Lettre de M. Georges Sarre, président délégué du Mouvement des citoyens, adressée à M. Laurent Fabius, sur les propositions du Mouvements des citoyens pour la préparation du budget 2001 en matière d'abaissement d'impôts, de sécurité, de justice, de recherche et de culture, Paris le 15 septembre 2000.

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Monsieur le Ministre,
Le retour d'une croissance supérieure à 3 % par an, est une bonne nouvelle. Après tant d'années, l'économie française est à nouveau sur le chemin de la création d'emplois. Le Mouvement des Citoyens s'en réjouit évidemment, tout en espérant que cette amélioration des perspectives sera durable.
Une bonne politique économique tient compte selon nous de plusieurs impératifs. La fiscalité doit servir un projet de justice sociale et de réduction des inégalités, ainsi que de stimulation de la croissance par une augmentation du pouvoir d'achat et le soutien à la consommation. La politique budgétaire est à nos yeux un instrument au service de la collectivité : or, le budget 2001 tel qu'il se dessine s'inscrit dans la continuité des précédents, et reste marqué par le maintien d'une structure de rigueur (croissance de 0,3 % seulement de la dépense publique de l'Etat alors que la croissance du PNB attendue serait de 3,5 %).
La baisse des impôts n'est pas appelée à devenir la priorité première pour la gauche. En matière fiscale, l'annonce des propositions d'allégements d'impôts faites à la fin du mois d'août comporte des éléments favorables, alors que d'autres mesures nous semblent moins urgentes. Ainsi l'allégement de charges sur les bas salaires est-il une bonne façon de rendre du pouvoir d'achat aux couches salariées modestes. En revanche la baisse de l'impôt sur le revenu s'imposait avec moins d'évidence qu'une réforme de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, à l'heure où se dessine un troisième choc pétrolier depuis longtemps prévisible et dont les conséquences se font sentir pour une immense majorité de Français au quotidien. La baisse des impôts n'est pas appelée à devenir la priorité première pour la gauche.
La moitié des Français ne paient pas l'impôt sur le revenu, et ces derniers ne sont donc pas concernés par la baisse annoncée. En outre, la diabolisation de l'impôt est le plus sûr moyen d'induire l'Etat modeste, le démantèlement du service public et des politiques sociales. C'est pourquoi une réforme fiscale d'ensemble est nécessaire. A terme, il faut rénover l'impôt sur le revenu, qui a mal vieilli, et aller vers une simplification et une spécialisation de la fiscalité par niveau de collectivité.
Dans l'immédiat, mieux vaudrait procéder à un rééquilibrage de la fiscalité indirecte vers la fiscalité directe. Dans l'immédiat, mieux vaudrait procéder à un rééquilibrage de la fiscalité indirecte vers la fiscalité directe. Il serait souhaitable de continuer dès cette année à réduire la TVA non pas de façon globale, car les baisses ne sont pas toujours répercutées, mais de façon ciblée, ce qui stimulerait l'emploi dans des secteurs à forte densité de main d'uvre comme la restauration, ou bien l'accès du plus grand nombre aux uvres de l'esprit, comme dans le cas du disque.
Dans le cas de la restauration, une décision du gouvernement est nécessaire au sujet du taux de TVA applicable aux cantines scolaires, d'hôpitaux et d'entreprises, depuis la décision du Conseil d'Etat du 27 mars 2000 qui annule le dispositif d'exonération. Nous sommes fermement opposés à l'imposition du taux plein à ces secteurs, qui impliquerait une hausse de 19,6 % des tickets de cantine, répercutée directement sur le pouvoir d'achat des ménages salariés. Nous préconisons en revanche la généralisation du taux réduit, et nous pensons que la présidence française du Conseil de l'Union européenne est l'occasion adéquate pour faire avancer ce point de vue au plan communautaire dans le sens des intérêts français.
Quand la population et la délinquance ont progressé sensiblement, la France d'aujourd'hui ne compte pas plus de policiers qu'en 1945. C'est pourquoi il est nécessaire de recruter des personnels supplémentaires. Le Mouvement des Citoyens, à rebours de la vulgate libérale, fait le constat toujours renouvelé de l'aspiration des Français à la justice sociale, et du besoin de République. Le cap à suivre est plus que jamais celui de l'égalité devant la loi, de la promotion des services publics et d'une plus grande égalité des chances données à chacun d'aller au bout de ses possibilités. C'est pourquoi le Mouvement des Citoyens insiste sur l'importance de certains budgets-clé. Le retour de la croissance, ce doit être aussi l'occasion de relancer une politique ambitieuse d'investissement dans les grands domaines d'intervention des politiques publiques : police, justice, recherche, santé, culture et communication.
Au premier plan des priorités des Français se trouve la sécurité. Celle-ci, droit égal pour tous, doit bénéficier de toute l'attention du gouvernement. Dans la mesure où ce sont les couches populaires qui sont les premières concernées, la police nationale est indispensable pour améliorer l'égalité des citoyens devant la sécurité. L'action de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l'Intérieur durant plus de trois ans a conduit à l'adoption d'une nouvelle doctrine d'emploi, la police de proximité, tout en rejetant de façon parallèle la dérive vers les polices municipales, instrument de ségrégation entre communes riches et communes pauvres. La police de proximité requiert des moyens. Quand la population et la délinquance ont progressé sensiblement, la France d'aujourd'hui ne compte pas plus de policiers qu'en 1945. C'est pourquoi il est nécessaire de recruter des personnels supplémentaires.
Il faut donner à la justice les moyens de ne pas être dépassée. Est-il raisonnable que notre pays possède moins de magistrats en l'an 2000 qu'en 1880 L'un des points essentiels du budget prochain est de rendre possible une augmentation des effectifs à hauteur des besoins nécessaires à la généralisation de la police de proximité en 2001 (deuxième et troisième phases, actuellement non financées). Un effort en faveur de la police ne se conçoit pas sans une hausse substantielle du budget de la justice. Le Mouvement des Citoyens fait des questions de sécurité une lecture bien plus large que celle qui conduit à la seule répression. Le droit égal de chacun à la sûreté face à l'augmentation de la délinquance, en particulier celle des mineurs, est un principe républicain directement traduit en actes. La soustraction des délinquants multirécidivistes à leur milieu criminogène requiert un effort en faveur d'un plus grand nombre de places en centres de retenue ou en internats pédagogiques. Refuser cet effort, ou le laisser détourner de son but par une gestion laxiste des moyens octroyés, ce serait laisser accréditer la thèse que l'Etat demeure impuissant face à la délinquance des mineurs. Nous demandons qu'un effort budgétaire particulier soit consenti en ce sens. Il faut donner à la justice les moyens de ne pas être dépassée. Est-il raisonnable que notre pays possède moins de magistrats en l'an 2000 qu'en 1880 ?
L'Etat doit stimuler l'innovation, les découvertes et inventions qui sont à l'origine des emplois futurs, et des avancées pour l'avenir. L'efficacité du service public de la Justice est donc un impératif catégorique, et cela passe par un effort en faveur du désengorgement des tribunaux et du traitement rapide des affaires. Cet effort concerne également l'état général des établissements pénitentiaires, au sujet duquel un récent rapport de l'Assemblée nationale a dressé un constat d'urgence.
La compétitivité de notre recherche civile est l'une des missions fondamentales de l'Etat. Celui-ci doit stimuler l'innovation, les découvertes et inventions qui sont à l'origine des emplois futurs, et des avancées pour l'avenir. C'est pourquoi un effort est nécessaire en direction de la politique de la recherche, au travers notamment des très grands équipements.
Le troisième choc pétrolier auquel nous assistons rend incompréhensible le report à 2002 des choix concernant le renouvellement du parc des centrales nucléaires. Le troisième choc pétrolier auquel nous assistons rend incompréhensible le report à 2002 des choix concernant le renouvellement du parc des centrales nucléaires. Il faut dès à présent engager avec des partenaires décidés à poursuivre leur production d'électricité d'origine nucléaire, les coopérations nécessaires, et les financer. Il faut opter résolument pour les réacteurs de la nouvelle génération. Le nucléaire joue un rôle-clé dans la diversification de nos ressources énergétiques. Cette filière est donc indispensable à notre indépendance nationale, car elle nous permet de faire face à des situations internationales imprévisibles. Comment sans ces choix serait-il possible de lutter concrètement contre les pollutions et l'effet de serre ?
Le budget de la culture est également une source de préoccupation pour le Mouvement des Citoyens. Dans un contexte où l'action en faveur de la culture constitue le moyen de préserver et de développer la diversité de l'expression artistique sous toutes ses formes dans un monde devenu unipolaire, l'augmentation de la part du budget de l'Etat consacrée à la culture jusqu'à 2 % constitue à nos yeux un objectif réaliste et souhaitable.
J'espère que ces observations retiendront votre attention ; bien sûr, elles contribueront utilement au débat parlementaire à venir, elles seront portées par les partenaires du Mouvement des Citoyens.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma haute considération.
(Source http://www.mdc-france.org, le 1er mars 2002)