Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur les droits des femmes, le projet de loi sur la parité, la terminologie et l'égalité professionnelle, notamment dans les carrières artistiques, Paris le 8 mars 2000.

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Circonstance : Journée internationale des femmes le 8 mars 2000

Texte intégral

Bonjour,
J'ai souhaité vous réunir ici, dans le grand salon du ministère de la culture et de la communication, à l'occasion de la journée internationale des femmes et je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation.
Vous êtes femmes et vous êtes jeunes.
Femmes, cela va de soi puisque cette journée vous est dédiée.
Jeunes, parce qu'en cette année 2000, symbole de passage et d'ouverture, vous êtes les représentantes d'une génération qui construira, pour le meilleur je l'espère, notre futur.
Jeunes, vous n'avez pas connu les rudes combats de vos aînées. Le droit de vote, la contraception, la législation de l'avortement, font sans doute pour vous partie d'un héritage évident.
Cette journée du 8 mars est là pour vous rappeler que ces luttes essentielles ne sont pas si lointaines et que leurs acquis sont encore fragiles. En France même, la liberté des femmes continue de faire grincer quelques dents.
Ces combats ne sont pas si lointains et pourtant vous vous impatientez, à juste titre, des étapes futures.
Pourquoi tant d'atermoiements sur la parité en politique, pourquoi encore tant d'inégalités face à l'avenir professionnel ? Pourquoi, à métier égal, le travail de la femme reste-t-il moins bien rémunéré que celui de l'homme ?
Au delà de ces questions, je perçois et, pourquoi ne pas le dire, je partage, un certain agacement. Pourquoi faut-il pour les femmes toujours se défendre, se justifier, prouver plus que les hommes ? Quand donc ce problème homme/femme sera-t-il enfin dépassé, pour ne plus figurer que dans les manuels d'histoire ?
L'impatience et l'exaspération existent. Il serait cependant dangereux qu'elles nous conduisent à déserter les combats immédiats qu'il reste à gagner.
En ce début de semaine, la presse s'est fait largement l'écho des enquêtes faisant apparaître les inégalités criantes qui continuent d'exister dans le domaine professionnel.
Vous suivez comme moi la difficile avancée du projet de loi sur la parité qui se heurte à la mauvaise volonté évidente du Sénat. Sur ce sujet, je ne partage pas la position maximaliste de certaines femmes qui considèrent que la loi ne serait d'aucun secours en la matière. Pour les droits des femmes, comme pour ceux des travailleurs, l'histoire, en tout cas celle de la France, nous apprend que la loi a été un indispensable instrument de progrès.
Dans un registre plus symbolique, j'ai pu mesurer la résistance à la féminisation des noms de fonction. Personne ne songerait à s'offusquer que l'on dise une secrétaire alors qu'il y a à peine cent ans, ce mot était exclusivement du genre masculin.
Mais que l'on puisse dire une ministre continue de choquer, y compris des femmes appelées à occuper de très hautes fonctions.
A la réflexion, ce combat pour la terminologie est beaucoup moins anodin qu'il n'y paraît. Il reflète à merveille, si je puis dire, les formidables résistances liées aux schémas culturels hérités du passé. Le féminin, oui, mais pas n'importe où, ni pour n'importe quoi. La beauté, la distinction, l'élégance, oui, mais au mot pouvoir, l'article défini change et devient le pouvoir.
C'est cette distinction spontanée des genres que nous devons refuser. Et c'est aussi pour cette raison que nous devons, sans complexe, investir l'ensemble de la sphère sociale et culturelle.
Justement, vous êtes jeunes et vous faites vos premiers pas dans des carrières culturelles et artistiques. Pourtant comme dans l'ensemble de la vie sociale, les femmes ont longtemps dû se contenter d'un rôle d'accompagnement dans le monde artistique.
Le théâtre, la danse, le chant nous ont certes assez vite ouvert une place, mais si longtemps accompagnée d'une réputation sulfureuse, de l'image de la courtisane.
Dans l'atelier du peintre ou du sculpteur, la femme était plus souvent modèle qu'artiste. Dans le monde littéraire, elle était au mieux la muse ou l'égérie qui tenait salon.
Dans la presse, il fallait aux femmes, pour être publiées, le masque d'un pseudonyme masculin.
Les choses ont bien changé mais ces avancées ne dureront que si les vocations sont nombreuses. Votre présence grandissante dans les écoles qui forment aux professions artistiques est un gage d'avenir. C'est pour vous assurer du soutien des structures du ministère dans leur ensemble, et du mien plus particulièrement, que j'ai souhaité vous recevoir aujourd'hui.
Dans les carrières auxquelles vous vous préparez, le chemin ne sera pas facile. Les carrières culturelles ou artistiques ne sont jamais simples, il est vrai. La création expose ses auteurs, tant il est difficile de faire la part entre l'uvre et l'artiste.
Mais elle est encore moins aisée pour une femme, car vous devrez prouver, de surcroît, que votre succès n'est dû qu'à votre talent. C'est pour cette raison aussi que j'ai tenu à vous encourager tout particulièrement.
Je ne pourrai citer toutes les écoles que vous représentez ici. Dix préparent aux métiers de la scène dans toutes leurs disciplines. Dix autres préparent aux arts plastiques, et cinq aux métiers de la communication. Treize feront de vous des architectes. Il faut y ajouter le cinéma, et deux écoles plus tournées vers le patrimoine, son histoire et sa conservation.
Je tiens à vous remercier toutes pour votre vocation, pour votre engagement et le talent que vous mettrez à le défendre.
Je tiens également à saluer Laetitia Casta. J'ai souhaité sa présence aujourd'hui, 8 mars, non pas seulement parce que les maires de France l'ont choisie pour représenter la Marianne du 21ème siècle, mais parce qu'elle possède à mes yeux un trait de caractère essentiel : la volonté d'une jeune femme de ne pas se cantonner au rôle unique qu'on lui avait un peu vite assigné. Merci, chère Laetitia, d'être avec nous et bonne chance pour les nombreuses carrières qui s'offrent à vous, dont celle du cinéma.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 9 mars 2000)