Interview de M. DominiquePerben, ministre de la justice, dans "La Tribune du 11 décembre 2003, sur les missions du nouveau Haut Conseil des commissaires aux comptes, autorité de régulation de la profession d'audit comptable,

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Média : La Tribune

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Le garde des Sceaux, Dominique Perben, livre sa vision des travaux qui attendent la nouvelle autorité de régulation de la profession d'audit comptable. Dans le domaine de la gouvernance, il se dit favorable à la transparence des rémunérations prônée par la mission Clément.
Le Haut Conseil des commissaires aux comptes (H3C) est installé aujourd'hui. Quels sont, selon vous, ses axes prioritaires de travail ?
- L'idée du Haut Conseil repose sur un système de régulation en partie externe à la profession. La loi sur la sécurité financière a été élaborée puis votée dans un contexte où la qualité des systèmes de contrôle était soumise à question. Il y a eu volonté de conforter la transparence des comptes et leur sincérité, et donc de renforcer la déontologie de la profession d'auditeur. Le Haut Conseil aura donc deux tâches principales. D'une part, expliciter les règles déontologiques. Il ressort du débat au Parlement que la loi contient des éléments de souplesse qui doivent conduire à présent l'autorité de régulation à pouvoir faire son travail d'appréciation. D'autre part, il faudra que le Haut Conseil affine et diffuse les bonnes pratiques professionnelles. C'est la raison pour laquelle il était indispensable que des commissaires aux comptes siègent dans le Haut Conseil, pour des raisons de technicité et de connaissance des pratiques.
Quelle est la première tâche à laquelle le Haut Conseil devra s'atteler ?
- Il va devoir travailler sur la mise en oeuvre très précise de la séparation de l'audit et du conseil. La loi prévoit une séparation stricte. Mais pour les groupes et les réseaux, il reste une marge d'appréciation dans l'application de la loi qui doit donner lieu à décision.
Il pourra s'inspirer en la matière de la rédaction du code de déontologie issue de la Compagnie des commissaires aux comptes...
- Le Haut Conseil en prendra connaissance, car c'est un point de vue essentiel. Mais n'étant pas un comité interne à la Compagnie, il pourra chercher aussi d'autres références. Et il me semble que le débat parlementaire a été assez explicite de ce point de vue-là.
La loi de sécurité financière a créé l'Autorité des marchés financiers et institutionnalisé ses liens avec les commissaires aux comptes, qui pourront de leur côté saisir le Haut Conseil. N'y a-t-il pas là risque de confusion ?
- Je ne le crois pas. Un commissaire aux comptes peut être amené à saisir les deux autorités car il a d'un côté une question de déontologie professionnelle à régler, et d'un autre il peut y avoir un problème d'infraction aux règles du marché. Ce sont deux choses différentes. Par ailleurs, il faudra que ces autorités se parlent et puissent, quand cela est utile, travailler ensemble.
L'arsenal juridique français est-il au niveau des attentes des investisseurs internationaux en matière de sécurité financière ?
- En tout cas, c'est notre objectif. Le point de départ, avant cette loi, n'était pas le même qu'aux Etats-Unis. Une séparation des rôles entre le conseil et la certification des comptes existait depuis longtemps en France, ce qui nous a sans doute évité les problèmes qu'ont connus les Américains. Par ailleurs, la profession, et cela correspond à la culture juridique française, était plus contrôlée que dans le système anglo-saxon. Avec les dispositifs qui ont été ajoutés, nous sommes, au plan international, à un bon niveau de crédibilité.
D'où l'importance du H3C...
- Absolument, car vis-à-vis des Etats-Unis, la crédibilité de notre autorité de régulation constitue un point clé. Nous menons des discussions parfois un peu difficiles avec l'autorité de régulation américaine, pour permettre aux professionnels français d'effectuer leur mission de contrôle, notamment sur les entreprises françaises présentes aux Etats-Unis. Et ce sans être constamment à la merci d'autorisations ou d'investigations américaines, qui outrepasseraient les principes de territorialité et de confidentialité auxquels nous tenons. C'est un dossier à l'ordre du jour dans lequel la Commission européenne est partie prenante, mais où nous avons aussi à nous exprimer. Et mon objectif, comme celui de Francis Mer, est de faire en sorte que les professionnels français puissent exercer leur profession à l'égard de toutes les entreprises, y compris les filiales américaines.
La mission Clément de l'Assemblée nationale s'est saisie de la question des salaires des patrons et a proposé des mesures législatives. Quelle est votre position sur ce débat ?
- Dans tous ces dossiers, mon fil conducteur est de dire : pour que le libéralisme économique fonctionne, il faut que les règles de droit soient claires et qu'elles puissent être respectées. Par contre, je pense que l'hyper réglementation est une erreur. Cela veut dire que j'approuve le renforcement de la transparence en matière de rémunération. C'est-à-dire la possibilité pour l'actionnaire de connaître la rémunération des dirigeants dans toutes ses composantes.
Où en est la transposition de la directive sur la lutte contre le blanchiment pour les professions non financières ?
- Nous poursuivons les discussions avec les avocats pour trouver une solution le plus rapidement possible. C'est un sujet très difficile car ce texte est perçu par beaucoup d'entre eux comme contraire à la logique de la défense.
Comment entrevoyez-vous une coopération judiciaire dans une Europe à 25 ?
- Je suis clairement favorable au passage à la majorité qualifiée. Sur les sujets de justice, très techniques et qui nécessitent des concessions touchant à des cultures nationales, il est difficile d'obtenir un accord à l'unanimité. Ces deux derniers mois, nous avons pris à 15 deux décisions politiquement très positives, l'une sur les enlèvements d'enfants et l'autre sur la drogue. Mais cela faisait au moins dix ans que nous y travaillions. A 25, j'ai très peur que nous ayons constamment un veto qui s'exprime.
Propos recueillis par Gilles Bridier et Jean-Philippe Lacour
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 décembre 2003)