Texte intégral
Monsieur l'Ambassadeur, Mesdames et Messieurs, merci d'être venus jusqu'à nous. Comme le rappelait Monsieur l'Ambassadeur, le temps nous est compté. Si je ne m'exprime pas en anglais ce n'est pas seulement parce que je suis ministre de la Francophonie, c'est parce que ma connaissance de cette langue n'est pas tout à fait suffisante bien que je la comprenne assez bien. Puisque vous avez déjà eu l'occasion de rencontrer mon collègue chargé des Finances, Dominique Strauss-Kahn, je ne pense pas que ce soit utile de revenir ce matin sur les questions qu'il a déjà traitées avec vous, qu'il s'agisse de la crise asiatique ou qu'il s'agisse des réponses qui ont été apportées à l'occasion de la réunion des représentants des ministres des Finances. Mais pour autant, si vous le souhaitez, je suis prêt à répondre aux questions que vous voudriez me poser à ce sujet. J'ai compris que c'était davantage sur les questions du développement mais en particulier les questions relatives à l'Afrique, que vous souhaitiez m'interroger et je suis bien évidemment à votre disposition. C'était surtout je crois l'objet de notre rencontre ce matin. Si nous parlons surtout de l'Afrique ce matin ce n'est pas pour oublier que les instruments français en matière de coopération au développement ont été reformés. Réformés en essayant d'ouvrir désormais la coopération française à la fois à l'ensemble de l'Afrique et à l'ensemble du monde. La coopération au développement n'est plus cantonnée dans ce que nous appelions le champ, c'est-à-dire essentiellement le continent africain. Je vous écoute et je vous souhaite en même temps bon appétit.
Q - Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous dire où en est la position de la France et des Etats-Unis concernant l'Afrique centrale et plus particulièrement le Congo ?
R - La France suit avec une attention extrême l'évolution de la situation en Afrique centrale depuis déjà de longs mois, sachant que c'est cette partie du continent qui est la moins stabilisée. La République démocratique du Congo, en raison de son importance géographique, porte en elle tous les dangers de déstabilisation de l'ensemble du continent africain. La rébellion qui s'est manifestée il y a maintenant deux mois a connu des développements considérables si bien qu'aujourd'hui c'est à l'internationalisation du conflit que nous en sommes arrivés avec l'implication directe de presque une dizaine de pays en République démocratique du Congo. La position de la France consiste à proposer une conférence des Grands lacs qui se réunisse sur la base de trois principes auxquels nous sommes très attachés : le respect de l'intégrité territoriale, la non-ingérence étrangère et la souveraineté nationale. J'ai le sentiment que cette idée progresse. Je me suis entretenu avec plusieurs de nos partenaires, le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, qui y a explicitement fait référence il y a quelques jours lors de l'Assemblée des Nations unies. Mais le plus urgent c'est le cessez-le-feu. J'ai regretté que la rencontre de Victoria Falls n'ait pas permis d'atteindre l'objectif qu'elle s'était fixé. La raison en est très probablement le refus d'accepter de dialoguer aussi avec les rebelles. J'ai fortement avisé le ministre des Affaires étrangères congolais, que j'ai rencontré il y a une dizaine de jours à New York, à accepter de dialoguer précisément avec les rebelles. Et c'est la même proposition d'invitation au dialogue qu'a transmis au président Kabila l'envoyé spécial du président Chirac. Je rappelle que nous n'avons plus de coopération d'Etat à Etat avec la République démocratique du Congo et que nous continuons d'intervenir par le biais de la société civile en faveur d'actions destinées à faciliter l'accès aux services sociaux. Nous avons par ailleurs envoyé à Kinshasa de l'aide humanitaire constituée de vivres et de médicaments.
Q - (Sur la crise financière et l'Afrique)
R - L'Afrique ne saurait échapper aux conséquences de la crise, mais le fait d'être moins intégré dans l'économie mondiale peut, dans une certaine mesure, lui permettre d'en payer moins cher le prix. Néanmoins plusieurs pays africains vont supporter plus durement les effets de la crise. Nous pensons à ceux qui tirent du pétrole un partie notable de leurs revenus, ceux aussi qui s'appuient sur l'économie qui est liée à l'économie asiatique. Je pense en particulier à la forêt. Il est clair que l'affaiblissement du dollar complique leur performance à l'exportation. Il faut ajouter qu'un certain nombre de crises viennent de secouer le continent africain, c'est vrai de l'Afrique centrale, de la Guinée Bissau et de l'Afrique de l'Est qui évidemment affaiblissent les performances économiques, mais qui surtout aggravent le climat social. Ajoutons que certaines catastrophes, désordres climatiques sont venus s'ajouter : la sécheresse d'abord, les inondations ensuite, qui ont compromis certaines récoltes ou qui ont détruit des ouvrages publics, ce qui ne va pas manquer de ralentir encore l'économie de ces pays. C'est dire si le besoin d'assistance financière en direction des pays africains reste très important. Nous n'avons eu de cesse lors de ces rencontres de rappeler que si nous comprenions les efforts dirigés vers l'Asie et l'Amérique latine, il est indispensable que les institutions de Bretton Woods continuent à accorder à l'Afrique tous les soins qu'elle mérite. Pour autant, et je voudrais insister sur ce point, les relations privilégiées existant entre l'Afrique et l'Europe qui est considérée comme étant pour les années qui viennent un des pôles de stabilité et de croissance, cette proximité peut évidemment aider les Africains à mieux gérer les effets de la crise. Le lien en particulier qui unit les pays de la zone franc à l'euro désormais, est également un élément de stabilité et de sécurité auquel, je l'espère, les investisseurs seront sensibles et qui les convaincra de prendre le chemin de l'Afrique. Ce qui est clair en tout cas c'est qu'en Afrique aussi, le besoin d'aide publique au développement se trouve en quelque sorte légitimé. J'ai d'ailleurs observé que la plupart des orateurs qui se sont exprimés hier ont insisté sur le besoin d'aide publique au développement. J'observe dans le même temps que nous constatons plutôt une baisse de l'aide publique au développement. Il y a là une contradiction entre le discours et la pratique, qui décrédibilise les pays occidentaux par rapport aux pays en développement. Si la France n'accorde pas à l'aide publique au développement tous les moyens qu'il faudrait, la France est aujourd'hui le second donateur en valeur absolue des pays de l'OCDE derrière le Japon, devant les Etats-Unis, pour une population et pour un PIB qui sont évidemment très sensiblement inférieurs.
Q - (Sur la question de la dette et le comité du développement)
R - Il est clair que le discours de Michel Camdessus, comme celui du président Wolfensohn, a consisté surtout à prévenir les pays membres qu'ils auraient à fournir un effort financier sans précédent pour donner aux unités de soins intensifs de l'économie mondiale que sont le FMI et la Banque mondiale les moyens nécessaires pour faire face à cette crise. Je ne peux pas préjuger des réponses qui seront apportées par les Etats membres en question, mais la France assumera ses responsabilités dans ce domaine et souhaite que tous les autres pays concernés fassent de même. Il est indispensable de donner aux institutions de Bretton Woods les moyens dont elles ont besoin. Il est clair d'autre part que cette implication financière plus grande des Etats les incitera à souhaiter que les institutions fonctionnent avec une efficacité accrue. Déjà au printemps, lorsque nous nous étions réunis, la question de l'articulation entre le FMI et la Banque a été débattue. Cette fois-ci, ce besoin d'une relation plus étroite a été réaffirmé, y compris d'ailleurs par le président Wolfensohn et le Directeur général Camdessus, sans qu'il s'agisse de bouleverser les organigrammes des institutions. Les propositions qui sont faites, en particulier d'un conseil commun assurant le lien entre les deux institutions, nous paraissent indispensables. Nous sommes en particulier soucieux d'éviter une sorte de séparation des tâches qui amènerait la Banque à ne s'occuper que du social et le FMI que d'économie.
Q - (Sur la coopération contre le terrorisme et sur l'appréciation de la politique américaine)
R - Je me suis rendu au Soudan au mois d'août ; c'était après les attentats de Dar-Es-Salam et de Nairobi et avant la réaction américaine à Khartoum.
Le fait que les autorités soudanaises aient nié toute responsabilité dans les attentats de Nairobi et Dar-Es-Salam ne convainc pas forcément tous les Américains mais je dois vous livrer leurs explications puisqu'elles m'ont été répétées plusieurs fois. Ce que je crois c'est que le Soudan fait l'objet de la part des pays qui l'environnent, mais aussi de nombreux autres Etats, d'une réflexion pouvant éventuellement conduire à d'autres attitudes envers ce pays. La frappe aérienne sur l'usine chimique de Khartoum a fait en quelque sorte du Soudan une victime ; c'est en tout cas ainsi qu'une grande partie de la communauté internationale le considère désormais. Ce résultat n'était pas forcément le résultat recherché par les Etats-Unis, mais c'est la réalité.
Q - La visite de l'envoyé du président Chirac à Kinshasa et son invitation à participer à un Sommet de la Francophonie pourraient-elles être interprétées comme un rapprochement des deux pays ?
R - La France a des relations très anciennes avec le Congo démocratique. C'est un pays francophone mais il ne s'agit pas d'un Sommet de la francophonie, mais d'un Sommet France-Afrique qui sera consacré à la prévention des conflits et à la sécurité sur le continent américain. La communauté française au Congo est certes beaucoup moins nombreuse que par le passé, mais nous y avons quand même des compatriotes ; nous avons donc de bonnes raisons de suivre de près l'évolution de la situation à Kinshasa.
Il s'agit d'exprimer vis-à-vis de ce pays et de son régime à la fois une certaine compréhension mais aussi des exigences : compréhension des difficultés auxquelles le gouvernement est confronté mais aussi exigence d'engager un processus démocratique, ce qui signifie dialoguer avec l'ensemble des Congolais. Cette exigence-là n'a pas été remplie. Nous étions de ce point de vue probablement plus en retrait par rapport à M. Kabila, à cause de cela, que d'autres pays qui témoignaient peut-être d'une plus grande indulgence. Depuis nous avons regretté en outre que le discours de M. Kabila vis-à-vis de la France soit souvent contradictoire. Il est arrivé fréquemment qu'à usage interne (congolais) la France apparaisse comme le bouc émissaire alors que dans le même temps on demandait à la France d'aider le Congo. J'espère que la clarification de l'attitude du Congo vis-à-vis de la France nous permettra d'aider ce pays, avec d'ailleurs la communauté internationale, à se reconstruire. Mais encore faut-il que les préalables, le cessez-le-feu, une sorte de règlement des conflits de cette région dans le cadre de la conférence que nous préconisons sur les Grands lacs aient pu atteindre déjà les premiers objectifs.
Ce qui veut dire aussi dans l'immédiat, qu'à Kinshasa, il faut cesser de tenir des discours ethnicistes, qui permettent peut-être d'avoir quelques succès en direction de l'opinion, mais qui portent en eux tous les dangers de génocide. Néanmoins, il faut que la communauté internationale, et je pense aux amis du Congo qui sont réunis en association, se préparent, le moment venu, lorsque les conditions minimales que j'évoquais à l'instant seront réunies, à entreprendre avec les Congolais un plan ambitieux de reconstruction. Et les institutions internationales, je l'espère, devront s'y appliquer. Faut-il enfin rappeler que le dialogue entre les Etats-Unis et la France sur ce dossier est très soutenu et j'observe qu'à bien des égards nos analyses, et j'en suis personnellement très satisfait, commencent à se rapprocher.
Q - Combien cela coûte-t-il à la France de soutenir les pays africains de la zone franc ? Que pensez-vous des assertions de l'ancien président du Congo Brazzaville, M. Lissouba, à propos des tentatives de la compagnie française Elf Aquitaine pour le destituer ?
R - Elf est une société française, mais c'est une société privée. Et les relations entre les compagnies et les Etats dans les pays en développement sont toujours singulières. La situation financière dénoncée par M. Lissouba, si j'ai bien compris, existait aussi lorsqu'il était lui-même président du Congo Brazzaville. Et j'entends moi une autre version, selon laquelle Elf aurait payé par avance à M. Lissouba quelques années d'exploitation pétrolière, ce qui a compliqué le dialogue entre Elf et M. Sassu N'Guesso quand celui-ci est arrivé au pouvoir. Je voulais rappeler aussi que bien évidemment la France souhaite que ces relations entre compagnies pétrolières ou d'autres compagnies industrielles, et les pays africains en particulier, puissent s'inscrire dans une plus grande transparence. Ceci est d'ailleurs à renvoyer au dossier plus général de la lutte contre la corruption. Et nous avons par exemple désormais, dans les contrats de l'Agence française du développement, une clause qui interdit les commissions commerciales exceptionnelles. Mais il est exact que pour qu'il y ait des corrompus, il faut qu'il y ait des corrupteurs et nous avons, les entreprises de nos pays ont aussi, leur part de responsabilité. J'observe que plusieurs d'entre elles en prennent conscience et s'efforcent désormais d'introduire, je le répète, plus de clarté dans les relations avec les pays africains.
Sur la zone franc, je serais tenté de faire une réponse un peu brève, en disant que cela ne coûte rien. Cela ne coûte rien en tout cas dans la relation financière, dans la relation monétaire entre le franc et le franc CFA. Pour autant, il est vrai que la zone franc est une des zones qui sont pour nous un peu prioritaires dans notre intervention au développement. Mais je rappelle qu'il s'agit d'une convention, en réalité budgétaire, c'est un compte du Trésor qui enregistre les échanges entre franc CFA et franc, et comme dans le même temps, les grands indicateurs de ces pays de la zone franc ont eu des résultats très positifs, puisque je vous rappelle que le taux de croissance moyen de la zone franc est de l'ordre de 5 à 5,5 %, que l'inflation est très largement maîtrisée, que les budgets se sont très largement améliorés parce que les recettes fiscales ont commencé là aussi à augmenter, on est en situation d'équilibre, ce qui explique aussi que le passage à l'euro peut se faire dans de bonnes conditions car il n'est pas nécessaire de revoir la parité du franc CFA avec le franc. Mais je le répète, sur le plan financier, cette relation ne coûte rien. Il faudrait que nous soyons en situation de crise spécifique de certains pays africains, pour qu'alors, au terme de cet engagement, la France soit amenée à mobiliser quelque moyen supplémentaire. Notre aide totale au développement s'élève environ à 1,5 milliards de dollars. Je rappelle par ailleurs que plus de la moitié de l'aide publique au développement mobilisée par la France est consacrée à l'Afrique subsaharienne
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2001)
Q - Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous dire où en est la position de la France et des Etats-Unis concernant l'Afrique centrale et plus particulièrement le Congo ?
R - La France suit avec une attention extrême l'évolution de la situation en Afrique centrale depuis déjà de longs mois, sachant que c'est cette partie du continent qui est la moins stabilisée. La République démocratique du Congo, en raison de son importance géographique, porte en elle tous les dangers de déstabilisation de l'ensemble du continent africain. La rébellion qui s'est manifestée il y a maintenant deux mois a connu des développements considérables si bien qu'aujourd'hui c'est à l'internationalisation du conflit que nous en sommes arrivés avec l'implication directe de presque une dizaine de pays en République démocratique du Congo. La position de la France consiste à proposer une conférence des Grands lacs qui se réunisse sur la base de trois principes auxquels nous sommes très attachés : le respect de l'intégrité territoriale, la non-ingérence étrangère et la souveraineté nationale. J'ai le sentiment que cette idée progresse. Je me suis entretenu avec plusieurs de nos partenaires, le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, qui y a explicitement fait référence il y a quelques jours lors de l'Assemblée des Nations unies. Mais le plus urgent c'est le cessez-le-feu. J'ai regretté que la rencontre de Victoria Falls n'ait pas permis d'atteindre l'objectif qu'elle s'était fixé. La raison en est très probablement le refus d'accepter de dialoguer aussi avec les rebelles. J'ai fortement avisé le ministre des Affaires étrangères congolais, que j'ai rencontré il y a une dizaine de jours à New York, à accepter de dialoguer précisément avec les rebelles. Et c'est la même proposition d'invitation au dialogue qu'a transmis au président Kabila l'envoyé spécial du président Chirac. Je rappelle que nous n'avons plus de coopération d'Etat à Etat avec la République démocratique du Congo et que nous continuons d'intervenir par le biais de la société civile en faveur d'actions destinées à faciliter l'accès aux services sociaux. Nous avons par ailleurs envoyé à Kinshasa de l'aide humanitaire constituée de vivres et de médicaments.
Q - (Sur la crise financière et l'Afrique)
R - L'Afrique ne saurait échapper aux conséquences de la crise, mais le fait d'être moins intégré dans l'économie mondiale peut, dans une certaine mesure, lui permettre d'en payer moins cher le prix. Néanmoins plusieurs pays africains vont supporter plus durement les effets de la crise. Nous pensons à ceux qui tirent du pétrole un partie notable de leurs revenus, ceux aussi qui s'appuient sur l'économie qui est liée à l'économie asiatique. Je pense en particulier à la forêt. Il est clair que l'affaiblissement du dollar complique leur performance à l'exportation. Il faut ajouter qu'un certain nombre de crises viennent de secouer le continent africain, c'est vrai de l'Afrique centrale, de la Guinée Bissau et de l'Afrique de l'Est qui évidemment affaiblissent les performances économiques, mais qui surtout aggravent le climat social. Ajoutons que certaines catastrophes, désordres climatiques sont venus s'ajouter : la sécheresse d'abord, les inondations ensuite, qui ont compromis certaines récoltes ou qui ont détruit des ouvrages publics, ce qui ne va pas manquer de ralentir encore l'économie de ces pays. C'est dire si le besoin d'assistance financière en direction des pays africains reste très important. Nous n'avons eu de cesse lors de ces rencontres de rappeler que si nous comprenions les efforts dirigés vers l'Asie et l'Amérique latine, il est indispensable que les institutions de Bretton Woods continuent à accorder à l'Afrique tous les soins qu'elle mérite. Pour autant, et je voudrais insister sur ce point, les relations privilégiées existant entre l'Afrique et l'Europe qui est considérée comme étant pour les années qui viennent un des pôles de stabilité et de croissance, cette proximité peut évidemment aider les Africains à mieux gérer les effets de la crise. Le lien en particulier qui unit les pays de la zone franc à l'euro désormais, est également un élément de stabilité et de sécurité auquel, je l'espère, les investisseurs seront sensibles et qui les convaincra de prendre le chemin de l'Afrique. Ce qui est clair en tout cas c'est qu'en Afrique aussi, le besoin d'aide publique au développement se trouve en quelque sorte légitimé. J'ai d'ailleurs observé que la plupart des orateurs qui se sont exprimés hier ont insisté sur le besoin d'aide publique au développement. J'observe dans le même temps que nous constatons plutôt une baisse de l'aide publique au développement. Il y a là une contradiction entre le discours et la pratique, qui décrédibilise les pays occidentaux par rapport aux pays en développement. Si la France n'accorde pas à l'aide publique au développement tous les moyens qu'il faudrait, la France est aujourd'hui le second donateur en valeur absolue des pays de l'OCDE derrière le Japon, devant les Etats-Unis, pour une population et pour un PIB qui sont évidemment très sensiblement inférieurs.
Q - (Sur la question de la dette et le comité du développement)
R - Il est clair que le discours de Michel Camdessus, comme celui du président Wolfensohn, a consisté surtout à prévenir les pays membres qu'ils auraient à fournir un effort financier sans précédent pour donner aux unités de soins intensifs de l'économie mondiale que sont le FMI et la Banque mondiale les moyens nécessaires pour faire face à cette crise. Je ne peux pas préjuger des réponses qui seront apportées par les Etats membres en question, mais la France assumera ses responsabilités dans ce domaine et souhaite que tous les autres pays concernés fassent de même. Il est indispensable de donner aux institutions de Bretton Woods les moyens dont elles ont besoin. Il est clair d'autre part que cette implication financière plus grande des Etats les incitera à souhaiter que les institutions fonctionnent avec une efficacité accrue. Déjà au printemps, lorsque nous nous étions réunis, la question de l'articulation entre le FMI et la Banque a été débattue. Cette fois-ci, ce besoin d'une relation plus étroite a été réaffirmé, y compris d'ailleurs par le président Wolfensohn et le Directeur général Camdessus, sans qu'il s'agisse de bouleverser les organigrammes des institutions. Les propositions qui sont faites, en particulier d'un conseil commun assurant le lien entre les deux institutions, nous paraissent indispensables. Nous sommes en particulier soucieux d'éviter une sorte de séparation des tâches qui amènerait la Banque à ne s'occuper que du social et le FMI que d'économie.
Q - (Sur la coopération contre le terrorisme et sur l'appréciation de la politique américaine)
R - Je me suis rendu au Soudan au mois d'août ; c'était après les attentats de Dar-Es-Salam et de Nairobi et avant la réaction américaine à Khartoum.
Le fait que les autorités soudanaises aient nié toute responsabilité dans les attentats de Nairobi et Dar-Es-Salam ne convainc pas forcément tous les Américains mais je dois vous livrer leurs explications puisqu'elles m'ont été répétées plusieurs fois. Ce que je crois c'est que le Soudan fait l'objet de la part des pays qui l'environnent, mais aussi de nombreux autres Etats, d'une réflexion pouvant éventuellement conduire à d'autres attitudes envers ce pays. La frappe aérienne sur l'usine chimique de Khartoum a fait en quelque sorte du Soudan une victime ; c'est en tout cas ainsi qu'une grande partie de la communauté internationale le considère désormais. Ce résultat n'était pas forcément le résultat recherché par les Etats-Unis, mais c'est la réalité.
Q - La visite de l'envoyé du président Chirac à Kinshasa et son invitation à participer à un Sommet de la Francophonie pourraient-elles être interprétées comme un rapprochement des deux pays ?
R - La France a des relations très anciennes avec le Congo démocratique. C'est un pays francophone mais il ne s'agit pas d'un Sommet de la francophonie, mais d'un Sommet France-Afrique qui sera consacré à la prévention des conflits et à la sécurité sur le continent américain. La communauté française au Congo est certes beaucoup moins nombreuse que par le passé, mais nous y avons quand même des compatriotes ; nous avons donc de bonnes raisons de suivre de près l'évolution de la situation à Kinshasa.
Il s'agit d'exprimer vis-à-vis de ce pays et de son régime à la fois une certaine compréhension mais aussi des exigences : compréhension des difficultés auxquelles le gouvernement est confronté mais aussi exigence d'engager un processus démocratique, ce qui signifie dialoguer avec l'ensemble des Congolais. Cette exigence-là n'a pas été remplie. Nous étions de ce point de vue probablement plus en retrait par rapport à M. Kabila, à cause de cela, que d'autres pays qui témoignaient peut-être d'une plus grande indulgence. Depuis nous avons regretté en outre que le discours de M. Kabila vis-à-vis de la France soit souvent contradictoire. Il est arrivé fréquemment qu'à usage interne (congolais) la France apparaisse comme le bouc émissaire alors que dans le même temps on demandait à la France d'aider le Congo. J'espère que la clarification de l'attitude du Congo vis-à-vis de la France nous permettra d'aider ce pays, avec d'ailleurs la communauté internationale, à se reconstruire. Mais encore faut-il que les préalables, le cessez-le-feu, une sorte de règlement des conflits de cette région dans le cadre de la conférence que nous préconisons sur les Grands lacs aient pu atteindre déjà les premiers objectifs.
Ce qui veut dire aussi dans l'immédiat, qu'à Kinshasa, il faut cesser de tenir des discours ethnicistes, qui permettent peut-être d'avoir quelques succès en direction de l'opinion, mais qui portent en eux tous les dangers de génocide. Néanmoins, il faut que la communauté internationale, et je pense aux amis du Congo qui sont réunis en association, se préparent, le moment venu, lorsque les conditions minimales que j'évoquais à l'instant seront réunies, à entreprendre avec les Congolais un plan ambitieux de reconstruction. Et les institutions internationales, je l'espère, devront s'y appliquer. Faut-il enfin rappeler que le dialogue entre les Etats-Unis et la France sur ce dossier est très soutenu et j'observe qu'à bien des égards nos analyses, et j'en suis personnellement très satisfait, commencent à se rapprocher.
Q - Combien cela coûte-t-il à la France de soutenir les pays africains de la zone franc ? Que pensez-vous des assertions de l'ancien président du Congo Brazzaville, M. Lissouba, à propos des tentatives de la compagnie française Elf Aquitaine pour le destituer ?
R - Elf est une société française, mais c'est une société privée. Et les relations entre les compagnies et les Etats dans les pays en développement sont toujours singulières. La situation financière dénoncée par M. Lissouba, si j'ai bien compris, existait aussi lorsqu'il était lui-même président du Congo Brazzaville. Et j'entends moi une autre version, selon laquelle Elf aurait payé par avance à M. Lissouba quelques années d'exploitation pétrolière, ce qui a compliqué le dialogue entre Elf et M. Sassu N'Guesso quand celui-ci est arrivé au pouvoir. Je voulais rappeler aussi que bien évidemment la France souhaite que ces relations entre compagnies pétrolières ou d'autres compagnies industrielles, et les pays africains en particulier, puissent s'inscrire dans une plus grande transparence. Ceci est d'ailleurs à renvoyer au dossier plus général de la lutte contre la corruption. Et nous avons par exemple désormais, dans les contrats de l'Agence française du développement, une clause qui interdit les commissions commerciales exceptionnelles. Mais il est exact que pour qu'il y ait des corrompus, il faut qu'il y ait des corrupteurs et nous avons, les entreprises de nos pays ont aussi, leur part de responsabilité. J'observe que plusieurs d'entre elles en prennent conscience et s'efforcent désormais d'introduire, je le répète, plus de clarté dans les relations avec les pays africains.
Sur la zone franc, je serais tenté de faire une réponse un peu brève, en disant que cela ne coûte rien. Cela ne coûte rien en tout cas dans la relation financière, dans la relation monétaire entre le franc et le franc CFA. Pour autant, il est vrai que la zone franc est une des zones qui sont pour nous un peu prioritaires dans notre intervention au développement. Mais je rappelle qu'il s'agit d'une convention, en réalité budgétaire, c'est un compte du Trésor qui enregistre les échanges entre franc CFA et franc, et comme dans le même temps, les grands indicateurs de ces pays de la zone franc ont eu des résultats très positifs, puisque je vous rappelle que le taux de croissance moyen de la zone franc est de l'ordre de 5 à 5,5 %, que l'inflation est très largement maîtrisée, que les budgets se sont très largement améliorés parce que les recettes fiscales ont commencé là aussi à augmenter, on est en situation d'équilibre, ce qui explique aussi que le passage à l'euro peut se faire dans de bonnes conditions car il n'est pas nécessaire de revoir la parité du franc CFA avec le franc. Mais je le répète, sur le plan financier, cette relation ne coûte rien. Il faudrait que nous soyons en situation de crise spécifique de certains pays africains, pour qu'alors, au terme de cet engagement, la France soit amenée à mobiliser quelque moyen supplémentaire. Notre aide totale au développement s'élève environ à 1,5 milliards de dollars. Je rappelle par ailleurs que plus de la moitié de l'aide publique au développement mobilisée par la France est consacrée à l'Afrique subsaharienne
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2001)