Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
La France a apporté son soutien à ce que l'on a appelé l'élargissement de l'OTAN aux nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, avant tout parce qu'il correspondait aux vux très clairs exprimés par les peuples de ces pays. Il y a sur ce point consensus politique profond, même dans les cas où les majorités politiques ont changé. Dans ces trois pays, les partis libéraux, conservateurs, les partis de centre gauche, et jusqu'aux partis socialistes issus de la mutation des anciens partis communistes, sont favorables à l'adhésion à l'OTAN. Les responsables gouvernementaux de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque ont, dans la diversité de leurs coalitions parlementaires, marqué une détermination qui résulte de l'analyse qu'ils font de leur sécurité au sortir de 40 années de souveraineté politique limitée. Imprégnés comme nous le sommes d'une volonté tenace et ancienne d'autonomie dans nos choix stratégiques, nous Français sommes, je crois, bien placés pour rencontrer leur préoccupation de choisir librement le support de leur sécurité à long terme.
Nous ne saurions donc ignorer, au contraire nous devons encourager et accompagner ce mouvement. Le soutien des autres pays européens n'a d'ailleurs pas été mesuré, et le vote très largement positif du Sénat français, le 20 mai, a été perçu à Varsovie, à Prague et Budapest comme la confirmation de ce que la démocratie française comprenait et appuyait ces aspirations.
L'adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque à l'Alliance atlantique doit s'inscrire cependant dans un processus plus large d'intégration des nouvelles démocraties du centre de l'Europe dans les institutions politiques et de sécurité européennes et euro-atlantiques.
Nous entendons promouvoir un mouvement global de recomposition de l'Europe politique. Pour notre pays, ce premier élargissement est la première étape d'un processus ouvert, d'une démarche de long terme au service de la stabilité régionale sur le continent.
C'est là un aspect essentiel aux yeux du Gouvernement : l'élargissement est souhaité, il est nécessaire, il doit aussi se poursuivre.
Je note avec satisfaction qu'à Washington, où pourtant de vives réticences s'étaient élevées contre l'élargissement, l'amendement proposé au Sénat américain lors du débat de ratification, qui visait à instituer un moratoire de trois ans avant toute nouvelle adhésion à l'alliance, a été clairement repoussé. Mais ces débats ne font que commencer. Ils seront au cur de la préparation du cinquantenaire du Traité de Washington qui créa l'OTAN en 1949 et sera célébré aux Etats-Unis par tous les Alliés lors du nouveau sommet de l'alliance en avril prochain.
L'autorisation de ratification qui vous est demandée représente donc un signal pour l'avenir, pour les démocraties qui comptent sur notre soutien, pour l'avènement d'un espace européen sans fracture géopolitique ni militaire.
Dans cet esprit, le processus d'élargissement de l'Organisation atlantique est d'ailleurs indissociable d'une recomposition plus générale nettement soutenue par la France, des relations de l'Alliance avec son environnement. Cette recomposition comprend notamment trois points d'appui :
- la définition d'une relation de coopération et de partenariat nouvelle avec la Russie, matérialisée par l'Acte fondateur signé à Paris en mai 1997, dont la France a été l'un des principaux artisans, avec l'Allemagne et les Etats-Unis ; la participation de la Russie à une gestion commune des questions de sécurité européenne participe de la démarche globale souhaitée par notre pays ;
- la mise en place d'une relation spécifique entre l'Alliance et l'Ukraine, avec la signature d'une charte qui situe l'Ukraine parmi les pays avec lesquels l'OTAN entretient une coopération particulière ; elle manifeste le soutien des Alliés à sa pleine souveraineté et la prise en compte de son rôle dans la sécurité européenne ;
- l'établissement de relations de coopération renforcée avec l'ensemble des pays européens intéressés par le développement de tels liens avec les Alliés ; ce renforcement relève des programmes du Partenariat pour la Paix dans lesquels la France est de plus en plus impliquée, et des réunions régulières du Conseil du Partenariat euro-atlantique.
La Russie a fait valoir, vous le savez, ses réticences et ses réserves à l'égard de l'entrée de nos trois nouveaux partenaires dans l'alliance. La signature puis la mise en uvre de l'Acte fondateur, mais aussi l'engagement conjoint des occidentaux et de la Russie en Bosnie, ont pourtant démontré de manière très concrète que l'élargissement allait de pair avec la définition d'un partenariat stratégique entre l'Alliance et la Russie, impensable il y a encore peu de temps.
Je procéderai, après-demain, avec mon collègue russe le Maréchal Sergueiev, à un premier bilan de l'application de ce document, à l'occasion de la réunion du Conseil conjoint au niveau ministériel que nous co-présiderons à Bruxelles. Notre appréciation du partenariat OTAN-Russie est largement positive. Des réunions régulières ont désormais lieu chaque mois au niveau des ambassadeurs et des représentants militaires, la Russie ayant désigné depuis l'automne un officier général de haut niveau pour la représenter au Comité militaire. Un nombre important de groupes de travail conjoints ont été mis en place dans les domaines des plans civils d'urgence, du maintien de la paix, de la prolifération, des questions nucléaires. C'est en particulier sur la Bosnie, le maintien de la paix et le dialogue stratégique qu'ont été enregistrés les développements les plus satisfaisants.
L'extension du nombre des membres de l'Alliance ne doit pas être perçue comme aboutissant à créer au cur de l'Europe de nouvelles fractures. C'est pourquoi la France a défendu et continuera de défendre le principe d'un processus graduel, continu, s'agissant des élargissements.
A l'issue d'un débat parfois difficile, vous vous en souvenez, la France a obtenu que la déclaration du Sommet de Madrid, en juillet 1997, mentionne non seulement le principe de la poursuite de l'élargissement, mais aussi qu'elle cite expressément ceux des pays qui paraissent plus particulièrement concernés. Tel est le cas, vous le savez, de la Roumanie et de la Slovénie. Les termes de ce compromis doivent être respectés ; le Président de la République et le gouvernement continueront à uvrer résolument en ce sens.
Notre intérêt pour les relations avec les nouvelles démocraties d'Europe centrale n'est, vous le savez bien, ni soudain, ni seulement de principe. Avec ses amis polonais, hongrois et tchèques, la France entretient des relations privilégiées dans le domaine de la coopération de défense, et cela depuis 1991. Nous avons signé des accords intergouvernementaux de coopération. Nous accompagnerons la mise à niveau de leurs systèmes de défense et l'adaptation de leurs moyens aux normes occidentales, par des conseils et une assistance militaire et technique, doublée d'un dialogue de type stratégique fréquent et à haut niveau.
Le Gouvernement a récemment décidé d'intensifier nos actions dans ces domaines, tant bilatérales que sous l'égide du Partenariat pour la Paix. Familiarisation avec les consultations politiques et militaires de l'OTAN, adaptation des infrastructures, formation des hommes, restructuration des forces, coopération technologique et en matière d'armement constituent la trame d'échanges multiples, auxquels il nous appartient de donner tout leur essor et envers lesquels les trois pays partenaires démontrent un intérêt soutenu.
Dans le même temps, la France souhaite que la présence de ces trois pays autour de la table du Conseil atlantique renforce l'identité européenne de défense.
Là aussi, les choses ont changé depuis deux ou trois ans. Certes, pas autant, ni aussi loin que nous le souhaitions, et c'est pourquoi les autorités françaises, le Président de la République et le Gouvernement ont confirmé l'an dernier que, tout en développant des relations constructives avec l'OTAN, en accroissant même notre participation aux activités militaires, nous ne souhaitions pas entrer dans le commandement intégré tel qu'il était défini ; position largement partagée, je le sais, sur les bancs de votre Assemblée.
En tout état de cause, la position de la France vis-à-vis de l'organisation atlantique associe le renforcement des solidarités et le maintien de notre autonomie stratégique. Cette ambition, nous l'avons pour nous. Nous la souhaitons pour l'Europe et, enfin, pour la pérennité de la relation transatlantique. Les Européens, à l'OTAN comme ailleurs, ont encore dans les grands débats des positions contrastées, qui reflètent le fait qu'en matière de défense et de sécurité, la construction européenne reste lente et est encore inachevée.
Mais le poids de l'Europe dans l'Alliance se marque peu à peu, par la mise en place d'un cadre de principes et de mécanismes énoncés notamment dans les déclarations des Sommets de Bruxelles en 1994 et de Madrid en 1997, qui doivent une large part aux initiatives françaises. Les Européens doivent peser ensemble dans les délibérations politiques, comme celles qui vont concerner la révision du concept stratégique de l'OTAN ; dans les opérations réelles comme en Bosnie, où ils fournissent la majorité des forces déployées sur le terrain ; dans les activités et structures militaires - même si là, je l'ai dit, nous estimons leur influence encore insuffisante.
Dès lors, nous souhaitons qu'en matière d'identité européenne, les nouveaux pays adhérents participent progressivement aux forces multinationales européennes, s'engagent dans des opérations communes, investissent dans le domaine des équipements dans une perspective européenne. Nous les encourageons d'autant plus à traduire concrètement cet engagement, qu'ils sont par ailleurs lancés dans des négociations avec l'Union Européenne elle-même.
Ces trois pays amis se prépareront ainsi à exercer des responsabilités à hauteur de leur nouvelle place en Europe. Leur participation doit être une occasion non de dilution, mais de dynamisation, de renouvellement et, finalement, d'accroissement du poids relatif des Européens dans l'Organisation atlantique.
La France prendra, bien entendu, toute sa part dans la prise en compte des conséquences de l'élargissement. J'ai déjà évoqué l'intensification de la coopération entre nos systèmes de défense. Les besoins financiers résultant de l'intégration de ces pays ne seront pas considérables. Ils ont été évalués à 7,6 milliards de francs étalés sur dix ans pour les budgets d'investissement, soit un total, toujours sur dix ans, de près de 9 milliards si l'on ajoute les frais de fonctionnement. Ces ordres de grandeur sont raisonnables ; ils sont acceptés par tous les Alliés, et ne font plus débat au Congrès américain où des chiffres très supérieurs avaient été évoqués.
Ils sont aussi réalistes, puisqu'ils résultent d'une évaluation précise et objective des besoins menée par les services de l'Alliance en terme de grandes fonctions opérationnelles. Ces coûts pourront être absorbés par redéploiement des dépenses, conformément à l'orientation adoptée très tôt par les principaux dirigeants européens, en particulier français et allemands, dans ce domaine. Notre contribution n'en sera pas significativement alourdie.
Les pays nouveaux adhérents ont, pour leur part, commencé la réorganisation et un certain rétablissement de leur effort de défense soutenus par une reprise économique dont il convient de leur reconnaître le mérite. La mise à niveau des standards, l'interopérabilité des équipements et des procédures sont prioritaires. Un renouvellement progressif de leurs équipements militaires sera effectué. Mais les niveaux d'investissement de défense de ces pays en cohérence avec leur projet économique restent modérés ; on peut les évaluer bien au-dessous de 10 % du montant total des acquisitions de défense de toute l'Europe pour les décennies à venir ; et il ne s'agit pas de marchés qui seraient réservés aux seuls Etats-Unis.
Dans plusieurs cas, notamment en Pologne et en Hongrie, des entreprises françaises ont su marquer des points, et avec des moyens bien plus modestes que ceux de leurs homologues américaines. Il nous appartient, collectivement, d'avancer des propositions européennes réalistes, de mettre l'accent sur la coopération. Ces pays ne doivent pas manquer le train de la constitution d'une industrie européenne de défense. Nous devons les y aider.
Ces efforts sont un peu notre défi permanent dans l'Alliance, et la condition même du rééquilibrage entre Européens et Américains que la France appelle de ses vux.
Pour le Gouvernement, plus encore qu'elle ne clôt une ère révolue, l'adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque à l'Alliance ouvre un nouveau temps dans l'organisation de la sécurité européenne. Le processus d'élargissement, dans notre esprit, doit franchir une nouvelle étape au Sommet de Washington l'an prochain, en adoptant une démarche claire en particulier pour la Roumanie et la Slovénie. Il s'agit de stabiliser le flanc sud de l'Alliance, d'asseoir la sécurité du sud-est de l'Europe, de renforcer la cohérence géopolitique de l'ensemble européen.
Le débat sur la révision du concept stratégique de l'OTAN, qui doit être adopté en avril 1999 au Sommet de Washington, servira de catalyseur à ces réflexions. Il doit permettre d'aborder la définition de la place de l'OTAN dans la sécurité européenne, l'évolution des missions de l'organisation, l'ampleur que nous donnerons à sa stratégie d'ouverture et de coopération en matière de sécurité. La France participe dès maintenant activement avec ses alliés aux premiers travaux de réflexion sur ce concept, qui ne sont pas sans lien, vous le voyez, avec le mouvement d'élargissement. Le Gouvernement informera régulièrement vos commissions de l'avancement des réflexions et négociations dans ce domaine politique essentiel.
Au coeur de nos objectifs figurera l'affirmation de l'identité européenne de défense aussi bien au sein de l'organisation atlantique que dans le cadre de l'Union européenne. Elargissement de l'Alliance et élargissement de l'Union sont appelés à se conforter mutuellement pour dessiner les traits du nouveau paysage de la sécurité en Europe. De même, la solidarité collective au sein de l'Alliance et l'affirmation progressive de la politique de défense commune européenne constituent pour les nouveaux adhérents l'horizon commun de leurs politiques de défense.
Nos amis de Pologne, de République tchèque, de Hongrie attendent de la représentation nationale ici, en France, un signal clair, un geste fort de solidarité et d'engagement. C'est dans cet esprit et au service de la démarche d'ensemble que j'ai rappelée et qui doit nous permettre de tourner définitivement la page du partage de Yalta, que le gouvernement recommande à votre assemblée d'autoriser la ratification du projet de loi qui vous est soumis.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 19 septembre 2001)