Texte intégral
Propos recueillis par Bruno Dive, Patrick Guilloton et Patrick Venries
" Sud Ouest " - L'année débute par un accident sans précédent puisque 129 Français viennent de périr dans le crash d'un avion de Flash Airlines au-dessus de la mer Rouge. Que vous inspire cette catastrophe ?
Jean-Pierre Raffarin - Je suis bouleversé par cette tragédie. Comme de très nombreux compatriotes, je suis atteint par la terrible douleur des familles des victimes. La mort au bout des vacances est particulièrement cruelle. Les cicatrices resteront brûlantes, nous mettons tout en oeuvre pour que la solidarité nationale et humanitaire soit à la dimension de ce drame. Je m'y suis engagé samedi en allant à la rencontre des familles; j'ai encore la gorge serrée par ces échanges.
" Sud Ouest " - Que souhaitez-vous aux Français pour 2004 ?
Jean-Pierre Raffarin - Je souhaite que les Françaises et les Français partagent " le goût de l'avenir " comme le décrit Jean-Claude Guillebaud. Cela passe par la fraternité qui est le partage des peines mais aussi des joies. La fraternité est source de confiance, c'est la meilleure réponse à la peur. La France ne doit pas avoir peur de son avenir.
" Sud Ouest " - Et à vous, que faut-il souhaiter ? De bons sondages ? Un an de plus à Matignon ?
Jean-Pierre Raffarin - Il faut du courage pour surmonter les peurs et les difficultés. Je suis dans l'action, je vais au charbon tous les jours. Quand je pense à tout ce que j'ai à faire, je me dis qu'il faut surtout une bonne santé je l'ai et de la résistance je crois l'avoir. Une chose est certaine : j'ai confiance dans l'avenir de la France.
" Sud Ouest " - Vous avez vu, au deuxième trimestre 2003, chuter votre cote de popularité; la tendance s'est inversée dans les derniers jours de l'année. 2004 se présente-t-elle mieux que ne s'est achevée 2003 ?
Jean-Pierre Raffarin - J'ai confiance pour 2004, même si le métier de Premier ministre est dur. Il y a beaucoup de décisions impopulaires à prendre, qu'il s'agisse de l'augmentation du prix du tabac ou de l'installation des radars. Je le fais pour servir mon pays en évitant d'avoir les yeux fixés sur les courbes des sondages. Il faut avoir le courage de l'avenir. La décision peut être impopulaire, le résultat finir par être populaire. Je suis un homme libre. Je fais même de l'épreuve une source d'énergie. Mais, c'est vrai, il y a des moments difficiles car j'ai trouvé la France en mauvais état. J'assume avec un certain effacement personnel. Non pas que je sois devenu bouddhiste ! En fait, je sais que lorsque l'ego est hypertrophié, les gens sont malheureux. Je me garde la liberté de lire, de réfléchir, de rester moi-même. C'est pour moi une forme de résistance.
" Sud Ouest " - Politiquement, quand la baisse dans les sondages est continue, on doit avoir besoin de soutien. Doute-t-on de soi ?
Jean-Pierre Raffarin - Si je me fie à ce que l'on peut lire parfois, l'avenir serait sombre, la réforme impossible. Moi, je vois que la réforme est possible, que la croissance revient. Sur la réforme des retraites, on disait que plusieurs gouvernements tomberaient. Je tiens à maintenir le cap de ma mission. Quand les sondages sont bas, je demeure confiant; quand ils sont hauts, je reste prudent. Et puis, c'est vrai, je bénéficie d'une aide précieuse, celle du président de la République. Et j'ai un dispositif majoritaire, notamment autour d'Alain Juppé, qui est un dispositif de confiance.
" Sud Ouest " - Quand les médias ne vous épargnent pas, vous y êtes sensible ?
Jean-Pierre Raffarin - Je ressens le mépris quand ils s'expriment avec méchanceté. Souvent, plus la pensée est faible, plus l'attaque est violente. Je ne m'inscris pas dans l'éphémère. Je sais aussi que les Français ont pour la politique un jugement exigeant. Que l'homme politique souffre fait partie de sa mission. La vie politique, ce n'est pas le vécu quotidien de la gloire, ce n'est pas la vie de château : c'est la rencontre permanente avec la tragédie et la comédie humaine. Alors, quand on m'attaque, j'essaie de comprendre pourquoi, mais je ne suis pas ingrat avec ceux qui me soutiennent. Je ne suis pas né dans la haute administration, mais je crois bien connaître notre pays dans sa diversité. Je circule beaucoup en France, sans caméra. En profondeur, les soutiens sont nombreux. Bref, il y a des choses qui me touchent mais qui ne me blessent pas. J'ai toujours en tête cette phrase de Courteline : " Passer pour insuffisant aux yeux des suffisants est une volonté de fin gourmet. "
" Sud Ouest " - A trois mois des régionales, comment sentez-vous ces élections ?
Jean-Pierre Raffarin - Plutôt bien...
" Sud Ouest " - Pour votre camp ?
Jean-Pierre Raffarin - Globalement. Et surtout pour la majorité ! Je pense que le PS est toujours convalescent. Il n'a pas d'idées neuves, il n'a pas renouvelé ses équipes. François Hollande a fait une grave erreur à l'université de La Rochelle. Il s'est fait voler sa victoire du congrès de Dijon. Il lui fallait, dans la foulée, définir un projet, donner une pensée politique, une vision à son parti. Il ne l'a pas fait et, en conséquence, les multiples candidats à la présidentielle sont partis en campagne sans attendre. Moralité, au sein du PS, ce sont les alliances qui vont faire la pensée, ce qui va ouvrir un certain nombre de champs à l'extrême gauche. C'est un risque pour la démocratie.
" Sud Ouest " - Vous notez qu'au PS les candidats à la présidentielle sont partis. C'est vrai également dans votre propre camp avec M. Sarkozy. Son attitude ne vous gêne pas ?
Jean-Pierre Raffarin - Non. La présidentielle, quand on est au charbon tous les jours, ce n'est pas vraiment la question. C'est dans plus de trois ans ! Dans l'opposition, ils ont le temps d'affiner leurs promesses ! La majorité, elle, est dans une logique de responsabilité. En conséquence, il ne faut pas anticiper trop tôt. N. Sarkozy a envoyé un signal puis il est vite revenu à sa mission essentielle : la sécurité. Le ministre est un serviteur, le candidat ne l'est pas tout à fait. Je l'ai dit pour François Bayrou, l'histoire a montré qu'il n'y a pas de place à brève échéance, dans le camp du président, contre le président.
" Sud Ouest " - Vous craignez la politisation de ces élections ?
Jean-Pierre Raffarin - Pourquoi faire de ces régionales des enjeux exclusivement partisans ? Je n'ai jamais considéré le mandat régional comme un mandat partisan.
" Sud Ouest " - Dans la mesure où quantité de membres du gouvernement sont partants, difficile d'éviter la politique !
Jean-Pierre Raffarin - Les ministres qui seront candidats sont des personnalités fortement enracinées. Prenez le cas de Dominique Bussereau en Poitou-Charentes. C'est de l'implantation " pur beurre " ! De même, je suis sûr que, dans cette région, la candidate du terrain l'emportera sur la candidate de la politique. Arrêtons de prendre les électeurs pour des gens qui ne sont pas informés. Les électeurs savent que les régionales, c'est pour la région ! J'entends tous ceux qui veulent transformer ce scrutin en message national : le politiser, c'est faire le jeu des extrêmes. La question qui se pose, c'est de savoir si les équipes sont crédibles, si les programmes régionaux sont bons, si les élus vont se consacrer à leur job ou quelle équipe va augmenter les impôts. C'est d'ailleurs pour cela qu'en mars, ce seront les dernières élections régionales ayant lieu toutes à la même date. Je souhaite, en effet, que les prochaines aient lieu à des dates différentes afin que les enjeux territoriaux puissent être renforcés, c'est ainsi en Allemagne, en Italie ou en Espagne.
" Sud Ouest " - Des ministres élus aux régionales, cela signifie un remaniement aussitôt après ?
Jean-Pierre Raffarin - Comme il y aura peut-être des ministres candidats aux européennes, on appréciera le moment venu.
" Sud Ouest " - Vous jouez votre avenir à Matignon sur ces élections ?
Jean-Pierre Raffarin - Je suis à la tête d'une majorité parlementaire élue pour cinq ans. Notre programme de travail, défini par mon discours de politique générale, porte sur l'ensemble de la législature. Je travaille dans cette perspective. Pour le reste, le président est maître du calendrier. Ma conviction est que les élections locales de mars prochain, cantonales et régionales, seront très partagées comme les dernières municipales. Il sera très difficile d'en tirer des leçons nationales. J'ai confiance pour le printemps 2004. Sincèrement.
" Sud Ouest " - Jacques Chirac, dans ses voeux aux Français, a annoncé une grande loi de mobilisation pour l'emploi. En quoi cela va-t-il consister ?
Jean-Pierre Raffarin - Notre mobilisation pour l'emploi s'est faite en deux phases. Dans un premier temps, il s'agissait de créer en France les conditions du retour de la croissance. D'éviter de plonger les forces vives de notre économie dans l'austérité. Nous voici à la seconde phase. La croissance revient, ce n'est pas par hasard; nous la voulons utile pour l'emploi et nous nous y préparons. Plusieurs chantiers sont déjà ouverts : la simplification du Code du travail, la modernisation du service public de l'emploi. Il nous faut encore mettre en place des dispositifs pour l'emploi des jeunes, faciliter les reclassements dans le cadre des plans sociaux, réaliser l'égalité professionnelle femmes-hommes. Tous ces projets seront rassemblés dans un grand texte fondateur, comme le demande le président de la République. Ce texte accordera des droits nouveaux aux plus fragiles. Cette loi sera élaborée au cours du premier semestre 2004, après concertation avec les partenaires sociaux en début d'année, et votée avant la fin de l'année.
" Sud Ouest " - N'y a-t-il pas un paradoxe à décréter la mobilisation pour l'emploi au moment où l'on réduit la durée d'indemnisation des chômeurs ?
Jean-Pierre Raffarin - Au contraire ! Cette mobilisation a un objectif : que l'emploi suive immédiatement la croissance. Nous voulons une croissance riche en emplois. La réforme de l'Unedic, décidée par les partenaires sociaux, vise à faire entrer les chômeurs dans une logique de l'emploi, à faciliter leur retour au travail. Nous veillerons à ce que ce parcours vers le travail soit le plus personnalisé possible. Et la solidarité nationale s'exercera évidemment pour ceux de nos compatriotes qui sont les plus éloignés de l'emploi. L'accès au travail, mais aussi le logement sont les priorités d'une vraie politique sociale.
" Sud Ouest " - Vous avez demandé la semaine dernière aux recteurs, que vous avez reçus à Matignon, d'appliquer la future loi sur la laïcité avec " discernement ". Qu'entendez-vous par là ?
Jean-Pierre Raffarin - La loi sur la laïcité à l'école va venir en discussion au Parlement le plus tôt possible. Il y aura sans doute au moins une lecture avant les régionales. Nous voulons que cette loi soit applicable à la prochaine rentrée scolaire. D'ici là, c'est-à-dire pendant le premier semestre de l'année 2004, la loi ne s'appliquera pas encore, mais on en connaîtra déjà l'esprit et les objectifs. J'ai donc demandé aux recteurs d'informer les chefs d'établissement afin de traiter avec discernement les cas qui se poseront à eux, c'est-à-dire d'éviter les tensions inutiles ou les décisions trop rapides.
" Sud Ouest " - Les voitures ont continué à flamber durant la nuit de la Saint-Sylvestre. C'est un échec de la politique menée par Nicolas Sarkozy ?
Jean-Pierre Raffarin - (Sourire). Il s'agit d'un phénomène de société préoccupant. La politique menée a donné des résultats : l'insécurité recule. Mais il ne faut pas lâcher prise. Rien n'est définitivement acquis dans nos sociétés modernes. Je n'ai pas l'habitude de critiquer mes ministres. Surtout quand ils sont particulièrement efficaces.
" Sud Ouest " - La France va-t-elle prendre des initiatives pour relancer le projet de Constitution européenne ?
Jean-Pierre Raffarin - Notre conviction, c'est que l'Europe à ving-cinq ne peut pas fonctionner par des marchandages, mais avec des institutions fortes. Nous continuerons donc à plaider pour que l'Europe élargie ait des institutions à la dimension de sa nouvelle géographie. Et nous souhaitons que le projet de la Convention reste la base des négociations pour cette Constitution européenne.
Si difficulté il y a, nous avancerons dans une logique de groupes pionniers. Nous sommes très proches de l'Allemagne. Ce n'est pas un directoire fermé; nous nous ouvrirons à tous ceux qui désirent aller de l'avant, avec le Royaume-Uni par exemple pour les questions de défense, ou avec la Pologne au sein du triangle de Weimar (Paris-Berlin-Varsovie). Nous avons une grande ambition pour l'Europe, elle n'est pas compatible avec un projet au rabais.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 6 janvier 2004)
" Sud Ouest " - L'année débute par un accident sans précédent puisque 129 Français viennent de périr dans le crash d'un avion de Flash Airlines au-dessus de la mer Rouge. Que vous inspire cette catastrophe ?
Jean-Pierre Raffarin - Je suis bouleversé par cette tragédie. Comme de très nombreux compatriotes, je suis atteint par la terrible douleur des familles des victimes. La mort au bout des vacances est particulièrement cruelle. Les cicatrices resteront brûlantes, nous mettons tout en oeuvre pour que la solidarité nationale et humanitaire soit à la dimension de ce drame. Je m'y suis engagé samedi en allant à la rencontre des familles; j'ai encore la gorge serrée par ces échanges.
" Sud Ouest " - Que souhaitez-vous aux Français pour 2004 ?
Jean-Pierre Raffarin - Je souhaite que les Françaises et les Français partagent " le goût de l'avenir " comme le décrit Jean-Claude Guillebaud. Cela passe par la fraternité qui est le partage des peines mais aussi des joies. La fraternité est source de confiance, c'est la meilleure réponse à la peur. La France ne doit pas avoir peur de son avenir.
" Sud Ouest " - Et à vous, que faut-il souhaiter ? De bons sondages ? Un an de plus à Matignon ?
Jean-Pierre Raffarin - Il faut du courage pour surmonter les peurs et les difficultés. Je suis dans l'action, je vais au charbon tous les jours. Quand je pense à tout ce que j'ai à faire, je me dis qu'il faut surtout une bonne santé je l'ai et de la résistance je crois l'avoir. Une chose est certaine : j'ai confiance dans l'avenir de la France.
" Sud Ouest " - Vous avez vu, au deuxième trimestre 2003, chuter votre cote de popularité; la tendance s'est inversée dans les derniers jours de l'année. 2004 se présente-t-elle mieux que ne s'est achevée 2003 ?
Jean-Pierre Raffarin - J'ai confiance pour 2004, même si le métier de Premier ministre est dur. Il y a beaucoup de décisions impopulaires à prendre, qu'il s'agisse de l'augmentation du prix du tabac ou de l'installation des radars. Je le fais pour servir mon pays en évitant d'avoir les yeux fixés sur les courbes des sondages. Il faut avoir le courage de l'avenir. La décision peut être impopulaire, le résultat finir par être populaire. Je suis un homme libre. Je fais même de l'épreuve une source d'énergie. Mais, c'est vrai, il y a des moments difficiles car j'ai trouvé la France en mauvais état. J'assume avec un certain effacement personnel. Non pas que je sois devenu bouddhiste ! En fait, je sais que lorsque l'ego est hypertrophié, les gens sont malheureux. Je me garde la liberté de lire, de réfléchir, de rester moi-même. C'est pour moi une forme de résistance.
" Sud Ouest " - Politiquement, quand la baisse dans les sondages est continue, on doit avoir besoin de soutien. Doute-t-on de soi ?
Jean-Pierre Raffarin - Si je me fie à ce que l'on peut lire parfois, l'avenir serait sombre, la réforme impossible. Moi, je vois que la réforme est possible, que la croissance revient. Sur la réforme des retraites, on disait que plusieurs gouvernements tomberaient. Je tiens à maintenir le cap de ma mission. Quand les sondages sont bas, je demeure confiant; quand ils sont hauts, je reste prudent. Et puis, c'est vrai, je bénéficie d'une aide précieuse, celle du président de la République. Et j'ai un dispositif majoritaire, notamment autour d'Alain Juppé, qui est un dispositif de confiance.
" Sud Ouest " - Quand les médias ne vous épargnent pas, vous y êtes sensible ?
Jean-Pierre Raffarin - Je ressens le mépris quand ils s'expriment avec méchanceté. Souvent, plus la pensée est faible, plus l'attaque est violente. Je ne m'inscris pas dans l'éphémère. Je sais aussi que les Français ont pour la politique un jugement exigeant. Que l'homme politique souffre fait partie de sa mission. La vie politique, ce n'est pas le vécu quotidien de la gloire, ce n'est pas la vie de château : c'est la rencontre permanente avec la tragédie et la comédie humaine. Alors, quand on m'attaque, j'essaie de comprendre pourquoi, mais je ne suis pas ingrat avec ceux qui me soutiennent. Je ne suis pas né dans la haute administration, mais je crois bien connaître notre pays dans sa diversité. Je circule beaucoup en France, sans caméra. En profondeur, les soutiens sont nombreux. Bref, il y a des choses qui me touchent mais qui ne me blessent pas. J'ai toujours en tête cette phrase de Courteline : " Passer pour insuffisant aux yeux des suffisants est une volonté de fin gourmet. "
" Sud Ouest " - A trois mois des régionales, comment sentez-vous ces élections ?
Jean-Pierre Raffarin - Plutôt bien...
" Sud Ouest " - Pour votre camp ?
Jean-Pierre Raffarin - Globalement. Et surtout pour la majorité ! Je pense que le PS est toujours convalescent. Il n'a pas d'idées neuves, il n'a pas renouvelé ses équipes. François Hollande a fait une grave erreur à l'université de La Rochelle. Il s'est fait voler sa victoire du congrès de Dijon. Il lui fallait, dans la foulée, définir un projet, donner une pensée politique, une vision à son parti. Il ne l'a pas fait et, en conséquence, les multiples candidats à la présidentielle sont partis en campagne sans attendre. Moralité, au sein du PS, ce sont les alliances qui vont faire la pensée, ce qui va ouvrir un certain nombre de champs à l'extrême gauche. C'est un risque pour la démocratie.
" Sud Ouest " - Vous notez qu'au PS les candidats à la présidentielle sont partis. C'est vrai également dans votre propre camp avec M. Sarkozy. Son attitude ne vous gêne pas ?
Jean-Pierre Raffarin - Non. La présidentielle, quand on est au charbon tous les jours, ce n'est pas vraiment la question. C'est dans plus de trois ans ! Dans l'opposition, ils ont le temps d'affiner leurs promesses ! La majorité, elle, est dans une logique de responsabilité. En conséquence, il ne faut pas anticiper trop tôt. N. Sarkozy a envoyé un signal puis il est vite revenu à sa mission essentielle : la sécurité. Le ministre est un serviteur, le candidat ne l'est pas tout à fait. Je l'ai dit pour François Bayrou, l'histoire a montré qu'il n'y a pas de place à brève échéance, dans le camp du président, contre le président.
" Sud Ouest " - Vous craignez la politisation de ces élections ?
Jean-Pierre Raffarin - Pourquoi faire de ces régionales des enjeux exclusivement partisans ? Je n'ai jamais considéré le mandat régional comme un mandat partisan.
" Sud Ouest " - Dans la mesure où quantité de membres du gouvernement sont partants, difficile d'éviter la politique !
Jean-Pierre Raffarin - Les ministres qui seront candidats sont des personnalités fortement enracinées. Prenez le cas de Dominique Bussereau en Poitou-Charentes. C'est de l'implantation " pur beurre " ! De même, je suis sûr que, dans cette région, la candidate du terrain l'emportera sur la candidate de la politique. Arrêtons de prendre les électeurs pour des gens qui ne sont pas informés. Les électeurs savent que les régionales, c'est pour la région ! J'entends tous ceux qui veulent transformer ce scrutin en message national : le politiser, c'est faire le jeu des extrêmes. La question qui se pose, c'est de savoir si les équipes sont crédibles, si les programmes régionaux sont bons, si les élus vont se consacrer à leur job ou quelle équipe va augmenter les impôts. C'est d'ailleurs pour cela qu'en mars, ce seront les dernières élections régionales ayant lieu toutes à la même date. Je souhaite, en effet, que les prochaines aient lieu à des dates différentes afin que les enjeux territoriaux puissent être renforcés, c'est ainsi en Allemagne, en Italie ou en Espagne.
" Sud Ouest " - Des ministres élus aux régionales, cela signifie un remaniement aussitôt après ?
Jean-Pierre Raffarin - Comme il y aura peut-être des ministres candidats aux européennes, on appréciera le moment venu.
" Sud Ouest " - Vous jouez votre avenir à Matignon sur ces élections ?
Jean-Pierre Raffarin - Je suis à la tête d'une majorité parlementaire élue pour cinq ans. Notre programme de travail, défini par mon discours de politique générale, porte sur l'ensemble de la législature. Je travaille dans cette perspective. Pour le reste, le président est maître du calendrier. Ma conviction est que les élections locales de mars prochain, cantonales et régionales, seront très partagées comme les dernières municipales. Il sera très difficile d'en tirer des leçons nationales. J'ai confiance pour le printemps 2004. Sincèrement.
" Sud Ouest " - Jacques Chirac, dans ses voeux aux Français, a annoncé une grande loi de mobilisation pour l'emploi. En quoi cela va-t-il consister ?
Jean-Pierre Raffarin - Notre mobilisation pour l'emploi s'est faite en deux phases. Dans un premier temps, il s'agissait de créer en France les conditions du retour de la croissance. D'éviter de plonger les forces vives de notre économie dans l'austérité. Nous voici à la seconde phase. La croissance revient, ce n'est pas par hasard; nous la voulons utile pour l'emploi et nous nous y préparons. Plusieurs chantiers sont déjà ouverts : la simplification du Code du travail, la modernisation du service public de l'emploi. Il nous faut encore mettre en place des dispositifs pour l'emploi des jeunes, faciliter les reclassements dans le cadre des plans sociaux, réaliser l'égalité professionnelle femmes-hommes. Tous ces projets seront rassemblés dans un grand texte fondateur, comme le demande le président de la République. Ce texte accordera des droits nouveaux aux plus fragiles. Cette loi sera élaborée au cours du premier semestre 2004, après concertation avec les partenaires sociaux en début d'année, et votée avant la fin de l'année.
" Sud Ouest " - N'y a-t-il pas un paradoxe à décréter la mobilisation pour l'emploi au moment où l'on réduit la durée d'indemnisation des chômeurs ?
Jean-Pierre Raffarin - Au contraire ! Cette mobilisation a un objectif : que l'emploi suive immédiatement la croissance. Nous voulons une croissance riche en emplois. La réforme de l'Unedic, décidée par les partenaires sociaux, vise à faire entrer les chômeurs dans une logique de l'emploi, à faciliter leur retour au travail. Nous veillerons à ce que ce parcours vers le travail soit le plus personnalisé possible. Et la solidarité nationale s'exercera évidemment pour ceux de nos compatriotes qui sont les plus éloignés de l'emploi. L'accès au travail, mais aussi le logement sont les priorités d'une vraie politique sociale.
" Sud Ouest " - Vous avez demandé la semaine dernière aux recteurs, que vous avez reçus à Matignon, d'appliquer la future loi sur la laïcité avec " discernement ". Qu'entendez-vous par là ?
Jean-Pierre Raffarin - La loi sur la laïcité à l'école va venir en discussion au Parlement le plus tôt possible. Il y aura sans doute au moins une lecture avant les régionales. Nous voulons que cette loi soit applicable à la prochaine rentrée scolaire. D'ici là, c'est-à-dire pendant le premier semestre de l'année 2004, la loi ne s'appliquera pas encore, mais on en connaîtra déjà l'esprit et les objectifs. J'ai donc demandé aux recteurs d'informer les chefs d'établissement afin de traiter avec discernement les cas qui se poseront à eux, c'est-à-dire d'éviter les tensions inutiles ou les décisions trop rapides.
" Sud Ouest " - Les voitures ont continué à flamber durant la nuit de la Saint-Sylvestre. C'est un échec de la politique menée par Nicolas Sarkozy ?
Jean-Pierre Raffarin - (Sourire). Il s'agit d'un phénomène de société préoccupant. La politique menée a donné des résultats : l'insécurité recule. Mais il ne faut pas lâcher prise. Rien n'est définitivement acquis dans nos sociétés modernes. Je n'ai pas l'habitude de critiquer mes ministres. Surtout quand ils sont particulièrement efficaces.
" Sud Ouest " - La France va-t-elle prendre des initiatives pour relancer le projet de Constitution européenne ?
Jean-Pierre Raffarin - Notre conviction, c'est que l'Europe à ving-cinq ne peut pas fonctionner par des marchandages, mais avec des institutions fortes. Nous continuerons donc à plaider pour que l'Europe élargie ait des institutions à la dimension de sa nouvelle géographie. Et nous souhaitons que le projet de la Convention reste la base des négociations pour cette Constitution européenne.
Si difficulté il y a, nous avancerons dans une logique de groupes pionniers. Nous sommes très proches de l'Allemagne. Ce n'est pas un directoire fermé; nous nous ouvrirons à tous ceux qui désirent aller de l'avant, avec le Royaume-Uni par exemple pour les questions de défense, ou avec la Pologne au sein du triangle de Weimar (Paris-Berlin-Varsovie). Nous avons une grande ambition pour l'Europe, elle n'est pas compatible avec un projet au rabais.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 6 janvier 2004)