Texte intégral
Mesdames et messieurs les ministres,
Il y a 20 ans aujourd'hui, la Marche pour l'égalité et contre le racisme arrivait à Paris et ses représentants étaient reçus par les plus hautes autorités de l'Etat.
J'ai tenu à marquer ce moment pour rendre hommage au travail passé, faire le point sur le présent et surtout dégager des pistes d'avenir, alors même que nous sommes tous marqués par le 21 avril 2002.
Notre pays a un rapport riche et complexe à l'immigration. Depuis la grande vague d'immigration des années 50 au début des années 70, notre pays a géré des flux plutôt que des hommes et, jusqu'à cette marche, l'idée communément admise était que les immigrés récents retourneraient dans leur pays d'origine avec femme et enfants.
Aujourd'hui, la société française prend conscience de sa diversité et elle s'étonne parfois de ce qu'elle découvre. Le débat actuel sur la laïcité en témoigne et je veux en profiter pour poser les vraies questions.
La volonté de vivre ensemble, qui fonde notre nation, est parfois menacée par la volonté de certains de remplacer l'universalisme républicain par le particularisme des communautés.
Comment répondre à ces menaces ? Par la justice. Il faut être ferme sur la question de la laïcité mais aussi renouveler notre ambition en matière de politique d'acceptation de notre diversité et de promotion de tous les talents et vous savez que le Président de la République est très attentif à ces sujets.
Ce qui est en jeu aujourd'hui est fondamental : il s'agit de la cohésion de notre nation et, je n'hésite pas à le dire, il y a urgence, l'urgence d'engager une nouvelle étape.
Je ne veux pas attendre des explosions de violence pour agir. Il y a 20 ans, ce sont les "étés chauds" aux Minguettes qui ont poussé quelques jeunes à venir témoigner à travers la France de leur volonté d'être des Français comme les autres. Partis quelques uns, ils arrivèrent 100 000 à Paris et ils obtinrent que l'Etat prennent en compte certaines de leurs revendications.
La France connut ensuite une grande vague anti-raciste, louable dans son principe mais qui, avec le recul, a laissé un goût amer. A la volonté de faire vivre l'égalité et de mener une vraie politique d'intégration, on a substitué des slogans et des lois inappliquées qui ont longtemps servi de paravents.
On a laissé aussi se développer petit à petit des logiques étrangères à notre pays, en faisant du droit à la différence un principe intangible.
Pendant ce temps, les périphéries de nos villes où vivaient en majorité les immigrés et leurs enfants se vidaient peu à peu de leurs classes moyennes, de véritables ghettos urbains se formaient et l'extrême droite faisait son lit de cette situation.
Aujourd'hui, nous avons sous les yeux les échecs de l'intégration.
Des jeunes mais aussi des moins jeunes, Français depuis parfois plusieurs générations, ont le sentiment d'être des Français de deuxième zone, parce que leur nom est un obstacle sur le marché de l'emploi, parce que leur adresse est un repoussoir pour les employeurs ou les bailleurs. L'apprenti qui doit valider son CAP ne peut avoir son diplôme parce qu'il ne trouve pas de stage. Le jeune qui sort de Sciences-po s'aperçoit qu'en changeant son nom sur le CV qu'il envoie il reçoit enfin des réponses positives.
Cette situation inadmissible est profondément injuste. Je ne m'y résoudrai jamais, d'autant qu'elle crée un cercle vicieux d'inégalités : les préjugés et les stéréotypes sont à l'origine de comportements discriminatoires qui créent eux-mêmes une inégalité socio-économique.
Dans un contexte de difficulté identitaire, les parents manquent d'autorité, la séduction de l'argent facile est grande et nous devons tous faire pour canaliser les tentations de la marginalité.
D'autres croient trouver dans le renfermement communautaire la solution à leurs difficultés et placent en premier la loi de leur religion. Je ne l'accepterai pas : en France, un citoyen, c'est un être libre, dont les droits sont fondés sur des principes universels. Je ne tolèrerai pas notamment les atteintes que certains pourraient porter à l'égalité entre les hommes et les femmes, sous quelque prétexte que ce soit.
Enfin, je sais qu'un certain nombre de personnes rentrent explicitement en conflit avec la République, refusent ses valeurs et exacerbent les peurs, dans un contexte de montée de l'antisémitisme et de prolifération du terrorisme islamiste dans le monde.
Ce tableau est très noir : c'est une réalité qu'il ne faut pas occulter. Mais, aujourd'hui, je suis venu vous donner un message d'espoir. Ce message est porté par les réussites de l'intégration, par ceux qui, discrètement, se sont fait une place dans la société française et qui contribuent à la faire évoluer. Ils sont nombreux aujourd'hui dans notre pays et je m'en félicite.
En vous conviant, j'ai souhaité mettre en avant, des individus, des trajectoires, celles de ces chefs d'entreprises, ces médecins de renom, ces avocats, ces hauts fonctionnaires, ces cadres de grandes entreprises, ces enseignants, cette classe moyenne, cette élite qui est au cur de notre société et qui, autant que nos grands sportifs et nos grands artistes enfants de l'immigration, qui sont des exemples dont pourtant on ne parle jamais.
La République, c'est d'abord un espoir et c'est cet espoir qu'il faut faire vivre.
J'ai aujourd'hui trois objectifs qui sont le socle de la politique humaniste que je veux mener.
Mon premier objectif est de changer les représentations. Celles de ceux que l'on appelle communément les " Français de souche " qui doivent banaliser leur regard sur leurs compatriotes d'origine étrangère. Pour réussir, il n'y a qu'une solution : que l'on voit plus les réussites que les échecs, qu'il y ait plus de réussites que d'échecs.
Je veux aussi est que l'origine et la religion ne soient plus des données. On est Français, que l'on vienne de Picardie ou d'Algérie et quelque soit sa religion ou son absence de religion.
Enfin, il faut aussi changer les représentations des enfants de l'immigration. Ils doivent comprendre que le choix pour eux n'est plus être victime, assisté ou bien meilleur que les autres s'il veut réussir.
Mon objectif, c'est la banalisation du regard, regard des autres, regard sur soi.
Pour cela, nous devons faire vivre le principe d'égalité. Mais, soyons précis : l'égalité, ce n'est pas l'égalitarisme qui nivelle. Non, l'égalité républicaine, c'est d'abord l'égalité des chances, c'est le principe qui permet de dire, dans les yeux, à un jeune : si tu es aussi compétent, aussi méritant que ton voisin, tes chances dans la vie seront égales.
Mais, pour que l'égalité ne soit pas qu'un slogan, nous devons redonner du souffle à notre modèle français. Il n'y aura pas de quotas d'enfants de l'immigration dans notre pays, ce serait la reconnaissance même de notre échec. Mais, pour autant, nous ne voulons pas non plus attendre en restant les bras croisés et espérer que le temps fasse son uvre.
C'est pourquoi nous devons mettre en uvre une vraie "politique de l'égalité".
Pour ce faire, il faut mobiliser la société dans son ensemble.
Les entreprises d'abord. Quand une grande banque investit en Chine, elle envoie un polytechnicien d'origine chinoise pour profiter de sa double compétence, technique et culturelle. C'est un exemple à méditer : il faut valoriser les enfants de l'immigration qui, dans la bataille mondiale à laquelle nous nous livrons, peuvent faire gagner la France, être des médiateurs de la France avec le monde.
Mais, au-delà des entreprises, c'est tout le corps social qui est concerné parce que l'enjeu, c'est la cohésion de notre pays et le désir, qui fonde notre nation, de vivre ensemble.
Depuis 18 mois, la question de l'intégration au sens le plus large est redevenue l'objet d'une politique publique. Nous construisons "une politique de l'égalité", c'est la meilleure réponse aux communautarismes et nous avons commencé à agir dans quatre domaines structurants.
L'accueil d'abord. Nous n'avons pas oublié les erreurs du passé. Une immigration assumée, accueillie à son arrivée, nous épargnera pour l'avenir des problèmes d'intégration. C'est pourquoi François FILLON a mis en place le contrat d'intégration pour les primo-arrivants.
L'urbanisme ensuite pour assurer à tous des lieux de vie dignes. C'est pourquoi nous avons engagé avec Jean-Louis BORLOO un vaste programme de rénovation urbaine, fondé sur une méthode nouvelle et des crédits sécurisés pour casser les ghettos qui nous menacent.
Le religieux également avec l'action de Nicolas SARKOZY pour l'organisation de l'islam de France et l'élection de représentants.
L'identitaire et le symbolique enfin avec la mission confiée à Jacques TOUBON de penser un " centre national de ressources et de mémoires de l'immigration ". L'immigration fait partie de notre identité nationale. La France a attiré beaucoup d'hommes et femmes qui ont parfois donné leur sang pour notre pays, Hamlaoui MEKACHERA le sait bien. Il faut aujourd'hui construire une mémoire commune à tous les Français, quelque soit leurs origines, et faire comprendre que "leur histoire est aussi notre histoire".
Le projet correspond à une vraie attente, il avance avec efficacité et nous pourrons bientôt je l'espère convenir d'un lieu d'implantation symbolique et prestigieux et d'un calendrier de réalisation.
Aujourd'hui, nous entamons une étape nouvelle.
Mais, pour nous permettre de bien comprendre les réussites et les échecs, nous manquons d'éléments quantitatifs : nous avons besoin d'une grande enquête statistique et sociologique sur la question de l'intégration et des inégalités parce qu'il n'y a rien de complet aujourd'hui.
Je demande donc au Haut Conseil à l'intégration, à l'INED, à l'INSEE et au ministère des Affaires sociales de me proposer une méthode ambitieuse pour une étude qui fera le bilan de l'intégration en France depuis 20 ans, et qui utilisera toutes les ressources permises par la loi de 1978 sur la protection de la vie privée.
J'ai confié par ailleurs à Bernard STASI le soin de poser les jalons d'une autorité administrative indépendante pour l'égalité et la lutte contre toutes les formes de discrimination. Elle doit faciliter les procédures pour ceux qui sont victimes de la xénophobie et du racisme et c'est fondamental. Il me remettra son rapport au début de l'année 2004 et j'entends lui donner une traduction législative rapidement.
Je tiens notamment à ce que cette autorité ait un rôle d'animateur. C'est souvent le manque d'idées qui a été un obstacle à la politique d'intégration : on ne savait tout simplement pas comment faire. C'est pourquoi cette autorité pourrait recueillir les bonnes pratiques et les diffuser, avec par exemple un système de labels et de prix annuels, dans l'esprit où interviennent les agences de notation sociale.
Mais, au-delà, c'est une véritable " mobilisation positive " que je lance aujourd'hui. Pourquoi mobilisation ? Parce que cette question concerne tout le monde et c'est pour cela que je suis heureux que beaucoup de grandes entreprises soient représentées ici.
Pourquoi positive ? Parce que je ne crois pas que l'on changera les comportements des Français en leur donnant mauvaise conscience, en les pénalisant : il faut mettre en valeur les réussites, les bonnes volontés, les bonnes pratiques, il faut valoriser plutôt que stigmatiser.
Cette mobilisation devra d'abord être tournée vers l'emploi, parce que nous croyons en la valeur travail, parce que nous savons que nous réussirons avec les entreprises en qui moi j'ai confiance. Si l'Etat n'a pas à se substituer aux entreprises, il doit assurer un rôle de "facilitateur" sur les questions d'éthique notamment.
Le défi de l'égalité d'accès à l'emploi doit être relevé et j'entends y consacrer beaucoup d'énergie.
Dans cet esprit, ne pourrait-on par exemple réfléchir à une démarche nouvelle où les entreprises feraient chaque année le bilan de leur action en matière d'égalité des chances et mettraient en valeur les outils utilisés pour identifier les talents et les promouvoir ? Je sais que de nombreuses entreprises ont des actions pertinentes et efficaces, il faut les valoriser.
Dans une telle démarche, il faut naturellement associer tous les interlocuteurs: les grandes entreprises et notamment les DRH, les spécialistes du recrutement et de l'intérim, les PME, l'artisanat, les syndicats et évidemment le service public de l'emploi actuellement en cours de mutation.
Je souhaite qu'avec M. FILLON, nous puissions organiser prochainement une rencontre entre ces différents acteurs économiques pour explorer ensemble les ressources qu'offrirait, par exemple, l'élaboration d'une charte sur le thème "recrutement et diversité", à l'instar de ce qu'a pu engager avec beaucoup d'efficacité Nicole AMELINE pour la cause des femmes.
Dans le secteur public, qui doit donner l'exemple, je lance une concertation sur trois points.
Une des clés principales de notre réussite sera notre capacité à faire évoluer nos structures de formation et de recrutement pour faciliter l'accès à la formation de haut niveau pour les plus méritants.
C'est pourquoi le combat commence dès l'école : il faut s'interroger dans le cadre du débat national sur l'avenir de l'école sur notre système de bourses et réfléchir à leur mise en place très tôt dans la scolarité pour distinguer les plus méritants et leur offrir de vraies chances de promotion.
Dans les études supérieures, l'expérience mise en uvre par l'Institut d'études politiques de Paris est intéressante et elle a le mérite de mettre l'accent sur un vrai problème qui est d'ailleurs plus large que celui de l'intégration des immigrés et de leurs enfants. Après des années de débat, le juge a fixé les règles. A partir de cette situation clarifiée, et en tirant parti des autres initiatives, il serait souhaitable de réunir les principaux interlocuteurs concernés pour convenir ensemble des moyens de diversifier l'accès aux grandes écoles.
Enfin, il faut également introduire dans la politique de recrutement et de promotion interne de la fonction publique ce que j'appellerai le "logiciel de l'intégration". Aujourd'hui, - et cela a pris du temps ! - quand nous pourvoyons un poste vacant, nous nous posons la question : une femme est-elle susceptible de le prendre ? Demain, je crois qu'il faut que nous soyons plus attentifs pour que les talents français d'origine étrangère trouvent mieux leur place.
Dans la perspective du prochain comité interministériel à l'intégration qui se tiendra au printemps prochain, nous étudierons les modalités pratiques susceptibles de nous permettre d'avancer sur ces trois sujets.
Enfin, il faut agir sur les représentations.
Dans l'évolution des représentations, le rôle des médias est essentiel : c'est en montrant par exemple un médecin issu de l'immigration faire son travail de médecin que l'on contribuera le plus utilement à faire évoluer les représentations.
Je sais qu'une grande chaîne nationale travaille sur ces sujets avec efficacité et je l'encourage vivement à continuer. Nous modifierons par ailleurs le contrat d'objectif du service public de télévision pour l'aligner à tout le moins sur le cahier des charges des chaînes privées.
Enfin, les partis politiques ont un rôle évidemment très important. Tokia SAÏFI a réuni récemment des centaines d'élus issus de l'immigration et je l'en félicite. Ils vont faire leur chemin, comme les autres et je suis très attaché à ce que ce chemin se poursuive lors des prochaines élections en 2004. Il faut qu'ils soient présents sur les listes et en bonne place.
Mesdames et messieurs,
L'enjeu est vaste, vous le voyez. Il s'agit rien moins que de la cohésion de notre nation qui est au cur de l'action du Président de la République.
C'est pourquoi je vous donne deux rendez-vous, deux rendez-vous pour une France d'ouverture.
Le premier est le comité interministériel à l'intégration que je réunirai au printemps 2004. Il permettra de faire le point notamment sur les trois thèmes évoqués qui concernent le secteur public, sur le projet de centre de mémoire de l'immigration et sur les autres actions sur lesquelles travaillent les ministres.
Plus tard, au second semestre 2004, nous réunirons une " conférence nationale pour l'égalité des chances " pour consolider la politique de l'égalité dont nous avons besoin.
Cette politique est aujourd'hui une nécessité, parce qu'il y a urgence, parce que la République doit être égale pour tous, parce que "la France", comme disait le général de Gaulle, "c'est tous les Français".
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 4 décembre 2003)
Il y a 20 ans aujourd'hui, la Marche pour l'égalité et contre le racisme arrivait à Paris et ses représentants étaient reçus par les plus hautes autorités de l'Etat.
J'ai tenu à marquer ce moment pour rendre hommage au travail passé, faire le point sur le présent et surtout dégager des pistes d'avenir, alors même que nous sommes tous marqués par le 21 avril 2002.
Notre pays a un rapport riche et complexe à l'immigration. Depuis la grande vague d'immigration des années 50 au début des années 70, notre pays a géré des flux plutôt que des hommes et, jusqu'à cette marche, l'idée communément admise était que les immigrés récents retourneraient dans leur pays d'origine avec femme et enfants.
Aujourd'hui, la société française prend conscience de sa diversité et elle s'étonne parfois de ce qu'elle découvre. Le débat actuel sur la laïcité en témoigne et je veux en profiter pour poser les vraies questions.
La volonté de vivre ensemble, qui fonde notre nation, est parfois menacée par la volonté de certains de remplacer l'universalisme républicain par le particularisme des communautés.
Comment répondre à ces menaces ? Par la justice. Il faut être ferme sur la question de la laïcité mais aussi renouveler notre ambition en matière de politique d'acceptation de notre diversité et de promotion de tous les talents et vous savez que le Président de la République est très attentif à ces sujets.
Ce qui est en jeu aujourd'hui est fondamental : il s'agit de la cohésion de notre nation et, je n'hésite pas à le dire, il y a urgence, l'urgence d'engager une nouvelle étape.
Je ne veux pas attendre des explosions de violence pour agir. Il y a 20 ans, ce sont les "étés chauds" aux Minguettes qui ont poussé quelques jeunes à venir témoigner à travers la France de leur volonté d'être des Français comme les autres. Partis quelques uns, ils arrivèrent 100 000 à Paris et ils obtinrent que l'Etat prennent en compte certaines de leurs revendications.
La France connut ensuite une grande vague anti-raciste, louable dans son principe mais qui, avec le recul, a laissé un goût amer. A la volonté de faire vivre l'égalité et de mener une vraie politique d'intégration, on a substitué des slogans et des lois inappliquées qui ont longtemps servi de paravents.
On a laissé aussi se développer petit à petit des logiques étrangères à notre pays, en faisant du droit à la différence un principe intangible.
Pendant ce temps, les périphéries de nos villes où vivaient en majorité les immigrés et leurs enfants se vidaient peu à peu de leurs classes moyennes, de véritables ghettos urbains se formaient et l'extrême droite faisait son lit de cette situation.
Aujourd'hui, nous avons sous les yeux les échecs de l'intégration.
Des jeunes mais aussi des moins jeunes, Français depuis parfois plusieurs générations, ont le sentiment d'être des Français de deuxième zone, parce que leur nom est un obstacle sur le marché de l'emploi, parce que leur adresse est un repoussoir pour les employeurs ou les bailleurs. L'apprenti qui doit valider son CAP ne peut avoir son diplôme parce qu'il ne trouve pas de stage. Le jeune qui sort de Sciences-po s'aperçoit qu'en changeant son nom sur le CV qu'il envoie il reçoit enfin des réponses positives.
Cette situation inadmissible est profondément injuste. Je ne m'y résoudrai jamais, d'autant qu'elle crée un cercle vicieux d'inégalités : les préjugés et les stéréotypes sont à l'origine de comportements discriminatoires qui créent eux-mêmes une inégalité socio-économique.
Dans un contexte de difficulté identitaire, les parents manquent d'autorité, la séduction de l'argent facile est grande et nous devons tous faire pour canaliser les tentations de la marginalité.
D'autres croient trouver dans le renfermement communautaire la solution à leurs difficultés et placent en premier la loi de leur religion. Je ne l'accepterai pas : en France, un citoyen, c'est un être libre, dont les droits sont fondés sur des principes universels. Je ne tolèrerai pas notamment les atteintes que certains pourraient porter à l'égalité entre les hommes et les femmes, sous quelque prétexte que ce soit.
Enfin, je sais qu'un certain nombre de personnes rentrent explicitement en conflit avec la République, refusent ses valeurs et exacerbent les peurs, dans un contexte de montée de l'antisémitisme et de prolifération du terrorisme islamiste dans le monde.
Ce tableau est très noir : c'est une réalité qu'il ne faut pas occulter. Mais, aujourd'hui, je suis venu vous donner un message d'espoir. Ce message est porté par les réussites de l'intégration, par ceux qui, discrètement, se sont fait une place dans la société française et qui contribuent à la faire évoluer. Ils sont nombreux aujourd'hui dans notre pays et je m'en félicite.
En vous conviant, j'ai souhaité mettre en avant, des individus, des trajectoires, celles de ces chefs d'entreprises, ces médecins de renom, ces avocats, ces hauts fonctionnaires, ces cadres de grandes entreprises, ces enseignants, cette classe moyenne, cette élite qui est au cur de notre société et qui, autant que nos grands sportifs et nos grands artistes enfants de l'immigration, qui sont des exemples dont pourtant on ne parle jamais.
La République, c'est d'abord un espoir et c'est cet espoir qu'il faut faire vivre.
J'ai aujourd'hui trois objectifs qui sont le socle de la politique humaniste que je veux mener.
Mon premier objectif est de changer les représentations. Celles de ceux que l'on appelle communément les " Français de souche " qui doivent banaliser leur regard sur leurs compatriotes d'origine étrangère. Pour réussir, il n'y a qu'une solution : que l'on voit plus les réussites que les échecs, qu'il y ait plus de réussites que d'échecs.
Je veux aussi est que l'origine et la religion ne soient plus des données. On est Français, que l'on vienne de Picardie ou d'Algérie et quelque soit sa religion ou son absence de religion.
Enfin, il faut aussi changer les représentations des enfants de l'immigration. Ils doivent comprendre que le choix pour eux n'est plus être victime, assisté ou bien meilleur que les autres s'il veut réussir.
Mon objectif, c'est la banalisation du regard, regard des autres, regard sur soi.
Pour cela, nous devons faire vivre le principe d'égalité. Mais, soyons précis : l'égalité, ce n'est pas l'égalitarisme qui nivelle. Non, l'égalité républicaine, c'est d'abord l'égalité des chances, c'est le principe qui permet de dire, dans les yeux, à un jeune : si tu es aussi compétent, aussi méritant que ton voisin, tes chances dans la vie seront égales.
Mais, pour que l'égalité ne soit pas qu'un slogan, nous devons redonner du souffle à notre modèle français. Il n'y aura pas de quotas d'enfants de l'immigration dans notre pays, ce serait la reconnaissance même de notre échec. Mais, pour autant, nous ne voulons pas non plus attendre en restant les bras croisés et espérer que le temps fasse son uvre.
C'est pourquoi nous devons mettre en uvre une vraie "politique de l'égalité".
Pour ce faire, il faut mobiliser la société dans son ensemble.
Les entreprises d'abord. Quand une grande banque investit en Chine, elle envoie un polytechnicien d'origine chinoise pour profiter de sa double compétence, technique et culturelle. C'est un exemple à méditer : il faut valoriser les enfants de l'immigration qui, dans la bataille mondiale à laquelle nous nous livrons, peuvent faire gagner la France, être des médiateurs de la France avec le monde.
Mais, au-delà des entreprises, c'est tout le corps social qui est concerné parce que l'enjeu, c'est la cohésion de notre pays et le désir, qui fonde notre nation, de vivre ensemble.
Depuis 18 mois, la question de l'intégration au sens le plus large est redevenue l'objet d'une politique publique. Nous construisons "une politique de l'égalité", c'est la meilleure réponse aux communautarismes et nous avons commencé à agir dans quatre domaines structurants.
L'accueil d'abord. Nous n'avons pas oublié les erreurs du passé. Une immigration assumée, accueillie à son arrivée, nous épargnera pour l'avenir des problèmes d'intégration. C'est pourquoi François FILLON a mis en place le contrat d'intégration pour les primo-arrivants.
L'urbanisme ensuite pour assurer à tous des lieux de vie dignes. C'est pourquoi nous avons engagé avec Jean-Louis BORLOO un vaste programme de rénovation urbaine, fondé sur une méthode nouvelle et des crédits sécurisés pour casser les ghettos qui nous menacent.
Le religieux également avec l'action de Nicolas SARKOZY pour l'organisation de l'islam de France et l'élection de représentants.
L'identitaire et le symbolique enfin avec la mission confiée à Jacques TOUBON de penser un " centre national de ressources et de mémoires de l'immigration ". L'immigration fait partie de notre identité nationale. La France a attiré beaucoup d'hommes et femmes qui ont parfois donné leur sang pour notre pays, Hamlaoui MEKACHERA le sait bien. Il faut aujourd'hui construire une mémoire commune à tous les Français, quelque soit leurs origines, et faire comprendre que "leur histoire est aussi notre histoire".
Le projet correspond à une vraie attente, il avance avec efficacité et nous pourrons bientôt je l'espère convenir d'un lieu d'implantation symbolique et prestigieux et d'un calendrier de réalisation.
Aujourd'hui, nous entamons une étape nouvelle.
Mais, pour nous permettre de bien comprendre les réussites et les échecs, nous manquons d'éléments quantitatifs : nous avons besoin d'une grande enquête statistique et sociologique sur la question de l'intégration et des inégalités parce qu'il n'y a rien de complet aujourd'hui.
Je demande donc au Haut Conseil à l'intégration, à l'INED, à l'INSEE et au ministère des Affaires sociales de me proposer une méthode ambitieuse pour une étude qui fera le bilan de l'intégration en France depuis 20 ans, et qui utilisera toutes les ressources permises par la loi de 1978 sur la protection de la vie privée.
J'ai confié par ailleurs à Bernard STASI le soin de poser les jalons d'une autorité administrative indépendante pour l'égalité et la lutte contre toutes les formes de discrimination. Elle doit faciliter les procédures pour ceux qui sont victimes de la xénophobie et du racisme et c'est fondamental. Il me remettra son rapport au début de l'année 2004 et j'entends lui donner une traduction législative rapidement.
Je tiens notamment à ce que cette autorité ait un rôle d'animateur. C'est souvent le manque d'idées qui a été un obstacle à la politique d'intégration : on ne savait tout simplement pas comment faire. C'est pourquoi cette autorité pourrait recueillir les bonnes pratiques et les diffuser, avec par exemple un système de labels et de prix annuels, dans l'esprit où interviennent les agences de notation sociale.
Mais, au-delà, c'est une véritable " mobilisation positive " que je lance aujourd'hui. Pourquoi mobilisation ? Parce que cette question concerne tout le monde et c'est pour cela que je suis heureux que beaucoup de grandes entreprises soient représentées ici.
Pourquoi positive ? Parce que je ne crois pas que l'on changera les comportements des Français en leur donnant mauvaise conscience, en les pénalisant : il faut mettre en valeur les réussites, les bonnes volontés, les bonnes pratiques, il faut valoriser plutôt que stigmatiser.
Cette mobilisation devra d'abord être tournée vers l'emploi, parce que nous croyons en la valeur travail, parce que nous savons que nous réussirons avec les entreprises en qui moi j'ai confiance. Si l'Etat n'a pas à se substituer aux entreprises, il doit assurer un rôle de "facilitateur" sur les questions d'éthique notamment.
Le défi de l'égalité d'accès à l'emploi doit être relevé et j'entends y consacrer beaucoup d'énergie.
Dans cet esprit, ne pourrait-on par exemple réfléchir à une démarche nouvelle où les entreprises feraient chaque année le bilan de leur action en matière d'égalité des chances et mettraient en valeur les outils utilisés pour identifier les talents et les promouvoir ? Je sais que de nombreuses entreprises ont des actions pertinentes et efficaces, il faut les valoriser.
Dans une telle démarche, il faut naturellement associer tous les interlocuteurs: les grandes entreprises et notamment les DRH, les spécialistes du recrutement et de l'intérim, les PME, l'artisanat, les syndicats et évidemment le service public de l'emploi actuellement en cours de mutation.
Je souhaite qu'avec M. FILLON, nous puissions organiser prochainement une rencontre entre ces différents acteurs économiques pour explorer ensemble les ressources qu'offrirait, par exemple, l'élaboration d'une charte sur le thème "recrutement et diversité", à l'instar de ce qu'a pu engager avec beaucoup d'efficacité Nicole AMELINE pour la cause des femmes.
Dans le secteur public, qui doit donner l'exemple, je lance une concertation sur trois points.
Une des clés principales de notre réussite sera notre capacité à faire évoluer nos structures de formation et de recrutement pour faciliter l'accès à la formation de haut niveau pour les plus méritants.
C'est pourquoi le combat commence dès l'école : il faut s'interroger dans le cadre du débat national sur l'avenir de l'école sur notre système de bourses et réfléchir à leur mise en place très tôt dans la scolarité pour distinguer les plus méritants et leur offrir de vraies chances de promotion.
Dans les études supérieures, l'expérience mise en uvre par l'Institut d'études politiques de Paris est intéressante et elle a le mérite de mettre l'accent sur un vrai problème qui est d'ailleurs plus large que celui de l'intégration des immigrés et de leurs enfants. Après des années de débat, le juge a fixé les règles. A partir de cette situation clarifiée, et en tirant parti des autres initiatives, il serait souhaitable de réunir les principaux interlocuteurs concernés pour convenir ensemble des moyens de diversifier l'accès aux grandes écoles.
Enfin, il faut également introduire dans la politique de recrutement et de promotion interne de la fonction publique ce que j'appellerai le "logiciel de l'intégration". Aujourd'hui, - et cela a pris du temps ! - quand nous pourvoyons un poste vacant, nous nous posons la question : une femme est-elle susceptible de le prendre ? Demain, je crois qu'il faut que nous soyons plus attentifs pour que les talents français d'origine étrangère trouvent mieux leur place.
Dans la perspective du prochain comité interministériel à l'intégration qui se tiendra au printemps prochain, nous étudierons les modalités pratiques susceptibles de nous permettre d'avancer sur ces trois sujets.
Enfin, il faut agir sur les représentations.
Dans l'évolution des représentations, le rôle des médias est essentiel : c'est en montrant par exemple un médecin issu de l'immigration faire son travail de médecin que l'on contribuera le plus utilement à faire évoluer les représentations.
Je sais qu'une grande chaîne nationale travaille sur ces sujets avec efficacité et je l'encourage vivement à continuer. Nous modifierons par ailleurs le contrat d'objectif du service public de télévision pour l'aligner à tout le moins sur le cahier des charges des chaînes privées.
Enfin, les partis politiques ont un rôle évidemment très important. Tokia SAÏFI a réuni récemment des centaines d'élus issus de l'immigration et je l'en félicite. Ils vont faire leur chemin, comme les autres et je suis très attaché à ce que ce chemin se poursuive lors des prochaines élections en 2004. Il faut qu'ils soient présents sur les listes et en bonne place.
Mesdames et messieurs,
L'enjeu est vaste, vous le voyez. Il s'agit rien moins que de la cohésion de notre nation qui est au cur de l'action du Président de la République.
C'est pourquoi je vous donne deux rendez-vous, deux rendez-vous pour une France d'ouverture.
Le premier est le comité interministériel à l'intégration que je réunirai au printemps 2004. Il permettra de faire le point notamment sur les trois thèmes évoqués qui concernent le secteur public, sur le projet de centre de mémoire de l'immigration et sur les autres actions sur lesquelles travaillent les ministres.
Plus tard, au second semestre 2004, nous réunirons une " conférence nationale pour l'égalité des chances " pour consolider la politique de l'égalité dont nous avons besoin.
Cette politique est aujourd'hui une nécessité, parce qu'il y a urgence, parce que la République doit être égale pour tous, parce que "la France", comme disait le général de Gaulle, "c'est tous les Français".
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 4 décembre 2003)