Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le mécénat culturel, Paris le 15 juin 2004.

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Circonstance : Assemblée générale des chambres françaises de commerce et d'industrie à Paris le 15 juin 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux et très honoré de participer à l'Assemblée générale de l'Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d'Industrie. D'autant que c'est une première. C'est une première pour moi personnellement. C'est aussi la première fois, semble t-il, qu'un ministre de la culture intervient devant vous.
Je tiens à remercier très chaleureusement le Président Bernardin de m'avoir offert cette tribune exceptionnelle.
C'est l'occasion, pour le ministre que je suis, de souligner le rôle des entreprises que vous représentez dans la vie culturelle de notre pays.
Car si la culture a, dans notre pays, toujours été l'affaire de l'Etat, puis, également des collectivités territoriales, la richesse et la diversité de notre culture est le fait de la société toute entière, de cette société dite civile, où les entreprises sont au premier rang pour créer et développer les richesses et les activités qui font vivre l'économie. Une économie faite d'hommes et de femmes qui produisent, consomment, s'adonnent à des loisirs, partagent des rêves et des activités créatrices qui sont, pour la plupart d'entre elles, de l'ordre de la culture et de la communication.
Quelles que soient les responsabilités de l'Etat dans le domaine culturel, responsabilités que j'assume et que je défends, le monde de la culture et de la communication puise son dynamisme, sa créativité, sa vitalité dans ce vaste engagement de toute la société.
Et c'est, au fond, ce que je suis venu vous dire aujourd'hui : il n'y a pas d'un côté le monde de la culture et de la communication et de l'autre le monde de l'entreprise. Ces deux mondes ne sont pas clos. Ils sont ouverts l'un à l'autre et c'est heureux. Ils dialoguent et notre rencontre d'aujourd'hui s'inscrit dans ce dialogue. Ils construisent ensemble de belles choses et je vais y revenir dans un instant.
La culture est création. La culture est échange. La culture est commerce, au sens où on l'entendait de la Renaissance au siècle des Lumières, c'est-à-dire un commerce entre les hommes, un ensemble de relations à autrui et avec la société. La culture est industrie. Elle est art. Elle est technique. Cela n'est plus contesté aujourd'hui : il y a des biens culturels qui sont souvent des biens immatériels, des biens collectifs, des biens communs. Il y a aussi des produits et des consommations, issus des industries culturelles qui représentent une part croissante, sur longue période, de notre économie, par les emplois directs et indirects, par le chiffre d'affaires, la création de valeur, les exportations qui en découlent.
Rappelons quelques chiffres que peu de gens connaissent : plus de 360 000 salariés déclarés dans le spectacle vivant, dont plus de 100 000 intermittents. Mais aussi, 4,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2003 pour le livre, 1,7 milliards pour le disque, 1,3 milliards pour le cinéma, pour ne citer que ces quelques exemples.
Mais aussi douze millions d'entrées dans les musées nationaux et des dizaines de millions de touristes et de visiteurs qui viennent, chaque année, admirer les monuments de notre patrimoine, patrimoine de l'Etat, des collectivités, des propriétaires privés de notre pays, mais avant tout patrimoine de l'humanité.
L'économie de la culture, c'est tout cela bien sûr et plus encore : dans l'ère de la connaissance et de l'intelligence où nous sommes entrés, la culture est plus qu'un " supplément d'âme ", elle est un atout majeur dans la qualité de la vie et de la formation de tous ceux qui vivent et travaillent en France.
Elle est un atout décisif, j'en suis convaincu, non seulement pour attirer les touristes et les participants aux congrès, et vous savez combien ces activités, dont vous êtes souvent responsables, sont importantes pour le rayonnement de notre pays.
La culture est aussi un facteur de l'attractivité de la France, dans la compétition internationale, pour tous ceux qui veulent y travailler, y investir, y déployer leur enthousiasme et leur talent au service de l'économie.
La culture est donc bien plus que ce que les économistes appellent une " externalité ", c'est-à-dire ce qui n'est pas quantifiable, au sens comptable. Même si notre connaissance de l'économie de la culture a beaucoup progressé, nous nous employons, avec tous les organismes concernés à mieux cerner les chiffres, notamment de l'emploi culturel.
Mais au-delà, il y a ce facteur qualitatif, difficile à évaluer précisément, mais très vivement ressenti, qui fait de la culture un " plus ", une valeur humaine ajoutée, une contribution au mieux vivre, au vivre ensemble, à la cité. Un " plus " décisif, une valeur inestimable, une émotion partagée : oui, la culture est tout cela et davantage encore. Elle fait partie de la vie, elle n'est pas à côté de la vie.
C'est pourquoi elle n'est pas un " luxe ", qui viendrait par surcroît. On parle parfois des " retombées " de telle ou telle manifestation culturelle sur l'environnement économique. J'ai tendance à penser au contraire, comme beaucoup d'élus locaux et d'habitants, et je sais ce sentiment partagé par de nombreux représentants consulaires et chefs d'entreprises, que la culture offre plus que des " retombées " et même que des " contreparties " : parce qu'elle est à la source.
Vous représentez les entreprises de toutes tailles et vous agissez avec elles, notamment dans le domaine des infrastructures qui facilitent leur développement. Vous êtes donc concernés au premier chef par la vitalité de la culture.
Car le dialogue entre le monde de la culture et le monde de l'entreprise est fondé sur un échange réciproque.
C'est pourquoi je tiens à vous exprimer la reconnaissance de l'Etat, pour l'éminente contribution que les entreprises apportent collectivement à la vie culturelle en France.
En effet, le mécénat culturel est le premier mécénat d'entreprise dans notre pays. Toutes causes confondues, les entreprises apportent environ 350 millions d'euros par an aux actions d'intérêt général dont 57 % sont affectés aux actions culturelles, soit environ 200 millions d'euros.
Ce sont plus de mille entreprises françaises qui sont recensées comme actives en matière de mécénat culturel. Ce domaine s'est développé depuis les années quatre-vingts, lentement mais continûment, grâce notamment à l'action inlassable de Jacques Rigaud, auquel je tiens à rendre hommage en sa double qualité de chef d'entreprise et de pionnier.
Et je tiens à lui emprunter cette citation : " le mécénat d'entreprise doit être un des éléments du langage de l'entreprise, une des voies par lesquelles elle décide de dialoguer avec la société, de se définir par rapport à elle ".
Cette prise de conscience progressive est le fruit d'un long cheminement, qui a abouti à un nouvel élan pour le mécénat.
Le Président de la République et le Premier Ministre se sont engagés à libérer les initiatives, en invitant plus largement tous les acteurs de notre société à s'impliquer en faveur du mécénat. Le Parlement a voté cette grande avancée qui dote notre pays, depuis le 1er août dernier, d'une loi moderne et exemplaire à bien des égards, en comparaison avec nos pays voisins.
C'est un acte de confiance des pouvoirs publics envers la prise de responsabilité de chaque citoyen et des chefs d'entreprises en particulier : tout engagement au titre du mécénat sera très largement accompagné par l'Etat.
Jusqu'en août dernier, toute forme de partenariat, de concours, de sponsorisation faisait fiscalement l'objet d'une facturation imputée aux frais généraux de l'entreprise, soit en déduction de son revenu imposable, ce qui revenait à lui accorder un allègement fiscal de 33,3 %.
Aujourd'hui, la loi prévoit que l'entreprise bénéficie d'une véritable REDUCTION D'IMPÔT de 60 % du montant de son don, dans la limite de 0,5 % de son chiffre d'affaires. Cette disposition qui double quasiment l'avantage fiscal et le plafond par rapport à la situation antérieure ouvre de très larges perspectives. En outre, l'entreprise peut désormais sans équivoque bénéficier de contreparties.
Car le mécénat est la preuve par l'excellence de l'engagement de l'entreprise dans la société.
Aujourd'hui s'ouvre la " semaine du développement durable ", à l'initiative de mon collègue Serge Lepeltier.
Je tiens à vous le dire : parce qu'il est au centre d'une démarche d'ouverture et de coopération, parce qu'il soutient des actions d'intérêt général, de solidarité, parce qu'il engage sur le long terme, et qu'il promeut l'innovation, le mécénat entre en résonance directe avec les objectifs de "développement durable" de vos entreprises.
L'acte de mécénat est un vecteur efficace d'implication des salariés dans un projet culturel partagé. Nous sommes bien loin de l'acte philanthropique libérateur des consciences, qui pouvait être considéré comme le " luxe " d'un président des temps prospères ! Le mécénat peut désormais trouver sa place au sein de la stratégie de chacune de vos entreprises.
J'en veux pour preuve les pratiques des agences de notation extra-financière, spécialistes de la responsabilité sociétale des entreprises, qui portent un regard attentif à l'évaluation de la politique de mécénat.
Pour l'une d'entre elles, franco-anglaise, le mécénat fait même partie des "actifs immatériels de l'entreprise". Il constitue une réponse au risque de réputation. Il génère une valeur ajoutée locale et globale.
Pour une autre société de notation sociale, dirigée par l'ancienne responsable d'une grande centrale syndicale française, le mécénat est une preuve de l'engagement sociétal. Il est intégré aux critères comme le développement économique des territoires, ou l'engagement en faveur de l'emploi local et de la formation.
Mais, au-delà de l'apport considérable des grandes entreprises qui sont la " cible " des agences de notation, je suis convaincu - et c'est cette conviction que je suis venu partager avec vous - que le véritable gisement d'un nouveau type de mécénat est celui des PME. C'est pourquoi je tiens à ce que le ministère de la culture et de la communication s'investisse avec vous, sur ce sujet, dans nos territoires.
Les rencontres dont il m'a été rendu compte, entre les acteurs culturels et les entreprises, région par région, nous renforcent dans cette conviction. Les chefs d'entreprises confirment que la qualité de l'offre culturelle sur un bassin économique donné est un facteur déterminant pour favoriser la vie de leurs employés et mieux approcher leur clientèle, exercer une attractivité meilleure sur des collaborateurs performants, et enfin développer, bien souvent, le tourisme local.
Soutenir la culture, c'est être associé à l'excellence, à la qualité, à l'innovation. Je ne vous citerai que quelques exemples significatifs, qui doivent nous encourager à poursuivre ensemble, avec mes services, ce tour de France du mécénat.
- A Marseille, cette association de "Mécènes du Sud", qui soutient les artistes contemporains de la cité Phocéenne, en captant l'attention de nouveaux publics, en renforçant le sentiment de fierté et d'appartenance de leurs salariés, en valorisant l'image de leur ville.
- C'est l'action de ces mécènes bretons, significative, lors de la vente publique récente d'un célèbre pastel de Gauguin - représentant deux Bigoudènes - à Brest, pour l'offrir au musée municipal de Pont-Aven.
- C'est aussi l'engagement d'une PME à Blois dont le PDG, non seulement préside le théâtre de la ville, mais en plus a créé un cercle de 22 entreprises mécènes pour relayer son action.
J'encourage cette floraison d'initiatives locales, qui réunissent acteurs culturels et acteurs économiques.
Ce rassemblement d'énergies se prolonge dans des actions de formation, domaine où vous exercez d'importantes responsabilités.
Ainsi, mon ministère, pour la première fois, a engagé les écoles supérieures de commerce, à mobiliser leurs étudiants autour de la rédaction de mémoires sur le mécénat culturel.
Je compte bien dialoguer personnellement avec ces étudiants, leurs professeurs, en contact étroit avec le monde de l'entreprise et nos directeurs régionaux des affaires culturelles, dès la rentrée prochaine. Je relève d'ailleurs avec beaucoup d'intérêt que plusieurs écoles supérieures de commerce, dont les plus prestigieuses, offrent des formations initiales ou continues dans le domaine du management culturel.
Oui, je crois au développement du mécénat de proximité.
Sur chaque projet, entrepreneurs et créateurs doivent s'asseoir à la même table pour bâtir un accompagnement qui dépasse la seule aide financière. Il convient, pour que cela marche, de mieux se connaître. Et cette découverte mutuelle, relativement récente, est riche de promesses.
J'ai désigné un réseau de collaborateurs du ministère, pour activer ces rencontres dans toutes nos régions, tous nos départements. Ils s'y sont activement préparés, sous la responsabilité de François Erlenbach, responsable de la mission mécénat place de Valois.
Je vous propose de participer à ce mouvement EN L'INSCRIVANT DANS UNE CHARTE que nous pourrons élaborer ensemble, avec l'assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d'Industrie.
Je suggère que les thèmes de cette CHARTE à laquelle, si vous en êtes d'accord, chaque chambre pourrait adhérer, consistent :
? à désigner, chambre par chambre (comme je viens d'y procéder moi-même dans mes propres services) un "correspondant mécénat" devenant ainsi "l'interlocuteur référent" des services décentralisés du ministère de la culture ;
- à impulser un programme d'information, défini en commun des chefs d'entreprises ;
et à mettre en valeur ensemble, les " bonnes pratiques " et les expériences les plus réussies. Je n'hésiterai pas à me déplacer pour exprimer ma gratitude localement, comme je l'ai fait aujourd'hui collectivement devant vous.
Je souhaiterais que nous nous mettions au travail au plus vite, afin que nous puissions signer cette charte d'ici à la fin de l'année, et surtout la faire vivre, dans l'ensemble de nos territoires.
Cette uvre pédagogique m'apparaît nécessaire. Dans une conjoncture économique qui renoue progressivement avec la croissance, le mécénat d'entreprise se développera d'autant plus, certes, que les dispositions fiscales y sont très propices, mais surtout qu'il pénètrera les stratégies des décideurs. Je compte sur vous pour m'aider à tracer cette perspective.
Je tenais à vous le dire et à vous en remercier.
(Source http://www.culture.gouv.fr,le 17 juin 2004)