Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la politique économique menée pour augmenter la croissance, créer du travail, baisser les impôts, donner de l'importance à la formation, engager la réforme de l'Etat et donner leur place aux entreprises patrimoniales, Paris le 2 octobre 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque "Talents Plus" organisé par l'Association des moyennes entreprises patrimoniales (ASMEP), à Paris le 2 octobre 2003

Texte intégral

Je reconnais l'homme de conviction et aussi l'homme d'humour que vous êtes, monsieur le Président, et je suis très heureux de vous retrouver avec ceux que vous appelez les maîtres. Quant au ton churchillien, n'est pas Churchill qui veut. Mais cela me fait penser quand même à une histoire sur Churchill que je vais vous raconter. Imaginez un débat sur la durée du travail à la Chambre des Communes, une ministre du Travail femme par exemple et Churchill, face à face. Et la ministre du Travail disant à Churchill, droit dans les yeux, "vous seriez mon mari, Monsieur, je vous mettrais du poison dans votre potage " et Churchill avait répondu à l'époque, "mais madame vous seriez ma femme, je le boirais".
Je partage un grand nombre des convictions qui sont ici exprimées, et je dois vous dire que c'est pour moi un moment d'intérêt que de venir discuter avec vous sur les sujets d'avenir, car malgré les péripéties du moment primo, je garde la bonne humeur et secundo, je réserve l'essentiel de mon énergie à préparer l'avenir et à travailler avec tous ceux qui ont des réflexions sur l'avenir de la France, l'avenir de son économie et l'avenir au sein de l'Union européenne, de notre relation au monde. Car notre Europe, que deviendra-t-elle durablement si, dans les années qui viennent, nous avons, comme pour les vingt dernières années, un point de croissance de moins par an que les Etats-Unis ? Car tous les rapports de force, toutes les relations internationales seront marquées dans les années qui viennent par la capacité de l'Union européenne à dégager de la croissance et de tenir son rang au hit parade de la croissance par rapport aux autres ensembles mondiaux. C'est pour cela que cette réflexion que vous engagez est très importante et je suis très heureux de pouvoir participer avec vous à cette réflexion aux côtés d'A. Lambert, ministre du Budget, courageux, imaginatif, loyal, un ami qui a sans doute le job le plus difficile de la République. C'est pour moi l'occasion de lui exprimer et confiance et gratitude. Je suis aussi heureux de saluer le député, mon ami P. Lellouche ici présent. Grâce à son action, vous voyez toute la dynamique possible. Je salue chacune et chacun d'entre vous, ceux de Poitou-Charentes et d'ailleurs. Je partage cette ligne stratégique qui est la vôtre, qui est d'avoir une politique économique qui a un cap, de ne pas se laisser guider par l'immédiat, par le résultat trimestriel comme on voudrait nous l'imposer dans un certain nombre de normes aujourd'hui financières de comptables, mais que l'on soit capable de construire, dans le privé comme dans le public, des stratégies de moyen terme avec des caps clairement identifiés. C'est ce que je souhaite pour mon pays et pour notre économie.
Notre stratégie est celle de la croissance durable. Je crois que l'on ne peut pas continuer à attendre la croissance, à laisser passer la croissance et à regarder partir la croissance. En 2000, nous avions 4 % de croissance. Nous n'avons pas utilisé cette croissance pour aller chercher, par les réformes dans la société française, les réserves de croissance à venir et en 2001 il n'y avait plus que 2 % de croissance. Donc, nous avons une situation où il faut aller chercher, par des réformes de structure, la capacité de générer de la croissance au sein de la société française pour que, profitant de la croissance internationale, nous soyons capables de la stabiliser, que la croissance ne soit pas cette marée qui va et qui vient et qu'une fois qu'elle est repartie ne laisse pas de trace. C'est, je crois, le travail le plus important que nous avons à faire. C'est pour cela qu'il faut aller chercher, partout dans notre société, évidemment dans le monde économique, mais aussi dans l'appareil de l'Etat, qui doit se réformer parce qu'il a lui-même une réforme importante à engager celui de dégager des initiatives nouvelles et des capacités nouvelles de croissance, car le triangle des responsabilités s'applique à tous nos problèmes. Il faut que l'Etat agisse, pour les retraites, pour l'Assurance maladie, mais il faut aussi que les acteurs de terrain agissent, que ce soit les entreprises, que ce soit les médecins, que ce soit les agents sociaux. Il faut aussi que le citoyen agisse, car quand on est les champions du monde de la consommation de médicaments avec deux milliards et demi de boîtes, il est pour nous clairement nécessaire d'avoir une conscience de notre consommation de soins. Cette conscience s'appelle aussi la responsabilité du citoyen. Il va de soi que ce n'est pas en accusant les uns et les autres que l'on fera des réformes, ce n'est pas quand les citoyens accusent l'Etat ou quand l'Etat accuse le citoyen ou accuse les acteurs territoriaux que nous pouvons faire des réformes, c'est en organisant la mobilisation des trois autour de l'intérêt général, autour de l'intérêt du pays. Ce cap sur la croissance, pour nous, impose d'abord une première priorité : redonner au travail sa place centrale dans la société française. C'est clair, nous voulons réhabiliter le travail. J'ai entendu dire que d'autres voulaient réhabiliter l'impôt, ça me va comme clivage. Nous voulons réhabiliter le travail parce que c'est ce qui est le plus important, y compris pour les Français les plus fragiles, y compris pour les Français qui ont le plus de difficultés à trouver un emploi aujourd'hui. Qu'est-ce que nous devons faire les uns et les autres ? Qu'est-ce que notre communauté nationale a comme priorité ? Elle a comme priorité d'abord de créer du travail, de faire en sorte que, tous ensemble, notre énergie, nos initiatives, nos talents, nos volontés créent du travail et c'est en créant du travail que l'on répond au chômage. Ce n'est pas en multipliant les initiatives qui alourdissent l'ensemble de notre appareil public que nous pouvons créer cette énergie qui, elle-même, crée du travail.
L'organisation du travail, c'est une démarche globale que nous voulons articuler autour de quatre axes principaux. Le travail doit payer chaque année davantage, c'est un point clair de notre engagement. Chaque année le travail paiera davantage grâce à la baisse de l'impôt sur notre revenu pour 16 millions de foyers. On me dit que l'impôt sur le revenu ne toucherait que quelques foyers : 16 millions de foyers sont concernés. C'est, je crois, très important que ceux qui font l'effort, que ceux qui ont aujourd'hui un engagement personnel et professionnel par le travail, puissent tirer profit de cet engagement personnel et professionnel. Nous le faisons avec détermination et nous avons baissé ainsi l'impôt sur le revenu de 10 % en deux ans. Je crois que c'est un signe fort. Je sais monsieur le Président, j'ai entendu vos messages, pour d'autres impôts, mais déjà celui-là il est significatif, et déjà, pour celui-là nous avons passé la barre sous les 50 % du barème et cela je crois que c'est très important psychologiquement d'envoyer ce message : pour des revenus du travail, on n'est pas taxé au-delà de 50 % et on peut aujourd'hui, par une baisse d'impôt continue, considérer que chaque année le travail paiera davantage. Nous sommes déterminés dans cette voie et je revendique cette attitude comme une attitude sociale et comme une attitude populaire. Parce que d'abord nous augmentons en même temps la prime pour l'emploi pour inciter à retrouver du travail et faire en sorte que la prime pour l'emploi qui a été créée par mon prédécesseur - comme quoi nous ne sommes pas sectaires -, nous avons le souci de non seulement l'augmenter, mais que l'on ait un acompte de 250 euros dès que l'on retrouve du travail, de manière à ce que cette prime arrive plus rapidement et vienne vraiment encourager au parcours pour l'emploi, ce qui nous paraît être une priorité. Nous faisons des efforts importants qui sont des efforts sociaux. On me dit "l'impôt, oui mais", je réponds "c'est le SMIC". Car ce que nous avons par l'harmonisation sur le SMIC, nous avons aujourd'hui une augmentation du SMIC de 5,5 % et nous avons fait un allègement des charges de manière à ne pas pénaliser la compétitivité des entreprises. Et cela, je crois que c'est un élément très important qui touche vraiment ceux qui sont au travail et pour lesquels nous devons montrer que le pays est attentif au travail d'un certain nombre de Françaises et de Français qui créent notre richesse nationale. C'est un élément très important. Cela ne veut pas dire évidemment qu'il ne faut pas de la solidarité pour ceux qui souffrent et ceux qui sont en dehors du chemin du travail, au contraire ; mais cela veut dire qu'on veut les aider à retrouver le chemin du travail et non pas les enfermer dans un statut d'assistance. Nous préférons mettre des moyens publics pour qu'ils retrouvent un travail plutôt que de les immobiliser dans un statut éternel d'assistés qui ne convient pas à un parcours efficace vers l'emploi. La réussite, c'est l'emploi, ce n'est pas l'indemnisation. Nous voulons que les moyens soient des moyens qui aident le salarié, le demandeur d'emploi à faire son parcours professionnel. Cette revalorisation du travail à laquelle nous sommes attachés Et je revendique cette politique sociale parce que je crois vraiment que la plus belle des politiques sociales est celle qui augmente le nombre de gens au travail et c'est ce que nous voulons faire avec une croissance durable dans notre pays.
Evidemment, nous avons des difficultés parce que nous avons eu un premier semestre où la croissance était négative et puis aussi parce qu'avec les 35 heures, on a laissé penser quelque part dans la culture nationale que l'on pourrait faire face à nos défis en travaillant moins. C'est inexact. Nous ne pouvons pas avoir un système social parmi les plus avancés du monde, être très attachés à nos retraites par répartition, être très attachés à notre Sécurité sociale et ne pas dire que c'est par le travail et la création de richesse que l'on pourra financer et protéger ces systèmes sociaux auxquels nous sommes attachés. Nous avons une productivité horaire qui est une performance mondiale tant mieux, mais en terme du nombre d'heures travaillées, la performance n'est pas mondiale. Et donc il faut augmenter le nombre d'heures travaillées en faisant en sorte que plus de gens travaillent. Et là encore, c'est social, de faire en sorte que ceux qui veulent travailler plus puissent travailler plus. Mais aussi de faire en sorte que ceux qui, aujourd'hui, n'ont pas de travail puissent en trouver un et les y aider pour participer à cette mobilisation nationale pour le travail. C'est un point très important qui est au cur de notre stratégie sur la revalorisation du travail.
Je voudrais dire combien je suis heureux de voir les partenaires sociaux s'engager dans cette dynamique de la formation et la reconnaissance du droit individuel à la formation. D'abord c'est heureux que le dialogue social ait pu reprendre dans notre pays et que l'on ait aujourd'hui tous les partenaires sociaux autour d'une table réunis pour signer un accord comme c'était le cas en 1970. Il faut remonter en 1970 avec J. Chaban-Delmas et J. Delors, à l'époque, pour avoir un accord de cet ampleur. C'est, je crois, un progrès très important que de considérer que la formation est une sécurité sociale parmi d'autres et que les salariés adhèrent à cette idée : c'est par la formation qu'ils se protégeront des difficultés. La formation ne résout pas tous les problèmes, mais la formation est une protection et il faut qu'elle soit possible, accessible tout au long de la vie. C'est pour cela que cet accord des partenaires sociaux est une avancée sociale très importante. Elle participe à cette valorisation du travail, parce que cela permettra la promotion sociale. On voit bien que dans notre pays, depuis un certain nombre d'années, la promotion sociale s'est tassée et quand vous regardez les résultats aux grandes écoles, et quand vous regardez les résultats à un certain nombre de grands examens, vous vous apercevez qu'il y a quand même une répartition des reçus qui est liée aux catégories sociales. Ce n'est pas vrai que l'ascenseur social fonctionne dans notre pays et donc pour qu'il fonctionne, il faut encore que l'on reconnaisse la valeur du mérite. Reconnaissons la valeur du mérite. Reconnaissons la valeur du travail. C'est dans cette organisation-là de la société qui fait de la formation un accès au mérite que nous pouvons valoriser le travail. C'est pour cela que nous ferons en sorte que l'accord des partenaires sociaux puisse entrer dans la loi très rapidement. Au cours du mois de novembre, un projet de loi proposera cette entrée du droit à la formation individuelle ;c'est un droit qui sera donc dans notre code du travail dès que le Parlement en aura été saisi et l'aura approuvé. Nous voulons également soutenir l'employabilité plutôt que de financer l'inactivité. C'est une ligne importante. Là encore, ce n'est pas une ligne comme on voudrait la caricaturer, anti-sociale. Mais je crois que si on ne fait pas un effort comme on le fait avec le contrat initiative emploi pour les chômeurs de longue durée, si on ne fait pas un effort, avec le contrat jeune en entreprise, si on ne fait pas un effort avec le RMA pour faire en sorte qu'avec le revenu minimum d'insertion l'on puisse déboucher sur une activité, si l'on ne fait pas ces efforts-là, on ne sert pas l'employabilité. C'est l'employabilité qu'il faut servir et c'est pour cela que nous voulons faire ces efforts et que nous mettons de l'argent public, mais de l'argent public pour l'emploi. C'est, je pense, très important de voir le chemin que nous choisissons. Quand l'on fait le contrat jeune en entreprise, c'est un élément très important. Avant on avait bâti un dispositif de contrat : les emplois jeunes, qui était un statut public, un statut sans formation, un statut sans débouché, pour 5 ans, et sans véritablement de perspective. C'était un statut parking. Avec le contrat jeune en entreprise, c'est un vrai contrat de travail dans une vraie entreprise avec un vrai apprentissage des métiers de l'entreprise : c'est très important de remplacer nos procédures sans issue par des procédures qui, progressivement, mettent les jeunes en situation de capacité de travailler et de capacité d'assumer l'emploi dans l'intérêt du développement. Cette mobilisation sur l'emploi est très importante et je voudrais vous dire combien elle me paraît nécessaire. Et de ce point de vue-là, il est clair qu'il nous faut expliquer que la République qui nous rassemble, elle est, au fond, dans ce sens-là de la mobilisation du pays. Je pense qu'il nous faut remettre du bon sens dans la République ou la République dans le bon sens. Parce qu'où est la liberté quand il n'y a pas la sécurité ? Où est la liberté quand il y a trop de bureaucratie et de paperasserie ? Où est la liberté de créer si il n'y a pas des facilités pour la création d'entreprise ? Donc la République, c'est la liberté. Où est l'égalité quand il y a égalitarisme général ? Quand on ne reconnaît pas le droit au mérite, quand, quel que soit votre travail vous avez le même salaire ou le même statut, où est l'égalité ? Ce n'est pas cette égalité-là qu'il y a dans la République. La République reconnaît la méritocratie, la République reconnaît que l'effort doit être récompensé. Nous sommes égaux en droit, nous sommes égaux dans notre capacité les uns et les autres à avoir une dignité d'homme. Mais l'égalité n'a rien à voir avec l'égalitarisme ; "je ne veux voir qu'une tête", ce n'est pas ça du tout l'égalité. Tout comme la fraternité, ce n'est pas non plus la solidarité-administration - "je paie, je donne donc j'oublie". Non, la fraternité, c'est l'engagement personnel, c'est lutter contre l'isolement. C'est lutter contre la solitude, c'est faire un certain nombre d'efforts qui engagent personnellement le citoyen. Donc, je crois que ces valeurs de l'effort, ces valeurs travail, sont au cur même des valeurs de la République et c'est la République dans le bon sens. Je dirais presque le sens qui est le sens premier de la République, d'une véritable liberté, y compris la liberté de la création, d'une véritable égalité qui reconnaît le mérite et d'une fraternité qui reconnaît l'intérêt général comme faisant partie d'un engagement public. L'intérêt général, l'Etat n'en a pas le monopole. L'intérêt général est partagé dans la société et un entrepreneur, un cadre, un médecin, a un intérêt privé, mais il assume aussi une partie d'intérêt général. L'intérêt général appartient à tous. Il faut mobiliser cette part d'intérêt général qu'il y a en chacun de nous. Donc revaloriser le travail pour la croissance. C'est un élément très important de notre cap, de notre politique, et toutes les décisions que nous prenons, les unes après les autres vont dans ce sens-là.
Il est évident qu'il y a un autre cap qui est nécessaire pour aller chercher cette croissance durable dans la société. C'est tout ce que nous devons faire pour réformer, moderniser, transformer positivement la société française, pour qu'elle puisse sortir d'un certain nombre d'impasses. Nous voyons bien qu'il y a dans notre pays un certain nombre de sujets qui ne sont pas traités, qui sont reportés et qui se terminent par des impasses économiques et peut-être un jour ou l'autre des impasses politiques. Il faut régler ces impasses. C'était typiquement le cas du dossier des retraites. Depuis 1974, notre pyramide des âges change. Il faut interpréter ces résultats et voir ce que cela a comme conséquence sur l'ensemble de notre organisation sociale. C'était évident sur les retraites que nous étions dans une impasse : de moins en moins de gens qui cotisent, de plus en plus de gens qui touchent. On voit bien qu'il y a là une difficulté à surmonter, qui est inscrite avec des rendez-vous particulièrement identifiés. On voit bien que l'emploi du senior est un problème qui est posé à la société, que nous devons traiter, que nous voulons traiter, car à partir du moment où une petite fille sur deux qui naît aujourd'hui a une espérance de vie de cent ans, il faut en faire une bonne nouvelle. On ne va pas considérer cela comme quelque chose de catastrophique. C'est une chance à condition qu'on ne mette pas dans la société les gens à l'écart à 50 ans, à 55 ans, ou à 60 ans. Donc, il nous faut anticiper ces données nouvelles qui sont les données de la société et également sur les questions de santé. C'est vrai que nous avons vécu un été particulièrement douloureux, particulièrement difficile, qui a frappé la société française en son cur, en nous montrant les conséquences, avec la canicule, de notre vieillissement. Mais la population des plus de 85 ans va doubler dans les dix ans. Cela veut dire que nous serons exposés à toutes les épidémies de cette nature, le froid, la grippe, le chaud et tout ce qui peut arriver. C'est une donnée de notre sociologie qu'il nous faut anticiper et de ce point de vue, on voit bien qu'il y a des réformes très importantes à mener dans notre pays. Nous avons mené la réforme des retraites, nous mènerons la réforme de l'Assurance maladie, nous sommes engagés dans le processus. Il faut faire en sorte que nous puissions, avec l'ensemble des partenaires, définir les moyens à la fois de financer nos besoins de santé, de répondre à une organisation de notre système de santé moderne, mais aussi responsable. Il est clair que nous ne pouvons pas laisser dériver des déficits non maîtrisés car évidemment, tout ceci entame l'avenir de notre pays. C'est pour cela que nous avons engagé une procédure de dialogue avec l'ensemble des partenaires et je souhaite que, cet été, nous puissions arrêter l'ensemble des décisions de manière à ce que dans le projet de loi de Finances pour la Sécurité sociale de 2005, nous soyons capables de remettre notre système de santé sur des rails droites, capables d'assurer un avenir à notre pays.
Il faut aussi engager la réforme de l'Etat dont on parle beaucoup. Il faut que l'Etat accepte de faire pour lui-même ce qu'il demande aux autres, et donc, il faut faire un certain nombre d'efforts. Là, nous sommes engagés dans une réforme assez lourde : je pense à la décentralisation, qui est une réforme très importante qui progressivement va confier des responsabilités à des gens qui seront évalués avec une clarification des compétences. Vous êtes des managers et je crois qu'un grand nombre de difficultés vient quand les compétences ne sont pas claires. Quand les acteurs ne sont pas identifiés et quand il n'y a pas derrière un résultat un responsable. Dans notre politique publique aujourd'hui, il y a trop de confusion, il y a trop d'acteurs et pas assez de visibilité. C'est la responsabilité qui nous permettra d'avoir un Etat moderne, un Etat qui donnera plus de services, de meilleurs services à un moindre coût quand il y aura des responsables qui seront clairement identifiés. Aujourd'hui, quand vous regardez les dispositifs y compris de formation professionnelle, regardez le nombre des acteurs, regardez, sur un grand nombre de sujets, combien les acteurs sont partagés. Et, finalement, il y a vingt, trente agences qui s'occupent de développement économique dans un territoire, dans une région par exemple. Quand on parle vraiment de responsabilités, sur la création d'entreprise ou la création d'emploi, on voit que les responsabilités sont diffuses. Quand c'est diffus, c'est que ce n'est pas clair et donc il faut identifier les responsabilités. C'est cela, la réforme de la décentralisation, ce n'est rien d'autre. Si vous voulez un tramway, d'accord pour le tramway, mais un tramway cela coûte combien, cela se finance comment ? Cela se discute sur le terrain. On assume des responsabilités et on assume ses responsabilités en ne demandant pas aux autres d'aller chercher les financements, en ne demandant pas aux autres d'assumer ses propres promesses, en ne demandant pas aux autres de financer ses propres projets. C'est, je crois, un élément très important : j'ai des projets, parce qu'ils sont à ma dimension et parce que je peux les financer. C'est cela, la règle de la décentralisation nouvelle ; c'est un élément très important pour ces financements qui sont souvent croisés et qui laissent penser que l'on peut toujours tout faire et toujours tout financer, ce qui n'est pas raisonnable. C'est un élément très important des réformes que nous avons à mener et qui sont ces réformes de structures de la société française.
Je pense aussi à tout ce qu'il nous faut faire en matière d'éducation et de formation. On engage un grand débat, c'est un élément très important pour notre pays. Il est clair que nous avons besoin de renforcer notre capacité de formation, notre capacité d'éducation. Notre système éducatif a des atouts formidables. Il est rempli de performances exceptionnelles mais aussi un certain nombre de fragilités. Et il faut aussi qu'on puisse en parler les uns et les autres. Je souhaite que vous puissiez participer aux grands débats sur l'école pour qu'avec le diagnostic partagé, on puisse conclure un certain nombre de décisions. C'est vrai qu'il y a trop de gens qui sortent sans qualification, trop de jeunes qui sortent du système éducatif trop tard sans qualification et si on organise les filières différemment, si on revoit l'organisation intérieure du collège, on pourra peut-être trouver plus tôt des talents, des capacités en allant les chercher, individu par individu, pour aller construire des parcours à l'intérieur du système national d'éducation. Permettre aussi à chacun de trouver sa voie et ne pas penser que la même voie ira pour tout le monde. C'est comme cela que l'on conduit à un certain nombre d'échecs. C'est comme cela que l'on voit qu'il y a des difficultés qu'il nous faut après surmonter, mais tardivement et c'est toujours le problème de la société française. Les problèmes étant traités tardivement, ils sont plus difficiles à traiter. Le mot-clé, je crois, de la politique à venir, c'est un Etat stratège, un Etat qui anticipe les difficultés et qui essaie d'agir à temps plutôt que d'agir en fin de parcours ou quand il est quelquefois tard et difficile de mener l'action.
Enfin, cette croissance durable avec d'une part le travail, avec d'autre part les réformes. Il faut aussi la mobiliser cette croissance durable autour d'une stratégie nationale de la création. La société française, la société européenne ne doit pas évoluer à l'américaine ; le gigantisme, la concentration, la standardisation, la banalisation, ne sont pas des terrains sur lesquels nous serons les plus forts. Ce ne sont pas les terrains sur lesquels nous devons jouer car là il y aura toujours plus fort que nous, ou la puissance américaine, ou le coût du travail chinois ou asiatique, ou la capacité indienne. On aura toujours des gens qui viendront, à un moment ou à un autre, sur ces logiques-là faire mieux que nous, moins cher. Il faut donc jouer au contraire les logiques de la création, de l'innovation, de l'intelligence, du talent, du brevet, de tout ce qui est aujourd'hui l'humain ajouté. C'est pour cela que nous sommes d'accord avec monsieur Gattaz, depuis déjà longtemps, sur cette capacité d'entreprise à taille humaine. C'est l'entreprise à taille humaine qui peut valoriser le talent et c'est le talent qui est la véritable valeur ajoutée. C'est cela la stratégie de la France. Si on joue une autre stratégie, on se fera écraser. Et jouer cette stratégie du talent, c'est jouer la stratégie de la recherche, de l'innovation, de la formation, de la qualification en permanence et tout au long de la vie, comme je le disais tout à l'heure. C'est un élément majeur de nos convictions et il faut faire des efforts nationaux sur ces sujets pour avoir une vraie mobilisation nationale sur cette capacité à être des créateurs, des créateurs de richesses, pour que notre système social puisse avoir son avenir.
Pour cela il y a plusieurs choses que nous avons engagées, j'ai entendu votre appel au grand programme. Vous êtes de ce point de vue là assez pompidolien. J'ai de la sympathie pour cette démarche, car je crois que l'Etat peut en effet, par quelques indicateurs, montrer sa mobilisation et entraîner un certain nombre de partenaires privés dans des grandes logiques, c'est ce que nous faisons avec un certain nombre d'industriels, de centres de recherches, avec G. Quévault notamment sur les véhicules propres. Aujourd'hui, nous avons une préoccupation environnementale puissante, nous avons une industrie automobile puissante. Nous avons un certain nombre d'outils technologiques de recherche et nous savons demain qu'il va falloir que les véhicules polluent moins qu'ils ne polluent aujourd'hui. Alors il est temps que nous investissions fortement en recherche, en développement, pour inventer les véhicules propres de l'avenir. On sait que des grandes villes ne pourront plus continuer à être irriguées par des automobiles comme elles le sont aujourd'hui, dans dix ans, dans quinze ans. Il y a des normes de pollution qui sont des normes très inquiétantes aujourd'hui, sur lesquelles il nous faut investir. Je crois que c'est quelque chose qui concerne naturellement le secteur privé industriel, mais qui concerne aussi les centres de recherches, les universités, les grands organismes de recherche ; cela fait partie des stratégies sur lesquelles nous devons nous mobiliser, comme nous nous mobilisons sur la nouvelle génération, avec Iter, du nucléaire, pour l'avenir, avec un certain nombre de projets, sur lesquels l'Etat doit montrer sa volonté de fédérer l'énergie industrielle, l'énergie technologique, les capacités de recherche et d'innovation et d'être un moteur ,quitte à ce que, naturellement, chacun puisse être partenaire de ce projet et puisse disposer de ses propres initiatives. Donc nous allons nous engager dans cette voie qui est très importante pour valoriser la matière grise et notre capacité créatrice.
Il faut aussi faire des efforts sur le crédit "impôt-recherche". Avec A. Lambert, avec F. Mer, nous avons voulu engager des efforts importants sur ce terrain-là. Nous changeons quand même de dimension le crédit "impôt-recherche" ; je crois que nous allons multiplier par sept le nombre d'entreprises qui seront éligibles. C'est la première évolution : un élargissement du crédit "impôt-recherche". Deuxième réforme très importante, nous ne faisons plus simplement le crédit "impôt-recherche" sur le surplus de recherches, mais sur tout le volume de la recherche. Nous raisonnons en stocks et plus en flux. Cela va nous permettre de mobiliser quand même des moyens très importants et j'ai l'engagement d'A. Lambert pour qu'il n'y ait pas systématiquement un contrôle fiscal quand il y a crédit "impôt-recherche". Je ne l'avais pas prévenu, mais enfin je vois qu'il acquiesce ; donc, il est d'accord. Parce que j'ai fait suffisamment de terrain pour savoir que c'était un des grands freins de ce dispositif. Mais je pense que c'est très important de donner dans notre pays une capacité forte aux entreprises, de les soutenir et d'éviter qu'il y ait des charges sur la recherche et l'innovation. On ne peut pas dire que c'est la stratégie nationale et alourdir les charges sur ces sujets-là. Donc vraiment je souhaite que ce soit une priorité nationale. Si cela ne fonctionne pas bien, s'il y a des choses qui sont à faire dans cette direction, je suis ouvert à toute proposition. Cela me paraît être la priorité des priorités pour l'avenir de notre pays.
De même, nous faisons un certain nombre d'efforts, vous le savez, sur les jeunes entreprises innovantes notamment dans les bio technologies, dans un certain nombre de secteurs, là où il y a besoin de capitaux propres importants. De même, nous voulons aider par un certain nombre de réformes y compris par des mots que vous avez employés tout à l'heure qui concernent les impôts qui pourraient inciter à sortir de France. Nous avons fait un statut d'investisseur providentiel qui permet de placer de l'argent dans des secteurs créateurs, innovants, et c'est, je crois, très important pour notre avenir, que l'on puisse donner à l'argent gagné une de ses vocations qui est d'être investi dans le travail, dans l'idée, dans la création, dans la mobilisation nationale. C'est un élément important de la stratégie qui est la nôtre et je voudrais vous dire, avec vraiment beaucoup de détermination, combien il me paraît essentiel de jouer cette carte. Talents plus c'est cela, c'est jouer les talents des entreprises patrimoniales. Je sais et je connais bien un grand nombre d'entreprises telles que les vôtres. Je suis prêt à ce que nous poursuivions le travail que l'on a déjà engagé, mais avec A. Lambert, avec les parlementaires. Je dois dire que je suis souvent inquiet quand je vois l'évolution de l'économie mondiale, quand je vois comment il a fallu se battre à Bruxelles sur un certain nombre de normes comptables. Je voyais des techniciens, des experts, des gens très très doués qui avaient fait des grandes écoles d'administration, vraiment tout ce qu'on fait de mieux sur la terre, qui s'occupaient de ce dossier. Donc, je n'étais pas inquiet. Et puis, un jour, j'ai rencontré F. Michelin qui m'a parlé de ces sujets-là et qui m'a dit qu'avec toutes ces normes, jamais Michelin n'aurait rempli des normes une seule fois durant toute l'histoire de Michelin. Ce qui serait quand même dommage, et pour Michelin mais surtout pour la France et un petit peu pour l'Auvergne. Donc, je me dis que, parce que chez nous, nous avons dans notre culture industrielle ,des idées, des pratiques, la notion d'investissement par exemple, la notion de moyen terme et de toujours vouloir mettre le court terme, c'est comme cela que l'on fragilise forcément l'industrie. Il est clair que nous n'aurons pas d'industrie puissante si nous jouons systématiquement la spéculation. On voit bien que la tendance aujourd'hui, y compris avec des normes comptables, avec des ratios de gestion, c'est de nous mettre dans cette logique du court terme, ce qui n'est pas une logique d'investissement, ce qui n'est pas un logique d'enracinement.
Je suis très attaché à la notion d'enracinement parce que je crois vraiment que les entreprises qui circulent dans le monde, ces entreprises nomades sont des entreprises qui, à un moment ou à un autre, peuvent présenter pour un territoire, pour un pays quelques intérêts mais au fond, elles construisent un développement qui est quelque part assez égoïste. Et tout bon développement doit être partagé y compris avec le territoire. C'est pour cela que l'entreprise patrimoniale est attachée à une famille, à une histoire, à un territoire en général enraciné. On voit bien que c'est ce dont nous avons besoin dans un pays comme le nôtre. Si on veut éviter la concentration économique sur quelques très grandes métropoles, si on veut éviter d'avoir 80 % de la population qui vit sur 0 % du territoire parce que ça, ça coûte encore plus cher. La ville, quand elle devient gigantesque, finalement, à la fois crée des problèmes mais ne crée pas les solutions à ses propres problèmes. Il y a une pénalisation nationale à avoir une urbanisation qui serait hypertrophiée. Nous avons besoin de défendre le modèle français, un modèle qui est un modèle équilibré, un modèle qui est un modèle diversifié dans lequel il y a plusieurs types de territoires et dans lequel les entreprises peuvent être réparties sur l'ensemble du territoire. C'est un élément très important de notre équilibre, y compris de notre cohésion sociale et tout le lien social aujourd'hui qui fait partie de la dimension économique. C'est pour cela que je crois que nous devons éviter de fragiliser les entreprises patrimoniales, les entreprises familiales, les entreprises enracinées, les entreprises qui ont avec le pays une histoire, qui portent un certain nombre de valeurs entrepreneuriales dont le pays a besoin. Je parlais l'autre jour, dans une émission, à quelqu'un qui évoquait la délocalisation, le reclassement régional. Qu'est-ce que c'est que cela, une nouvelle contrainte pour les entreprises ? J'ai dit "non, ce n'est pas une nouvelle contrainte pour les entreprises" ; je parlais à l'occasion de plans sociaux, je disais qu'il y a des gens auxquels on peut proposer un emploi quand ils ont 25 ans, il faut jouer la mobilité des jeunes. Il faut jouer la mobilité internationale, mais il faut aussi tenir compte de l'enracinement, parce qu'il y a des gens à 45 ans, à 50 ans, à 55 ans qui ne sont pas forcément déracinables. Ce sont des gens auxquels il faut que la communauté économique du territoire aussi se mobilise. Cela a été fait dans une région qui m'est sympathique récemment pour toutes les entreprises se sont mobilisées pour faire des reclassements parce qu'il y avait cette communauté entrepreneuriale qui se sentait co-responsable d'un développement territorial. Mais si vous n'avez pas l'enracinement il n'y a pas de co-responsabilité. Notre pays a besoin de cette co-responsabilité. Il a besoin d'entreprises qui ont d'autres valeurs que la valeur de l'immédiat et de la valeur de cette financiarisation à court terme qui conduit à un certain nombre d'excès. J'ai bien entendu, monsieur le Président, tous vos appels. Je voudrais vous dire que je vous propose une méthode de travail avec A. Lambert, avec l'ensemble des équipes du ministère, avec R. Dutreil, pour que l'on puisse avancer concrètement sur les dossiers qui vous paraissent importants. Je crois que nous sommes dans une société sur laquelle, aujourd'hui, il faut être très attentif aux valeurs qui rassemblent le pays. Je ne suis pas inquiet sur l'avenir de la France si nous assumons d'être nous-mêmes, si nous défendons nos valeurs et si nous arrêtons de courir derrière des schémas qui ne sont pas les nôtres. C'est en valorisant ce qui a fait la force de la France, ce qu'a été la force de la France dans toute son histoire y compris par sa capacité de travailler, par la qualité de sa main d'uvre, par la qualité de sa formation, par la qualité de ses ingénieurs - nous avons les meilleures écoles d'ingénieurs du monde, nous avons des outils formidables dans notre pays aujourd'hui Il faut croire en nous-mêmes, mais pour cela il faut arrêter de ne penser qu'au déclin, de penser simplement que les recettes nous viendraient d'ailleurs que, finalement, ce sont les schémas qui seraient ceux qui sont définis ailleurs qui seraient les schémas de l'avenir. Nous avons en nous-mêmes les capacités de répondre aux défis qui sont posés à notre pays. Il suffit d'avoir un peu confiance dans la France, d'avoir un peu confiance dans ce qui a été la grandeur de notre pays et qui est aujourd'hui toujours présent dans le cur des Françaises et des Français. C'est pour cela que je considère que de parler de déclin, cette pensée congelée qui tous les vingt ans est ressortie par des gens qui sont supposés être des grands intellectuels et qui finalement, conduisent à la démobilisation. L'intelligence aujourd'hui, elle est dans le peuple. Elle est dans cette capacité à avoir des raisonnements qui sont ceux de la France, c'est-à-dire ceux du bon sens et ceux de la République. Merci.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1 décembre 2003)