Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à "RTL" le 7 septembre 2004, sur la stratégie gouvernementale en vue d'obtenir la libération des deux otages française en Irak, et sur les désaccords internes au Front National.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- J.-M. Aphatie : J.-M. Le Pen bonjour... Etiez-vous auditeur hier soir du débat Raffarin/Hollande sur RTL ?
R- J.-M. Le Pen : Non, j'étais occupé malheureusement.
Q-Vous aviez autre chose à faire...
R- Mais je le lirai dans la presse...
Q-Plus grave : C. Chesnot et G. Malbrunot sont toujours retenus en otages quelque part en Irak. C'est leur dix-neuvième jour de détention. Quel jugement portez-vous sur la manière dont le gouvernement français tente de les libérer ?
R- Je crois que le gouvernement français fait ce qu'il peut.
Q-Le fait-il bien ?
R-... et il ne peut pas grand chose je crois. Il se dévoue beaucoup pour essayer de régler cette affaire de façon pacifique, mais les terroristes ont intérêt à faire durer le plaisir, si j'ose dire, puisqu'ils bénéficient d'une couverture médiatique exceptionnelle. On ne voit pas pourquoi ils seraient tentés, à moins de recevoir un pactole, de faire cesser cet avantage qu'ils ont.
Q-Pourquoi dites-vous qu'il ne peut pas grand chose ? Vous ne croyez pas à la diplomatie, aux prises de parole des responsables des pays arabes ?
R- Je crois que ces groupements terroristes sont tout à fait indépendants, ou en tout cas très indépendants et assez insensibles, me semble t-il, aux pressions internationales.
Q-Durant cette crise, on a noté la tonalité des discours des représentants de la communauté musulmane en France, des discours républicains. Comment avez-vous reçu ces prises de parole des différents responsables de la communauté musulmane française ?
R- Il faut dire que cela a été vraiment une occasion pour l'organisation créée par Monsieur Sarkozy de se mettre en vedette. Ses représentants, ce qui est tout de même assez normal, se sont déclarés solidaires de l'unanimité de la classe politique française. Cela ne me paraît pas étonnant, si vous voulez, mais je crois que cela les a objectivement valorisés. A condition bien sûr que leurs démarches et celles de leurs associés, si j'ose dire, celles du Gouvernement, réussissent. Il pourrait en être tout à fait autrement si malheureusement une autre solution intervenait.
Q-On a pu noter, à partir des discours que j'évoquais, quelque chose qui ressemble à une intégration, des gens qui disent leur attachement à la République. Cela fait du bien d'entendre ça non ?
R- Tout cela est excellent. Moi ça ne me gêne pas du tout, au contraire. Mais faut-il encore que ces gens-là aient une représentativité réelle ? Or, on fait représenter la communauté, si j'ose dire, immigrée, d'origine musulmane, par des autorités religieuses. Cela me paraît, dans un pays laïque, assez discutable.
Q-Et en tout cas, le Conseil Français du Culte Musulman montre là aussi son utilité, non ?
R- Oui, mais encore une fois, la République laïque a confié à un organisme religieux le soin de représenter ses citoyens qui, de près ou de loin, se rattachent à ses origines.
Q-Et dans tous ces discours entendus, avez-vous été surpris ? Par exemple quand on entend l'UOIF qui dit qu'une fois que la loi est votée c'est la loi de la République, c'est la loi de tous les citoyens... Le discours que vous tenez généralement sur les gens qui sont de ces communautés-là est un discours qui ne correspond peut-être pas à ce que, eux-mêmes disent de la République ?
R- Eh bien, j'attends leurs prises de position. Quand ils prennent des positions qui sont défendables, je les approuve. Quand ils prennent des positions indéfendables, je les combats.
Q-Il existe un mauvais climat au Front National. M.-F. Stirbois et J. Bompard sont suspendus de leurs fonctions de "membres du bureau politique". Ce n'est pas fréquent qu'un parti "suspende" de nos jours. C'est un peu passé de mode. Pourquoi ça se passe comme ça chez vous ?
R- Bien sûr que si. Pendant la campagne électorale, l'UMP a exclu des députés qui s'étaient présentés sous d'autres couleurs que son drapeau. C'est assez banal dans la vie des mouvements.
Q-J. Bompard et M.-F. Stirbois n'ont pas été candidats contre le Front National...
R- Non, mais c'est autre chose. Ils ont pris part à des opérations qui se déroulaient en campagne électorale, des opérations qui étaient nuisibles au Front National. Ils ont fait des commentaires, souvent très agressifs contre la direction du Front National, et contribué ainsi à réduire notre influence. Je les accuse personnellement d'être responsables de la perte de quatre ou cinq députés européens, qui ont été battus à quelque 2.000 ou 2.500 voix.
Q-Responsables en quoi ? Par leurs propos, ils ont fait fuir des électeurs ?
R- Absolument. Par leurs déclarations. Le moins qu'on puisse exiger de responsables d'un mouvement politique, c'est qu'ils tirent dans le même sens que le mouvement pendant les campagnes électorales. Par conséquent, cette désunion devait être sanctionnée. Elle l'a été, et je pense qu'elle le sera.
Q-Nous sommes d'accord pour dire que s'ils vous ont fait perdre quatre ou cinq députés, c'est donc qu'ils ont de l'influence...
R- Oui, mais sur 2.000 voix, vous savez, sur 20 millions d'électeurs, c'est négligeable, c'est 0,1 %. Mais c'est vrai que ça crée un certain trouble ! Quand des gens font des déclarations hostiles au mouvement dans lequel ils sont eux-mêmes insérés, eh bien évidemment ça a des conséquences !
Q-Suspendus aujourd'hui, exclus demain du Front National ?
R- Je ne sais pas. Cela va dépendre de la session du bureau exécutif devant lequel ils se présentent, du moins si j'en crois leurs déclarations.
Q-Ce sera le 16 septembre.
R- Oui, c'est ça.
Q-Vous n'excluez pas leur exclusion, si je puis dire...
R- Non, bien sûr que non. Je pense que c'est un manquement grave à la nécessaire discipline d'un mouvement politique. Ils doivent être sanctionnés.
Q-J. Bompard a dit : "Poser la question de la succession de J.-M. Le Pen n'est pas un crime". Vous confirmez ? C'est un crime ?
R- En effet, on peut faire cela. Le faire dans des termes grossiers et agressifs, c'est peut-être plus discutable.
Q-Dans une interview à l'hebdomadaire Minute la semaine dernière, vous avez dit : "Tous ces gens d'extrême droite ne m'ont jamais aimé". Qui visiez-vous ?
R- Ce n'est un secret pour aucun politologue. Il a toujours existé sur la droite du Front National une formation qu'il a combattue. Cela a été Ordre Nouveau, le PFN, puis ensuite Mégret, avec d'ailleurs toujours l'appui des gouvernements en place.
Q-Mais il y a encore aujourd'hui des gens d'extrême droite au Front National ?
R- Sans doute. La vocation du Front National, c'est de réunir tous les patriotes français, quelle que soit leur origine politique, religieuse, raciale ou autre. Par conséquent, il est bien évident que le Front National est représentatif de la société française. Mais quand ces gens, selon une pente qui est malheureusement habituelle dans cette formation, dans cette couche de la population, ont une tendance à l'anarchisme, à la contestation permanente, eh bien je crois qu'il faut que les rassembleurs que nous sommes fassent leur travail et maintiennent l'unité du mouvement.
Q-Vous allez remettre de l'ordre J.-M. Le Pen...
R- Il en faut, bien sûr.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2004)