politique de la ville : comment croire à des règles dans un espace urbain déréglé, illisible, sans contours bien définis ?
Il ne s'agit donc pas pour nous de négliger l'insertion économique, sociale, culturelle. Mais de rappeler que cette insertion ne peut réussir qu'auprès d'individus qui ont déjà accepté les règles qui régissent toute société. C'est un vaste réseau de solidarités qu'il faut tisser autour du foyer scolaire, l'école demeurant au centre, afin que la vie en commun reprenne sens et que soit marginalisée la violence.

(source http://www.u-m-p.org, le 21 novembre 2003)
France 2 - 7h40
Le 28 novembre 2003
F. Laborde-. Bonjour, William, bonjour à tous. Avec X. Darcos, en effet, ce matin, nous allons parler d'enseignement, d'éducation à l'occasion de la sortie de ce livre Darcos/Meirieu : " Deux voix pour une école ", un livre dont on avait beaucoup parlé, qui a déjà beaucoup fait parler de lui avant même sa publication. Il devait sortir l'an dernier et puis cette publication a été retirée pour des raisons, quoi, politico-syndicalo, mouvement social, opportunité
- "Il ne devait pas sortir l'an dernier. Il avait été envisagé qu'il paraisse un tout petit peu plus tôt, vers le mois de septembre, alors qu'il va paraître début décembre. En fait, nous avons considéré qu'il n'était pas convenable qu'il paraisse avant que le grand débat lui-même soit installé. On ne savait pas au printemps les dates exactes du grand débat, dès qu'on les a sues, nous avons fait en sorte que le livre ne paraisse qu'une fois que les questions auraient été posées, les débats engagés, que le Président de la République lui-même se serait exprimé. Bref, que ce livre s'inscrive dans une discussion générale et qu'il ne cherche pas du tout à imposer son point de vue. "
Mais ce livre permet quand même d'avoir, si je puis dire, une base de réflexion pour qu'effectivement tout un chacun puisse participer au débat. L'idée du grand débat, c'est que chacun puisse s'exprimer ; enseignants, parents d'élèves et
- "Tout à fait."
Il y a une sorte de guide, une note d'emploi dans le livre ?
- "Non, tout de même pas. On demande à chacun des Français de s'intéresser à la chose scolaire et d'en débattre, d'en discuter. On ne voit pas pourquoi ceux qui proposent ce débat ne discuteraient pas eux-mêmes. Il faut donner l'exemple. Alors, en l'occurrence, il s'agit d'une discussion avec quelqu'un avec qui je me suis beaucoup opposé"
Oui, parce que vous n'êtes pas du même bord politique
- "Pas vraiment, pas vraiment d'accord à aucun point de vue, ni sur le plan politique, ni sur le plan des idées. Nous avons même fait plusieurs livres où nous nous brocardions mutuellement. Il m'a proposé cette discussion honnête en disant écoutez puisque nous ne sommes pas d'accord, eh bien, est-ce que vous êtes prêt à discuter avec moi ? J'ai dit bien oui. Je trouve qu'il n'y a pas de raison de refuser le dialogue sur un sujet aussi intéressant et nous l'avons fait en nous opposant mais en nous respectant."
Alors dans ce débat sur l'école ça va se passer comment pour tout un chacun ? Il y a une grille de questions, les parents sont invités à y participer, il y a des forums, des tables rondes ?
- "Cela se passe d'abord, il faut savoir que le débat est lancé, que la commission nationale pour le grand débat sur l'école présidée par C. Thélot a fait des grilles de thèmes, avec des documents qui permettent de réfléchir à ces thèmes, d'organiser des réunions qui vont avoir lieu ici ou là. Il est prévu 13.000 débats, depuis la semaine dernière jusqu'au mois de janvier, que nous avons imprimé les documents qui sont distribués à tout le monde à hauteur de 13 millions d'exemplaires. Bref, nous avons là une base très riche et de données et d'éléments pour constituer la discussion. Ce que l'on veut, c'est que partout où se passeront des débats, que ceux qui y participeront prennent deux, trois, quatre thèmes, plutôt trois thèmes, qu'ils ne cherchent pas à les traiter tous, de sorte que nous voyons aussi comment les gens choisissent, quels sont au fond par une table de fréquences quelles sont les questions qui les préoccupent le plus."
Mais X. Darcos, au fond, quand on interroge les parents, ils ne répondent pas tous la même chose, c'est-à-dire " moi j'aimerais que mon fils ou ma fille elle sache lire, écrire, compter, qu'elle connaisse l'histoire, la géographie, les choses un peu basiques ", quoi
- "Bien sûr, ils vont dire ça et ils auront raison de le dire car il faut que les parents souhaitent un plus grand bonheur, une plus grande réussite pour leurs enfants. C'est toute la vocation de l'école : faire que ceux qui viennent après nous connaissent davantage que nous, mais les questions sont quand même plus complexes, elles portent aussi sur l'organisation des établissements, sur l'organisation du temps scolaire, sur les problèmes d'organisation de l'orientation, sur les métiers qui concourent à enseigner. Bref, les questions sont quand même beaucoup plus ouvertes que la seule question de savoir s'il faut lire, écrire ou compter."
Bien sûr. Alors puisque vous parlez de l'organisation d'établissement, il y a quand même une question un peu tabou, quand on parle d'organisation d'autorité des enseignants, on sait que les professeurs au collège ou au lycée passent en moyenne - allez ! comptons large - entre 15 et 18 heures dans l'établissement. Ils sont payés évidemment sur la base de 39 heures et le reste du temps ils sont censés préparer les cours chez eux. Bon. Est-ce qu'on peut envisager, sans mettre le feu aux poudres, de dire à un moment donné que si les profs passaient un peu plus de temps dans les lycées et les collèges et peut-être un peu plus que 18 heures par semaine, l'autorité s'en trouverait renforcée et que le dialogue avec les écoliers, les lycéens, les collégiens serait meilleur ?
- "D'abord vous dites " ils sont censés travailler chez eux "... Ils travaillent chez eux, parce que quand vous avez des cours à préparer, des copies à corriger, vous y passez du temps."
Ça dépend du lycée, ça dépend de la matière, ça dépend du parcours d'enseignant
- "Ça dépend des niveaux mais enfin tout de même il y a du travail à faire."
La géographie ne change pas tous les mois quand même !
- "Oui, mais enfin les devoirs sont remis et les corrections doivent être faites."
Certes.
- "C'est vrai que cette question est souvent débattue et qu'elle est difficile parce que les professeurs ont toujours le sentiment qu'on veut leur en faire faire plus et qu'on veut faire de la réforme sur leur dos lorsqu'on dit ça. Mais il est vrai qu'il y a certains pays qui ont choisi d'autres solutions. Non pas que les professeurs fassent plus d'heures de cours ou qu'ils soient soumis à des obligations supplémentaires, mais peut-être qu'ils restent plus longtemps dans l'établissement, quitte à être dans une salle à travailler ou à circuler dans les couloirs, de sorte que les élèves les voient plus. D'ailleurs il y a des établissements qui ont fait déjà un peu ce choix, il y a déjà des professeurs qui restent plus souvent, qui ont des missions à côté. "
Il y a un établissement pilote d'ailleurs, expérimental, près de Bordeaux, au Grand Parc, dirigé par une jeune femme compétente et effectivement avec une équipe pédagogique qui
- "Il y a des expériences qui sont faites dans ce sens-là. Je crois que tout ce qui fait que les adultes sont plus présents dans les établissements scolaires est souhaitable. Mais la question du service des enseignants n'est pas un sujet de débat aujourd'hui, que ce soit bien clair, qu'on l'entende bien."
Alors l'accueil des parents : là encore, ce serait une sorte de révolution, parce que pendant longtemps les parents n'avaient pas forcément leur mot à dire. Là encore, ça pourrait changer, ils pourraient être un peu plus associés, rentrer dans l'établissement sous une forme ou une autre ?
- "Il faut que les parents soient associés, ils le sont, ils sont dans des conseils d'administration, ils sont dans des conseils de discipline, les parents sont très entendus. Mais il faudrait qu'ils soient parents, je dirais vraiment en tant que tels, c'est-à-dire que vraiment leurs préoccupations soit celles de parents et pas seulement des préoccupations liées à telle ou telle revendication. Il ne faut pas que les fédérations de parents d'élèves confondent leurs revendications, si elles en ont, avec celles de nos syndicats. Il y a parfois un petit peu des confusions des rôles. Mais évidemment, puisqu'on est dans l'acte éducatif, l'enfant ne se saucissonne pas, il n'y a pas un enfant qui serait tantôt dans sa famille, tantôt à l'école, il faut que nous parlions ensemble globalement de la personne de l'enfant. Et, de ce point de vue-là, tout ce qui permet de dialoguer entre les éducateurs et les familles et les professeurs est souhaitable."
Puisque vous évoquez cette question de la personnalité de l'enfant tout entière, ça m'amène à vous poser la question sur le voile. Au sein même du gouvernement, on sait que, par exemple, N. Sarkozy est opposé à une loi sur le voile expliquant qu'après tout l'enfant il porte, entre guillemets, il appartient à une religion quelle que soit l'heure et puis que tout ça va se faire par la discussion. Vous, vous pensez qu'il faut une loi et qu'il faut effectivement proscrire absolument le port du voile à l'école ?
- "Il faut une loi sans aucun doute, pas spécifiquement sur le voile. Il faut de temps à autre refonder les grands principes laïcs en France. Les gens qui croient que la laïcité on la définit une bonne fois pour toute à la fin du 18ème siècle"
Oui, il y a eu quinze, vingt textes, hein, pour revoir la laïcité.
- "Voilà, ou au début du 20ème siècle et qu'ensuite on n'en parle plus, ces gens se trompent parce que les choses changent, des communautés apparaissent, de nouveaux types de religion, de nouveaux comportements, un nouveau contexte international. Il ne faut pas douter, par exemple, que le phénomène de la Palestine, la guerre israélo-palestinienne ou l'Irak, [ont] une influence sur le climat de nos établissements. Donc, moi, je suis favorable au fait que nous rappelions la règle de la laïcité et que nous contrevenions à tout ce qui fait qu'on voudrait que le confessionnel vienne à l'école. Alors il y aura le voile dedans, il y aura la question du voile, mais pas exclusivement, parce que le voile, évidemment, c'est un des signes religieux ostentatoires mais il peut y en avoir d'autres. Et d'autre part, je pense aussi qu'il faut interdire le voile à l'école parce que ce n'est pas seulement un signe religieux, c'est un signe discriminant, c'est un signe sexiste, c'est un signe qui implique une conception de la femme qui n'est pas celle de la République française. Je suis obligé de dire que l'idée d'une femme voilée dans l'enceinte de l'école de la République, c'est une absurdité."
Merci beaucoup, X. Darcos, d'être venu nous voir ce matin. Je rappelle le titre de votre ouvrage publié et écrit avec P. Meirieu " Pour une école " et c'est aux éditions, je vais trouver
- "Desclée de Brouwer."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 novembre 2003)