Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et Y.Yousfi, ministre algérien des affaires étrangères, sur la refondation des relations franco-algériennes, de la coopération culturelle, économique et militaire, Paris le 25 janvier 2000.

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Circonstance : Visite de M. Youcef Yousfi en France les 25 et 26 janvier 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Nous avons le plaisir de recevoir, aujourd'hui à Paris, M. Youcef Yousfi, le nouveau ministre algérien des Affaires étrangères. Je l'avais invité à venir à Paris, il a déjà été reçu ce matin par le Premier ministre. Il sera reçu tout à l'heure par le président de la République, demain, par les présidents des assemblées, avant de déjeuner avec M. Chevènement. Il aura eu en deux jours à Paris, des entretiens importants, nombreux, substantiels. Je lui redis devant vous tous qu'il est ici le bienvenu ; il est reçu dans un esprit d'amitié, de cordialité, dans un état d'esprit concret et constructif. Lorsque je suis allé en Algérie, au mois de juillet, pour caractériser la nouvelle situation qui s'offrait à nous et l'ampleur des chantiers sur lesquels nous allions pouvoir travailler et retravailler ensemble, j'avais dit que nous étions prêts à une véritable refondation des relations franco-algériennes. Nous y voilà ; nous voilà au travail.
Nous avons donc eu un déjeuner de travail suivi d'une séance de travail et nous avons passé en revue, méthodiquement, tous les sujets qui sont les nôtres, à la fois les problèmes que nous héritons des années passées, les difficultés que vous connaissez et, en même temps, les perspectives d'avenir dans chaque cas. C'est ce qui nous intéresse.
Sur la méthode de travail, nous avons décidé, non pas de nous voir à des dates régulières un peu artificielles mais de nous voir autant de fois qu'il le faudra jusqu'à ce que nous ayons surmonté ces contentieux et ces héritages difficiles, jusqu'à ce que nous ayons atteint la vitesse de croisière à laquelle nous ferons un travail normal, dans le cadre de relations bilatérales redynamisées.
Nous avons examiné toutes les questions consulaires, nous avons fait le point de la question des visas. Le nombre des visas accordé par la France a été multiplié au moins par trois depuis 1997. Nous avons examiné les autres problèmes concernant la réouverture des consulats à Annaba et ensuite Oran et nous avons fixé les bases de la négociation et de la discussion sur ce point ; pour la conclure, je vais envoyer en Algérie, le directeur général de l'administration M. Catta qui discutera avec nos interlocuteurs. Nous avons répondu à nos amis Algériens que nous étions prêts à discuter de nouveau de l'accord de 1968 concernant la circulation des personnes pour tenir compte des textes intervenus depuis, notamment de la loi de 1998. C'est une discussion qui va être rouverte.
S'agissant des problèmes humains, des contentieux, M. Yousfi a attiré, à travers moi, l'attention du Premier ministre et du président de la République sur la question des pensions qui ne sont jamais revalorisées et qui est en effet un problème douloureux et difficile.
Nous avons fait un tour d'horizon de la coopération culturelle, scientifique et technique entre la France et l'Algérie, où, comme le dit le ministre, les besoins sont immenses. Les souhaits algériens sont vastes et ce que nous souhaitons, c'est ajuster au mieux les propositions que nous pouvons faire à ce qui est utile à nos amis Algériens. Nous avons donc, déjà, une vision panoramique assez bonne, un certain nombre de choses, de mécanismes, de comités, de réunions ont été relancés depuis le mois de juillet dernier, durant l'été et à l'automne, et nous avons envisagé que nous pourrions, lorsque tous ces dossiers de coopérations auront redémarré, organiser une réunion de travail des ministres les plus concernés dans tous ces domaines pour aller de l'avant.
Nous avons parlé évidemment des sujets économiques bilatéraux en commençant par la question d'Air-France où nous voulons vraiment aboutir maintenant et nous allons donc renvoyer une mission pour essayer de conclure cette négociation qui avait presque tout réglé sauf un ou deux points précis sur le mode d'organisation de la sécurité, ce qui avait empêché une conclusion complète. Cette nouvelle mission partira dans des délais très rapprochés.
Nous avons abordé l'ensemble des questions économiques bilatérales, aussi bien la dette que la question des investissements, l'attitude des entreprises, la question de la Coface. Ces discussions seront poursuivies et développées entre les deux ministres de l'Economie et des Finances.
Nous avons également convenu que le moment était venu de rediscuter de l'accord-cadre qui fonde notre coopération militaire et qui remonte à 1967. Il est ancien et doit être rénové.
Enfin, nous avons procédé à un tour d'horizon de l'ensemble de questions plus diplomatiques, plus classiques, plus internationales. Nous avons parlé de la situation au Maghreb, du Sahara, de l'Union du Maghreb arabe, des relations entre l'Union européenne et l'Algérie, de l'Union européenne et de l'Afrique, l'Union européenne et la Méditerranée, des différents processus, celui de Barcelone, et autres.
Nous sommes à un moment important, nous sommes pénétrés de cette conviction et nous avons surtout envie de travailler et d'avancer.
Q - Il est question de refondation et de rénovation de la coopération bilatérale. Quels seraient les fondements, les bases de cette coopération et est-ce que tous les domaines, sans exclusive, sont ouverts à la coopération entre les deux pays ? M. Védrine a parlé d'amélioration dans la délivrance des visas, du nombre de visas délivrés en trois ans, nous sommes à près de 150 000 visas en 1999, c'est, certes une amélioration mais nous sommes loin des 700 ou 800 000 visas délivrés il y a quelques années. Peut-on escompter, dans un temps peut-être proche ou à moyen terme, de retrouver ce seuil ? Qu'en est-il des étudiants algériens voulant suivre une spécialité en France ?
R - Nous voulons relancer la coopération et dans tous les domaines utiles. Nous n'allons donc pas faire une liste arbitraire ou théorique, il y a déjà beaucoup de coopération car nous l'avons maintenue même dans des circonstances difficiles, nous voulons la poursuivre, l'intensifier, l'élargir à tous les domaines qui intéressent nos amis Algériens. C'est aussi simple que cela et cela dépend essentiellement de ce que les Algériens souhaitent et de ce que nous pouvons proposer en face. Ensuite, comme dans toutes les politiques de coopération, il faut réussir l'ajustement au mieux, que l'on apporte ce qui est le plus près de ce qui est souhaité.
Concernant les visas, je ne répondrai pas en détail sur la question des étudiants, nous avons beaucoup amélioré depuis deux ans maintenant, tout ce qui concerne l'attribution des visas aux étudiants à différents niveaux en France et nous continuerons à le faire. C'est géré en commun par le ministère de l'Intérieur, le ministère de l'Education nationale et le nôtre et la tendance est encore à l'assouplissement. Sur les visas, je souligne une fois de plus que nous ne procédons pas par quotas, nous ne fixons pas des chiffres. Nous avons assoupli, libéralisé l'interprétation de certaines clauses et par ailleurs facilité les choses techniquement, vous savez que depuis le 10 janvier, le consulat général d'Alger a retrouvé toute sa compétence par rapport à la situation antérieure où tout était fait par le bureau des visas à Nantes. Nous sommes en train de nous rapprocher à grand pas d'une situation normale, cela facilite les choses, cela va plus vite et l'esprit dans lequel les demandes sont examinées fait que le chiffre va continuer à croître. Il faut d'ailleurs nous préparer à la gestion de cette augmentation prévisible et souhaitable mais nous ne procédons pas par quota.
Q - A propos de la coopération, allez-vous privilégier la voie de la reconduction des lignes de crédits traditionnels rejetées par Alger depuis 1995 ou bien avez-vous d'autres idées notamment la reconversion de la dette en investissements ?
A propos du moratoire de la dette algérienne, si Alger demandait un moratoire sur sa dette, accepteriez-vous ?
A propos du volet social, vous savez que nous sommes dans l'après-terrorisme, et cela se prépare, le programme du nouveau gouvernement est ultra-libéral, une explosion sociale n'est-elle pas à écarter et va-t-elle affecter le sud de la Méditerranée. Et l'Europe, particulièrement la France pourrait-elle faire quelque chose ?
R - Sur les questions concernant les crédits ou la dette, nous avons fait un tour d'horizon général tous les deux, le ministre est extrêmement compétent grâce à son expérience sur l'énergie mais cette question s'étend, en réalité à l'ensemble des questions économiques. Nous avons fait un tour d'horizon mais nous n'avons pas négocié, conclu et tranché. Ces points seront traités par les ministres de l'Economie et des Finances qui doivent se voir ; la date n'est pas encore fixée mais nous la souhaitons proche. C'est dans ce cadre qu'il faut voir, là aussi, ce que souhaite exactement l'Algérie, ce que l'on peut répondre. Aujourd'hui, ce n'était pas une rencontre bilatérale économique portant sur ces points précis.
La deuxième question est une question interne à l'Algérie, la façon dont il faut gérer l'évolution de l'économie algérienne, toutes les économies au monde s'adaptent, la situation globale est différente, toutes les économies se transforment, elles essaient toutes de se transformer pour devenir à la fois les plus efficaces possibles et pour canaliser, encadrer, traiter les conséquences sociales de ces phases de transition, tout le monde le fait. La façon dont chacun doit le faire ne regarde pas les autres. Ce n'est pas à moi de m'immiscer, mais nous avons pas mal de choses à nous dire, y compris sur ce sujet en ce qui concerne ces problèmes de mutation des économies dans le contexte général que vous connaissez que je ne vais pas décliner. Mais, ce n'est pas à nous de dire ce qui doit être fait. Nous en discutons, si nos amis algériens sont intéressés par cette discussion. Et c'est à eux de prendre leurs responsabilités et de conduire cette mutation comme ils l'entendent ensuite.
Q - Estimez-vous tous les deux que la situation sécuritaire en Algérie est définitivement maîtrisée, suffisamment en tout cas pour que la coopération puisse repartir rapidement ? Une éventuelle reprise de la coopération militaire entre la France et l'Algérie doit-elle tenir compte de cet aspect précis de la sécurité en Algérie ?
R - De notre côté, nous ne pouvons que souhaiter ardemment que l'Algérie achève de sortir de la tragédie qu'elle a connue et qu'elle puisse en surmonter complètement les séquelles pour se consacrer à son développement sur tous les plans. A cet égard, nous voulons nous inscrire dans une dynamique et une vision d'avenir.
Quant à la coopération militaire, il y en a toujours eu, je veux parler de l'accord de 1967, il y a toujours eu des activités, des échanges, ne serait-ce que de la formation. Cette base existe donc, elle est un peu périmée, et naturellement, il faut tenir compte du contexte lorsque l'on coopère en matière militaire, mais nous le faisons toujours, ce n'est pas propre à l'Algérie. Il n'empêche que nous avons estimé qu'il était opportun de revoir cette base et le cadre de cette coopération pour l'adapter à la réalité nouvelle surtout si l'on parle de la relance de la coopération dans tous les domaines, y compris celui-là, mais nous choisirons judicieusement ce que nous ferons.
Q - Avez-vous parlé des relations algéro-marocaines et la France va-t-elle pouvoir jouer un rôle de médiation entre le Maroc et l'Algérie ?
R - La France éprouve un intérêt de voisinage et amical à ce que les relations entre les différents pays du Maghreb soient les meilleures possibles car cela ne peut que contribuer à un bon climat général et à une alliance de coopération. Mais, cela n'a rien à voir avec une médiation à laquelle nous n'avons jamais pensé, que personne ne nous a demandé et que nous n'aurions pas accepté de faire. Mais je suis très heureux d'entendre le ministre algérien dire que les relations entre l'Algérie et le Maroc sont une chose indépendante de la question du Sahara à propos de laquelle nous continuons à soutenir naturellement les efforts de l'ONU et du Secrétaire général, même si celui-ci a bien dû constater récemment les difficultés considérables qui doivent être encore surmontées. Quant aux perspectives touchant notamment à l'Union du Maghreb arabe, il va sans dire que nous serions favorables à ce que cette reconstruction reprenne sa marche en avant. Notre position est extrêmement simple sur tout cela.
Q - La coopération militaire à laquelle vous avez fait tous les deux allusion et que vous souhaitez tous les deux peut-elle aussi comprendre une coopération anti-terroriste ?
R - Ce point n'a pas du tout été abordé, nous nous sommes bornés à faire le tour des instruments de coopération en constatant que beaucoup d'entre eux étaient anciens et ne correspondaient plus, ne serait-ce que pour des raisons administratives ou juridiques à la situation d'aujourd'hui. C'est le cas de l'accord de circulation dépassé par les clauses de la loi plus générale de 1998. Cet accord de 1967 doit être toiletté, cela ne cache pas ce que vous disiez dans votre question. Il n'est pas anormal que dans le cadre des coopérations diverses avec justement un volet formation qui est très important dans tous les domaines l'on mette également à jour cet instrument. Ce n'est pas une innovation et cela ne doit pas être interprété comme vous pourriez être tenté de le faire, mais cela fait partie des sujets sur lesquels on peut coopérer./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2000)