Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "Europe 1" le 15 décembre 2003, sur l'arrestation de Saddam Hussein et le souhait qu'il ne soit pas jugé en Irak, sur le partage des responsabilités dans l''échec du sommet de Bruxelles, sur les suites de l'affaire Executive Life, les conclusions du rapport Stasi.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Pendant que nous parlons, des attentats ont lieu à Bagdad et autour de Bagdad. La capture de S. Hussein ne marque pour le moment la fin ni de la guerre ni du terrorisme.
- "Oui, l'arrestation de S. Hussein est une bonne nouvelle et, en même temps, ce n'est pas la fin de l'occupation et donc de la guerre. Il faut qu'il y ait maintenant une solution internationale, et pour juger S. Hussein - car il doit être jugé avec les règles du droit international -, et en même temps, que les Irakiens puissent eux-mêmes porter jugement sur lui est normal, mais il s'agit d'un criminel de guerre, il s'agit d'un homme qui a martyrisé non seulement son peuple mais aussi beaucoup de peuples riverains. Et à partir de là, c'est la justice internationale qui doit l'emporter..."
Si je comprends bien, vous ne voulez pas qu'il soit jugé en Irak par un tribunal irakien ? Vous préférez un procès international avec garantie des Nations unies ?
- "Oui, il faut un procès international garanti avec les Nations unies. On ne peut pas vouloir la légitimité internationale pour une intervention en Irak et en même temps, retirer cette légitimité internationale quand il s'agit de juger le principal acteur de cette situation, le fauteur de cette guerre. Et il y a une nécessité aussi d'intervention internationale, de retour de l'ONU en Irak, avec la souveraineté du peuple irakien, le plus rapidement possible. Ce sont ces deux démarches qu'il faut poursuivre : légitimité internationale, le droit international, la souveraineté du peuple irakien."
Deux remarques : le succès américain donne-t-il a posteriori une légitimité à la guerre contre l'Irak de S. Hussein ? Et deux, est-ce que vous pensez qu'il faut accélérer alors "l'Irakisation" de l'Irak, comme le demande la France ?
- "Oui, il faut accélérer le retour à la souveraineté des Irakiens sur leur propre territoire. C'est quand même bien la démarche qui paraît la plus naturelle, la plus légitime. Faut-il encore que précisément les Irakiens retrouvent les conditions d'une prise de décision, d'une prise de parole. Sur l'intervention elle-même, nous aurions pu sans doute avec plus de temps, obtenir le départ et l'arrestation de S. Hussein par l'intervention internationale et qu'il ne faudrait pas pour autant aujourd'hui que S. Hussein est arrêté, dire que les Américains avaient raison, parce que cela voudrait dire que leur but de guerre était la seule arrestation de Saddam..."
Les armes de destruction...
- "C'était les armes de destruction massive. Pour l'instant, on a trouvé S. Hussein, je ne m'en plains pas, mais on n'a toujours pas trouvé les armes de destruction massive."
Donc la France avait raison ?
- "La France avait raison et je pense qu'aujourd'hui, ce n'est pas de savoir qui avait raison, qui avait tort, c'est de permettre le plus vite possible le retour à la légalité internationale et au droit des Irakiens à disposer d'eux-mêmes."
Je vous ai entendu réclamer hier contre S. Hussein la plus haute sentence. Si c'est la loi irakienne qui s'applique, c'est la peine de mort : c'est ce que vous voulez pour lui ?
- "Non, je pense que la loi internationale doit s'appliquer et, à partir de là, c'est la plus haute sentence du droit international."
Le sommet de Bruxelles a été un échec et probablement une claque pour le gaffeur S. Berlusconi, mais ce n'est pas un drame, disent les Français, les Anglais, les Allemands. Est-ce qu'on peut relancer en 2004 la Constitution pour l'Europe à 25, comme le souhaite A . Juppé, ou faut-il se dire que ce sera en 2005 et qu'il y aura un retard, qu'il n'y aura pas de Constitution ?
- "C'est un échec, incontestablement. Qui en est responsable ? De multiples, à commencer par les Polonais et les Espagnols, mais qu'il ne faudrait pas mettre dans le rôle de simples accusés. S. Berlusconi y prend à mon avis sa place. Et puis aussi, disons-le, la manière avec laquelle la France et l'Allemagne ont mené la négociation ou ont voulu démontrer qu'il suffisait de se mettre d'accord à deux pour qu'on se mette d'accord à 25. Mais non, ça, ça ne marche plus et la manière de faire qui est de dire "on foule au pied les engagements qui sont imposés à tous, notamment sur le Pacte de stabilité, mais tout le monde doit se mettre à l'équerre derrière nous"... Franchement, la manière avec laquelle J. Chirac, et même G. Schröder, ont abordé cette négociation, n'excuse pas le comportement des autres mais n'a pas été de nature à favoriser l'Union. Alors, maintenant, est-ce que de cet échec il faut se dire "poussons un ouf de soulagement, il n'y aura rien, il n'y aura pas de Constitution, on aura la grande Europe et on ne prendra pas de risques". Je dis non. Il y a un échec, il faut en sortir, il faut qu'il y ait une constitution pour l'Europe, une bonne constitution. Donc, laissons le temps, les deux ou trois mois nécessaires pour que chacun reprenne ses esprits, mais il faudrait qu'avant les élections européennes, les Européens, au moment où ils vont voter, puissent savoir sur quoi ils vont voter, sur à la fois la grande Europe et ses institutions, mais j'ajoute aussi sur l'Europe d'avant-garde, le groupe pionnier. Parce que maintenant J. Chirac essaie - et je peux le comprendre - de nous dire qu'il n'y aura pas de constitution pour la grande Europe, mais qu'on va faire un groupe pionnier, à quelques pays. Non, il faut faire les deux : la grande Europe nécessite une constitution parce que sinon, elle ne pourra pas fonctionner ; et, en même temps, il faut faire cette Europe d'avant-garde pour aller plus loin, notamment sur le plan économique et social, parce qu'on a besoin d'un moteur économique et social. Et celui-là, précisément, il est enrayé."
A propos d'Executive Life, l'accord franco-américain est en principe signé aujourd'hui. On saura si le Gouvernement intègre J. Peyrelevade dans cet accord qu'il voulait global. Vous, le PS, vous réclamez une commission d'enquête parlementaire. Est-ce que vous en voulez tellement à votre parti, à certains gouvernants de gauche et à D. Strauss-Kahn ?
- "Il ne s'agit pas d'avoir peur de quoi que ce soit, on ne doit jamais avoir peur de la vérité. Il s'est passé une affaire - bonne affaire d'ailleurs ! - Executive Life pour le Crédit Lyonnais - ce n'était pas si fréquent -, pour Pinault - c'était plus habituel dans un certain nombre de situations - et les Américains ont engagé une procédure. Il y a eu des accords qui ont été proposés [...]"
Non, mais tout ça, je le sais, comme la plupart des Français !
- "Non, parce que les Français ne savent pas forcément exactement qui est à l'origine, ce qui s'est passé et aujourd'hui, ce que cela va coûter. Et nous voulons donc tout connaître, tout savoir, sans rien gêner par rapport aux procédures américaines. Et c'est pour cela que nous avons demandé une commission d'enquêtes, et si une commission d'enquêtes n'est pas possible pour des raisons juridiques, une mission d'information. Le Parlement doit savoir, y compris sur tout ce qui s'est passé depuis 1991. Si c'est la question que vous voulez me poser : tout doit être connu."
Dans 48 heures, le président de la République devrait proposer aux Français, je pense avec une certaine solennité, une grande loi de la laïcité, inspirée par le travail de la Commission Stasi : le voile, les signes ostensibles, pas seulement à l'école, dans tous les lieux publics, etc. justice, santé, etc. Est-ce que cela vous convainc, est-ce que cela vous convient ?
- "Je ne peux pas encore répondre pour ce que va dire le président de la République, je ne le sais pas plus que vous. En revanche, sur le rapport de B. Stasi, je trouve qu'il y a eu un bon travail, qui a permis justement d'avoir une vision de la laïcité large, pas simplement sur la question du seul signe religieux ou du seul voile, mais sur l'ensemble de notre vie commune, comment doit-on respecter la liberté de conscience et en même temps l'égalité de tous et la neutralité. Ce travail ne doit pas rester lettre morte ou il ne doit pas simplement se réduire à la seule question, néanmoins nécessaire, de la proposition de loi sur les signes religieux. Si de toute cette démarche, on ne retenait que la question du voile à l'école, alors, franchement ce serait dommage."
Vous savez bien que ça ne sera pas le cas.
- "Si ce n'est pas le cas, si c'est plus large, si notamment - et ça sera pour moi le critère essentiel - il y a une loi contre toutes les discriminations, s'il y a une autorité chargée justement de lutter contre toutes les discriminations, alors je dirais que là, il y a un progrès. Deuxièmement, s'il y a une véritable politique de la ville, de lutte contre les ghettos, de l'égalité sociale, là je dirais que l'on a eu une conception juste de la laïcité, parce que la laïcité ce n'est pas simplement des règles de droit, c'est une manière de faire vivre l'égalité."
Mais vous savez que vous êtes en train de dérouler probablement ce qui sera le plan Chirac ?
- "Mais je ne m'en plaindrais pas...."
Et à ce moment-là, vous voteriez s'il y a une loi ?
- "Si c'est le cas, et si c'est à ces conditions sociales, parce qu'il faut dans ce point de vue revenir à la source, mais si la République peut sortir plus forte de ce moment, je suis républicain, j'ai conscience des enjeux et je ferai toujours le choix de l'intérêt national."
Hier, A . Juppé disait qu'il ne retenait pas les deux jours de fête qui seraient légalement fériés à l'école : Kippour et l'Aïd-el-Kebir. Il est presque assuré que le président de la République ne gardera pas cette mesure. Est-ce que vous, vous la retiendriez ?
- "La reconnaissance des religions, en même temps que l'on fixe la règle de la neutralité dans l'espace public, c'est-à-dire de l'égalité entre tous les citoyens, de la protection des citoyens par rapport au fait religieux, la séparation du fait religieux et du fait politique ou du fait citoyen, c'est nécessaire. Donc cela ne me gêne en aucune façon que l'on puisse reconnaître qu'il y a d'autres fêtes religieuses dans notre pays que les fêtes catholiques. Et en même temps, je comprends que la gêne du Gouvernement, parce que ce n'est pas au moment où il supprime des jours fériés qu'il voudrait en rétablir d'autres. Pardonnez-moi, mais je comprends que Juppé soit de ce point de vue assez gêné pour aller beaucoup plus loin dans le débat."
Vous savez que vous avez un point commun avec A . Juppé ?
- "C'est possible, vous allez me dire lequel !"
Il est sûr, comme vous, que 2004 sera le moment d'une vive bataille politique, les uns contre les autres et à l'intérieur de chaque camp.
- "Je peux vous dire qu'il a compris, comme moi-même, et j'espère comme beaucoup de nos concitoyens, que 2004 est un grand rendez-vous qui n'est pas simplement de savoir quel sera l'avenir de nos régions - même si c'est déjà très important -, mais qui est de savoir si ce Gouvernement va pouvoir continuer à mener cette politique ou pas et savoir s'il peut y avoir un espoir et donc - oui, je le dis ici - une alternance dès 2004. Parce que si la gauche l'emporte dans beaucoup de régions, c'est vrai qu'il n'y aura pas la même politique en France."
Et vous, personnellement, cela vous arrangera, face à vos amis qui lorgnent 2007 ?
- "Parce que moi, quand je vois le calendrier électoral, je m'intéresse toujours à la prochaine élection, pas à celle qui va suivre la prochaine."
Avis aux amateurs. Bonne journée.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 16 décembre 2003)