Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Ma simple présence parmi vous aujourd'hui permet d'apporter des éléments de réponse à la question, thème de ce colloque : "Peut-on faire l'économie d'une vraie réforme ?" Si cette réforme n'était pas nécessaire, vous n'auriez pas sollicité ma présence et je me serais moi-même abstenu de répondre à votre invitation. La véritable question, plus que la nécessité de la réforme est celle des objectifs et du contenu.
Le gouvernement a déjà fait un premier choix important en la matière : la réforme doit viser à sauvegarder le système d'assurance maladie selon les principes qui le fondent aujourd'hui, tout en l'adaptant profondément aux évolutions sociales et économiques de notre pays, aux évolutions de la médecine et de la technique.
Notre modèle de sécurité sociale est un bon système. Son excellence est reconnue, notamment par les organisations internationales. Nous ne voulons pas l'abandonner au profit de l'un des autres modèles existant dans les pays développés. Nous ne voulons notamment pas :
- ni d'un modèle à l'anglaise caractérisé par une omniprésence de la puissance publique qui a laissé se développer des files d'attente ;
- ni d'un modèle de libéralisme intégral tel qu'il existe aux Etats-Unis, où face au développement des inégalités de soins, les pouvoirs publics sont obligés finalement de développer la prise en charge collective.
Afin de vous expliciter la politique du gouvernement, j'aimerais d'abord revenir sur les causes de cette réforme. Je vous présenterai ensuite les axes d'action privilégiés par le gouvernement.
Pourquoi une réforme de l'assurance maladie, et plus globalement de notre système de santé ?
Dans la plaquette de présentation de ce colloque, le déficit 2003 est mis en exergue. 10 milliards d'euros, je sais que c'est très important. Mais, au risque de vous choquer, je dirais que c'est en fait secondaire, que le fond du problème est ailleurs que dans ce chiffre. Sinon d'ailleurs nous accréditerions la thèse de ceux qui nous disent que ce n'est pas grave, qu'il n'y a qu'à augmenter les recettes pour remettre le système en marche. Nous risquerions de donner raison aussi à ceux qui disent que ce déficit est lié à telle ou telle action ou inaction de tel ou tel gouvernement.
Mais pour le gouvernement et selon mon propre point de vue la crise est beaucoup plus profonde. Le fondement même de notre système de santé est menacé. Afin d'illustrer ce point, j'aimerais revenir aux trois grandes forces de notre système de santé, pour montrer qu'elles sont en voie de fragilisation et qui mettent en cause l'ensemble.
La première force de notre système de santé est d'offrir à tous un égal accès aux soins. Cet égal accès aux soins est fondamental. Chacun peut bénéficier de soins, même les plus modernes, et, d'ailleurs, en bénéficie, quels que soient ses moyens. L'hôpital est quasiment gratuit. Les soins de ville aussi pour une grande partie, grâce notamment à l'aide des mutuelles.
Toutefois, d'importantes inégalités persistent sur le territoire. Un exemple : avec 3,3 médecins pour 1000 habitants, la France se situe dans la moyenne haute des pays développés pour la densité médicale, au même niveau que l'Allemagne, l'Espagne ou la Suisse. Toutefois, il n'y a que 2,4 médecins pour 1000 habitants en Picardie alors qu'ils sont plus de 4 pour 1000 habitants dans ma région d'origine ou en Ile-de-France. Ces disparités deviennent préoccupantes et incompréhensibles.
Les moyens des établissements sanitaires sont aussi assez mal répartis. Les différences de dotations budgétaires des hôpitaux ou entre les tarifs des cliniques privés sont liées avant tout à des raisons historiques contingent et non à une répartition rationnelle, claire et objective.
Avec la baisse de la démographie médicale et l'augmentation de la demande des patients, ces disparités ou, du moins leurs effets, vont s'accentuer au cours des vingt prochaines années, au risque d'entraîner de vrais problèmes de soins.
La seconde force de notre système de santé est la qualité des soins dispensés.
Les soins dispensés en France sont de bonne qualité. Ainsi, notre taux de mortalité cardio-vasculaire est le plus bas des pays de l'Union européenne, grâce notamment à la prévention des facteurs de risque et à la qualité des soins médicaux et chirurgicaux. Un autre exemple : le taux global de survie à cinq ans après un cancer du sein atteint plus de 82 % en France.
Mais, il subsiste d'importantes marges d'amélioration au point de vue de la qualité des soins et elles sont souhaitées par nos concitoyens qui nous demandent l'excellence.
Première piste d'amélioration : le travail en réseau des soignants. Les professionnels de santé ont eu l'habitude d'un travail solitaire. C'est l'image traditionnelle du médecin de campagne isolé. Mais, la spécialisation des connaissances, conséquence du progrès technique, ainsi que le développement des poly pathologies et la demande du patient de bénéficier d'une prise en charge cohérente exige de plus en plus que les professionnels échangent leurs données sur l'état du patient et se coordonnent. Le développement des techniques d'information doit faciliter ces échanges entre professionnels. C'est un changement profond de l'exercice.
Nous devons aussi, chacun pour ce qui nous concerne, réexaminer nos comportements individuels. Comment vouloir un système de santé excellent et économe, si nos comportements conduisent non seulement au gaspillage mais à des excès de morbidité intolérable. La France est, avec le Portugal, le pays de l'Union où la mortalité prématurée, avant 65 ans, est la plus importante. C'est le résultat, dans une large mesure, de nos propres comportements, de la consommation excessive d'alcools et de tabac, ainsi que des accidents de circulation. Le Gouvernement mène une politique de prévention mais, c'est à chacun d'entre nous de se sentir concerné. Voilà l'évolution qui est à craindre.
La troisième force de notre assurance maladie est son financement solidaire. Ce financement solidaire est le fondement de notre protection sociale et il est aujourd'hui menacé.
Soyons clair, abandonnons les débats politiciens. Le financement solidaire n'est pas menacé par telle ou telle politique.
Il est menacé par l'évolution structurelle de la demande de soins et plus profondément par l'évolution même de notre société : notre société vieillit et le poids des plus gros consommants, les personnes les plus âgées, augmente relativement à celui des contributeurs, les actifs ; nous aspirons parallèlement tous à mieux vivre, à être mieux soignés, à pouvoir, dès la moindre alerte, bénéficier de tous les examens nécessaires et même des superflus. C'est une impasse.
Ainsi, les dépenses de santé augmentent chaque année d'environ 5,5 % alors même que nous pouvons espérer au mieux, en moyenne, une croissance des recettes de 4 % sur le long terme. L'écart se creuse. Ainsi sans réforme, c'est 100 milliards d'euros qui seront nécessaires chaque année à l'horizon 2020 pour équilibrer financièrement notre système de santé. Ce n'est pas un point ou deux de CSG qui permettra alors de retrouver l'équilibre. Aurons-nous comme seule perspective de financer ce différentiel par une hausse continue des prélèvements obligatoires ?
Regardons l'expérience suédoise à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Le poids des prélèvements obligatoires dans ce pays a atteint un tel niveau que les suédois ont eu à faire un choix. Ne rien faire et accepter le déclin économique ou réformer leur protection sociale. Ils ont fait le choix de la réforme.
En France, nous sommes aujourd'hui devant ce même choix. L'effort d'adaptation à faire est collectif. Il est considérable. En termes financiers, il est supérieur à celui effectué par l'intégralité des différents plans d'économie des années 1990. Mais, si nous nous y attelons aujourd'hui, il pourra être progressif, afin de ne peser sur aucune génération ni aucune catégorie de la population de manière disproportionnée.
Il faut réussir à produire collectivement cet effort en évitant les blocages de telle ou telle catégorie d'acteurs. Et pour accepter ce changement, il est indispensable que les patients et les professionnels de santé comprennent en profondeur les évolutions nécessaires et la nécessité d'un changement. Un refus et donc un blocage nous conduirait dans une situation grave car c'est la pérennité même de notre système de protection sociale qui serait remise en cause. Il n'est en effet pas certain que nos concitoyens acceptent indéfiniment l'accroissement perpétuel des prélèvements sur les fruits de leur travail. Pouvons-nous imaginer de voir la CSG doubler ? La compétitivité de notre économie risquerait également d'en pâtir, nos voisins faisant eux les efforts nécessaires. La réforme allemande l'illustre. Elle devrait ainsi permettre non pas de stabiliser les cotisations maladie mais bien de les diminuer.
C'est pourquoi le gouvernement souhaite tout mettre en uvre pour réussir la réforme.
La première condition indispensable est de prendre le temps du dialogue et de la concertation. Comme je vous l'ai dit, il faut éviter un blocage. Donc il faut que nos concitoyens comprennent les enjeux de la réforme et les pistes qui seront finalement retenues.
Certains, face à la gravité de la situation, nous pressent d'accélérer. On peut les comprendre mais ce serait une erreur. Croyez-moi, la situation est peut-être menaçante, mais, si nous échouons, nous nous confronterons à quelque chose de bien pire.
C'est pourquoi le gouvernement a choisi de consacrer près d'une année à la préparation de la réforme. Le haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie mis en place par le Premier ministre, réunit des représentants de l'ensemble des acteurs. Il est composé de 53 membres, ce qui est considérable, pour mener un travail en commun.
Mais grâce à l'engagement personnel de ces membres, et à l'excellence de son président, il devrait réussir à aller au bout de ses travaux et remettre un diagnostic partagé de la situation d'ici quelques semaines.
A partir de ce diagnostic, je lancerai une concertation la plus large possible. Des groupes de travail devraient permettre dans une première phase de définir les principaux axes d'adaptation de notre assurance maladie. Une deuxième phase de concertation puis de négociation permettra d'aboutir à un projet de loi avant l'été.
L'objectif de la réforme est de sauvegarder notre système de sécurité sociale, c'est-à-dire de l'adapter à l'évolution moderne tout en préservant ses fondements, et même en les renforçant. Ainsi, chacun pourra continuer à recevoir des soins de haute qualité suivant ses besoins et non selon ses moyens.
La pratique médicale libérale ne sera en aucune façon remise en cause. Elle permet à chaque patient de pouvoir se faire soigner dans les meilleures conditions par les professionnels compétents.
L'axe principal de la réforme sera donc la responsabilisation partagée. Le financement de notre système d'assurance maladie est collectif. Nous en sommes tous responsables.
Toutefois, son organisation a un effet contraire à cet objectif de préservation collective car elle déresponsabilise l'ensemble des acteurs. Au plan des règles de fonctionnement, les responsabilités respectives de l'Etat et des caisses de sécurité sociale sont mal délimitées et s'enchevêtrent. Les partenaires sociaux ont ainsi l'impression que l'Etat freine ou empêche toutes leurs initiatives alors que le gouvernement a parfois l'impression que les caisses sont inactives. Imaginez-vous la gestion d'une entreprise de plus de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires sans que l'on sache qui pilote quoi ? Parfois, la sécurité sociale ressemble à cela.
Au niveau de la gestion quotidienne, ni les professionnels, ni les patients ne supportent directement les conséquences économiques de leurs décisions quotidiennes. Au contraire, ils peuvent même avoir intérêt à adopter des comportements dispendieux. Or, une médecine de bonne qualité doit être rationnelle voire économe. La surmédicalisation, par exemple, est source d'effets iatrogènes et donc doublement source de surcoûts.
Le développement de cette responsabilisation partagée devra entraîner une modification profonde de la gouvernance de notre système. L'Etat sera garant de la santé publique et de l'assurance maladie. Le projet de loi de santé publique, qui a été adopté par l'Assemblée en octobre et qui sera débattue au Sénat en janvier lui en apporte en partie les moyens. Il fixe des objectifs qui permettront d'orienter la politique de l'Etat sur les cinq années à venir. Il organise l'action au niveau territorial en regroupant les efforts de l'ensemble des acteurs sous le pilotage du préfet et des DRASS.
En ce qui concerne la gestion quotidienne, l'Etat ne sera en charge que des établissements de santé dont l'ensemble des règles de fonctionnement sont actuellement en cours de refonte. Le gouvernement entend déléguer complètement, et dans la plus grande transparence, la gestion des soins ambulatoires aux partenaires sociaux, s'ils l'acceptent.
Parallèlement, le pilotage des sujets communs aux secteurs de la médecine de ville et de l'hôpital doit être réexaminé.
Une meilleure coordination des soins est nécessaire. Le développement des réseaux et du dossier médical partagé sont de premières solutions à mettre en oeuvre. La concertation avec les acteurs devrait également permettre de dégager des pistes complémentaires. D'autres enjeux me paraissent aussi communs à ces deux secteurs de soins. C'est le cas de la démographie médicale et de la permanence des soins par exemple, même si certaines spécificités demeurent dans chaque secteur. Leur pilotage commun devrait permettre de développer une véritable coopération au niveau national, mais surtout au niveau local, entre l'Etat et les caisses d'assurance maladie. La création d'Agences régionales de santé pourrait en être le vecteur.
Cette évolution devra s'accompagner d'une réflexion sur le partenariat nécessaire entre régimes de base et régimes complémentaires. Des relations fortes existent aujourd'hui : je cite comme exemple la couverture maladie universelle qui est gérée par les deux acteurs ou encore tout simplement la liquidation des remboursements. Je crois qu'il faut aller au-delà. Seul un véritable partenariat avec une mise en commun de l'information permettra aux acteurs de développer une véritable gestion du risque.
La responsabilité partagée concerne aussi les professionnels de santé et le patient. Des mécanismes de responsabilisation doivent être mis en uvre au niveau individuel. C'est la seule solution pour que chacun se sente pleinement responsable de notre système commun d'assurance maladie. Ces mécanismes devront être de nature diverse. Ils auront pour but d'inciter les acteurs à modifier leurs comportements pour mieux prendre en compte les conséquences au niveau collectif de leurs actions individuelles.
La responsabilité des professionnels, c'est d'abord d'améliorer leur pratique. Cette amélioration passe notamment par une participation accrue à la formation médicale continue. De nombreuses molécules sont développées chaque année et les techniques médicales évoluent à un rythme sans précédent. Il n'est plus possible de ne faire reposer sa pratique uniquement sur les connaissances acquises lors de la formation initiale.
L'amélioration des pratiques passe aussi par une meilleure utilisation des référentiels et des recommandations de bonnes pratiques. Chaque patient est unique et tout le travail du praticien est bien sûr d'adopter une prise en charge personnalisée. Mais, il est difficile à un professionnel seul d'évaluer lui-même l'efficacité de la multitude des alternatives thérapeutiques existantes. Les référentiels développés par les instances scientifiques sont des aides incontournables.
L'amélioration des pratiques passe enfin par une meilleure organisation du travail entre les professionnels. Il faut très certainement revoir la répartition des compétences de chacun. M. Berland vient de me remettre un rapport sur ce thème : les comparaisons internationales apportent des éléments instructifs. Il est important de concentrer les compétences les plus pointues sur les actes les plus complexes. Le point le plus important de la réorganisation des professionnels de santé est la mise en place d'un véritable travail en groupe. L'exercice individuel n'est pas pertinent pour le traitement de nombreuses pathologies. Il doit exister une véritable relation de travail entre les établissements, les médecins généralistes qui assurent le suivi des patients au quotidien, les médecins spécialistes et les professionnels paramédicaux.
Cette responsabilisation des professionnels de santé passe par la définition d'un nouveau contrat entre les caisses d'assurance maladie et les professionnels. Les caisses d'assurance maladie doivent apporter d'abord des conseils et non des contraintes.
Les professionnels doivent accepter de remettre en cause leur pratique pour s'engager vers une qualité encore meilleure des soins. C'est le cur de la maîtrise médicalisée qui me paraît le seul mode de régulation adapté à notre système de santé.
Les patients, enfin, sont aussi partie prenante à cette responsabilisation partagée. On l'oublie parfois mais le patient est toujours à l'initiative d'un processus de soins. La première responsabilité des patients, c'est la prévention. Si la mortalité prématurée et son coût en termes sanitaires sont si élevés en France, c'est d'abord parce que nous ne sommes pas assez attentifs à la prévention des risques. Chacun, trop souvent, néglige son propre capital santé. Je crois que les choses sont d'ailleurs en train de changer. Les Français soutiennent massivement par exemple la politique de lutte contre le tabac que le gouvernement a engagée. Ils se rendent compte de la nuisance de ces produits. Je ne peux que me réjouir de la progression historique du nombre de personnes qui ont décidé d'arrêter de fumer. C'est un succès.
La responsabilité du patient c'est aussi d'adopter un comportement raisonnable au niveau de son recours au système de soins. Il doit comprendre qu'il est souvent inutile d'aller consulter plusieurs professionnels différents. Il doit aussi comprendre que ne pas se voir prescrire une liste interminable de médicaments n'est pas un problème, au contraire !
La responsabilisation du patient passe d'abord par une amélioration de son information. Elle peut aussi passer par des mécanismes financiers ou par un choix éventuel de contrat dans le cadre de notre système solidaire. On pourrait aller jusqu'à imaginer que les patients acceptent volontairement d'éventuelles contraintes en échange d'une diminution de leur contribution.
Aboutir à une vrai responsabilisation partagée nécessite de revoir en profondeur l'organisation de notre système de santé et d'assurance maladie. La concertation prendra du temps. Le gouvernement a décidé d'y consacrer quasiment une année. Cet effort est indispensable à la sauvegarde de notre système de protection sociale, un système qui assure à chacun, quels que soient ses moyens, un égal accès à des soins de qualité.
Les travaux de ce colloque vont permettre d'examiner des pistes d'évolution, d'en mesurer les avantages et les inconvénients. Ils me paraissent très utiles à cette réflexion engagée par le gouvernement et je serais heureux d'en examiner les comptes rendus. C'est grâce à une réflexion collective que nous trouverons les solutions pour surpasser la crise que nous connaissons. Je vous remercie de nous y aider.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 20 novembre 2003)
Ma simple présence parmi vous aujourd'hui permet d'apporter des éléments de réponse à la question, thème de ce colloque : "Peut-on faire l'économie d'une vraie réforme ?" Si cette réforme n'était pas nécessaire, vous n'auriez pas sollicité ma présence et je me serais moi-même abstenu de répondre à votre invitation. La véritable question, plus que la nécessité de la réforme est celle des objectifs et du contenu.
Le gouvernement a déjà fait un premier choix important en la matière : la réforme doit viser à sauvegarder le système d'assurance maladie selon les principes qui le fondent aujourd'hui, tout en l'adaptant profondément aux évolutions sociales et économiques de notre pays, aux évolutions de la médecine et de la technique.
Notre modèle de sécurité sociale est un bon système. Son excellence est reconnue, notamment par les organisations internationales. Nous ne voulons pas l'abandonner au profit de l'un des autres modèles existant dans les pays développés. Nous ne voulons notamment pas :
- ni d'un modèle à l'anglaise caractérisé par une omniprésence de la puissance publique qui a laissé se développer des files d'attente ;
- ni d'un modèle de libéralisme intégral tel qu'il existe aux Etats-Unis, où face au développement des inégalités de soins, les pouvoirs publics sont obligés finalement de développer la prise en charge collective.
Afin de vous expliciter la politique du gouvernement, j'aimerais d'abord revenir sur les causes de cette réforme. Je vous présenterai ensuite les axes d'action privilégiés par le gouvernement.
Pourquoi une réforme de l'assurance maladie, et plus globalement de notre système de santé ?
Dans la plaquette de présentation de ce colloque, le déficit 2003 est mis en exergue. 10 milliards d'euros, je sais que c'est très important. Mais, au risque de vous choquer, je dirais que c'est en fait secondaire, que le fond du problème est ailleurs que dans ce chiffre. Sinon d'ailleurs nous accréditerions la thèse de ceux qui nous disent que ce n'est pas grave, qu'il n'y a qu'à augmenter les recettes pour remettre le système en marche. Nous risquerions de donner raison aussi à ceux qui disent que ce déficit est lié à telle ou telle action ou inaction de tel ou tel gouvernement.
Mais pour le gouvernement et selon mon propre point de vue la crise est beaucoup plus profonde. Le fondement même de notre système de santé est menacé. Afin d'illustrer ce point, j'aimerais revenir aux trois grandes forces de notre système de santé, pour montrer qu'elles sont en voie de fragilisation et qui mettent en cause l'ensemble.
La première force de notre système de santé est d'offrir à tous un égal accès aux soins. Cet égal accès aux soins est fondamental. Chacun peut bénéficier de soins, même les plus modernes, et, d'ailleurs, en bénéficie, quels que soient ses moyens. L'hôpital est quasiment gratuit. Les soins de ville aussi pour une grande partie, grâce notamment à l'aide des mutuelles.
Toutefois, d'importantes inégalités persistent sur le territoire. Un exemple : avec 3,3 médecins pour 1000 habitants, la France se situe dans la moyenne haute des pays développés pour la densité médicale, au même niveau que l'Allemagne, l'Espagne ou la Suisse. Toutefois, il n'y a que 2,4 médecins pour 1000 habitants en Picardie alors qu'ils sont plus de 4 pour 1000 habitants dans ma région d'origine ou en Ile-de-France. Ces disparités deviennent préoccupantes et incompréhensibles.
Les moyens des établissements sanitaires sont aussi assez mal répartis. Les différences de dotations budgétaires des hôpitaux ou entre les tarifs des cliniques privés sont liées avant tout à des raisons historiques contingent et non à une répartition rationnelle, claire et objective.
Avec la baisse de la démographie médicale et l'augmentation de la demande des patients, ces disparités ou, du moins leurs effets, vont s'accentuer au cours des vingt prochaines années, au risque d'entraîner de vrais problèmes de soins.
La seconde force de notre système de santé est la qualité des soins dispensés.
Les soins dispensés en France sont de bonne qualité. Ainsi, notre taux de mortalité cardio-vasculaire est le plus bas des pays de l'Union européenne, grâce notamment à la prévention des facteurs de risque et à la qualité des soins médicaux et chirurgicaux. Un autre exemple : le taux global de survie à cinq ans après un cancer du sein atteint plus de 82 % en France.
Mais, il subsiste d'importantes marges d'amélioration au point de vue de la qualité des soins et elles sont souhaitées par nos concitoyens qui nous demandent l'excellence.
Première piste d'amélioration : le travail en réseau des soignants. Les professionnels de santé ont eu l'habitude d'un travail solitaire. C'est l'image traditionnelle du médecin de campagne isolé. Mais, la spécialisation des connaissances, conséquence du progrès technique, ainsi que le développement des poly pathologies et la demande du patient de bénéficier d'une prise en charge cohérente exige de plus en plus que les professionnels échangent leurs données sur l'état du patient et se coordonnent. Le développement des techniques d'information doit faciliter ces échanges entre professionnels. C'est un changement profond de l'exercice.
Nous devons aussi, chacun pour ce qui nous concerne, réexaminer nos comportements individuels. Comment vouloir un système de santé excellent et économe, si nos comportements conduisent non seulement au gaspillage mais à des excès de morbidité intolérable. La France est, avec le Portugal, le pays de l'Union où la mortalité prématurée, avant 65 ans, est la plus importante. C'est le résultat, dans une large mesure, de nos propres comportements, de la consommation excessive d'alcools et de tabac, ainsi que des accidents de circulation. Le Gouvernement mène une politique de prévention mais, c'est à chacun d'entre nous de se sentir concerné. Voilà l'évolution qui est à craindre.
La troisième force de notre assurance maladie est son financement solidaire. Ce financement solidaire est le fondement de notre protection sociale et il est aujourd'hui menacé.
Soyons clair, abandonnons les débats politiciens. Le financement solidaire n'est pas menacé par telle ou telle politique.
Il est menacé par l'évolution structurelle de la demande de soins et plus profondément par l'évolution même de notre société : notre société vieillit et le poids des plus gros consommants, les personnes les plus âgées, augmente relativement à celui des contributeurs, les actifs ; nous aspirons parallèlement tous à mieux vivre, à être mieux soignés, à pouvoir, dès la moindre alerte, bénéficier de tous les examens nécessaires et même des superflus. C'est une impasse.
Ainsi, les dépenses de santé augmentent chaque année d'environ 5,5 % alors même que nous pouvons espérer au mieux, en moyenne, une croissance des recettes de 4 % sur le long terme. L'écart se creuse. Ainsi sans réforme, c'est 100 milliards d'euros qui seront nécessaires chaque année à l'horizon 2020 pour équilibrer financièrement notre système de santé. Ce n'est pas un point ou deux de CSG qui permettra alors de retrouver l'équilibre. Aurons-nous comme seule perspective de financer ce différentiel par une hausse continue des prélèvements obligatoires ?
Regardons l'expérience suédoise à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Le poids des prélèvements obligatoires dans ce pays a atteint un tel niveau que les suédois ont eu à faire un choix. Ne rien faire et accepter le déclin économique ou réformer leur protection sociale. Ils ont fait le choix de la réforme.
En France, nous sommes aujourd'hui devant ce même choix. L'effort d'adaptation à faire est collectif. Il est considérable. En termes financiers, il est supérieur à celui effectué par l'intégralité des différents plans d'économie des années 1990. Mais, si nous nous y attelons aujourd'hui, il pourra être progressif, afin de ne peser sur aucune génération ni aucune catégorie de la population de manière disproportionnée.
Il faut réussir à produire collectivement cet effort en évitant les blocages de telle ou telle catégorie d'acteurs. Et pour accepter ce changement, il est indispensable que les patients et les professionnels de santé comprennent en profondeur les évolutions nécessaires et la nécessité d'un changement. Un refus et donc un blocage nous conduirait dans une situation grave car c'est la pérennité même de notre système de protection sociale qui serait remise en cause. Il n'est en effet pas certain que nos concitoyens acceptent indéfiniment l'accroissement perpétuel des prélèvements sur les fruits de leur travail. Pouvons-nous imaginer de voir la CSG doubler ? La compétitivité de notre économie risquerait également d'en pâtir, nos voisins faisant eux les efforts nécessaires. La réforme allemande l'illustre. Elle devrait ainsi permettre non pas de stabiliser les cotisations maladie mais bien de les diminuer.
C'est pourquoi le gouvernement souhaite tout mettre en uvre pour réussir la réforme.
La première condition indispensable est de prendre le temps du dialogue et de la concertation. Comme je vous l'ai dit, il faut éviter un blocage. Donc il faut que nos concitoyens comprennent les enjeux de la réforme et les pistes qui seront finalement retenues.
Certains, face à la gravité de la situation, nous pressent d'accélérer. On peut les comprendre mais ce serait une erreur. Croyez-moi, la situation est peut-être menaçante, mais, si nous échouons, nous nous confronterons à quelque chose de bien pire.
C'est pourquoi le gouvernement a choisi de consacrer près d'une année à la préparation de la réforme. Le haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie mis en place par le Premier ministre, réunit des représentants de l'ensemble des acteurs. Il est composé de 53 membres, ce qui est considérable, pour mener un travail en commun.
Mais grâce à l'engagement personnel de ces membres, et à l'excellence de son président, il devrait réussir à aller au bout de ses travaux et remettre un diagnostic partagé de la situation d'ici quelques semaines.
A partir de ce diagnostic, je lancerai une concertation la plus large possible. Des groupes de travail devraient permettre dans une première phase de définir les principaux axes d'adaptation de notre assurance maladie. Une deuxième phase de concertation puis de négociation permettra d'aboutir à un projet de loi avant l'été.
L'objectif de la réforme est de sauvegarder notre système de sécurité sociale, c'est-à-dire de l'adapter à l'évolution moderne tout en préservant ses fondements, et même en les renforçant. Ainsi, chacun pourra continuer à recevoir des soins de haute qualité suivant ses besoins et non selon ses moyens.
La pratique médicale libérale ne sera en aucune façon remise en cause. Elle permet à chaque patient de pouvoir se faire soigner dans les meilleures conditions par les professionnels compétents.
L'axe principal de la réforme sera donc la responsabilisation partagée. Le financement de notre système d'assurance maladie est collectif. Nous en sommes tous responsables.
Toutefois, son organisation a un effet contraire à cet objectif de préservation collective car elle déresponsabilise l'ensemble des acteurs. Au plan des règles de fonctionnement, les responsabilités respectives de l'Etat et des caisses de sécurité sociale sont mal délimitées et s'enchevêtrent. Les partenaires sociaux ont ainsi l'impression que l'Etat freine ou empêche toutes leurs initiatives alors que le gouvernement a parfois l'impression que les caisses sont inactives. Imaginez-vous la gestion d'une entreprise de plus de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires sans que l'on sache qui pilote quoi ? Parfois, la sécurité sociale ressemble à cela.
Au niveau de la gestion quotidienne, ni les professionnels, ni les patients ne supportent directement les conséquences économiques de leurs décisions quotidiennes. Au contraire, ils peuvent même avoir intérêt à adopter des comportements dispendieux. Or, une médecine de bonne qualité doit être rationnelle voire économe. La surmédicalisation, par exemple, est source d'effets iatrogènes et donc doublement source de surcoûts.
Le développement de cette responsabilisation partagée devra entraîner une modification profonde de la gouvernance de notre système. L'Etat sera garant de la santé publique et de l'assurance maladie. Le projet de loi de santé publique, qui a été adopté par l'Assemblée en octobre et qui sera débattue au Sénat en janvier lui en apporte en partie les moyens. Il fixe des objectifs qui permettront d'orienter la politique de l'Etat sur les cinq années à venir. Il organise l'action au niveau territorial en regroupant les efforts de l'ensemble des acteurs sous le pilotage du préfet et des DRASS.
En ce qui concerne la gestion quotidienne, l'Etat ne sera en charge que des établissements de santé dont l'ensemble des règles de fonctionnement sont actuellement en cours de refonte. Le gouvernement entend déléguer complètement, et dans la plus grande transparence, la gestion des soins ambulatoires aux partenaires sociaux, s'ils l'acceptent.
Parallèlement, le pilotage des sujets communs aux secteurs de la médecine de ville et de l'hôpital doit être réexaminé.
Une meilleure coordination des soins est nécessaire. Le développement des réseaux et du dossier médical partagé sont de premières solutions à mettre en oeuvre. La concertation avec les acteurs devrait également permettre de dégager des pistes complémentaires. D'autres enjeux me paraissent aussi communs à ces deux secteurs de soins. C'est le cas de la démographie médicale et de la permanence des soins par exemple, même si certaines spécificités demeurent dans chaque secteur. Leur pilotage commun devrait permettre de développer une véritable coopération au niveau national, mais surtout au niveau local, entre l'Etat et les caisses d'assurance maladie. La création d'Agences régionales de santé pourrait en être le vecteur.
Cette évolution devra s'accompagner d'une réflexion sur le partenariat nécessaire entre régimes de base et régimes complémentaires. Des relations fortes existent aujourd'hui : je cite comme exemple la couverture maladie universelle qui est gérée par les deux acteurs ou encore tout simplement la liquidation des remboursements. Je crois qu'il faut aller au-delà. Seul un véritable partenariat avec une mise en commun de l'information permettra aux acteurs de développer une véritable gestion du risque.
La responsabilité partagée concerne aussi les professionnels de santé et le patient. Des mécanismes de responsabilisation doivent être mis en uvre au niveau individuel. C'est la seule solution pour que chacun se sente pleinement responsable de notre système commun d'assurance maladie. Ces mécanismes devront être de nature diverse. Ils auront pour but d'inciter les acteurs à modifier leurs comportements pour mieux prendre en compte les conséquences au niveau collectif de leurs actions individuelles.
La responsabilité des professionnels, c'est d'abord d'améliorer leur pratique. Cette amélioration passe notamment par une participation accrue à la formation médicale continue. De nombreuses molécules sont développées chaque année et les techniques médicales évoluent à un rythme sans précédent. Il n'est plus possible de ne faire reposer sa pratique uniquement sur les connaissances acquises lors de la formation initiale.
L'amélioration des pratiques passe aussi par une meilleure utilisation des référentiels et des recommandations de bonnes pratiques. Chaque patient est unique et tout le travail du praticien est bien sûr d'adopter une prise en charge personnalisée. Mais, il est difficile à un professionnel seul d'évaluer lui-même l'efficacité de la multitude des alternatives thérapeutiques existantes. Les référentiels développés par les instances scientifiques sont des aides incontournables.
L'amélioration des pratiques passe enfin par une meilleure organisation du travail entre les professionnels. Il faut très certainement revoir la répartition des compétences de chacun. M. Berland vient de me remettre un rapport sur ce thème : les comparaisons internationales apportent des éléments instructifs. Il est important de concentrer les compétences les plus pointues sur les actes les plus complexes. Le point le plus important de la réorganisation des professionnels de santé est la mise en place d'un véritable travail en groupe. L'exercice individuel n'est pas pertinent pour le traitement de nombreuses pathologies. Il doit exister une véritable relation de travail entre les établissements, les médecins généralistes qui assurent le suivi des patients au quotidien, les médecins spécialistes et les professionnels paramédicaux.
Cette responsabilisation des professionnels de santé passe par la définition d'un nouveau contrat entre les caisses d'assurance maladie et les professionnels. Les caisses d'assurance maladie doivent apporter d'abord des conseils et non des contraintes.
Les professionnels doivent accepter de remettre en cause leur pratique pour s'engager vers une qualité encore meilleure des soins. C'est le cur de la maîtrise médicalisée qui me paraît le seul mode de régulation adapté à notre système de santé.
Les patients, enfin, sont aussi partie prenante à cette responsabilisation partagée. On l'oublie parfois mais le patient est toujours à l'initiative d'un processus de soins. La première responsabilité des patients, c'est la prévention. Si la mortalité prématurée et son coût en termes sanitaires sont si élevés en France, c'est d'abord parce que nous ne sommes pas assez attentifs à la prévention des risques. Chacun, trop souvent, néglige son propre capital santé. Je crois que les choses sont d'ailleurs en train de changer. Les Français soutiennent massivement par exemple la politique de lutte contre le tabac que le gouvernement a engagée. Ils se rendent compte de la nuisance de ces produits. Je ne peux que me réjouir de la progression historique du nombre de personnes qui ont décidé d'arrêter de fumer. C'est un succès.
La responsabilité du patient c'est aussi d'adopter un comportement raisonnable au niveau de son recours au système de soins. Il doit comprendre qu'il est souvent inutile d'aller consulter plusieurs professionnels différents. Il doit aussi comprendre que ne pas se voir prescrire une liste interminable de médicaments n'est pas un problème, au contraire !
La responsabilisation du patient passe d'abord par une amélioration de son information. Elle peut aussi passer par des mécanismes financiers ou par un choix éventuel de contrat dans le cadre de notre système solidaire. On pourrait aller jusqu'à imaginer que les patients acceptent volontairement d'éventuelles contraintes en échange d'une diminution de leur contribution.
Aboutir à une vrai responsabilisation partagée nécessite de revoir en profondeur l'organisation de notre système de santé et d'assurance maladie. La concertation prendra du temps. Le gouvernement a décidé d'y consacrer quasiment une année. Cet effort est indispensable à la sauvegarde de notre système de protection sociale, un système qui assure à chacun, quels que soient ses moyens, un égal accès à des soins de qualité.
Les travaux de ce colloque vont permettre d'examiner des pistes d'évolution, d'en mesurer les avantages et les inconvénients. Ils me paraissent très utiles à cette réflexion engagée par le gouvernement et je serais heureux d'en examiner les comptes rendus. C'est grâce à une réflexion collective que nous trouverons les solutions pour surpasser la crise que nous connaissons. Je vous remercie de nous y aider.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 20 novembre 2003)