Interview de M. Julien Dray, porte-parole du PS, à "Europe 1" le 5 octobre 2004, sur l'échec de l'intervention de M. Julia en Irak pour la libération des otages français, sur l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et sur le référendum en faveur de la nouvelle Constitution européenne.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Porte-parole du PS, la direction F. Hollande du PS. J. Dray, le PS est-il prêt à rompre aujourd'hui l'accord général qui prévaut en France à propos des otages, depuis 47 jours, et à cause de D. Julia ?
La réponse est non, parce que ce qui nous importe aujourd'hui, c'est d'abord d'obtenir la libération des otages. Et c'est cela qui doit prévaloir par-delà tous les esprits partisans. Alors, évidemment, ce qui est en train de se passer pourrait être le scénario d'une comédie de Pierre Richard, mais l'important maintenant, c'est qu'il n'y ait pas un signe qui soit donné aux ravisseurs qu'ils peuvent jouer en France et opposer les uns aux autres. Il faut retrouver les conditions d'unité nationale, il faut retrouver la cohérence de la cohésion. C'est la question que nous posons au Premier ministre ; il doit rétablir les conditions de la confiance autour de l'activité de la diplomatie française. Pour cela, il ne doit pas mentir. Il y a visiblement eu une tentative...
Une tentative de quoi ?
Une tentative de réseau parallèle. Elle n'est pas condamnable en soi quand il s'agit d'obtenir la libération des otages, on essaye par tous les moyens possibles...
Cela veut dire que vous comprenez la mission que s'est auto-donnée D. Julia ? C'est vrai qu'il avait la liberté d'action et l'immunité d'un élu...
Je ne comprends pas, parce que visiblement tout cela a été très bien coordonné. Mais je ne comprends pas non plus, qu'après se multiplient les mensonges d'Etat. On nous explique que le Gouvernement n'était pas au courant, que l'Elysée n'était pas au courant, et heure après heure...
On n'a pas approuvé ou soutenu l'initiative privée, on n'a pas dit qu'on n'était pas au courant. C'est autre chose.
Ca, ce sont les termes diplomatiques qui laissent entendre quoi ? Que, visiblement quelqu'un s'est présenté en disant : j'ai peut-être une solution, et qu'on l'a laissé faire, en se disant que ça va peut-être marcher.
A-t-on eu tort là ?
Mais ce n'est pas condamnable en soi. Ce qui est condamnable, c'est visiblement, alors là il faudra vérifier, qu'on passe par la Côte-d'Ivoire, des réseaux de valises de billets, des choses comme ça. On a l'impression qu'on rentre dans autre scénario. Donc, la demande du PS, ce matin, est claire : il faut retrouver l'unité nationale. Pour cela, il faut que le chef du Gouvernement informe régulièrement l'opposition, et que le message de la France soit un message de cohérence.
Mais le Premier ministre va le faire. Dans quelques instants, il va recevoir à l'Hôtel Matignon les présidents des Assemblées, puis la majorité et l'opposition pour leur révéler ce qu'il sait lui-même, et puis peut-être aussi parler des dégâts provoqués par le voyage inopportun de D. Julia. Mais soupçonnez-vous le gouvernement Raffarin de double jeu ?
Je prends date aujourd'hui, et il faudra qu'on s'explique sur ce qui s'est passé tout au long de ces 47 jours parce qu'il y a eu plusieurs comportements de la diplomatie française qui mériteraient débat. Mais l'heure n'est pas à la polémique tant que les otages ne seront pas libérés.
C'est-à-dire ? Vous aurez le temps, une fois les deux otages rendus...
Je prends date ce matin...
...vivants, au pays et à leurs familles de vous étriper politiquement ? Je prends date ce matin, au nom de l'opposition, qu'il faudra s'expliquer. Mais ce n'est pas le moment.
A l'Assemblée nationale cet après-midi, le député Julia, dix fois réélu, va venir s'installer à son banc, comme si de rien n'était, après s'être expliqué en commission. Comment réagirez-vous quand vous le verrez passer devant vous ?
Je n'aime pas les lynchages médiatiques, et donc je n'aime pas cette meute qui se forme tout d'un coup, tout le monde le charge, en faisant semblant de l'ignorer, ou de dire qu'il est responsable de tous les maux. Visiblement, il a agi - alors après tout, ce qu'il a fait est certainement discutable -, avec des réseaux qui sont troubles. Maintenant, c'est trop facile aussi de charger un homme dans ce moment-là. Voilà. Donc, c'est à sa famille politique de régler les problèmes, mais ça sert à rien de prononcer des sanctions.
Faut-il l'exclure, le sanctionner ?
D'après moi la sanction est déjà tombée avec la condamnation unanime, et la manière dont il se trouve aujourd'hui mis au ban de la communauté politique.
Mais que se passe-t-il pour que vous soyez aussi sage ce matin ?
Il se passe que, ce qui doit prévaloir pour moi c'est d'obtenir les conditions de la libération des otages. Et donc, je suis sensible au message que nous ont adressé les familles en disant : pas de polémiques, d'abord travaillons à libérer les otages. On sait qu'on est observés en ce moment ; on sait que les ravisseurs, par les technologies modernes, savent tout ce qui se passe en France. Et s'ils ont le
sentiment...
On leur dit ce matin : la France reste unie ?
La France demande et exige la libération des otages sans aucune contrepartie.
Demain, la Commission de Bruxelles devrait recommander l'ouverture de négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, et sous certaines conditions. Les chefs d'Etat et de gouvernement vont décider le 17 décembre. Le PS est-il favorable à ce qui est en train de se passer à propos de la Turquie ?
Le PS est favorable, il l'est depuis 1999, c'est-à-dire, au moment où ont commencé les conditions d'entrée de la...plus exactement les discussions autour des conditions d'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. A l'époque, il y avait un président de la République qui était J. Chirac et un Premier ministre qui s'appelait L. Jospin. Ce que je veux dire ce matin, parce que ça commence, excusez-moi l'expression, "à me prendre la tête cette histoire", c'est que, la question de la Turquie, dans l'Europe, ce n'est pas une question nouvelle premièrement. Deuxièmement, ce n'est pas une question d'actualité immédiate. Il s'agit simplement de discuter des conditions qui permettraient à la Turquie dans dix ans de pouvoir accéder à l'Union européenne. Donc, il ne faudrait pas que, justement, les Turcs deviennent l'otage de tout le débat que nous avons sur l'avenir de l'Europe. On est en train de discuter, les conditions aujourd'hui ne sont pas remplies. Ce n'est pas demain que la Turquie va être en Europe. Il faut, par exemple, qu'elle améliore les droits de l'Homme ; il faut qu'elle reconnaisse le génocide arménien. Donc, il y a un long chemin qui commence pour la Turquie.
Mais il faut qu'il y ait une clause de suspension ou d'arrêt des négociations si les réformes s'arrêtent en Turquie ?
Comme toute discussion. A un moment donné, elle peut s'arrêter si les conditions ne sont pas remplies.
Mais là, vous parlez au nom de tout le PS ou de la direction de F. Hollande ?
La direction de F. Hollande c'est la direction de tout le PS. Oui, mais elle est la coalition des "non", il y a L. Fabius, qui ne sont pas forcément de votre avis ?
C'est un mauvais service rendu à l'Europe que de prendre en otage la Turquie aujourd'hui dans ce débat que nous avons sur la Constitution européenne.
Vous dites cela à vos amis ?
Je dis à mes amis : la Turquie, l'entrée de la Turquie n'a rien à voir avec le débat la Constitution européenne. On discutera des conditions de l'élargissement à venir, mais je crois que ça serait par ailleurs un très mauvais message qui serait donné à un pays comme la Turquie, qui a un rôle important et qui est à la jonction entre l'Europe et l'Asie et le Moyen-Orient, de pouvoir dire : vous n'avez pas votre place. Je crois que la Turquie a sa place en Europe.
Vous avez entendu ce matin, P. De Villiers, à Europe 1. Il s'est scandalisé parce qu'il vient de découvrir que la Turquie bénéficie d'un statut de pré-adhérent qui lui ouvre une aide financière ! C'est vrai non ?
Si P. De Villiers était un responsable politique qui prenait le temps de lire, il saurait que depuis déjà plusieurs années, la Turquie bénéficie de ce statut, un statut d'assistance financière comme d'autres pays.
Cela ne vous choque pas ?
Non, cela ne me choque pas. Et par ailleurs, la question qui est posée est : l'Europe c'est chacun pour soi ou l'Europe c'est la solidarité ? Quel est le message que nous adressons à tous ces peuples ? C'est que nous voulons défendre nos avantages contre eux ou est-ce que nous voulons au contraire les aider à bénéficier, aussi avec nous, de nouveaux avantages ?
Les partisans du "non" au sein du PS ont dit cette semaine, et disent maintenant, que "la Constitution n'est pas compatible avec le socialisme" et qu'elle favorise les délocalisations". N'est-ce pas une nouvelle psychose, les délocalisations provoquée par l'Europe ?
La Constitution n'empêche pas le socialisme, c'est un mensonge, premièrement. Deuxièmement, il y a effectivement, en ce moment, une psychose qui s'est créée : on refait avec les délocalisations ce qu'on a fait, excusez-moi, avec la sécurité à un moment donné, c'est-à-dire, qu'on mélange tout. Et donc, il y a une sorte de psychose qui se crée. On met la fièvre à l'opinion et puis après on prend la température, on dit : elle a la fièvre. On a l'impression aujourd'hui qu'il n'y a qu'un problème de délocalisation. Ce n'est pas un problème qui n'existe pas, mais c'est un problème qui est relativement mineur par rapport à d'autres problèmes. Aujourd'hui, quand des entreprises créent des usines dans des pays étrangers, ce n'est pas simplement à cause du coût du travail, c'est aussi parce qu'elles vont conquérir des nouveaux marchés et que cela va créer demain des emplois en France. Donc, tomber dans ce piège qui nous est tendu, qu'aujourd'hui la seule question qui est posée c'est la question des délocalisations et la question du coût du travail, on voit ce que cela veut dire demain, en France ! Parce que, que va nous dire le Gouvernement de droite ou que nous dira le patronat ? Baissez le prix du coût du travail. Donc, c'est une erreur.
Oui mais on vous dit que la mondialisation empêche les avancées sociales, empêche les structures sociales d'évoluer dans un pays.
La mondialisation c'est une extension des marchés ; une extension des marchés c'est une excroissance des richesses, donc ça doit être forcément à un moment donné ou à un autre un meilleur niveau de vie pour nos concitoyens. Il faut que l'on compare ce qui est comparable. Regardons les échanges, et dans les échanges, dans la mondialisation, la France est gagnante. Donc, il faut arrêter d'avoir peur.
Vous parlez comme P. Lamy : "la mondialisation est une chance ou peut être une chance".
Elle peut être une chance, cela veut dire que c'est aux socialistes de créer les conditions de la régulation, c'est-à-dire, d'une meilleure distribution des richesses, de faire que ça ne soit pas la jungle. C'est cela le travail des socialistes. Ce n'est pas de refuser le progrès, c'est de le dominer.
Vous le dites à L. Fabius, à tous les partisans du "non" ?
Je le dis à tous ceux qui ont exercé des responsabilités et qui aujourd'hui, au nom du fait qu'ils sont dans l'opposition, ne doivent pas oublier cette culture-là qui est essentielle, c'est que demain il faudra gérer le pays, et qu'on ne gèrera pas le pays en mettant en place une politique protectionniste. Ce n'est pas vrai, parce que le protectionnisme c'est plus de difficulté.
Votre direction peut-elle rester en place si le "non" l'emporte ?
Elle discutera de son avenir, et effectivement, il y a aujourd'hui un débat sur ce qu'on fera. Mais ce n'est pas le moment. Le moment c'est de faire que le PS reste le Parti socialiste...
Et si le "oui" l'emportait ?
Si le "oui" l'emportait, c'est un nouveau départ pour le PS, parce qu'il construira à partir de là une démarche nouvelle pour faire de vraies réformes en France qui correspondent à ce qui est aujourd'hui posé comme problèmes. Je vais vous donner un exemple : je pense que le problème qui nous est posé aujourd'hui, c'est un problème lié à notre système de formation ; nous avons une difficulté à trouver des emplois avec des gens qui sont formés. Ca, ce n'est pas la Constitution européenne qui nous empêchera de réformer l'école.
Je note qu'H. Morin, de l'UDF, est en train de dire qu'il croit à un double jeu du Gouvernement et que vous, vous avez dit le contraire.
Moi, je pense que l'opposition doit toujours être responsable pour deux dans ces cas-là.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 octobre 2004)