Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, pour la commémoration de l'installation de l'Assemblée consultative provisoire au Palais du Luxembourg, le 9 novembre 1944, Paris le 9 novembre 2004

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Avec cette commémoration de la séance inaugurale de l'Assemblée consultative provisoire, qui s'est tenue il y a soixante ans aujourd'hui, nous célébrons l'essentiel. L'essentiel, c'est à dire le rétablissement de la démocratie, le refus de la tyrannie et le retour de la paix, après cinq années de guerre.
Certes, toute commémoration est par nature tournée vers le passé, dans la mesure où elle affirme un refus de l'oubli.
Mais, le devoir de mémoire auquel nous nous livrons aujourd'hui est ancré dans le présent par la pérennité de la reconnaissance due à ceux, - à tous ceux -, qui ont permis la libération du territoire national, la restauration de la démocratie et l'instauration de la paix. Permettez-moi, en cet instant, de saluer ceux d'entre eux qui nous font l'honneur d'être avec nous dans cet Hémicycle et dans ces tribunes.
Ce devoir de mémoire, - aussi exigeant soit-il -, ne néglige pas l'avenir car il constitue aussi un perpétuel appel à la vigilance. Ces évidences que sont le refus de la tyrannie, - quelles qu'en soient les formes hideuses -, l'exigence de démocratie et l'aspiration à la paix, nécessitent un combat permanent, opiniâtre et déterminé. Les tensions d'un monde incertain, tensions qui se propagent jusqu'à l'intérieur de nos frontières, montrent que ce combat demeure plus que jamais actuel.
La lecture des débats de l'Assemblée consultative provisoire fait apparaître cette instance comme la synthèse contrastée d'une époque, à la fois complexe et unique, et d'un message d'une présente actualité.
L'Assemblée consultative provisoire fut, -au cours de sa brève existence-, tout à la fois, la revendication d'une puissante symbolique de continuité démocratique, une réalité politique et parlementaire fortement significative, mais injustement sous-estimée, et, enfin, l'expression d'un espoir et d'une volonté imaginative de progrès et d'entente dans une France affaiblie, amoindrie et meurtrie.
Elle fut aussi le lieu, organisé et privilégié, de l'expression, de la volonté, je dirai même de la mystique, du renouveau économique et social de notre pays.
L'Assemblée consultative provisoire fut tout à la fois l'ordre dans une France morcelée, divisée et dévastée et le mouvement dans une France abaissée, humiliée et paralysée.
Voulue dès 1941 par le Général de Gaulle, et organisée sur le plan institutionnel par René Cassin, Commissaire à la Justice, l'Assemblée consultative provisoire siégea, à partir de novembre 1943, à Alger sous la présidence de Félix Gouin.
Au long de sa brève existence parisienne, du 7 novembre 1944 au 3 août 1945, l'Assemblée consultative provisoire fut d'abord un symbole fort : celui de la volonté, affirmée et affichée, du rétablissement de la chaîne brisée de la souveraineté populaire.
Une prompte et tangible affirmation de la continuité démocratique de la France était, en effet, essentielle.
Elle correspondait à une aspiration nationale profonde.
Elle était nécessaire pour des raisons évidentes, et nobles, de politique intérieure.
Elle était également indispensable - et cette dimension était particulièrement importante aux yeux du Général de Gaulle - pour rétablir la légitimité extérieure et, partant, le poids international de la France.
Cette symbolique s'inscrivait aussi dans un contexte plus général : celui de la restauration de l'État.
Dans une France morcelée et en partie détruite, dans laquelle une partie importante des pouvoirs en place avait failli sous l'Occupation, il convenait, avant tout, de restaurer l'État pour que la France puisse se réconcilier avec elle-même.
Il importait que le Gouvernement gouverne, que l'armée combatte l'ennemi encore présent sur le territoire national, que l'administration administre un pays en proie à de redoutables problèmes quotidiens, que la monnaie, le franc, soit restaurée, que l'économie soit relancée, que la reconstruction du pays soit engagée et, enfin, que la voix de la France soit entendue dans le concert des Nations.
Ces ardentes et décisives exigences impliquaient de façon impérieuse l'affirmation de la continuité démocratique du pays, clef de voûte de la Nation en reconstruction.
Il n'est pas excessif de dire que l'Assemblée consultative provisoire fut, de ce fait, un élément déterminant du rétablissement de la France dans ses valeurs, dans son rang, dans sa lumière.
Ce point me semble devoir être médité. En ce qu'elle illustra le rôle indispensable de l'institution parlementaire dans la reconstitution de la force d'un État, la brève histoire de l'Assemblée consultative provisoire ne conserve-t-elle pas une actualité toute particulière ? Permettez-moi de penser ici au défi majeur de ces nations divisées et détruites, dont la reconstruction conditionne la sécurité du monde, à l'orée de ce XXIe siècle. La genèse d'un parlement, de préférence bicaméral, ne constitue-t-elle pas pour ces pays dévastés et décomposés, pour ces États sans Nation, pour ces Nations sans État, la première pierre de leur reconstruction, de leur affirmation et de leur intégration dans le concert pacifique des Nations ?
Symbole puissant, l'Assemblée consultative provisoire fut aussi une réalité parlementaire tangible, et à maints égards exemplaire.
Quoique les anciens parlementaires y fussent minoritaires, l'Assemblée consultative provisoire, dominée par les représentants des organisations résistantes, a été, à la Libération, une expression représentative de la Nation française. Elle l'a été par sa composition, élargie en octobre 1944. Elle l'a été par le rôle qui fut le sien.
Simplement délibérative, l'Assemblée consultative ne fut pas, pour autant, une simple chambre d'enregistrement. Loin s'en faut !
Elle travailla avec ardeur selon les règles les plus éprouvées, -et je dirai les plus sophistiquées-, du parlementarisme français. Son bilan est éloquent : 120 séances publiques, de nombreux avis et résolutions amendés, plusieurs centaines de réunions de commissions, 79 rapports de commissions, plusieurs missions d'information ou d'enquête, presqu'un millier de questions au gouvernement...
De fortes voix s'y élevèrent avec fougue, passion et éloquence. Je citerai, parmi ces voix qui se sont tues, celles de Maurice Schumann, de Gaston Monnerville, d'André Colin, de Jacques Duclos, de Vincent Auriol, de Jules Moch, de Jacques Debû-Bridel, de Pierre Cot et d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie.
Profondément attachée au régime représentatif, l'Assemblée consultative provisoire ne se résigna pas à n'être, circonstances obligent, que consultative. Et le Président du Gouvernement provisoire dut faire face aux revendications de délégations de ses membres réclamant les pleins pouvoirs... législatifs.
En un mot, l'Assemblée consultative provisoire honora le parlementarisme dont elle prépara la pleine reconstitution.
Des débats parfois âprement contradictoires s'y dérouleront. Ils portèrent -bien sûr- sur les problèmes cruciaux d'une époque marquée par la guerre : l'épuration, les spoliations de l'occupation, le rapatriement des déportés survivants et des prisonniers de guerre, le ravitaillement de la population, la reconstruction d'une France largement ruinée et détruite...
Ils portèrent aussi, -souvent en présence du Chef du Gouvernement provisoire, le Général de Gaulle- sur l'avenir, la politique générale du pays, les questions économiques et budgétaires, la politique étrangère.
Ces débats furent particulièrement émouvants, marqués par une vibrante, unanime et inoubliable Marseillaise le 15 mai 1945, jour de la célébration en séance publique de la Victoire contre le nazisme. Ils furent âpres, controversés et précurseurs de l'histoire constitutionnelle des IVe et Ve Républiques lorsqu'ils portèrent sur l'avenir des institutions de la République.
Ils furent lucides, imaginatifs et annonciateurs du douloureux processus de décolonisation lorsque des circonstances dramatiques conduirent à aborder l'avenir de l'Algérie, et, au-delà, le devenir du Maroc, de la Tunisie et de l'Indochine.
Ils furent, enfin, généreux, unanimes et porteurs d'avenir sur la sécurité sociale, les accidents du travail, les comités d'entreprise ou le rôle civique des femmes.
Symbole puissant et réalité parlementaire forte, l'Assemblée consultative provisoire fut aussi l'expression frémissante d'un espoir et d'une volonté, tout à la fois imaginative et déterminée, de progrès et d'entente civique.
A ce titre, elle fut l'expression et le symbole d'un moment exemplaire et rare, dans la vie d'une démocratie.
Profondément attachée à l'union de la Nation toute entière, après les divisions de la guerre et de l'avant-guerre, mais respectueuse de la diversité qui est l'essence même de la démocratie, l'Assemblée consultative provisoire fut un lieu d'imagination, une enceinte de dialogue, un espace d'écoute, un havre de respect.
Fidèle à la promesse de renouveau qu'exprimaient dans la richesse de leur diversité les idées de la Résistance, l'Assemblée consultative provisoire fut une force de proposition riche, généreuse et tournée vers la construction de l'avenir de notre pays, dont elle aborda quasiment tous les grands chantiers.
Il s'y exprima une confiance volontariste dans l'avenir, un devoir de penser le futur, qui pourrait inspirer nos travaux dans cette époque, la nôtre, où l'imagination est trop souvent bridée par le désenchantement, le pessimisme, les particularismes, les corporatismes, et les a priori partisans.
L'Assemblée consultative provisoire fut, tout à la fois et comme par une sorte de magie fugitive, l'expression ardente de valeurs communes retrouvées, d'un espoir partagé, d'un " vouloir vivre ensemble " et d'un devoir d'élaboration d'un futur meilleur pour tous.
Cette volonté de construire en commun un État plus juste, plus fort, plus efficace, plus généreux, plus sûr, s'y exprima dans le mélange rare et exemplaire d'un devoir d'écoute, d'un respect mutuel et d'une volonté de recherche du consensus qui n'excluait en rien la fidélité aux convictions.
L'Assemblée consultative provisoire reste, de ce point de vue aussi, un modèle et une référence qui doivent nous inspirer.
L'Assemblée consultative provisoire sut être fidèle à l'épopée de larmes, de sang, de légende - mais de rêve aussi - que fut la Résistance, dont elle était très largement issue.
Avec un grand professionnalisme, elle sut réaliser la transition vers le débat contradictoire et la démocratie.
Toujours, elle sut s'exprimer avec générosité et hauteur de vue.
Souvent, elle sut tracer les voies d'une approche empirique et pragmatique des choses, exigée par l'urgence de la reconstruction du pays et de l'État.
Son soutien au gouvernement provisoire fut tangible. Il ne s'exprima cependant pas toujours sans circonspection, ni réserve.
En certaines occasions, elle se divisa profondément.
En ce jour, -qui est aussi celui de l'anniversaire de la mort du Général de Gaulle, ce géant, ce héros, qui fût l'inspirateur de l'Assemblée consultative provisoire, je crois que nous pouvons être fiers que l'Assemblée consultative provisoire ait existé, et qu'elle ait travaillé en cet hémicycle. Elle l'a honoré.
Puissions-nous méditer les leçons, plus actuelles que jamais, qu'en dépit du contexte très singulier de son existence éphémère, elle a su nous léguer.
(Source http://www.senat.fr, le 15 novembre 2004)