Texte intégral
J.-P. Elkabbach-. Le président de la République reconnaît une responsabilité partagée par tous, y compris les gouvernements, à entretenir "l'esprit gaulois". "On ne progresse, dit-il, que dans le dialogue pas dans l'affrontement". Avec J. Chirac, l'Etat fait son mea culpa. Le PS de F. Hollande peut-il faire aussi son mea culpa ?
- "Je ne sais pas si c'est la période, mais on peut toujours regarder ce que l'on pourrait faire de mieux pour son pays et pour la cause que l'on sert. Et à cet égard, je pense que tous ceux qui ont gouverné depuis un certain nombre de décennies, doivent s'interroger : est-ce que l'Etat est toujours adapté aux situations qu'il rencontre ? Est-ce qu'il ne devrait pas aller plus vite - et à l'évidence, je pense qu'il faut un Etat plus réactif, plus rapide ? Est-ce que, deuxièmement, l'Etat peut décider à la place des partenaires sociaux ? Sans doute pas, et on le voit bien. Mais, en même temps, est-ce que les partenaires sociaux ont aujourd'hui la démocratie sociale qui correspond précisément à ce qui est souhaité, avoir des accords majoritaires, puisqu'aujourd'hui on parle beaucoup "d'accords minoritaires" ? S'il y avait une meilleure représentativité des syndicats, des accords majoritaires, c'est vrai, que nous aurions un pays qui, au plan social, fonctionnerait mieux et un dialogue qui s'engagerait davantage."
Mais qu'il [ils ?, ndlr] vous dise[nt ?, ndlr] que "l'Etat n'a pas toujours raison", n'est-ce pas une manière de répondre aussi, pour vous, "les partis n'ont pas toujours raison", ou "les partis ont toujours raison, en tout cas le mien" ?
- "Quand on a perdu les élections, on doit penser à un moment qu'on n'avait pas toujours raison. Mais en même temps, J. Chirac est le chef de l'Etat, il ne peut pas être simplement dans un exercice qui serait celui de la vérité des événements, des éléments, comme quoi on ne pourrait pas toujours intervenir, comme quoi on ne pourrait pas toujours agir. Ce qui lui était demandé, au travers cette intervention rituelle du 14 Juillet, c'était une vision. Où est-elle ? Où veut-il conduire notre pays ? A l'adaptation ? C'est une vision assez pauvre, convenons-en. S'adapter, c'est la moindre des choses..."
A la réforme par le dialogue...
- "Non, la réforme, il ne l'a même pas évoquée. Et puis on ne réforme pas pour réformer. On réformer pour avoir une société qui est cohérente, pour avoir une société plus dynamique, pour une société où l'emploi est prioritaire. J'ai été frappé d'ailleurs qu'hier dans cette émission, l'emploi, la croissance, qui sont des éléments tout à fait majeurs de l'activité humaine et économique, n'aient pas été cités par le président de la République."
On n'a peut-être pas entendu la même intervention, mais il a dit : "L'emploi priorité"...
- "Mais a-t-il donné - car c'est quand même bien le moins - des pistes nouvelles pour la croissance ? A-t-il, d'ailleurs au plan européen, défini une ligne qui aurait permis à tous nos partenaires de s'engager sur des politiques de grands travaux, sur des chantiers qui pourraient mobiliser tous les Européens ? Est-ce que, même par rapport à la question sensible, on le sait, du déficit, il a évoqué des déficits qui pourraient justement être mobilisés pour la croissance et pour l'emploi ?"
Et il demandait aux Quinze justement, d'assouplir le Pacte de stabilité, au cas par cas, et de croissance - d'ailleurs je crois que c'était L. Jospin qui avait insisté pour qu'il y ait "et de croissance"...
- "D'ailleurs, il ne savait plus très bien quelle était l'année de référence. C'était effectivement L. Jospin qui avait évoqué le "Pacte de stabilité et de croissance". Mais justement, il fallait donner du contenu. Il ne s'agit pas de dire : "Voilà, il faut assouplir". Parce qu'assouplir, on a l'impression que c'est pour régler notre propre cas. Parce que c'est vrai que le déficit de la France est l'un des plus importants et il ne l'a pas contesté. Donc, il faut donner une ambition collective, c'est ce qu'on attend de l'Etat. Peut-être moins intervenir sur le détail des choses, mais être capable de donner aux partenaires sociaux, aux acteurs de la société, la visibilité qui, parfois, leur manque."
Pour la critique, c'est très bien. Le PS, vous êtes très forts. Pour la proposition ? On a envie de vous dire : "Frère François, de votre côté, aussi on ne voit rien". Mais on va prendre trois exemples. Les retraites : la réforme va être votée. J. Chirac propose de nouvelles concertations, par exemple sur la pénibilité. Est-ce que le PS acceptera, avec d'autres partenaires sociaux, politiques, de donner son avis ?
- "Nous l'avons donné sur la pénibilité et je vais le faire à votre micro. Il est très important de pouvoir considérer que les droits à la retraite puissent varier selon l'espérance de vie - nous n'avons pas la même selon les métiers exercés -, selon la difficulté de la tâche que l'on exécute tous les jours. Donc, cette négociation sur la pénibilité, à notre avis, devait précéder la réforme dite "des retraites", parce qu'elle en était le socle, l'élément qui permettait de remettre la justice..."
Mais cela, on l'a découvert souvent en cours de route...
- "Non, pas du tout ! Cela a été évoqué par les partenaires sociaux tout de suite, parce que c'était le sujet principal. Donc, oui, bien sûr, à cette négociation sur la pénibilité, mais elle aurait dû précéder l'ensemble. Deuxième réflexion : les retraites aujourd'hui, nous dit-on, sont sauvées. Mais personne ne peut sérieusement évoquer ce pronostic."
Mais alors, fallait-il attendre encore ?
- "Il faut des ressources nouvelles. Si vous ne mettez pas des ressources nouvelles pour les régimes de retraite, alors il y aura - et le chef de l'Etat ne l'a pas contesté - une participation individuelle. Et l'idée n'est quand même pas d'avantager ceux qui ont déjà le plus de revenus, pour se consacrer à la préparation de leur retraite avec le plus d'avantages."
Avez-vous lu F. Chérèque dans Le Parisien de dimanche ? "Les socialistes, dit-il, au lieu de débattre de la réforme des autres, on aimerait discuter de leurs propres positions. Or, les contre-propositions du PS sont venues tardivement et n'ont pas porté sur le fond".
- "Tardivement", je veux bien l'admettre, mais "n'ont pas porté sur le fond", je récuse et j'ai d'ailleurs l'occasion d'en parler à F. Chérèque lui-même : il y a eu de notre part, la volonté de tenir compte de la pénibilité - cela n'avait pas été fait -, de faire en sorte que l'on trouve des ressources nouvelles - je viens de l'évoquer -, car s'il n'y a pas de ressources nouvelles, il y aura forcément les recours à la capitalisation. Si on veut sauver la répartition, il faut trouver un certain nombre de ressources permanentes. Et troisièmement, nous avons dit qu'il faut un pacte pour l'emploi. S'il n'y a pas de croissance, s'il n'y a pas de création d'emplois, alors je reviendrais, peut-être moi ou un autre au nom du PS, à ce micro pour dire que les réformes ne sont pas financées, les retraites ne sont pas garanties, parce que c'est l'emploi..."
On va prendre d'autres exemples mais on essaie d'aller plus vite. Vous vous en prenez au chef d l'Etat, parce que nous sommes le 15 Juillet, c'est-à-dire le lendemain du 14 Juillet et de ces rituelles interventions ? Ou va-t-il devenir à l'automne votre cible préférée ?
- "Je ne m'en prends pas au chef de l'Etat, pour moi ce n'est pas d'actualité, je ne suis pas là, en train de préparer je ne sais quelle échéance électorale, dans lequel il serait lui-même engagé. Les prochaines concernent les élections régionales, donc je ne mets pas du tout, là, de point de vue personnel ou de radicalisation politique. J'essaye de savoir ce qui est juste pour mon pays. Est-ce que le chef de l'Etat a été à la hauteur de la situation ? A la fois, a-t-il donné la vision ? Non. A-t-il permis, et c'était quand même un point très important de son intervention, d'apaiser un certain nombre de conflits qui sont en cours ? Sur les intermittents du spectacle, sur l'Education, sur les retraites, a-t-il donné justement des éléments de cohésion sociale qui permettaient à ceux qui ont été dans les mouvements, de considérer qu'ils avaient eu leur compte ?"
Mais pour apaiser aujourd'hui dans l'esprit des Français, ou de certains Français qui manifestent, faut-il - et dans le votre aussi - retirer un projet, annuler ? Par exemple sur les intermittents, est-ce que l'essentiel est de réclamer pour vous, comme pour les retraites à un moment donné, l'annulation voire le retrait de l'accord signé par les partenaires sociaux ?
- "Je pense que la bonne formule, c'est - et justement lorsqu'on prône le dialogue comme l'a fait le président de la République - la négociation. Lorsqu'il y a un accord qui ne convient pas parce que, précisément il a occulté un certain nombre d'aspects - et tout le monde finalement l'a constaté : l'accord sur les intermittents avait occulté, à la fois, des abus - et tout le monde maintenant dit qu'il faut régler les abus -, et puis il avait mis de côté un tiers des intermittents, ce qui est inacceptable pour les intéressés. Donc, la bonne formule, celle qui aurait dû être utilisée..."
Attendez, je vous arrête...
- "... c'est la négociation."
Vous dites par exemple qu'il y a des abus. Si des abus c'est 25 Ou 30 % et qu'on supprime 25-30 % d'abus, vous devriez le soutenir ?
- "Mais les abus ce n'est pas les abus des salariés en l'occurrence, d'ailleurs, le président de la République n'a parlé que des abus des entreprises audiovisuelles..."
Il y a les entreprises et il y a ceux qui en profitent de toutes les manières...
- "Là, il n'y avait pas de doute, il fallait absolument rouvrir la négociation. On ne peut pas laisser sans espoir une partie de ces personnels. Il fallait donc absolument rouvrir la négociation. Vous me disiez : quel est le bon mot ? Le bon mot n'est pas un dialogue sans contenu, n'est pas un retrait sans avenir. Le bon mot c'est, à chaque fois, de trouver par la négociation des solutions. Cette négociation ne trouvera pas toujours la meilleure des solutions, mais au moins, permettra-t-elle de trouver la solution pour les personnes concernées..."
J'ai trouvé deux titres, un dans La Croix - c'est "J. Chirac social-démocrate"- et pour Les Echos, "il y avait une deuxième gauche, voici la deuxième droite, libérale-réformiste". Chirac, réformiste de droite ?
- "La droite, je pense qu'elle n'est pas contestable, elle était tout à fait derrière le président de la République et elle sera toujours derrière lui. Je ne trouve pas qu'il y ait là, un changement. Sauf, peut-être quand même, vous avez raison, de la part d'un gaulliste et même de la part d'un J. Chirac volontariste. On entendait en 1995 un J. Chirac nous affirmant que "la fracture sociale devait absolument être réduite par tous les moyens". Où est passée la fracture sociale ? En 2002, c'était un J. Chirac volontariste... Aujourd'hui, il s'excuse et il nous dit : "l'Etat, vous savez, c'est fini"."
Une question sur la Corse : J. Chirac veut pour la Corse "la sécurité, la répression des violences et le développement de l'île". Qu'avez-vous à proposer, à proposer pour compléter, vous ?
- "D'abord, je pense que sur la sécurité, l'ordre public et le développement de l'île, nous devons être tous d'accord. Ce que j'ai trouvé quand même plutôt surprenant, après la consultation, c'est que J. Chirac ne livrait pas le sentiment d'être en regret par rapport à ce qui s'était passé. Finalement..."
Je pensais pour l'avenir maintenant...
- "Dans une certaine mesure, c'était que la réforme n'était pas bonne ? J'ai trouvé que pour un président de la République qui s'était engagé dans la réforme, c'était une curieuse démarche..."
Au passage, n'êtes-vous pas choqué d'entendre les avocats des condamnés du procès Erignac, menacer les juges de "vendetta" ?
- "Oui, j'ai été choqué par plusieurs propos, notamment ceux de menaces à l'égard, pas simplement des juges mais à l'égard de la société dans son ensemble. Et j'ai trouvé que, même le comportement par rapport à la veuve du préfet Erignac n'avait pas été digne."
Est-ce que, pour terminer, je peux vous dire cette impression que l'on a que J. Chirac s'est approprié le projet que vous croyez de gauche ou que l'on croyait de gauche : Le logement social - Borloo -, l'immigration, la double peine - Sarkozy -, la laïcité - Ferry, enfin Luc Ferry -, le cancer, le Sida - Mattei -, l'environnement - Chirac-Bachelot -, je dirais même la baisse des impôts - Mer-Lambert, plutôt que Fabius-DSK ? Il absorbe ! C'est "Chirac cannibale" faites attention !
- "Non, mais je pense que sur les mots, il est toujours très généreux - la laïcité, l'environnement, le développement durable, la baisse de l'impôt..."
C'est une perspective.
- "Non, il prend les mots, mais le problème c'est qu'il ne règle pas les maux - m. a. u. x. - de la société. Et donc, dans la politique, il ne s'agit pas simplement d'être dans une surenchère verbale, il ne s'agit pas simplement d'aller prendre, d'aller picorer sur le champ d'à-côté, mais c'est d'être capable, avec les responsabilités qui sont les siennes, de régler les problèmes de la société."
Alors, renouvelez votre stock d'idées pour la rentrée !
- "Ne vous en faites pas. Pour le stock d'idées, ne vous en faites pas ! D'abord, je vous fais observer que la laïcité, l'environnement, le développement durable ou même la justice sociale, cela n'appartient pas spécialement à la gauche, mais cela appartient à l'ensemble de la République. Le propre d'un président de la République, c'est d'y répondre. Il ne s'agit pas de seulement citer les problèmes, mais c'est d'apporter des solutions."
Vous prévoyez une rentrée de dialogue ou de combats tous azimuts ?
- "C'est le président de la République, c'est le chef de l'Etat, c'est le Premier ministre qui sont responsables du dialogue. S'ils ouvrent le dialogue, puisqu'ils en ont parlé, eh bien, à ce moment-là, ils auront une société de dialogue."
Bonne journée et peut-être bonnes vacances ?
- "Pas encore !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 juillet 2003)