Interview de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, à Canal Plus, émission "La Matinale", le 29 septembre 2004, sur la perspective de deux référendums, l'un sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et l'autre sur la Constitution européenne.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

Q - On entend beaucoup en ce moment du côté des partis de droite, du côté du gouvernement, des voix qui s'élèvent pour plaider l'organisation d'un référendum sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Y êtes-vous favorable ?
R - A titre personnel, bien évidemment. Consulter chacun des Français sur un sujet aussi important que l'entrée de la Turquie dans l'Union paraît raisonnable. Mais ce n'est pas la question qui se pose aujourd'hui.
Q - La question turque est présentée comme un élément susceptible de polluer le référendum sur la Constitution européenne. Donc, revenons à la Turquie. L'adhésion de la Turquie aurait lieu en 2015. Un référendum sur la Turquie aura-t-il lieu, sachant qu'il y aura un nouveau Président et un autre gouvernement ?
R - Il faut rappeler comment les choses vont se passer. La Commission européenne est en train de préparer un rapport sur l'état de préparation de la Turquie dans la perspective d'éventuelles négociations d'adhésion de ce pays avec l'Union européenne. Ce rapport sera présenté à la fin de la semaine prochaine. Vous savez que des critères très exigeants sont posés pour entamer ce long chemin vers l'adhésion. La décision d'ouvrir les négociations sera une décision politique, qui sera prise par les chefs d'État et de gouvernement à la fin de cette année lors du Conseil européen. La décision consistera à dire si l'on ouvre la porte à ce chemin de convergence, en sachant qu'il nous faut déterminer si nous portons les mêmes valeurs, si nous avons le même projet. C'est un chemin très long, très difficile sur dix, douze, quinze ans.
Q - Faut-il dès maintenant promettre un référendum sur l'entrée de la Turquie afin que le référendum sur la Constitution européenne ne soit pas pollué par cette question ?
R - Je crois que l'essentiel, c'est que le débat sur le Traité constitutionnel puisse se faire sereinement, et qu'il porte sur les enjeux de sa ratification. Il ne faut pas répondre à une question qui n'est pas posée.
Q - A titre personnel, êtes-vous pour l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ? Est-ce que la Turquie a vocation à entrer dans l'Union européenne ?
R - La Turquie est un grand partenaire de l'Union, qui a une place stratégique de tout premier plan. Il est fondamental de pouvoir travailler ensemble, Europe et Turquie, car nous avons des valeurs à partager et à faire progresser : la démocratie, le respect des Droits de l'Homme, l'égalité homme/femme sont des domaines dans lesquels nous devons travailler ensemble. Il est important que la Turquie soit arrimée à notre idéal européen. Je suis donc favorable à une collaboration étroite entre la Turquie et l'Europe.
Q - Vous dites donc qu'il ne faut pas fermer la porte à la Turquie ? Mais pas complètement l'ouvrir non plus si je vous ai bien écoutée ?
R - Non, j'ai dit qu'il est important de poursuivre ensemble ce chemin. La Turquie a fait d'importantes réformes, et il serait inacceptable de porter atteinte à cette progression en déstabilisant ce pays. Nous sommes dans un monde extrêmement complexe. Plus les valeurs de démocratie sont partagées, plus les perspectives de paix et de stabilité se font jour. Je suis donc favorable à une Turquie beaucoup plus européenne, plus proche de nous.
Q - Quelle garantie y a-t-il qu'il y aura bien un référendum sur l'adhésion de la Turquie alors que celle-ci n'aurait lieu qu'en 2015 ?
R - Le souhait est d'associer le citoyen français à cette décision. Cela me paraît très important. Pour ce faire, il y a la voie parlementaire, à laquelle nous avions songé pour le Traité constitutionnel ; les représentants du peuple pourraient s'exprimer sur ce sujet. Il y a également la possibilité d'un référendum populaire, la question étant importante pour les citoyens. L'Europe d'aujourd'hui n'est pas l'Europe des six, ni l'Europe des douze, ni même l'Europe des quinze. Il s'agit donc d'une question importante, et ce choix revient au président de la République. Attendons qu'il nous le fasse connaître.
Q - Dans longtemps ?
R - Ce n'est pas à moi de le dire, c'est à lui.
Q - Pour en revenir au prochain référendum, celui qui aura lieu en 2005 sur la Constitution européenne, craignez-vous aujourd'hui la victoire du non ?
R - Cela sera un débat difficile, un débat qui n'est pas gagné.
Q - Qui doit mener et incarner ce débat ? Le président de la République, Nicolas Sarkozy au nom de l'UMP, Jean-Pierre Raffarin en tant que chef du gouvernement ?
R - Il doit y avoir un engagement de chacun. C'est une question qui est posée à chacun des citoyens, et chacun peut apporter sa réponse, sa contribution. Les partis politiques vont s'engager. On voit ce qui se passe actuellement au sein du Parti socialiste. L'UMP a souligné les nombreuses améliorations qu'apporte ce Traité constitutionnel par rapport à la situation actuelle, issue du Traité de Nice. Ce nouveau Traité permet un meilleur fonctionnement pour une Union élargie à 25, un fonctionnement plus démocratique, plus efficace, plus sûr, une Union plus visible et plus présente sur la scène internationale. Il faut aujourd'hui faire campagne, expliquer. Les Français ont besoin d'avoir quelques clefs pour comprendre, ils ont besoin de voir ce texte dont on parle.
Q - Mais, qui doit mener ce débat ?
R - C'est une mobilisation de chacun. Bien évidemment le président, le Premier ministre seront très présents, très engagés pour mener cette campagne. Les partis politiques le seront le moment voulu. Au ministère des Affaires étrangères - je parle là en mon nom et au nom de Michel Barnier - nous voulons être très vite sur le terrain d'une part, et d'autre part contribuer à informer et expliquer ce texte, grâce à de nombreux supports (brochures explicatives, sites Internet, centres d'appels téléphoniques) Il faut pouvoir répondre aux questionnements, faire de la pédagogie. Quand on regarde les sondages, il y a près de 70 % des Français qui disent oui. "On est tenté de voter oui à ce Traité car c'est un pas", mais il y en a 30 % qui disent "on ne sait pas ce qu'est le Traité, on ne l'a pas vu, on ne l'a pas lu, on a besoin de parler de ce texte, des règles de fonctionnement de l'Europe et de savoir ce qu'est le projet européen". Nous venons de vivre cinquante années tout à fait extraordinaires de construction européenne. On doit se rendre compte de ce que l'on a fait durant ces cinquante années, et aller plus loin aujourd'hui, bâtir une Europe qui soit encore plus proche et au service des citoyens. Dans cette perspective, c'est à chacun de se mobiliser. Bien sûr, les représentants politiques sont ceux qui alimentent actuellement les discussions dans les journaux, mais c'est aussi à chaque citoyen de se forger sa réponse. Pour ce faire, nous nous rendrons sur le terrain : je veux travailler avec la société civile, avec tous les citoyens, pour que chacun comprenne et prenne sa décision de façon responsable.
Q - C'est à l'ancienne astronaute que je vais adresser une dernière question. Aujourd'hui il y a un deuxième vol entièrement privé qui va partir dans l'espace. L'objectif est de créer une compagnie privée pour transporter des touristes dans l'espace. Êtes-vous favorable à ce genre de choses ? Comment regardez-vous cela, vous, la scientifique de très haut niveau ?
R - Beaucoup des progrès ont été faits en la matière, qui ont été impulsés par la puissance publique, mais aussi par les structures privées, et c'est ce qui se passe avec ce projet de compagnie privée. J'espère qu'il réussira. Vous savez qu'il faut deux essais, à quinze jours d'intervalle, pour réaliser cet exploit d'aller en orbite à 100 kilomètres. Cette initiative permettra des progrès scientifiques et techniques tout à fait considérables, et le vol sub-orbital sera certainement, dans quelques dizaines ou vingtaines d'années, à disposition de chacun. S'il y a cette offre privée, comme vous le dites, c'est qu'il y a une demande, une part de rêve. On a besoin de rêve, notre vie est trop souvent collée au quotidien. Ce "tourisme" va rester très élitiste, mais c'est tout de même un véritable rêve qui pourra être réalisé.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er octobre 2004)