Conférence de presse de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la prévention dans le cadre de la lutte contre le Sida, la vigilance en direction des publics les plus exposés, notamment les jeunes et l'accès aux traitements dans les pays en voie de développement, Paris le 27 novembre 2003.

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Circonstance : Journée mondiale contre le Sida à Paris le 27 novembre 2003

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Aujourd'hui, autant qu'hier, si ce n'est davantage, nous devons nous mobiliser contre le Sida. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à introduire cette conférence de presse, consacrée aux premiers résultats de la surveillance de l'infection VIH en France, et à la présentation de la nouvelle campagne télévisée, avec à mes côtés, le Directeur Général de la Santé, le Directeur de l'INPES et le Directeur de l'InVS.
I - Il y a en effet des raisons d'être préoccupé par cette épidémie
En France, 20 ans après la découverte du virus du Sida, plusieurs milliers de personnes découvrent encore leur séropositivité pour le VIH. Près de 3000 notifications de diagnostic d'infection à VIH ont été reçues par l'InVS entre mars et novembre 2003. L'annonce de cette séropositivité est toujours aussi dramatique et bouleversante, car le Sida reste une maladie mortelle.
Faut-il aussi le rappeler ! Le Sida est une aussi maladie transmissible. En l'absence de politique de lutte efficace, l'épidémie s'étend inexorablement dans la population, comme l'atteste malheureusement son caractère incontrôlé dans certains pays.
C'est enfin une maladie qui frappe durement certains groupes de la population : homosexuels usagers de drogue et aujourd'hui les personnes d'Afrique subsaharienne où l'infection est endémique.
Hier, la société a su se mobiliser pour faire face à cette nouvelle maladie, sous l'impulsion des associations de malades. Pour lutter contre la discrimination, nous avons appris la différence, la tolérance, mieux encore, la solidarité nécessaire pour contrôler une épidémie qui ne connaît pas de frontière, ni entre les groupes de population, ni entre les pays.
Aujourd'hui tout doit être mis en uvre pour que cette mobilisation ne s'infléchisse pas.
En effet, même si la grande majorité des jeunes se protège pour le premier rapport sexuel, et si la vente des préservatifs augmente depuis 2 ans, la crainte du Sida diminue dans la population générale.
On observe depuis 2 ans une recrudescence des comportements à risques chez les homosexuels, et en particulier les jeunes homosexuels de moins de 25 ans. Et cette recrudescence, qui s'est traduite en 2002 par une épidémie de syphilis dans certaines grandes villes, se poursuit en 2003.
Certaines personnes qui vivent avec le VIH depuis de longues années, expriment des difficultés et une lassitude à maintenir des comportements de prévention.
Le dynamisme associatif lui même, semble à la longue s'estomper.
Ces signes d'essoufflement rendent la responsabilité de l'Etat et des collectivités territoriales d'autant plus importante dans le combat contre le Sida.
C'est pourquoi le Sida doit impérativement rester et reste une priorité forte de santé publique, c'est pourquoi nous devons maintenir notre effort, ne pas oublier ou laisser oublier la réalité, mais aussi les leçons et les acquis du Sida.
Ces leçons que j'ai moi-même apprises sur le terrain à Marseille comme adjoint au maire en charge de la lutte contre le Sida et la toxicomanie, je ne les oublie pas. Je veille à préserver ces acquis notamment dans le domaine de la politique de réduction des risques qui recevra une base légale lors du passage au Sénat du projet de loi sur la santé publique, mais aussi dans le domaine de la solidarité et du droit de séjour en France pour les étrangers séropositifs, parce que le retour dans leur pays signifierait la mort ! Parce qu'aussi la protection des plus faibles est la seule façon de protéger l'ensemble de la population (des maladies transmissibles) !
C'est aussi le rôle du Conseil national du Sida que j'ai tenu pour cela à conserver dans ses fonctions avec à sa tête le PR Willy Rozembaum, un des principaux co-découvreur du virus du Sida il y a 20 ans. Je saisirai d'ailleurs le CNS sur les conditions d'application de la modification de l'ordonnance de 1945 de façon à ce que ces modifications et notamment la mise en place d'une commission médicale régionale prévue par la loi soit l'occasion de renforcer la protection des étrangers gravement malades.
Je n'oublie pas non plus que les mots ne suffisent pas. Que les moyens sont nécessaires pour soutenir le combat associatif. Cette année, j'ai tenu à ce que, malgré le contexte économique difficile, le budget de santé publique consacré à la lutte contre le VIH soit reconduit en totalité à hauteur de 64 millions d'euros. Il en sera de même pour l'année 2004 et je veillerai personnellement à l'utilisation de ces crédits.
II - Alors bien sûr, le visage de la maladie et celui de l'épidémie se sont profondément modifiés en France sous l'influence des progrès thérapeutiques et des programmes de prévention. Il nous faut aujourd'hui adapter nos efforts à de nouveaux enjeux.
L'analyse préliminaire des 510 premiers nouveaux diagnostics d'infection à VIH entre mars et fin juin 2003, réalisée par l'InVS, confirment les tendances de l'épidémie déjà nettement perceptibles l'année dernière.
Les femmes représentent avec 42 % des cas près de la moitié des nouveaux diagnostics d'infection à VIH.
Les rapports hétérosexuels constituent maintenant, avec 64 % des nouveaux diagnostics, le principal mode de contamination. Et parmi les personnes infectées par voie hétérosexuelle, une sur deux est de nationalité d'un pays d'Afrique subsaharienne. Nous ne sommes pas le seul pays à connaître cette évolution. Au Royaume Uni et en Belgique, en 2002, plus de 70 % des infections chez les hétérosexuels surviennent chez des personnes originaires d'un pays où la prévalence du VIH est élevée. Des efforts doivent encore être faits dans le domaine du dépistage puisqu'une part importante des personnes infectées par voie hétérosexuelle découvrent leur séropositivité au stade de Sida. Ce retard au diagnostic ne permet pas aux personnes infectées de bénéficier pleinement des traitements efficaces et il entretient la contamination au sein des couples.
La dynamique de l'infection reste aussi marquée et préoccupante chez les homosexuels qui représentent en 2003 près d'un nouveau diagnostic d'infection à VIH sur 3 (32 %). Fait important, le dépistage du VIH est aussi insuffisant chez eux, puisqu' un quart des homosexuels fréquentant des lieux de rencontre, ne connaît pas son statut sérologique VIH.
A l'inverse, le succès de la politique de réduction des risques se confirme avec une chute impressionnante des nouveaux diagnostics chez les usagers de drogues (4 % seulement des nouveaux diagnostics d'infection à VIH).
Enfin, l'épidémie reste inégalement répartie sur le territoire : l'Ile de France, la région PACA et les Antilles-Guyanne étant sur représentées.
III - Face à ces nouvelles données, le succès de notre politique de prévention réside dans notre capacité à accentuer nos efforts en direction des publics les plus exposés, tout en maintenant la vigilance du grand public et en particulier des jeunes.
La campagne télévisée d'incitation au dépistage diffusée l'année dernière et cette année, qui s'adressait directement aux personnes les plus exposées, et qui pour la première fois mettait en scène des migrants, a été bien perçue. Elle a augmenté le recours au dépistage dans des centres de dépistage gratuit.
La campagne de dépistage de la syphilis en directions des homosexuels à Paris puis dans les grandes villes de province a permis de dépister des syphilis à un stade précoce et de révéler des séropositivités pour le VIH ignorées. Elle a aussi permis de rediffuser des messages de prévention.
Cette campagne a confirmé l'intérêt d'une articulation étroite entre le dépistage des infections sexuellement transmissibles et du VIH. Le projet de loi de décentralisation prévoit que désormais, l'Etat définisse la politique de lutte contre l'ensemble des infections transmises par voie sexuelle comme le réclamaient de nombreux professionnels.
Cette année, l'accent est mis sur la promotion du préservatif, thème de la campagne que Philippe Lamoureux va vous présenter.
Elle sera diffusée du 28 novembre au 18 décembre sur l'ensemble des chaînes en métropole et dans les DOM-TOM. 90 % de la population verra ainsi plus de 10 fois les spots en moyenne.
Cette campagne sera accompagnée de différentes actions visant à promouvoir l'accessibilité des préservatifs masculins et féminins, dont l'action menée en ce moment en partenariat avec Sida Info Service : "préservatif féminin à un euro" au cours de laquelle 100 000 préservatifs féminins seront disponibles en pharmacie sur l'ensemble du territoire.
Je rappellerai aussi que l'Etat (INPES) diffuse chaque année 5 millions de préservatifs masculins et 200 000 préservatifs féminins gratuits, pour sensibiliser les jeunes et aider les actions des associations auprès des personnes exposées et défavorisées.
En raison de son thème même, la campagne de cette année est volontairement "généraliste". Son impact sera cependant évalué auprès de différents groupes cibles.
Parallèlement l'INPES a lancé des actions de communication qui s'adressent spécifiquement aux homosexuels et aux migrants, et l'Etat finance soit au niveau national, soit au niveau déconcentré un nombre croissant d'associations et d'actions intervenant directement auprès de ces publics (migrants 70 actions dans 26 départements en 2003 homosexuels 60 actions dans 36 départements).
Prévention toujours : A ma demande, plusieurs hôpitaux ont mis en place des consultations de prévention s'adressant aux personnes séropositives et à leurs partenaires.
Enfin de nouvelles recommandations sur le traitement post exposition ont été diffusées par la circulaire du 2 avril 2003. Ces recommandations visent à faciliter l'accès au traitement post expositions des publics les plus exposés et des partenaires des personnes atteintes par le VIH.
Enfin, il faut veiller à ne pas relâcher la vigilance des jeunes. Le partenariat entre le Ministre de la Santé et l'Education Nationale et de l'Agriculture se poursuit pour la mise en uvre des séances d'éducation sexuelle en milieu scolaire prévue par la loi du 4 juillet 2003. Ce partenariat vient d'être renforcé par le contrat cadre de partenariat en santé publique que je viens de signer avec Xavier Darcos dont la première action concrète a été l'opération "Ecole sans tabac". Ce contrat cadre prévoit de renforcer l'action dans le domaine " de l'éducation à la sexualité, la prévention des infections sexuellement transmissibles, du Sida et des grossesses non désirées ".
IV - Sur le plan international, la solidarité s'est manifestée par un engagement fort de la France depuis plusieurs années en faveur de l'accès aux traitements des pays en voie de développement, sous l'impulsion du président de la république et aussi de mon prédécesseur Bernard Kouchner.
Depuis ma prise de fonction j'ai soutenu le programme ESTHER. Dix conventions ont été signées avec des Etats d'Afrique et d'Asie. Il nous faut maintenant enrichir ce réseau avec la participation d'autres pays du Nord pour étendre le champ de la solidarité européenne. C'est la tâche de Bernard Kouchner qui vient d'accepter la présidence d'ESTHER.
L'engagement de la France dans la mobilisation internationale contre l'épidémie au niveau mondial se marque également dans sa contribution financière au fond mondial de lutte contre la tuberculose, le paludisme et le Sida. Le Président de la République a récemment annoncé le triplement de notre contribution annuelle à ce fond.
Le renouvellement du GIP ANRS pour une période de 6 ans, pour lequel j'ai personnellement uvré, constitue un autre témoignage de cet engagement à long terme.
Vous le voyez, il n'est pas question de laisser s'essouffler la lutte contre le Sida.
La priorité que je m'efforce aujourd'hui de donner à la prévention, au travers du projet de loi de santé publique, au travers du combat contre le tabac et les conduites à risque s'inspire de ce que le Sida m'a enseigné : le meilleur système de soins du monde ne suffit pas à faire reculer la maladie et la mortalité en l'absence d'une politique de prévention forte. Et cette prévention doit se faire avec ceux qui en sont les principaux destinataires et bénéficiaires et qui la vivent au quotidien.
C'est la politique que je défends aujourd'hui avec toute ma conviction.



(source http://www.sante.gouv.fr, le 28 novembre 2003)