Interviews de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, dans "Le Figaro économie" et "La Tribune" le 29 avril 2004, sur l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et ses conséquences sur les entreprises et le commerce.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - La Tribune - Le Figaro

Texte intégral

La Tribune
Q - Faut-il craindre les conséquences de l'élargissement ?
R - Il est normal qu'on se sente concerné par la perspective de la concurrence que va susciter l'entrée de dix nouveaux pays dans l'Europe. Ils fabriquent des produits qui coûtent moins cher que les nôtres. Mais il faut comparer ces produits. Les automobiles peu chères fabriquées chez eux ne sont pas pour nos marchés. Il est exact qu'il y a des recouvrements d'activités même si on observe en général des spécialisations différentes. Je pense notamment aux équipements automobiles, à la plasturgie, à l'électronique. Il faudra y travailler au cas par cas. La concurrence avec les nouveaux entrants existe depuis dix ans, depuis que les pays de l'Est se sont ouverts et que des investissements y affluent. Donc il faut surtout voir les opportunités qu'offre l'élargissement. La France représente 9,9 % du commerce extérieur de l'Europe mais seulement 5,3 % chez les dix nouveaux entrants, soit 12 milliards d'euros d'exportations. Si on parvenait à élever notre part à 9,9 %, nous augmenterions nos exportations d'environ 11 milliards, ce qui nous procurait 165.000 emplois supplémentaires.
Q - Quels sont les secteurs qui bénéficieront de l'élargissement ?
R - Les dix pays qui arrivent constituent une zone à croissance forte par rapport au reste de l'Union européenne, qui connaît une croissance lente. Nous allons donc bénéficier de la vigueur de leur croissance. C'est ce qui s'est passé lors de l'adhésion de l'Espagne. Cela joue dans le secteur des biens d'équipement industriels et d'investissement car les nouveaux entrants vont recevoir 22 milliards de fonds structurels qui vont se traduire par des investissements. Mais le secteur des biens de consommation va lui aussi profiter de l'élargissement. Compte tenu du retard de leur niveau de vie, il y a une forte demande de biens de consommation qu'il s'agisse du vin, de produits agroalimentaires... La demande annuelle des Dix représentera 2,4 millions de voitures d'ici à 2010. Leur capacité de production sera alors de 1,7 millions par an, ce qui signifie qu'il y aura un besoin d'importation d'au mois 700 000 voitures à satisfaire chaque année.
Q - Entre écarts de développement et corruption, quels sont les défis majeurs de l'élargissement ?
R - L'enjeu le plus vaste, c'est le rattrapage économique. Les Dix ont atteint un nouveau de PIB par habitant qui représente 40 % du nôtre. Mais leur taux de croissance s'élève en tendance à 4 ou 5 % l'an pour les prochaines années. Il faudra peut-être entre quinze et vingt ans pour compenser cet écart. On a vu dans le cas de l'Espagne un phénomène analogue. Malgré cette différence de niveau de vie, je ne crois pas que le rattrapage économique se traduira par une vague de délocalisations de nos activités. D'abord parce que l'essentiel est déjà fait. Ensuite parce que la productivité de ces pays n'est pas la même que la nôtre. Pour qu'ils exercent un attrait sur nos industriels, il leur faudrait une productivité équivalente à la nôtre. Les entreprises n'envisagent plus d'investir dans les pays de l'Est comme elles le faisaient il y a quelques années. Aujourd'hui elles veulent gagner des parts de leurs marchés intérieurs. Pour gagner en prix de revient, les entreprises se tournent plutôt vers les pays d'Asie où la main-d'oeuvre est infiniment moins chère. Autre défi de l'élargissement : il faudra être vigilant sur la question des acquits communautaires. Il s'agit de toutes les lois que les pays de l'Est ont dû engranger. Je pense notamment à l'organisation des marchés publics, à l'environnement des affaires, la validité des brevets... Sur tous ces aspects, il faudra être vigilant. Il faut que les entreprises françaises se trouvent dans des situations de concurrence normale dans ces pays, qu'elles ne fassent pas l'objet de discrimination en matière de marchés publics par exemple.
Q - Ne redoutez-vous pas une dépréciation de la devise de ces pays dans un but commercial ?
R - La plupart de ces pays souhaitent entrer dans l'euro. Pour cela, il leur faudra faire la preuve de la stabilité de leur devise pendant trois ans. Si certains pays veulent jouer avec la parité des devises, cela se verra.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2004)
"Le Figaro-économique"
Q - Qu'attendez-vous de l'élargissement vers les pays d'Europe centrale ?
R - La part de marché de la France dans les pays de l'élargissement n'est que 5,3 %, alors qu'elle est de 9,9 % sur le marché européen actuel. Depuis dix ans, nous avons multiplié nos échanges avec ces pays par quatre, mais ce n'est pas suffisant. Nous sommes en retard pour les biens de consommation, alors qu'il y a un vrai potentiel dans ces pays. On pense par exemple que, en 2010, il y aura un marché de 2,4 millions d'automobiles pour les dix pays, alors que la production y sera d'environ 1,7 millions de voitures. Même dans ce domaine, il existe un réel potentiel à l'exportation.
Q - Quels sont les atouts particuliers des régions de l'Est, et en particulier de l'Alsace, pour exporter vers les pays de l'Europe de l'Est ?
R - On voit que, sur les huit dernières années, l'Alsace a proportionnellement plus bénéficié de l'ouverture des pays d'Europe centrale que les autres régions françaises. Les exportations ont été multipliées par trois contre 2, 35 pour la moyenne française.
Par ailleurs, en cinq ans, les exportations alsaciennes vers la Pologne ont progressé en valeur de 63 %, celles vers la Hongrie de 72 %, et celles vers la République tchèque de 50 %. En 2003, l'Alsace a exporté pour 853 millions d'euros vers les pays de l'élargissement, essentiellement vers les cinq pays d'Europe centrale et vers l'Estonie, alors qu'elle n'a importé que pour 692 millions d'euros. La proximité géographique et linguistique, par la connaissance de l'allemand, joue un rôle, tout comme il existe une certaine proximité culturelle avec la Mitteleuropa. Mais ce qui est spécifique, c'est que l'Alsace exporte davantage que d'autres régions et cela se retrouve aussi dans ses relations avec l'Est. Ainsi, 40 % de la production alsacienne est exportée contre 30 % pour la moyenne française.
Q - Comment l'expliquez-vous ?
Il y a deux explications à ce phénomène qui sont d'ailleurs liées. La région compte plus d'entreprises étrangères que la moyenne française, essentiellement à capitaux allemands, mais aussi américains et japonais. Or les entreprises étrangères exportent plus que leurs homologues françaises. Lorsqu'un groupe japonais s'installe dans l'est de la France, il vise l'ensemble du marché européen. Par ailleurs, les filiales de sociétés allemandes, on en dénombre 850 en Alsace, ont bénéficié des réseaux de ces dernières qui sont très bien implantées dans les PECO. Enfin, on peut observer que l'économie alsacienne est bien placée dans des domaines comme l'automobile avec notamment Peugeot-Mulhouse, la chimie et la pharmacie qui correspondent à de fortes demandes de ces pays.
Q - L'Alsace, mais aussi la Lorraine et la Franche-Comté, qui ont connu une montée du chômage liée à la dégradation économique, s'inquiètent des délocalisations vers l'Europe centrale ?
R - Le phénomène des délocalisations vers l'Est a eu lieu dans les années 90. Quand nous interrogerons les missions économiques, on nous cite des exemples de 1995-1997. Il n'y a pas, à ma connaissance, d'entreprises françaises en train d'arrêter leur production en France pour ouvrir une usine dans les pays de l'Est, alors que ce phénomène existe en Allemagne. Elles cherchent plutôt à délocaliser vers la Chine et vers l'Afrique du Nord. Les implantations dans ces pays vont se poursuivre, mais sans transferts d'usines. On observe aussi que, même si le coût salarial dans les PECO est le tiers du coût français, la productivité française est deux à trois fois plus élevée. Et l'écart entre les coûts avec les pays de l'Est va se réduire de plus en plus. Cela dit, on est toujours inquiet...
Q - Dans quels secteurs, les PME régionales peuvent-elles gagner des marchés ?
R - Les biens de consommation, comme le textile, les habits, les meubles, mais aussi les services à l'industrie et les biens d'équipement.
Un volet de notre travail dans les PECO, mais les autres nouveaux pays de l'Union sont également concernés, porte sur les partenariats public-privé.
Il faut que les entreprises françaises profitent des grands contrats d'infrastructures dont le financement sera garanti par les fonds structurels européens. 22 milliards d'euros vont être débloqués dans les dix pays, essentiellement dans les PECO, pour la construction des routes, la distribution d'eau, les centrales thermiques. L'élargissement va donner un coup de fouet à ces secteurs, à condition que les marchés publics, dans ces pays, fonctionnent bien, avec des appels d'offres transparents, sans triche. Nous avons les meilleurs entreprises du monde dans ces domaines...
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2004)