Extraits de l'interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, avec le "French American Press Club" à Paris le 13 novembre 2003, sur l'urgence d'un règlement de la crise en Irak et d'un transfert de souveraineté aux Irakiens, ainsi que d'une solution pour l'ensemble de la région face au terrorisme.

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Média : French American Press Club - Presse étrangère

Texte intégral

Q - La Maison Blanche a déjà lancé un de vos projets pour l'Irak pour accélérer le transfert au pouvoir irakien. A votre avis, est-ce qu'il y a convergence maintenant entre la politique française et la politique des Etats-Unis et entre les deux présidents ?
R - Je crois qu'il y a urgence devant l'ampleur des difficultés qui apparaissent en Irak. Nous voyons les uns et les autres, tous les jours, s'accroître le nombre de morts, américains, britanniques, italiens et d'autres nationalités. Nous avons tous le sentiment qu'il n'est pas possible d'attendre davantage. C'est pour cela que la France a acquis la conviction que seul un changement d'approche pouvait permettre à la communauté internationale de trouver, en liaison avec les responsables irakiens, avec les Irakiens eux-mêmes, les moyens susceptibles de changer la donne en Irak. Cette prise de conscience avance aux Etats-Unis. Que je sache, elle n'a pas fait l'objet jusqu'à aujourd'hui de proposition ferme de changement et c'est pour cela que nous souhaitons accroître, intensifier, la concertation avec nos amis américains. Le président Bush, vous le savez, sera en Europe dans quelques jours. Colin Powell sera à Bruxelles où il rencontrera l'ensemble des ministres des Affaires étrangères européens et ce sera pour nous l'occasion d'approfondir ces différentes possibilités. La France, pour sa part, a fait des propositions. Elle veut continuer de nourrir ces propositions, car nous avons la conviction que devant les difficultés de l'Irak, nous avons aujourd'hui, tous, un intérêt commun. C'est bien de la sécurité de l'Irak et du Moyen-Orient qu'il s'agit. Il y a un risque d'extension, nous l'avons vu, avec les attentats en Arabie Saoudite. Aucun d'entre nous ne peut se détacher, se désintéresser de ce qui se passe aujourd'hui dans la région, car il en va aussi de la sécurité.
Donc, il est normal que, face à cela, la communauté internationale se ressaisisse, réfléchisse à la meilleure façon d'aborder ces difficiles questions et pour notre part, nous observons les limites d'une approche sécuritaire et militaire. Nous pensons qu'il faut privilégier la recherche d'une solution politique, la recherche de solutions diplomatiques, et que la première condition du succès, c'est l'unité de la communauté internationale. Je l'ai souvent dit, sans être malheureusement toujours entendu tout au long de ces derniers mois, la France n'est guidée, à travers cette crise, comme à travers les crises de la communauté internationale, que par un seul objectif : permettre l'émergence d'un ordre mondial qui soit à la fois plus sûr mais aussi plus juste. Car plus de justice est une nécessité dans le monde d'aujourd'hui. Nous avons le sentiment que ce n'est qu'ensemble, avec nos amis américains, européens et la communauté internationale rassemblée, que nous aurons la possibilité, la chance d'avancer et c'est pour cela que nous adressons une main tendue à nos amis américains, une main ouverte. Nous avons la conviction qu'il est temps de se retrouver, d'avancer et de travailler davantage ensemble, pour trouver justement les solutions indispensables à ces crises douloureuses.
Q - Lorsque vous avez lu le "National Journal" aux Etats-Unis qui dit "the French were right", "les Français avaient raison" quelle a été votre réaction ?
R - Depuis le début de cette crise, toute la position française a été guidée par la conscience très aiguë que, ce qui se jouait en Irak est évidemment très important pour le destin de l'Irak et le destin de la région, mais très important aussi pour la question de l'ensemble des crises internationales. Et si la France a fait preuve d'une très grande résolution, d'une très grande détermination dans l'affirmation de ces principes, c'est bien parce que nous pensons que l'enjeu est essentiel. A aucun moment, nous n'avons eu la tentation de nous placer en donneur de leçons. Nous savons à quel point la tâche est difficile et je crois que cela exige, de la part de chacun, beaucoup d'humilité, beaucoup de réalisme aussi, car, observant, les uns et les autres, au jour le jour, ce qui se passe en Irak, nous sommes obligés, en permanence, d'adapter nos convictions à des réalités changeantes.
Aujourd'hui que voyons-nous en Irak ? Nous voyons à la fois la multiplication d'attentats, nous voyons en même temps des guérillas qui s'en prennent aux forces présentes, aux forces d'occupation sur le terrain. Tout ceci justifie que nous ayons des stratégies adaptées de réponses et notre sentiment, c'est qu'il y a un point de départ. L'une des grandes fragilités aujourd'hui en Irak, c'est le régime d'occupation lui-même. Dès lors qu'il y a régime d'occupation, il y a résistance et l'amalgame qui se crée entre les forces de résistance, les forces nationales, les forces islamistes, les forces terroristes, doit être combattu. Il nous faut distinguer entre ceux qui veulent, concrètement, construire un Irak stable et démocratique, et ceux qui veulent, au contraire, détruire tout semblant d'ordre. Si nous arrivons à faire cette distinction, si nous arrivons à unir nos forces pour construire cet Irak, je pense que nous aurons déjà fait un pas en avant tout à fait essentiel.
Q - Est-ce que la France, la Russie et l'Allemagne pensent à un projet de résolution ? Parce que vous avez dit ce matin, qu'il faut une nouvelle résolution du Conseil de sécurité pour l'Irak. Avez-vous un projet de résolution en gestation ? Est-ce que le conseiller diplomatique du président Chirac en Syrie a eu l'impression que les Syriens ont écouté les positions françaises de vraiment bouger et d'appliquer ce que les Américains leur disent, ce que vous, vous leur dites, avant que ce ne soit trop tard ?
R - En ce qui concerne la concertation avec l'Allemagne et la Russie, vous savez qu'elle est étroite et que nous cherchons en permanence à rapprocher nos analyses et nos points de vue, à essayer de définir ce que nous croyons être le meilleur aujourd'hui pour la communauté internationale dans cette région. Notre sentiment - mais je ne peux pas engager ici l'Allemagne ni la Russie -, c'est que le moment venu, bien sûr, une nouvelle résolution sera nécessaire lorsque nous aurons à poser les bases qui permettront à la souveraineté irakienne d'être affirmée. Ce qui suppose une assemblée consultative et un gouvernement provisoire qui puisse être formé. Je pense que nous reviendrons sur ce qui pourrait constituer le chemin permettant la création d'un tel gouvernement provisoire. Alors bien sûr, il faudra une résolution des Nations unies pour entériner cette situation en Irak. Notre conviction, c'est qu'il faut remplacer un régime d'occupation par un régime de souveraineté, même si, bien sûr, le transfert de responsabilités ne peut être que progressif, et qu'il n'est pas question d'envisager aujourd'hui le départ des troupes de la coalition, qui sont indispensables au maintien d'un ordre, à partir duquel nous espérons que plus de sécurité pourrait être construite. Nous pensons que, pour être efficaces, pour être davantage légitimes, il est important que ces forces, que ces actions soient reliées à un gouvernement provisoire irakien avec lequel une vraie concertation pourrait être nouée.
Si ce gouvernement provisoire demande à la communauté internationale de déployer ses forces de telle ou telle façon, à la frontière par exemple ou en relation avec des forces irakiennes, il conviendra à la communauté internationale de réfléchir et de répondre à ces demandes. Mais il s'agit bien de répondre à des demandes irakiennes. Pour nous, c'est un élément central, sans quoi nous ne voyons rien que de la confusion, de l'amalgame d'où naît l'ambiguïté sur un statut de la présence aujourd'hui des forces de la coalition qui fait débat. Faisons en sorte de dissiper ce rideau de fumée à partir duquel les terroristes peuvent évoluer à leur gré, grandir, grossir, frapper, avec le sentiment de la légitimité en Irak. Cassons cette spirale, cet engrenage de la violence, en faisant en sorte que chacun prenne ses responsabilités. Et quand on veut reconstruire un pays, il y a une exigence essentielle, un point de départ, c'est bien évidemment que ce pays, que le peuple lui-même, en l'occurrence les Irakiens, prennent leurs responsabilités. Nous ne pouvons pas être dans un cas de figure où les Irakiens sont placés en situation d'attente devant ce qui est leur propre destin. Redonnons aux Irakiens leur souveraineté, mettons-les en position de responsabilité, qu'ils déterminent le chemin qui leur paraît être le meilleur pour reconstruire et à partir de là, la communauté internationale devra, elle, apporter les bonnes réponses. Faisons-le tous ensemble ! Mais pour cela, je pense qu'il y a trois conditions indispensables.
La première c'est une approche collective. Dans une situation aussi difficile que celle de l'Irak, le fait d'agir collectivement par le biais de la responsabilité des Nations unies crée une légitimité plus forte. Le deuxième élément qui nous paraît indispensable, la deuxième condition, c'est de mettre la politique au coeur de notre stratégie et non pas la sécurité. C'est là, je crois, le piège qui est tendu. On le voit bien au Proche-Orient : privilégier la sécurité, c'est privilégier l'outil militaire et donc créer une résistance d'autant plus forte, c'est conduire à la naissance de nouvelles forces d'opposition, toujours plus vives. Nous devons éviter cette spirale et cet engrenage. Donc la politique d'abord, c'est la deuxième condition que nous voyons à la vraie reconstruction de l'Irak. La troisième, c'est de ne pas avoir une vision à courte vue de l'enjeu irakien. Nous sommes aujourd'hui confrontés à une région, non seulement très complexe, mais très fragile - le Moyen-Orient - et on le voit y compris aux franges de cette région. Il faut donc avoir une approche globale. Cela veut dire qu'on ne peut pas multiplier des efforts en Irak et se désintéresser du Proche-Orient. On ne peut pas plaider pour la justice en Irak et ne pas plaider pour la justice au Proche-Orient. On ne peut pas plaider pour la sécurité en Irak et ne pas travailler à la sécurité du Proche-Orient. De la même façon que nous nous mobilisons contre le terrorisme, nous devons aussi nous mobiliser contre les armes de destruction massive.
Le paradoxe de l'Irak, c'est que cette guerre a été très largement justifiée par la pratique de la lutte contre le terrorisme alors qu'il n'y avait pas de terrorisme en Irak. Aujourd'hui, c'est le vivier du terrorisme mondial. Ce terrorisme se développe en Irak. Malheureusement, il se développe dans la région et nous pouvons craindre, il faut en être conscient, qu'il se développe ailleurs.
Deuxième justification : les armes de destruction massive ; s'il n'y en avait pas, à cette heure nous pouvons le dire, il est à craindre qu'aujourd'hui les armes de destruction massive puissent aller et venir sur le territoire irakien, à travers des frontières poreuses, dans des conditions qui nous paraissent hautement dangereuses. La responsabilité, c'est bien de contrôler les frontières et de faire en sorte que ces armes de destruction massive ne puissent pas aller et venir et tomber dans des mains de groupes terroristes qui pourraient alors constituer une véritable menace pour la sécurité régionale et la sécurité mondiale.
La troisième justification, c'était de faire avancer l'idée démocratique par un remodelage du Moyen-Orient, de faire avancer la stabilité et la paix dans cette région. Force est de constater, par quelque porte d'entrée que l'on choisisse, que l'on veuille entrer par Bagdad ou par Jérusalem, que dans tous les cas de figure, il faut traiter tous ces problèmes en même temps. Et je ne crois pas que l'argument qui consiste à dire que les Etats-Unis vont rentrer en période électorale soit satisfaisant. La paix, la démocratie dans le monde, ne peuvent pas être à éclipse. Il ne peut pas y avoir un combat pour la paix et la démocratie une année sur deux. Il faut que ce soit un travail de la communauté internationale à plein temps. C'est notre devoir. Et c'est pour cela que je tends la main à nos amis américains, à nos amis européens, à nos amis de la région, pour leur dire : travaillons ensemble. La reconnaissance de nos peuples, le devoir que nous avons vis-à-vis de nos peuples, c'est aujourd'hui, parce que nous sommes à un temps très particulier de l'histoire du monde. A un moment où le destin du monde hésite, va-t-on subitement tomber dans davantage de fureur et de violence, ce que l'on voit tous les jours en ouvrant notre télévision ? Ou bien la volonté des dirigeants, la volonté des hommes sera-t-elle plus forte pour empêcher ce cycle de violence, pour distinguer les forces de violence des forces qui sont saines ? Nous avons donc une responsabilité singulière et il nous appartient de traiter l'ensemble de ces questions en même temps, sans ignorer ce qui, aux portes du Moyen-Orient, constitue encore d'autres facteurs d'inquiétude et de déstabilisation. Je pense, en particulier, à la situation de l'Afghanistan. Nous ne pouvons pas dissocier ces crises. Toutes ces crises sont autant de plaies sur le tissu économique mondial, sur le tissu international, et ces plaies s'enveniment. Nous avons donc pour devoir d'essayer de répondre à ces crises, de travailler à la paix. Si nous ne créons pas les conditions de la paix, ce sera davantage de violence, d'injustice et d'inquiétude pour nos sociétés.
La Syrie est un élément très important de l'ensemble proche-oriental. Nous avons toujours pensé que le processus de paix devait être un processus de paix global. Il doit bien sûr concerner Israël, la Palestine ; il doit aussi concerner la Syrie et le Liban. Ne perdons pas de vue cela. Il faut donc que, dans les efforts de la communauté internationale, nous maintenions en permanence le dialogue, une volonté exigeante vis-à-vis de Damas, et c'est bien ce que la France a voulu faire tout au long de ces derniers mois. J'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, d'évoquer ces questions avec les dirigeants syriens ; le président de la République a été régulièrement en contact ; je me suis rendu à Damas ; vous l'avez rappelé, le conseiller diplomatique du président de la République s'est rendu encore très récemment à Damas, parce que nous devons convaincre les autorités syriennes de la nécessité de s'ouvrir, de s'avancer, d'accepter de rentrer de façon constructive dans ce processus de paix tellement indispensable pour la région. Nous devons faire ce travail avec conviction et détermination. C'est un travail long et difficile, mais nous croyons qu'aujourd'hui, les circonstances qui doivent nous permettre d'être mieux entendus à Damas, existent. L'intérêt de tous les pays de la région, c'est d'oeuvrer dans le sens de la stabilité. Personne ne peut se réjouir des difficultés des autres dans cette région. Chacun sait qu'à tout moment, il peut être rattrapé par cette logique d'instabilité. Donc, il faut plaider dans le sens de l'ouverture et du dialogue, dans le sens du travail de la paix et, comme toujours, il faut le faire avec exigence, c'est à dire avec fermeté. Il faut le faire aussi avec audace, imagination, capacité de dialogue. Je pense la même chose en ce qui concerne le dialogue avec Téhéran. C'est ce qui a motivé le voyage que nous avons fait avec Joschka Fischer et Jack Straw récemment à Téhéran. Face à cette question délicate de la prolifération, nous devons continuer dans ce même esprit : dialogue mais en même temps, fermeté et exigence, pas de complaisance, mais encore faut-il aussi décider ce chemin de sortie de crise que nous devons approfondir, tant vis-à-vis de Damas que vis-à-vis de Téhéran.
Q - La France plaide depuis longtemps pour un transfert rapide de pouvoir et de souveraineté pour le peuple irakien. Il semble que les Etats-Unis pensent aller dans la même direction maintenant. Cela ressemble à la solution que l'ONU a trouvé pour l'Afghanistan mais l'approche de l'ONU était beaucoup plus organisée en avant, il y avait la Conférence de Bonn, 4 groupes très spécifiques avec des pouvoirs dans le pays et surtout, la clef de voûte de cette solution, il y avait la personnalité de M. Karzaï qui est un président acceptable pour tous les groupes. Qui serait le M. Karzaï irakien que vous avez choisi pour votre solution ?
R - Vous savez, l'une des clefs fondamentales de la situation internationale, c'est qu'aucune crise ne se ressemble et il faut donc trouver des solutions adaptées. Que l'on s'inspire, et nous l'avons dit depuis longtemps, du scénario afghan en Irak bien sûr, mais en l'adaptant à la réalité irakienne. S'il n'y a pas une personne pouvant incarner cet Irak nouveau, prenons-en plusieurs. Dans les modèles politiques historiques sur la scène mondiale - et en France nous l'avons même expérimenté -, il est arrivé que l'on s'adresse à deux ou trois personnes, un directoire, un quatuor. Ce qui est important, c'est le processus. Je crois que l'on n'insistera jamais assez sur la nécessité, lorsque l'on parle de crise, d'avancer de façon constructive. Partant donc d'une situation donnée, il faut à la fois beaucoup d'orgueil, parce qu'avancer c'est parfois difficile, mais en même temps, beaucoup d'humilité et c'est tout l'esprit d'un processus. Nous Français, nous ne disons pas détenir la solution. Nous ne disons pas qu'il y a la solution, d'un coup de "baguette magique", par la souveraineté restaurée immédiatement aux Irakiens. Nous disons qu'en s'engageant dans un processus, nous allons faire bouger les choses et associer le peuple irakien, les dirigeants et les responsables irakiens à la reconstruction de l'Irak.
Partons déjà de ce qui existe. Il y a actuellement, un Conseil de gouvernement, un Conseil des ministres et un Comité constitutionnel. Prenons d'abord l'ensemble de ces personnes, voyons s'il faut compléter ces équipes. Chacun de ces comités est formé de vingt-cinq personnes, complétons, essayons d'avoir la représentativité la plus complète.
Comment le faire ? Utilisons les compétences. Il se trouve qu'il y a un représentant américain en Irak. Désignons un envoyé spécial que le Secrétaire général de l'ONU aura choisi. Je rends hommage à l'action de M. Vieira de Mello dont chacun sait à quel point il a été essentiel dans la définition du Conseil de gouvernement. Servons-nous des compétences. L'ONU a une compétence unique dans le domaine des processus politiques. Adressons-nous donc à l'ONU, qu'elle travaille avec le représentant américain, avec toutes les bonnes volontés, avec tous les Irakiens qui sont actuellement parties prenantes de ces différents conseils et créons une assemblée consultative.
Que cette Assemblée consultative choisisse ou élise un gouvernement provisoire, que celui-ci décide de mettre à sa tête une troïka ou deux personnes, avançons, prenons la meilleure des solutions possibles plutôt que de rester assis et de dire : "encore un peu de temps et demain ça ira mieux".
Nous savons tous que demain, cela n'ira pas mieux. Donc agissons, agissons ensemble, concertons-nous, travaillons !
Aujourd'hui, le vrai choix pour l'Irak et pour la communauté internationale est de savoir si, compte tenu de l'urgence, nous devons très rapidement créer les conditions d'un processus électoral, ce qui nous conduit à un processus à plusieurs mois, ce qui signifie, sans doute, rien avant le milieu de l'année prochaine ou alors faut-il, tant bien que mal, tenter de bâtir un processus de légitimité à travers une assemblée consultative qui élira un gouvernement provisoire ? Vous savez qu'il y a une difficulté particulière aujourd'hui en Irak, c'est la Fatwa de l'ayatollah Sistani qui dit qu'il faut que l'assemblée constitutionnelle soit élue.
Distinguons un processus d'urgence pour une assemblée consultative qui élira un gouvernement provisoire d'un processus plus long, constitutionnel qui, lui, par le biais de l'élection permettra de définir la rédaction d'une constitution et au bout du compte, l'élection d'un gouvernement.
Je crois qu'il faut savoir s'adapter aux difficultés. Nous l'avons, j'allais dire, vécu d'expérience, mais toute l'histoire de la décolonisation est celle d'une volonté confrontée à une nécessité. Il faut savoir tirer les leçons de l'Histoire, regarder en arrière, voir ce qui a marché.
Nous avons des exemples récents, l'Afghanistan est un bon exemple. Pourquoi ce qui a marché en Afghanistan ne pourrait pas, de façon adaptée, marcher en Irak ? En tout état de cause, tout vaut mieux que de ne rien faire.
Q - Vous dites Monsieur de Villepin, nous retrouver avec les Etats-Unis, le moment semble plus mûr qu'auparavant, cela veut-il dire qu'une nouvelle résolution des Nations unies qui est une condition sine qua non et si pareille résolution est votée, jusqu'où la France serait-elle prête à aller ? par exemple, serait-elle prête à participer, sous couvert des Nations unies, à des forces de sécurité ou autres sur place ?
R - Vous savez, ce qu'il y a d'admirable dans la société internationale, c'est que l'on répète les mêmes schémas sans jamais remettre en cause ce qui les fondent. Avant de se poser la question de savoir comment la communauté internationale doit répondre à la question de la sécurité, - c'est une question essentielle dans le cas de l'Irak - nous pensons qu'elle doit être traitée au regard d'une exigence politique. Celle-ci est satisfaite, s'il y a un gouvernement provisoire irakien à travers une assemblée consultative, il sera temps de demander aux Irakiens comment ils veulent faire régner et appliquer la sécurité dans leur propre pays.
Vous savez, il ne faut pas croire que les Irakiens n'ont pas d'avis. La situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, où l'on entend qu'il n'y a pas d'Irakien qui pourrait... nous l'avons entendu durant des décennies.
Il n'y a pas en Indochine, dans tel ou tel pays d'Afrique de gens qui..., oui, mais un matin, ces gens, malgré vous, ils s'organisent et ils font ce qu'ils croient devoir faire.
Je crois donc qu'il vaut mieux organiser avec eux plutôt que de subir l'histoire.
C'est le défi historique que nous avons à relever.
Pour la sécurité, il convient de voir comment les Irakiens estiment devoir la traiter. Les Irakiens ont des capacités dans le domaine de la sécurité et une expérience historique, c'est le moins que l'on puisse dire. Que ces capacités soient mises au service d'un Irak libre, d'un Irak démocratique, cela me paraît la moindre des choses. Dans un certain nombre de situations - je pense aux villes - que vaut-il mieux ? Avoir des soldats derrière des murs de citadelles, derrière des rempart parce qu'ils ne peuvent pas - et à juste titre, parce qu'ils craignent les représailles et les attaques - exercer librement leur travail de sécurité ? Cela vaut-il mieux que d'avoir des Irakiens chargés directement de la sécurité, quitte à ce qu'ils soient appuyés, le cas échéant, par des forces étrangères. Je crois qu'il faut réfléchir, dans un pays comme l'Irak. Nous avons beaucoup trop oublié que l'Irak est un grand et vieux pays, un pays d'une immense tradition, d'un immense orgueil, il faut compter avec les Irakiens et donc, il faut davantage leur demander ce qu'ils souhaitent.
Pour sa part, la France est prête à apporter sa contribution, nous l'avons dit, nous sommes prêts à coopérer dans la formation de l'armée, de la police parce que nous pensons que ce sont les Irakiens eux-mêmes qui sont les mieux placés pour résoudre et répondre à ces questions sécuritaires.
Q - Mais, d'abord, il faut qu'une résolution soit votée ?
R - Ne parlons pas de résolution. Il faut d'abord - et je crois que la résolution 1511 nous permet de faire beaucoup de choses - que nous enclenchions un processus politique et nous souhaitons, je le redis, que cela soit fait d'ici la fin de l'année. Il faut donc un processus politique d'urgence qui conduise au respect de la souveraineté en Irak, c'est-à-dire à la formation d'un gouvernement provisoire et je le répète, je ne vois pas ce qui, aujourd'hui, fait que cela ne serait pas possible.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit tout à l'heure que vous ne souhaitiez pas un départ des forces de la coalition d'Irak. Considérez-vous, avez-vous la conviction qu'il existe un risque que, dans les six ou huit mois qui viennent, les Etats-Unis décident, par calcul électoral ou autre de retirer tout ou partie de leurs forces basées en Irak ?
R - Vous savez - je crois que c'est un sentiment qui est partagé au sein de la communauté internationale et avec nos amis américains -, je crois au principe de responsabilité. Il y a une responsabilité aujourd'hui de la communauté internationale en Irak, les Etats-Unis ont pris une position prééminente quant à la conviction qu'ils avaient que la guerre était nécessaire. Je crois qu'à partir de là, il faut que nous trouvions ensemble les voies et les moyens pour permettre à la communauté internationale de régler cette crise.
Donc je pense qu'à l'unilatéralisme militaire ne doit pas correspondre un unilatéralisme diplomatique. C'est un défi pour la communauté internationale et c'est pour cela que je plaide dans le sens de la concertation et du dialogue, dans le sens du travail. Nous avions multiplié les propositions dans la période qui avait précédé la guerre. Nous avions notamment, dans la plus difficile, proposé une réunion des chefs d'Etats et de gouvernements au niveau du Conseil de sécurité, des réunions ministérielles. Je crois qu'il est temps de comprendre qu'il y a plus de bonnes idées dans plusieurs têtes que dans une, et que nous sommes plus forts lorsque nous sommes unis. Je le dis, travaillons, concertons-nous, réfléchissons, unissons nos volontés et nos expériences et je suis convaincu que nous trouverons les bonnes réponses aux crises du monde d'aujourd'hui.
En tout état de cause, ce qui me paraît le plus grave sur la scène internationale, c'est de laisser l'initiative à ceux qui refusent l'ordre international, c'est-à-dire aux terroristes. L'agenda des démocraties, l'agenda du monde ne doit pas être écrit par les terroristes et pour qu'il ne le soit pas, il faut que ce principe d'unité, que ce principe de responsabilité collective joue à plein. Aucune puissance ne peut prétendre résoudre seule cette équation difficile, il faut donc que nous le fassions ensemble. (...)
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2003)