Interview de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, à "Europe 1" le 6 janvier 2004, sur les prévisions de croissance économique en 2004 et ses conséquences pour le budget de l'Etat, la réduction du nombre de chômeurs indemnisés, la baisse des impôts sur le revenu, et la stabilité des dépenses de l'Etat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral


J.-P. Elkabbach-. Quelle couleur donnez-vous à l'année 2004 ?
- "Bleu. La couleur du ciel, d'un ciel bleu dont les nuages se dissipent."
Je ne parle pas de météo...
- "Un horizon économique qui se dégage - je reprends l'expression du président de la République -, cela me parait bien refléter la situation, c'est-à-dire une reprise qui se confirme."
Mollassonne, timide ?
- "Robuste."
Le Gouvernement prévoyait 1,7 % de croissance, elle va atteinte au moins 2 %, ce qui va entraîner de bonnes rentrées et des plus-values fiscales, je suppose ?
- "Nous attendons de bonnes surprises fiscales, c'est-à-dire plus de recettes que nous en avons prévues dans le budget et, naturellement, ces bonnes surprises fiscales doivent être affectées à la réduction du déficit."
Je n'ai donc pas à vous demander ce que vous allez en faire. Il n'y a pas une cassette, une bourse, une tirelire, une cagnotte ?
- "Les cagnottes ne sont plus de saison. Ce qui compte, c'est de pouvoir réduire le déficit, de pouvoir réduire l'endettement et de transmettre aux générations futures, à nos enfants, une France qui gagne."
Oui, parce qu'on a déjà entendu "qui paye ses dettes s'enrichit", mais quand on regarde les Américains, plus ils ont de dettes - près de 8 % du PNB -, plus ils s'enrichissent.
- "Je ne crois pas que ce soit un modèle. En tout cas, s'agissant de la dette française, vous savez qu'elle représente plus de 1.000 milliards d'euros. En plus de cela, elle s'est quand même accrue de manière considérable : en 20 ans, elle a été multipliée par trois. L'intérêt de la dette, l'intérêt payé avec les Français a été multiplié par 10 en 25 ans. Aujourd'hui, la charge de la dette représente trois fois la taxe d'habitation payée par les Français. Cela représente la quasi-totalité de l'impôt sur le revenu payé par les Français et cela représente plus que l'impôt payé par les sociétés françaises."
La croissance est d'un peu plus de 2 % ?
- "Si vous parlez de la croissance économique, vous savez que nous avons prévu 1,7 pour 2004."
C'est ce que j'ai dit tout à l'heure, mais vous, quel est votre avis ?
- "Si vous me demandez un autre pronostic que celui inscrit dans la loi de finances, je donnerais l'impression que cette loi n'est pas sincère, donc, je reste naturellement à 1,7. Je vous indique que tous les prévisionnistes sont plutôt optimistes, puisque le rythme annuel du dernier trimestre 2004 était de 2,5 % et je pense que la croissance française sera un peu plus forte que celle de la zone euro. Et ceci, ce n'est pas forcément des affirmations, cela se fonde sur des réalités. Ces réalités, c'est la consommation des ménages, c'est l'activité du commerce de détail qui poursuit son redressement, c'est la mise en chantier de logements qui s'accélère, c'est la création d'entreprises qui s'envole, c'est le carnet de commandes des entreprises qui se garnit, c'est la confiance dans les Bourses que nous voyons repartir."
Donc, au 6 janvier, vous dites que c'est l'embellie ?
- "C'est l'horizon qui se dégage."
Vous avez dit que l'on place cela dans la réduction du déficit, mais 2004, c'est une année d'élection, c'est la période rêvée et d'ailleurs classique pour accorder, offrir, distribuer, non ?
- "L'esprit de responsabilité, le devoir d'Etat, l'amour de son pays, ce n'est pas de faire ce qui plaît à ses compatriotes, c'est de faire ce qui est leur intérêt. Et donc, une période électorale ne consiste pas dans une distribution. Elle consiste tout simplement dans un dialogue avec les Français sur les grands enjeux de l'avenir du pays. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour être responsable et ne pas s'abandonner à quelque tentation de démagogie que ce soit."
F. Hollande et M. Boutih, sur Europe 1, vous reprochaient de ne pas aider la consommation. Les salaires, première critique, n'augmenteront pas ?
- "Plutôt que des affirmations, prenons des chiffres. S'agissant des fonctionnaires, en 2003, la rémunération moyenne des fonctionnaires a augmenté de 4 %, ce qui a assuré un gain de pouvoir d'achat moyen de + 2,3. Pour 2004, la rémunération moyenne devrait augmenter au total de près de 3 %, ce qui devrait assurer un gain moyen de pouvoir d'achat de 1,5. Pour tous les Français, il a été décidé, vous le savez, une baisse de l'impôt sur le revenu ; cela touche 16 millions de Français. Le Smic a connu la plus forte augmentation depuis 20 ans et, pour ceux qui reprennent l'emploi, c'est-à-dire les bénéficiaires de la PPE - ils sont 8,5 millions -, des mesures ont été prises pour la relever. Cela, c'est améliorer le pouvoir d'achat."
Monsieur Delevoye aura quelque chose à offrir aux salariés et aux syndicats de salariés ?
- "Le gain moyen de pouvoir d'achat pour les fonctionnaires, en 2004, devrait être de l'ordre de 1,5 %."
On vous reproche aussi de réduire le nombre de chômeurs indemnisés et le montant des allocations, c'est-à-dire de rendre peut-être plus riches les riches et beaucoup plus pauvres les pauvres.
- "Non. De quoi parlons-nous ? Il s'agit d'aider ceux qui sont en situation de demande d'emploi. Ce que doit la société, c'est un emploi plus que des allocations. L'objectif, pour toute personne, c'est de vivre de son travail et non pas d'allocations. Donc, je ne comprends pas ce débat, cette polémique et cette controverse qui s'ouvrent. Nous sommes dans une logique de transition entre deux emplois ; c'est à cela que sert l'indemnisation du chômage. Je veux ajouter que le système français d'indemnisation du chômage reste l'un des plus favorables d'Europe, vous m'entendez bien : l'un des plus favorables d'Europe. Il faut quand même dire aux Français qu'un chômeur français bénéficie de deux à trois ans d'indemnisation des Assedic et de deux ans d'allocations de solidarité spécifiques."
Vous voulez dire que c'est trop ?
- "Non. Je dis que c'est déjà un effort collectif très important. Et encore une fois, ce que j'ajoute et ce que je revendique : ce que la société doit, c'est la chance de retrouver un travail, plutôt que de retenir par l'assistance des personnes privées d'emploi dans l'indemnisation, alors que ce qui compte, pour leur dignité, c'est d'avoir la chance de retrouver du travail."
Vous voulez dire que vous aiderez des entreprises, en baissant des charges ?
- "Voilà la politique qui est menée : alléger des charges pour que l'emploi soit le moins coûteux possible. C'est le plus sûr moyen de voir, en effet, les entreprises recruter."
Je vois que les agences de presse retiennent que vous avez dit que vous croyez à une croissance de 1,7. Mais vous pensez que cela peut aller au-delà, si j'ai bien compris ?
- "Je suis confiant. J'ai simplement dit que la loi de finances pour 2004 prévoyait un taux de croissance de 1,7 et que c'est un chiffre officiel. Et puis, les corrections se feront en fonction de ce que disent officiellement les instituts. Je n'ai pas fait d'autres annonces que ça."
Aux entreprises, vous dites : "Allez-y !" ?
- "Allez-y, investissez, c'est le moment ! Aux ménages : consommez, c'est le moment ! Achetez votre logement, c'est le moment !
Il y a les soldes !
- "Allez-y, croyez dans l'avenir ! L'avenir de la France dépend [inaud.] de vous."
Mais n'y a-t-il pas une entrave : le rapport entre l'euro et le dollar qui inquiète ? est-ce qu'un euro trop costaud ne va pas menacer votre précieuse et belle et bleue croissance ?
- "C'est vrai que des mouvements brutaux de taux de change sont mauvais pour tout le monde, mais il faut se garder de tout catastrophisme en la matière. Rappelons que 60 % de notre commerce se fait au sein de la zone euro, qu'au-delà du prix, l'atout de nos produits, c'est leur qualité, c'est le dynamisme de nos marchés. La baisse du dollar fait baisser le prix de nos importations - je pense en particulier au pétrole -, et naturellement, ralentir l'inflation, ce qui est favorable."
Mais à partir d'un certain seuil, on entre peut-être dans une zone de danger ?
- "C'est une question qui doit être abordée de manière coordonnée, notamment au niveau de l'Eurogroupe, c'est-à-dire le groupe des ministres des Finances de la zone euro, en concertation avec la BCE, avec nos partenaires du G7. Sachez en tout cas que les déclarations récentes des ministres des Finances de la zone euro et de la BCE montrent que nous sommes vigilants en Europe sur cette question."
Je vous ai entendu dire que gouverner, c'est voir plus loin que le bout de l'année. En 2005, est-ce que vous êtes sûr de continuer à baisser l'impôt sur le revenu ?
- "S'agissant de la baisse d'impôt - il faut d'abord être jugé sur ses actes -, nous l'avons fait. Notre priorité, c'est de continuer à dégager des marges de manoeuvre pour continuer la baisse des prélèvements. Il nous faut maîtriser la dépense, parce que c'est la maîtrise et la stabilisation de la dépense qui nous permet de financer les baisses d'impôts."
Il y aura une pause ou pas ? C'est la question que vont se poser beaucoup de gens en 2005...
- "Il n'y a pas de raison qu'il y ait de pause. Notre objectif consiste à réduire les prélèvements dans notre pays."
Pour 2004, votre Gouvernement avait prévu 4 milliard d'euro de privatisation ; vous maintenez ce chiffre ?
- "Je vous confirme ce chiffre, il a été inscrit dans la loi de Finances pour 2004."
Vous les trouverez où ?
- "La liste des opérations potentielles est assez connue de tout le monde, mais il n'est pas d'usage de l'annoncer. Ce sont des décisions qui s'apprécient en fonction de l'état des marchés et du niveau de préparation des entreprises concernées."
Dans votre bureau de Bercy, vous allez commencer la ronde des ministres. Je crois que vous allez leur demander, à tour de rôle, de venir vous voir, de discuter. D'après ce que j'ai vu, vous leur avez écrit pour qu'ils vous envoient une note vers le 16 janvier. Vous leur demandez des économies ? A qui ? Donnez-moi des exemples.
- "Vous savez, je suis les instructions du président de la République. Le président de la République a dit au Gouvernement hier : "Soyez attachés aux résultats". Je demande à mes collègues ministres de ne pas me parler que des moyens. Ce que les Français attendent, ce sont les résultats pour eux..."
Exemple ?
- "Ce qui compte, c'est que nous fassions aussi bien, voire mieux, en stabilisant les dépenses dans notre pays."
C'est-à-dire que l'on peut maîtriser les dépenses ? Mais on ne l'a jamais fait, ça !
- "Eh bien, écoutez, on le fait cette année ! En 2003, ce sera la première fois dans l'histoire, depuis bien longtemps, qu'en période de ralentissement économique, on n'aura pas dépensé un euro de plus que ce qui aura été autorisé par le Parlement - et je m'honore de l'avoir fait."
Oui, mais la gauche dit que vous allez agir au détriment de l'éducation, de la culture, des aides sociales...
- "Mais nous revendiquons de mieux gouverner que la gauche !"
Argument facile !
- "Ce que nous voulons dire, c'est que nous pouvons aussi bien servir les Français, maintenir les services publics, assurer une action sociale de grande qualité, tout en stabilisant les dépenses."
Le président de la République met la pression sur vous tous, au Gouvernement. Il ordonne que 2004 soit une "année de résultats". Pour vous, que seraient les meilleurs résultats de 2004 ?
- "Stabiliser les dépenses, réduire les déficits, soutenir l'emploi. C'est ainsi que l'on fera réussir la France."
Et sans être indiscret, est-ce que vous aimeriez présenter vous-même le budget 2005-2006, dans un an ?
- "Je suis à la disposition des autorités de la République..."
Qu'est-ce que cela veut dire ?
- "Cela veut dire que servir son pays, c'est le servir là où on est le plus utile."
Mais c'est dur ?
- "C'est dur mais c'est passionnant. Et, en même temps, je vais vous dire que pour moi, la politique, c'est un très bel engagement. C'est faire ce que l'on croit du meilleur de soi-même."
Mais à condition que cela ne dure pas trop ?
- "Non, je crois encore une fois qu'il faut dire aux Français ce que l'on pense très sincèrement, et leur dire que ce qu'on leur dit n'est pas ce qu'ils attendent obligatoirement, mais ce qui est le meilleur pour eux."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 janvier 2004)