Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le mécénat culturel et la politique publique des musées de France, Paris le 15 juin 2004.

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Circonstance : Réunion du Haut Conseil des musées de France à Paris le 15 juin 2004

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Messieurs les Sénateurs,
Messieurs les Députés,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de présider la quatrième séance du Haut Conseil des musées de France, un an après son installation. Grâce à la présence de vous tous, parlementaires, représentants des collectivités territoriales et des ministères directement intéressés au sort des musées - notamment le ministère chargé de la recherche -, de membres des professions qui agissent dans et pour les musées, l'instance de consultation, de conseil et de débats qui manquait aux musées de France vit aujourd'hui. La loi du 4 janvier 2002 a bénéficié des travaux de réflexion préalables et du travail très approfondi des rapporteurs, Alfred Recours et Monsieur le Sénateur Richert, auquel j'ai plaisir à rendre tout particulièrement hommage.
Je voudrais insister sur le fait que la loi relative aux musées de France - maintenant codifiée dans le code du patrimoine - contient, et je m'en réjouis, tous les éléments du débat actuel sur la décentralisation territoriale, en précisant clairement les rôles respectifs de l'Etat et des collectivités propriétaires des collections des musées de France. Les musées en France sont en effet des institutions décentralisées par nature - sur 1 173 musées de France actuellement, 50 seulement sont des musées de l'Etat, tous les autres relèvent des collectivités territoriales, d'associations et de fondations.
Ces musées, vous le savez, présentent une très grande diversité de collections, les vingt dernières années ayant été marquées par la création de musées spécialisés dans les domaines de l'ethnologie, de l'archéologie, de l'histoire ou de l'art contemporain. Tous sont désormais dans la même grande famille des musées de France, y compris les musées de sciences et techniques.
C'est à l'Etat qu'il revient de soutenir ce réseau, riche et diversifié, réparti sur la totalité du territoire, et de lui apporter conseil et expertise ; c'est cette capacité d'expertise et de soutien qui justifie ses pouvoirs de contrôle sur l'intégrité des collections et le bon accomplissement des missions des musées de France.
Tous les textes d'application de la loi relative aux musées de France sont aujourd'hui publiés ; l'arrêté interministériel fixant les normes techniques relatives à la tenue de l'inventaire, du registre des biens déposés dans un musée de France et à leur récolement a été signé le 25 mai 2004.
Les services centraux et déconcentrés du ministère ont veillé à la bonne mise en place, dans un esprit je crois libéral et décentralisateur, de toutes les instances de concertation et de travail prévues par la loi, et qui ont des conséquences à mes yeux positives sur la qualité des activités scientifiques et de diffusion des musées de France :
- les commissions scientifiques régionales et interrégionales conseillent les musées de France préalablement à deux sortes d'actes très importants, lourds de conséquences, qui concernent les collections : les actes d'acquisition, à titre gratuit ou onéreux, et les actes de restauration ;
- les commissions professionnelles relatives aux qualifications des conservateurs non fonctionnaires et aux restaurateurs fonctionnent également ;
- la commission scientifique nationale des collections des musées de France examine très utilement, préalablement à votre Haut Conseil, les dossiers de transfert de propriété des collections d'un musée de France à un autre autorisés par la loi ainsi que les dossiers d'appellation musée de France : c'est un point important de la décentralisation culturelle.
La loi a prévu le transfert de propriété des biens de collections nationales confiées par l'Etat à une collectivité territoriale avant le 7 octobre 1910 : environ 300 collectivités sont concernées par ce transfert de propriété pour un total estimé à 70 000 oeuvres. Cette opération lourde a nécessité la mise en place d'une mission spécifique à la direction des musées de France chargée de piloter les transferts de dépôts, en liaison avec la délégation aux arts plastiques et la direction de l'architecture et du patrimoine. Ce transfert de propriété est achevé à Toulouse avec 547 oeuvres transférées ; il est en cours d'achèvement à Amiens avec 310 oeuvres en cours de transfert.
Je me réjouis aussi, que d'autres musées accèdent peu à peu à l'appellation de musées de France. Je salue ici la fondation Arp de Clamart - qui a été le premier musée de France reconnu grâce à votre conseil, par un arrêté du 9 mars 2004 ; le Centre Pompidou et la fondation poursuivent activement, avec la direction des musées de France, la préparation du dépôt des plâtres de Jean Arp que nos douanes françaises avaient su, il y a quelques années, retenir d'une exportation illégale.
Je remarque que notre séance de ce jour est d'une importance particulière parce qu'elle verra tous les musées de la Ville de Paris présentés à votre avis pour leur entrée dans la catégorie des musées de France. Le Haut Conseil ne considérera pas que je préjuge abusivement de son avis si j'indique que pour ma part, je suis très heureux que les musées de la Ville de Paris, qui n'ont jamais été des musées classés ou contrôlés au sens de l'ancienne ordonnance de 1945 sur les musées des Beaux-Arts, se joignent à la catégorie des musées de France.
Je voudrais également évoquer un thème majeur pour le développement des musées : le mécénat.
Grâce à l'engagement déterminé sur ce dossier de mon prédécesseur Jean-Jacques Aillagon et des ministres des finances et du budget de l'époque MM. Francis Mer et Alain Lambert, et grâce au travail du Parlement, la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations ouvre des perspectives véritablement nouvelles. Ces dispositions, précédées, pour les trésors nationaux, par celles de la loi relative aux musées de France, vont, je le crois, changer fortement la capacité de notre pays à maintenir ou à faire venir dans nos institutions patrimoniales, appartenant à notre histoire, des biens culturels particulièrement précieux. Je suis en effet très attaché, comme Ministre et comme élu local, à la dimension culturelle et patrimoniale de l'aménagement du territoire. C'est ainsi que j'ai décidé d'apporter au musée des Beaux-Arts d'Angers, qui inaugure sa grande rénovation ce jeudi 17 juin, une aide jamais égalée, couvrant 87 % du financement nécessaire. Elle permet l'acquisition au bénéfice de ce musée des Beaux-Arts de deux grandes et importantes esquisses de Fragonard retenues sur le territoire depuis trois ans comme trésors nationaux.
S'agissant de mécénat, je ne saurai à l'inverse mésestimer que la générosité privée individuelle, celle des grands collectionneurs qui depuis deux siècles ont accru, parfois fondé, des collections majeures de nos musées français, ne peut qu'être encouragée par la qualité et le caractère durable de l'engagement financier et professionnel des collectivités publiques pour les musées. Et je souhaite que ce mécénat privé soit encouragé et reconnu.
Il va de soi que je pratiquerai avec ambition mais en tenant compte des grands équilibres budgétaires, l'appel au mécénat fiscalement déductible, et donc entendu comme une "dépense fiscale" afin que les mécanismes récemment institués s'installent durablement dans notre dispositif des trésors nationaux.
Permettez-moi de souligner quatre priorités que j'assigne à la politique publique des musées de France pour les trois années à venir :
- la modernisation de la gestion et de la tutelle des musées nationaux et leur contribution à l'aménagement culturel du territoire ;
- le développement de la professionnalisation des acteurs des musées de France ;
- l'ouverture des musées à de nouveaux publics ;
- la participation des musées à l'ouverture culturelle européenne.
Les dernières années ont vu de profondes modifications de l'ensemble formé par les musées nationaux et la Réunion des musées nationaux. Ces deux grands établissements publics que sont le Louvre et Versailles - ce dernier bientôt engagé dans un programme ambitieux de modernisation de l'accueil et de mise en valeur - ont vu leurs compétences fonctionnelles élargies notamment en ce qui concerne leur politique d'acquisition ; les musées d'Orsay et Guimet ont été érigés en établissements publics nationaux selon les mêmes périmètres de compétence ; la gestion du musée Delacroix a été confiée à l'établissement public du musée du Louvre et celle du musée Hébert à l'établissement public du musée d'Orsay ; la Réunion des musées nationaux est désormais confrontée à l'exigence d'une amélioration de son efficacité économique et fonctionnelle.
Ces réformes ont été faites dans le souci de doter nos grands musées des moyens nécessaires à leur développement, et je crois pouvoir dire que le bilan en est aujourd'hui positif.
D'ores et déjà, de nouvelles étapes doivent être franchies :
- Le musée du quai Branly verra son statut adapté en vue de son ouverture au public dans les premières semaines de 2006. Ce sera un établissement exceptionnel par son ambition d'architecture, de fonctionnement et d'accueil, à la mesure de la richesse foisonnante de ses collections. C'est une opération de très grande envergure qui dotera la France d'un musée extraordinaire, grâce à l'ambition du Président de la République et l'énergie d'un donateur, Jacques Kerchache, auquel j'ai rendu hommage.
- L'installation dans la Cour Visconti du Palais du Louvre des nouvelles salles du département des arts de l'Islam du musée du Louvre est pour moi très nécessaire, et je veillerai à ce que le choix du maître d'oeuvre ait lieu comme prévu au deuxième semestre 2005. Je sais gré à l'Union centrale des arts décoratifs de consentir d'importants dépôts d'objets des arts de l'Islam dans cette perspective. Je me réjouis également de la rénovation progressive du musée des arts décoratifs, qui sera terminée fin 2005 et dont la galerie des bijoux sera inaugurée dans les prochains jours.
- l'installation à Metz d'une antenne du Centre Pompidou se présente très bien. J'ai eu l'occasion de voir la maquette du projet de Messieurs Ban/de Gastines/Gumuchbjian et je me félicite de ce geste architectural et de cette implantation symbolique.
- Après avoir visité les sites candidats, je ferai, à l'été, le choix de l'implantation de l'antenne du musée du Louvre parmi les villes du Nord - Pas-de-Calais et de Picardie qui se sont portées candidates. Le choix sera effectué au regard des critères objectifs de localisation et d'optimisation foncière des implantations, ainsi que de l'implication des collectivités engagées dans le projet.
- le musée national des arts et traditions populaires sera, le moment venu, transformé en établissement public national du musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée avec son siège à Marseille. La nouvelle localisation a été confirmée à deux reprises, en 2001 et 2003, par le comité interministériel d'aménagement du territoire. Je m'attacherai à ce que cette nouvelle localisation donne à l'institution, avec le projet scientifique et culturel redéfini par Michel Colardelle, un rôle éminent dans les débats de société et d'histoire sur nos populations de l'Europe et du pourtour méditerranéen. J'ai plaisir à saluer l'architecte désigné pour la réalisation de ce projet, Rudy Ricciotti, et je suivrai avec attention la désignation, en septembre prochain, de l'architecte qui travaillera au centre de réserves et de recherches de cet important musée national.
- L'action des musées nationaux pour la coopération avec les musées français, vous le savez, passe aussi par bien d'autres canaux - la capacité de conseil et de coopération des grands départements patrimoniaux, la politique des prêts et des dépôts notamment.
- D'autres projets sont à l'étude, qui seront menés dans la concertation la plus étroite avec les collectivités locales et les représentants des personnels.
Je tiens évidemment à dire devant vous que je poursuivrai très activement la politique de prêts et dépôts (3 836 actes en 2003), des collections nationales dans les musées de région en mesure de les accueillir.
- L'un des apports des musées nationaux aux musées de France doit être leur capacité de recherche. La direction des musées de France mettra au point en 2004 un schéma directeur de la recherche dans les musées nationaux, qui permettra de conforter leur partenariat avec l'Institut national d'histoire de l'art et les institutions universitaires.
Le développement de la professionnalisation des acteurs des musées
Je prends à coeur la nécessaire mise à jour du statut des conservateurs du patrimoine de l'Etat et des collectivités territoriales. Il s'agit d'ouvrir ce corps aux ressortissants européens. Il s'agit aussi d'instituer le grade de conservateur général territorial du patrimoine, sans lequel nous ne disposons pas d'une parfaite homologie entre le statut des fonctionnaires d'Etat et celui des collectivités territoriales, ce qui est contraire à une juste décentralisation ; si je salue le succès du cadre d'emploi des attachés territoriaux du patrimoine, et la qualité des jeunes lauréats recrutés fin 2003 dans ce cadre par le CNFPT (131 lauréats), je souhaite que la place des conservateurs eux-mêmes soit développée par les collectivités territoriales et les musées des associations et des fondations.
L'ouverture des musées à de nouveaux publics.
J'encourage vivement les collectivités territoriales à poursuivre et conforter l'installation et le développement de services des publics des musées : plus de la moitié des musées de France en disposent maintenant, il y a là un instrument essentiel d'action culturelle, éducative et sociale, et c'est sans doute largement grâce à leur action que le public global des musées de France atteint 54 millions de visiteurs et que les musées représentent l'activité culturelle la plus fréquentée après le cinéma. Environ un tiers de la population scolaire a visité un musée au cours de l'année écoulée, soit environ quatre millions de jeunes, de la maternelle au lycée.
Je suis intimement persuadé que dans notre société trop fragmentée, soumise à des enjeux très forts d'intégration sociale, de démocratie culturelle et politique, l'action des musées auprès des établissements scolaires et des publics les plus défavorisés est absolument prioritaire. Les musées sont l'instrument d'action culturelle et sociale qu'il faut pleinement utiliser. Ils représentent un maillage dense sur tout le territoire. Ils sont par excellence les lieux de transmission de savoir et de mémoire, ils sont aussi des outils de cohésion sociale et de lutte contre les exclusions.
J'en veux pour preuve la participation de bon nombre d'entre eux aux réflexions menées dans le cadre de la préparation de la Conférence nationale de lutte contre l'exclusion qui se tiendra le 6 juillet prochain.
L'action des musées vers le jeune public est une priorité. Je considère à cet égard comme exemplaire que le musée du Louvre ait fait passer en trois ans la proportion de ses visiteurs de moins de 26 ans de 37 % à 46 %. Le réseau des musées des collectivités territoriales a un rôle essentiel d'action sociale de proximité. J'engage les directions régionales des affaires culturelles à soutenir de façon prioritaire la mise en place ou le développement des services des publics formés de professionnels permanents et qualifiés.
Si les relations entre les musées et les écoles sont aujourd'hui dans la nature des choses (plus de 4 millions de jeunes scolarisés dans l'ensemble des musées de France, soit le tiers de la population scolaire totale), je tiens à redire qu'il est fondamental de poursuivre les jumelages entre les musées de France et les Zones d'Education Prioritaire dans le cadre de la politique de la ville et des quartiers. Il est également fondamental de renforcer, dans les zones rurales, les relations entre les musées et les établissement d'enseignement agricole.
Au lendemain de l'adoption en première lecture par l'Assemblée Nationale du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances et la participation à la citoyenneté des personnes handicapées, je tiens à souligner que les musées, grâce notamment aux aménagements spécifiques des bâtiments, veillent à faciliter l'accessibilité des publics handicapés. Les programmes proposés aux visiteurs handicapés sensoriels ou mentaux, des parcours tactiles, des informations ou livrets pédagogiques en brailles, des conférences en langue des signes, doivent être généralisés. Je veillerai à ce que les professionnels reçoivent les formations adaptées .
Le ministère de la culture et les musées seront présents lors du salon "Autonomic " (à partir de demain).
J'engage les directions régionales des affaires culturelles à soutenir prioritairement les actions envers les handicapés et les exclus de la culture.
J'évoquais les relations entre les musées et l'éducation nationale, j'attache une grande importance au développement des politiques d'action culturelle et éducative s'adressant aux jeunes dans le cadre scolaire mais aussi hors temps scolaire.
La participation des musées de France à la construction de l'Europe de la culture.
La résolution adoptée par le conseil européen des ministres de la culture, en octobre 2003, concerne également les musées. Le mémorandum que j'ai présenté au conseil des ministres de l'Union Européenne en mai dernier poursuit la même ambition. J'ai proposé à mes collègues une stratégie commune pour faire avancer la cause de l'Europe de la culture, exigence essentielle de notre temps. Cette stratégie se décline naturellement dans le monde des musées. Le musée est une institution née en Europe, il est consubstantiel à la notion européenne de patrimoine et de développement culturel et éducatif. L'édition 2004 du printemps des musées a été un succès non seulement français mais européen (1 130 musées participants en France, 770 dans 31 pays de l'Europe).
Il me paraît indispensable d'intensifier nos travaux de comparaisons statistiques et institutionnelles, nos échanges de professionnels, la mise en place de programmes harmonisés de formation professionnelle. Le séminaire européen de conservateurs qui s'ouvrira à Paris le 21 juin prochain à l'initiative de la direction des musées de France pourrait contribuer à rapprocher les professionnels des musées européens d'une façon régulière. Il y a là un vaste champ de coopération culturelle intra-européenne qui ne fera que renforcer la capacité de nos musées européens et français à participer toujours plus activement aux échanges culturels internationaux. L'un des signes les plus visibles de cette coopération est l'ambitieuse programmation des expositions des galeries nationales du Grand Palais et de nos grands musées français, comme Jongkind à Orsay, la Croatie à Ecouen, Belloto et la Pologne au Louvre.
Mesdames et messieurs,
Tels sont les objectifs que je propose à vos travaux pour répondre aux attentes d'un public plus large, sensibilisé davantage à la diversité d'un patrimoine rendu plus accessible dans le cadre solide du réseau international des musées.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 18 juin 2004)