Déclaration de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, sur les femmes et la précarité, notamment la lutte contre les exclusions, la santé, l'emploi et la formation et l'égalité professionnelle dans les entreprises, Paris le 3 février 2000.

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Circonstance : Campagne "mondialisation sans pauvreté" initiée par le Conseil de l'Europe à Paris le 3 février 2000

Texte intégral

Vous me permettrez tout d'abord de vous remercier très vivement de votre invitation ; c'est avec beaucoup d'intérêt que je m'inscris dans votre réflexion collective sur ce sujet de société " femmes et précarité " dans le cadre de la campagne " mondialisation sans pauvreté " initiée par le Conseil de l'Europe.
Peut être tout d'abord pourrais-je évoquer en quelques mots rapides la dimension internationale de ce sujet avant d'aborder la réalité de ce phénomène dans notre pays.
Un rapport mondial sur le développement humain tient à rappeler que la pauvreté a reculé de manière spectaculaire dans de nombreuses parties du monde. Chacun dans cette salle a bien sûr conscience des immenses progrès réalisés. La pauvreté a reculé dit-on au cours des 50 dernières années plus que pendant les cinq siècles précédents. C'est vrai si l'on pense à la baisse du taux de mortalité infantile, à la nutrition, à l'accès à l'école primaire.
Mais très vite après ces paroles optimistes je suis obligée de constater que ces progrès sont inégaux, qu'ils connaissent des reculs et que la pauvreté reste très répandue.
Les femmes subissent ce phénomène généralement plus que les hommes. Durant treize ans au Parlement européen et au sein de l'assemblée paritaire U.E.-A.C.P. j'ai travaillé sur les politiques de développement. Même si les femmes jouent un rôle central nous savons aussi qu'elles assument les travaux pénibles d'une dure vie quotidienne sans avoir en retour dans le monde rural le moindre bénéfice financier.
Mais la pauvreté humaine n'est pas qu'une question de revenu : c'est une privation des possibilités de choix et d'opportunités qui permettraient aux individus de mener une vie décente, et cette définition ne s'applique pas qu'au tiers monde. Ces privations d'autonomie concernent aussi les pays de l'Union européenne.
J'avais été très frappée par le rapport du Parlement européen " Femmes et pauvreté en Europe ", qui mettait en lumière les difficultés d'accès des femmes à la protection sociale et à l'emploi. Les femmes qui vivent seules avec leurs enfants représentent environ 10% des familles européennes. Beaucoup de femmes au Royaume Uni, en France et en Allemagne connaissent en particulier cette situation d'isolement et de précarité qui peut conduire à l'exclusion.
L'exclusion, c'est le fait de se trouver, souvent par manque de ressources, dans une situation où l'on n'a plus accès aux droits les plus élémentaires : droit à se loger, à disposer de fournitures d'eau et d'énergie, droit à un emploi, à la santé, mais aussi droit à être considéré comme une personne à part entière, notamment dans ses relations avec les autres et avec le service public.
Comment un pays comme la France se comporte-t-il face à des situations d'autant moins supportables que nous sommes un pays riche et développé ?
J'aborderai des actions qui concernent les femmes comme les hommes avant d'avoir un regard plus ciblé, plus sexué
La lutte contre les exclusions
Je n'insisterai jamais assez sur le rôle essentiel des associations caritatives dont l'énergie demande aussi à être relayée. L'Etat, à son tour, doit affirmer sa solidarité. La mission bien comprise des uns et des autres a permis à Martine AUBRY de faire voter une loi en 1998 en faveur des femmes et des hommes les plus en difficulté. Mais pour que les associations soient efficaces sur le terrain il faut à nouveau mobiliser les relais associatifs et le partenariat des services de l'Etat.
La loi de lutte contre les exclusions leur a donné les moyens de mieux s'exprimer, d'exercer leurs droits civiques lors des élections, de s'adresser à des commissions d'action sociale d'urgence, aux procédures simplifiées, et qui ont bénéficié d'une participation accrue de l'Etat en 1999 de 720 millions de francs.
Leurs droits au logement -fondamental -, à la formation, à un dispositif aidé de l'emploi sont renforcés. Ils sont connus de vous. Je ne vais pas y insister davantage.
Une politique de santé
Une autre injustice flagrante concernait dans notre pays l'accès à la santé. La mise en uvre de la couverture maladie universelle (CMU) va le permettre : elle généralise la sécurité sociale à toutes les personnes résidant légalement en France, instaure une couverture complémentaire pour les plus démunis et dispense de l'avance de paiement. Des millions de femmes et d'hommes pourront en bénéficier, bien au-delà évidemment de l'exclusion proprement dite pour bénéficier à ceux et celles qui connaissent la précarité.
Une politique de loisirs, sports et culture
De nouveaux dispositifs permettent à ces personnes de bénéficier d'une vie normale, ouverte sur les autres. Je pense à la "bourse de solidarité vacances ", plus de 1000 familles à très faibles ressources ont ainsi pu partir en vacances, pour la première fois, en 1999. D'autres dispositifs permettent d'avoir accès au sport (ticket sport, coupon sport), à la culture (gratuité des musées nationaux une journée par mois). La lutte contre l'illettrisme, véritable fléau concerne en France 2,3 millions de personnes.
Une politique de l'emploi et de la formation
L'éducation initiale et la formation continue se mobilisent.
L'un des droits essentiels dans la lutte contre la précarité, c'est sans nul doute de disposer d'un emploi et d'une rémunération. La croissance, la politique conduite par le gouvernement - dont les 35 heures - ont permis d'obtenir des résultats importants. On dénombre 554.000 chômeurs de moins depuis juin 1997. Parmi les premiers bénéficiaires de la baisse du chômage figurent les jeunes (- 164.500) et les chômeurs de longue durée (- 171.000), c'est à dire ceux et celles qui étaient le plus touchés par les exclusions et la précarité et qui sont les premiers bénéficiaires du programme.
Demain la reconnaissance de l'expérience professionnelle.
Les femmes sont plus que les hommes touchées par les différentes formes d'exclusion et de précarité que je viens d'évoquer.
Droits propres
Santé et précarité concernent aussi des milliers de femmes sur des sujets tout autre : l'accès à la contraception et à l'IVG.
D'où la campagne massive de contraception qui va durer un an, la fabrication de la pilule générique de la 3ème génération et le rapport Nisant.
Précarité de l'emploi
Des rapports ont été faits. J'ai souhaité sexuer mon approche sur ces sujets pour mieux cerner la réalité de la précarité que vivent les femmes.
Le taux de chômage des femmes est supérieur à celui des hommes : 12,8% contre 9,2%.
Les femmes sont majoritaires parmi les chômeurs de longue durée. Ce sont elles aussi qui occupent largement les CDD (53 %), les emplois à temps partiel (80 %) comme elles occupent aussi 80 % des emplois moins qualifiés, d'ouvriers et d'employés.
80 % des salariés qui perçoivent un salaire mensuel net inférieur à 3.650 F sont des femmes. Enfin, elles accèdent deux fois moins que les hommes à la formation tout au long de la vie.
Les dispositions de " moralisation " du temps partiel contenues dans les deux loi sur les 35h, la réduction collective et négociée du temps de travail et la reprise de l'emploi sont en train de faire régresser le temps partiel subi : -20.000 femmes en sous-emploi depuis un an.
La précarité concerne en particulier les familles monoparentales
Les familles monoparentales ont fortement progressé : 847 000 en 1982 et 1 600 000 en 1999, soit 16% des familles. Il s'agit du groupe social dont la situation s'est la plus fortement dégradée au cours de la dernière décennie. On estime que 30% des ménages monoparentaux sont en situation de pauvreté.
Particularité française, 72% des familles monoparentale ont un emploi, souvent peu qualifié et à temps partiel.
J'évoquerai rapidement deux volets de cette action : la lutte contre le chômage des femmes puis l'égalité professionnelle.
Lutte contre le chômage des femmes.
Le plan national d'action pour l'emploi de 1999 avait prévu que 55% des aides à l'emploi et à la formation des demandeurs d'emploi devaient bénéficier aux femmes, y compris les mesures qui mènent à l'emploi en entreprise.
De même, j'ai fixé l'objectif de 55% de femmes dans le dispositif " nouveau départ " qui permet un suivi individualisé pour les demandeurs d'emploi prioritaires.
Les résultats sont satisfaisants. L'évaluation partielle que j'ai obtenue hier m'indique que les femmes représentent 54% des entrées. Pour la majorité d'entre elles, le nouveau départ se traduit par une solution d'emploi ou de formation.
L'ANPE accueillera en particulier dans la catégorie " autre public " prévue pour nouveau départ, les femmes qui rencontrent des difficultés particulières, notamment celles qui sont victimes de violence, isolées avec des enfants, ou encore qui souhaitent reprendre un emploi après avoir interrompu leur activité professionnelle pour élever leurs enfants. Le sujet " Femmes et violences " mériterait à lui seul un long développement. Il fera l'objet de ma part cette année d'une priorité de traitement avec la parité politique et l'égalité professionnelle.
L'AFPA se mobilise également très fortement pour mieux prendre en compte les femmes.
Les femmes au chômage ont aujourd'hui beaucoup de difficultés à suivre un parcours de formation adapté. Il s'agit d'un besoin de réorientation pour des jeunes filles qui ont un bon niveau général mais pas de qualification dans un domaine porteur d'emploi ; il peut s'agir d'un parcours long de qualification pour des femmes plus âgées qui ont un niveau de formation initial très faible. Dans la même logique, j'ai demandé que le service d'orientation des demandeurs d'emploi prenne en compte majoritairement - 55 % - le public " femmes " qui ne représentait que 33 % des dossiers traités.
L'AFPA a également décidé de modifier son offre de formation pour développer des filières d'avenir accessible aux femmes. Il est prévu un doublement des effectifs féminins dans les filières retenues comme l'électronique, les automatismes industriels, la maintenance industrielle, ou les transports.
Enfin, j'ai souhaité re-dynamiser les systèmes d'aides temporaires à la garde d'enfants pour les femmes en grande difficulté.
Un dispositif d'aide spécifique (FIFF) à la garde d'enfant et d'ascendant pour les femmes à la recherche d'un emploi qui entrent dans un dispositif aidé d'emploi ou de formation, avait été créé en 1992 puis quasiment supprimé. Une aide forfaitaire, de 400 à 800F par mois, sera accordée pour les femmes en recherche d'emploi, en grande difficulté lorsqu'elles reprennent un emploi, suivent une formation ou créent une entreprise.
Les jeunes femmes sont souvent plus diplômées que les garçons. Il y a aujourd'hui 120 filles qui entrent à l'université pour 100 garçons. Cependant le chômage des jeunes filles est supérieur à celui des garçons. Au-delà de la discrimination à l'embauche dont elles peuvent être victimes par crainte d'une maternité notamment, l'orientation professionnelle trop traditionnelle explique cette difficulté.
Je vais signer ce trimestre une convention sur ce sujet avec l'éducation nationale dans le cadre du partenariat sur l'égalité entre les femmes et les hommes que je construis avec chaque membre du Gouvernement dans une approche globale de ce sujet.
Egalité professionnelle dans les entreprises
L'égalité professionnelle a été progressivement construite : par la loi sur l'égalité de rémunération en 1972, puis par la loi de 1983 relative à l'égalité professionnelle, " Loi Roudy ", très en avance sur son temps. Son renforcement a été mûrement réfléchi, d'abord dans le cadre d'une mission parlementaire confiée à Catherine GENISSON, puis dans le cadre du conseil supérieur de l'égalité professionnelle dans la mesure où, en matière de gestion des ressources humaines, le dialogue social est privilégié. La nécessité de réactualiser la loi ROUDY est cependant apparue dans le cadre de ces consultations.
De la précarité à l'égalité
Une proposition de loi, à laquelle le Gouvernement est très favorable, a donc été déposée et vise à améliorer l'égalité professionnelle dans les entreprises et dans la fonction publique.
Cette proposition de loi qui devrait être débattue par l'Assemblée le 7 mars repose sur trois mesures renforçant les obligations de négocier sur l'égalité professionnelle dans les entreprises et les branches professionnelles.
Ces négociations devraient contribuer à la progression professionnelle des femmes, aujourd'hui concentrées dans les postes à bas salaires, avec des conditions de travail difficiles.
Nous avons devant nous des rendez-vous importants. Personnellement j'en citerai trois :
L'égalité professionnelle mais aussi les manifestations du 8 mars.
Ce sera pour le Premier ministre et moi-même l'occasion de présenter notre plate-forme pour construire l'égalité entre les femmes et les hommes. J'ai remarqué que vous aviez vous-mêmes une expression convergente cette après-midi " Lutte contre les pauvreté Route vers l'égalité.
La loi sur la parité en politique relève aussi de cette logique.
Ce sera en Juin à New York la rencontre Pékin + 5.
Enfin la présidence française de l'Union européenne, où nous reprendrons pour aller plus loin certains sujets :
- femmes et lieux de décision
- les temps de vie : articulation de la vie personnelle, familiale et professionnelle, exigence première des jeunes femmes de l'an 2000 dans nos pays.


(source http://www.social.gouv.fr, le 10 février 2000)