Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, à Radio Classique le 16 janvier 2004, sur la manifestation contre le projet de loi sur l'interdiction des signes religieux ostensibles et sur sa candidature aux élections régionales comme représentant de l'UMP.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio Classique

Texte intégral

H. Lauret-. Demain, le Parti des musulmans de France, organise une manifestation contre votre projet de loi sur la laïcité, certains disent votre loi contre le voile islamique. Les pro-voiles, seront dans la rue, je ne sais pas combien ils seront, peut-être seront-ils nombreux. Mais, ma première question, ce matin, est : cette loi, au fond, n'est-elle pas une erreur voire une faute, comme certains le craignent, parce qu'ils disent, par exemple, qu'elle engendrera plus de problèmes qu'elle ne réglera de questions. Deuxièmement, pourquoi ne dénoncez-vous pas l'activisme de ceux qui organisent cette manifestation, et pour lesquels cette manifestation précisément est un prétexte à la communautarisation des musulmans de France ?
J.F.COPE.- "Prenons les choses dans l'ordre. D'abord, la loi elle-même : je voudrais, ici, vous dire très clairement, que nous allons faire un très grand travail d'explication et que nous ne laisserons pas se dérouler, ici et là, toutes les tentatives de désinformation. Cette loi n'est pas une loi qui a pour vocation d'opposer les "pour" et les "anti-voile", ce n'est pas cela le sujet. Nous avons jugé utile, comme nous le faisons depuis 18 mois, de prendre à bras-le-corps tous les problèmes que la société française subit sans que jusqu'à présent le courage politique n'ait conduit à les assumer. Et vous l'avez vu, sur tous les sujets - économiques, politiques, vous les avez vu sur les questions de sécurité -, il se pose, aujourd'hui clairement un problème quant à savoir ce que doit être l'interprétation moderne de la laïcité."
H. Lauret-. Fallait-il une loi pour cela ?
J.F.COPE - "Justement. Il est des moments où il nous semble bien, aux uns et aux autres - et cela a été la conclusion du président de la République, à la suite des conclusions du rapport Stasi - que, finalement, on a toujours deux manières de voir un problème. Il y a ceux qui disent : "c'est pas grave, quelques voiles ici ou là" ; "n'exacerbons pas" ; "ne mettons pas en avant"... Et puis il y a les autres, qui pensent, comme je le pense moi-même - et je le tire de mon expérience d'élu local à Meaux, dans une ville qui a pour deuxième communauté religieuse la communauté musulmane -, que l'on doit mettre en exergue les risques de dérive communautaristes, et tout ce qui peut porter atteinte à un principe essentiel. La laïcité, monsieur Lauret, ça n'est pas, comme certains le pensent, la négation de la religion. La laïcité, c'est la liberté pour chacun d'exercer son culte en conscience, dans le respect de celui des autres. C'est-à-dire sans subit de contrainte."
H. Lauret-. Même l'Eglise catholique redoute, précisément que cette loi ne soit en définitive qu'un moyen supplémentaire de lutter contre la religion et notamment, les deux principales confessions de France.
J.F.COPE - "Non, monsieur Lauret, il ne s'agit, là encore, de lutter contre personne d'autre que ceux qui sont porteurs de toutes les formes d'intégrisme, en réalité, car c'est bien cela le sujet. La laïcité, je le redis ici, c'est la liberté d'exercer librement son culte dans le respect de celui des autres, c'est-à-dire, en fait, sans que quiconque de nos concitoyens soit victime de pressions, de contraintes. C'est bien cela qui est en jeu. Pourquoi le président de la République a-t-il retenu cette idée, et pourquoi travaillons-nous, aujourd'hui, sur un texte qui prévoit la formule de "signes et tenues qui manifestement ostensiblement l'appartenance religieuse", et ce, dans les lieux spécifiques que sont l'école publique : l'école primaire, les collèges ou le lycée ? C'est tout simplement, parce que..."
H. Lauret-. Et les cours d'écoles.
J.F.COPE - "Oui, c'est parce que, dans notre esprit, ce qui est derrière cela, c'est - comment vous dire ? - l'idée que la République ne peut pas tolérer les atteintes aux grandes libertés fondamentales, dont celui du respect dans l'exercice de la religion."
H. Lauret-. Comment fera-t-on lorsque cette liberté ne sera pas respectée ?
J.F.COPE - "Eh bien, voilà pourquoi nous faisons une loi qui permet de rappeler les choses. Comme nous avions, il y a quelques mois, exprimé notre indignation lorsque certains avaient jugé utile de siffler la Marseillaise ou de piétiner le drapeau tricolore. Ce sont finalement les mêmes valeurs, d'une même société. Et quant à la manifestation, puisque vous en parliez tout à l'heure et que vous m'interrogiez sur ce sujet, il va de soi que nous voyons tous très bien que certains peuvent être tentés, sont tentés, de radicaliser les choses, de déformer la réalité."
H. Lauret-. Ce Parti des musulmans de France est typiquement son fonds de commerce à l'heure actuelle.
J.F.COPE - "Voilà pourquoi nous avons clairement l'intention de dire les choses et de poursuivre dans la démarche qui est la nôtre. La laïcité, c'est un élément essentiel pour protéger les citoyens français, quel que soit leur culte et quel que soit leur sexe. Parce que vous avez bien vu, aussi, que derrière tout cela, notre démarche consiste à protéger et à protéger en particulier les femmes. On ne dira jamais assez ce que certains de nos concitoyens vivent au quotidien, dans l'indifférence générale ! Quand des jeunes filles ou des jeunes femmes expriment, parfois de force, leur refus de se faire soigner par des médecins hommes, lorsqu'il est des jeunes filles qui demandent ou font demander par d'autres, leurs soit-disant proches, des créneaux spécifiques pour les piscines à l'école, ou pour les activités physiques et sportives, où est la République ?"
H. Lauret-. Mais faut-il, une fois de plus, faire une loi, faut-il légiférer pour faire fonctionner cette société qui est la nôtre ?
J.F.COPE - "Il est sans doute des domaines où la loi n'est pas forcément la meilleure des formules. Vous l'avez vu, par exemple, dans un tout autre sujet, avec la sécurité routière, où nous avons démontré l'efficacité de l'Etat sans avoir besoin de loi. Mais là, nous allons, bien sûr, dans une démarche tout à fait différente, qui est la démarche politique, au sens noble du terme. La loi, c'est l'outil suprême après la Constitution dans notre droit, et nous sommes un pays de droit. Lorsque des principes sont bafoués, lorsque certains comportements au quotidien s'apparentent à des dérives, qui menacent profondément certains de nos concitoyens dans leur intimité, nous ne pouvons pas accepter cela. Et c'est pour cela que le président de la République a considéré qu'il fallait, dans un contexte comme celui-là, finalement prendre les problèmes à bras-le-corps, et par la loi, poser et rappeler clairement à tous les grands principes de la République."
H. Lauret-. Vous êtes porte-parole du Gouvernement, tout le monde le sait, mais vous êtes, aussi, tête de liste UMP en Ile-de-France, aux régionales. Dans ce domaine, il y a une chose certaine, c'est qu'A. Santini, le candidat de l'UDF, ne se retirera pas et que l'on s'achemine vers une primaire Santini-Huchon-Copé."
J.F.COPE - "Peut-être... Oui, sûrement, sûrement."
H. Lauret-. Encore que les sondages à l'heure actuelle - je sais ce que vous allez me dire des sondages -, ne vous donnent pas forcément dans la meilleure posture au premier tour face justement à A. Santini. Qu'en pensez-vous ? Quel est votre programme ? Est-il permis de penser que dans les quelques jours qui viennent, vous allez accélérer ? Je sais que vous êtes très actif sur le terrain. Mais pour le moment, on n'a pas l'impression que les choses soient extrêmement bien établies. Il y a des différences surtout, entre le socialiste, J.-P. Huchon, sortant, et le candidat UDF, A. Santini, l'on n'a pas encore bien senti les différences entre vous...
J.F.COPE - "Pourtant, Dieu sait s'il en a quand même quelques-unes entre les uns et les autres. Surtout, même sur les personnalités. Je vais vous dire, je sais qu'on a beaucoup parlé de sondages ces temps-ci, à la suite du sondage qui a été financé par l'UDF. Franchement, les sondages, j'ai eu l'occasion de le dire en toutes circonstances depuis de nombreux mois, je ne les ai jamais commentés. Ni d'ailleurs à la baisse, ni à la hausse, ni dans un sens, ni dans l'autre, et heureusement. J'ai, de ce point de vue, un certain nombre d'idées sur la manière d'être très zen par rapport à tout cela. Notamment, j'ai une référence. J'ai été engagé dans la campagne présidentielle de J. Chirac, en 1995 et en 2002. Dans les deux cas de figure, tous les sondeurs de la place le donnaient battu, et en réalité, vous avez vu ce qu'il en était du résultat. Et ce, pour une raison très simple : si on a besoin d'un sondage pour déterminer qu'on est candidat, c'est que quelque part, on a peut-être quelques interrogations par ailleurs. Pour ce qui me concerne, je fais campagne, naturellement."
H. Lauret-. Parlons de l'emploi en Ile-de-France, de l'économie, parlons, je sais pas moi... de la carte Orange, des transports... Voilà des choses qui sont...
J.F.COPE - "Oui, bien sûr, absolument. Vous savez, là-dessus... Vous disiez tout à l'heure : "Y a-t-il des différences ?", bien sûr qu'il y en a. Je me suis engagé dans cette campagne de la région Ile-de-France, de la région parisienne, avec une idée, finalement, assez simple : cette région, qui est une région extrêmement importante, qui couvre 30 % de la richesse nationale, 11 millions d'habitants, a un problème majeur : elle ne sait pas garder ses habitants. Et savez-vous pourquoi ? Parce que la région parisienne, je peux en témoigner, je suis l'élu d'une ville qui connaît bien les difficultés en région parisienne, sa particularité c'est que c'est une succession de ghettos et de murs qui opposent, qui isolent, qui séparent les habitants."
H. Lauret-. Et vous allez démanteler ça ?!
J.F.COPE - "Et mon objectif, est d'abattre tous ces murs pour construire une seule et même région. Regardez, les transports : il y a un truc de fou en Ile-de-France, il y a une carte Orange avec 26 tarifs différents, huit zones, qui vont de 45 à 132 euros. Ce ne sont pas des murs qui opposent les uns et les autres ! La première mesure que je prendrai, pour justement faire en sorte que les habitants retrouvent une vraie mobilité, et donc une vraie fraternité, qu'il n'y ait pas ce mur-là entre eux, c'est de faire une carte Orange à tarif unique, à 45 euros, au plus bas. Pour que, ce soit par ce biais-là que l'on soit capable de rassembler."
H. Lauret-. Qui financera ?
J.F.COPE - "Le financement, de fait, est assez facile à mettre en oeuvre. C'est quoi ? D'abord, nous allons faire un gain très important sur la réduction de la fraude, ceux qui ne payent pas, en renforçant beaucoup les contrôles. Et nous avons fait des estimations en travaillant là-dessus avec les spécialistes de la RATP et de la SNCF. Et puis, d'autre part, nous allons avoir un accroissement du trafic voyageurs, progressif, de l'ordre de 15 %, à la suite de cette baisse de tarif. Donc, cela va exiger que, dans le même temps, on accélère les investissements réalisés, à la fois, pour rénover complètement, cela on a obtenu - parce qu'on a vraiment mis le forcing - que les crédits soient ouverts pour enfin rénover toutes ces lignes, notamment la ligne RER B, qui est une véritable honte par rapport à la situation d'une région comme la nôtre, en termes d'insécurité, de retards. C'est pour cela que je suis très militant du service minimum."
H. Lauret-. Donc, un tarif à 45 euros, vous vous y engagez ?
J.F.COPE - "Bien entendu, c'est très important. Et j'ajoute à cela une autre réalité, c'est que toutes les propositions que je fais, dans ce domaine-là comme dans les autres, elles ont une particularité : c'est qu'elles sont le produit d'un intense travail de terrain que j'ai fait, à la fois, depuis quatre mois en campagne, j'ai fait près de 70 déplacements, dans tous les secteurs, rencontrant des habitants, des chefs d'entreprise, des policiers, des usagers..."
H. Lauret-. Et vos concurrents, sinon rivaux aussi ?
J.F.COPE - "En tout cas, ce que j'ai constaté, c'est que, pour l'instant, aucun n'avait commencé à le faire, ni monsieur Santini, ni monsieur J.-P. Huchon, pour des raisons assez simples d'ailleurs : dans cette affaire, je suis plutôt le challenger. Quand je regarde les deux autres candidats, MM. Santini, et Huchon, ils sont, l'un et l'autre, finalement, le produit d'un système assez ancien, dans lequel on considérait que : voilà, le raisonnement se fait à l'ancienneté. M. Huchon, par exemple, lui, il avance à l'ancienneté, son objectif c'est de garder son siège, parce qu'il a un engagement vis-à-vis de ses amis, les Verts et les socialistes."
H. Lauret-. Il a un bon bilan J.-P. Huchon.
J.F.COPE - "Vous êtes bien le premier à me le dire, avec lui-même d'ailleurs. Parce que mon sentiment, c'est qu'il n'en a strictement aucun. Nous avons accumulé les retards. Tous les rendez-vous ont été manqués dans le domaine des transports, du logement - la pénurie de logements en Ile-de-France est un véritable scandale -, comme d'ailleurs dans le domaine de la sécurité."
H. Lauret-. Dans ce domaine, Santini, lui, est plutôt bien placé, à Issy-le-Moulineaux.
J.F.COPE - "Oui, c'est vrai, c'est d'ailleurs, peut-être, une des nombreuses différences que nous pouvons avoir. Nous en avons quelques-unes sur nos situations respectives. C'est que M. Santini, pour ce qui le le concerne, a la chance d'être maire d'une ville qui est à toute proximité de Paris, qui a tous les sièges sociaux. Donc, c'est vrai qu'on n'est pas dans la même situation, dans ce cas-là. C'est aussi une des raisons qui explique sa remarquable réussite dans sa ville, que, lorsqu'on est, comme je le suis moi-même, élu depuis 1995, d'une ville, Meaux, et qui a pour particularité, elle, d'être en zone franche sur la moitié du territoire. 27 nationalités, 56 % de logements sociaux, un reflet des difficultés de la région parisienne, et je veux, sur ce point, vous dire que, pour ce qui me concerne, je ne considère pas qu'un bon sondage, qu'on paye, en plus, cela vaut à soi tout seul élément de détermination pour une campagne, sinon, ce ne serait plus la peine de faire des élections. On ferait juste un sondage, et puis, à partir de là tout s'arrêterait. Non, le fond des choses n'est pas là. J'ai beaucoup de choses à dires pour ce qui me concerne aux habitants de la région parisienne, et je suis très engagé pour faire bouger les choses."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 janvier 2004)