Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, à "Europe 1" le 4 novembre 2004, sur les relations entre l'Europe et les Etats-Unis après la réélection de George.W. Bush, sur la succession de Nicolas Sarkozy à Bercy, sur la question des ours dans les Pyrénées.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- H. Gaymard, l'un des premiers à affronter bientôt la guerre commerciale entre l'Europe et l'Amérique, il paraît que c'est vous. Les négociateurs de G. Bush étaient déjà impitoyables, vous les rencontriez ; les prochains seront les mêmes ou d'autres en plus durs. Faut-il s'attendre à de nouvelles tensions et méfiances transatlantiques dans votre domaine ?
R- On en a eues beaucoup de tensions depuis deux ans et demi, mais ça va mieux. Par exemple, on est arrivé à régler le contentieux du foie gras, ce qui n'était pas rien, il y a quelques semaines. E sur le plan des négociations commerciales à l'OMC, j'ai eu beaucoup de contacts avec B. Zellick, qui est le négociateur américain, qui est un homme qui défend bien les intérêts de son pays. Mais je crois qu'entre l'Europe et les Etats-Unis, à Genève, cet été, il y a eu un accord correct. Il y a encore plus d'un an de négociations, jusqu'à décembre 2005. Et j'espère qu'on restera dans cet état d'esprit.
Q- Donc, vous ne prévoyez pas de nouvelles représailles en matière
d'agro-alimentaire ?
R- Pour l'instant, non.
Q- Mais c'est surtout, peut-être, P. Lamy, ou ceux qui ont à traiter entre Airbus et Boeing qui vont avoir des difficultés ?
R- C'est vrai que dans le domaine industriel, il y a, en ce moment, de plus gros sujets qu'en matière agricole.
Q- La presse internationale décrit l'Amérique qui vient de réélire G. Bush, "hostile à l'avortement", "aux couples d'un même sexe", "à l'homoparentalité" ; elle la voit "conservatrice", "en mission pour Dieu", "submergée par la religion". L'Alliance avec une telle Amérique ne va-t-elle pas devenir plus difficile aujourd'hui ?
R- L'Amérique - j'enfonce une porte ouverte -, a beaucoup changé. Ce n'est plus seulement un pays qui est celui des descendants de pionniers européens, donc le lien avec l'Europe est beaucoup moins direct qu'il ne l'a été. C'est une donnée dont il faut prendre conscience. Et je crois qu'il faut construire cette relation partenariale entre l'Europe et les Etats-Unis, et pour cela, il faut une Europe puissance et pas une Europe qui soit aux ordres.
Q- Vous, H. Gaymard, vous retrouvez-vous dans cette Amérique-là,
personnellement ?
R- Non, je suis français. Je ne suis pas pour autant anti-américain primaire et viscéral, mais nous avons une civilisation qui est différente.
Q- Non, mais hostile à l'avortement, hostile à l'homoparentalité, conservatrice, etc... ? Dans la caricature d'H. Gaymard ?
R- J'ai une conviction profonde : c'est que la politique doit s'arrêter là où commence la jouissance paisible de l'indépendance privée. Je pense donc qu'il faut respecter l'homme dans sa vie, dans ses choix religieux, dans ses choix sexuels, et que cela ne doit pas être un objet de débat ni de polémique politique. Donc, je ne me reconnais pas dans cette Amérique-là, pas plus d'ailleurs que je me reconnais dans une certaine Amérique libertaire dont on parle beaucoup moins actuellement, c'est vrai, qu'il y a quelques années.
Q- Donc, un candidat français, selon vous, aux grandes élections prochaines, ne devra pas forcément parler la langue de Bush ?
R- Je suis très attaché à la laïcité, à la liberté de l'esprit, et à la distinction fondamentale entre ce qui relève de la politique et ce qui relève de la sphère privée. Et donc, je pense que le candidat ou la candidate à l'élection présidentielle doit porter ces valeurs républicaines qui me semblent, contrairement à ce que disent certains, très modernes.
Q- Vous avez parlé tout à l'heure de R. Zellick. C'est un type bien ?
R- Oui, c'est un type bien. On a souvent été en confrontation. Mais d'abord, il est intellectuellement surpuissant, c'est un habile négociateur, et il connaît l'histoire de l'Europe dans le détail, ce qui n'est pas le cas de tous les Américains, loin s'en faut.
Q- Le président réélu, G. Bush, pourrait le nommer secrétaire d'Etat au Trésor, c'est-à-dire, ministre des Finances...
R- C'est un scoop ça.
Q- Oui, d'après ce que je lis ou ce que disent les amis qui sont aux Etats-Unis. C'est une étrange coïncidence au moment où la rumeur fait de vous le successeur de N. Sarkozy à Bercy. C'est drôle ça...
R- On n'est pas candidat à un poste ministériel, on peut être candidat...
Q- Ni ici, ni à Washington, mais cela peut arriver.
R- Non... On peut être candidat à une élection, cela a dû m'arriver une demi-douzaine de fois en moins de dix ans, mais on n'est jamais candidat à un poste de responsabilité.
Q- Oui, mais cela vous dire que vous n'avez pas envie d'aller à Bercy ?
R- La question ne se pose pas dans ces termes-là. C'est le président de la République et le Premier ministre qui, le moment venu, feront leur choix.
Q- Alors je vais dire autrement : l'expérience d'H. Gaymard, député depuis 1993, fidèle au J. Chirac, plutôt seul, de 1994, trois fois ministres... Est-ce que cela le rend mûr éventuellement pour Bercy ?
R- C'est à d'autres de le décider, et en tout cas, évidemment, pas à moi d'avoir cette prétention ou cette présomption.
Q- Quand viendra le moment de la décision, irez-vous probablement dans la vallée ou sur "La route des Chapieux", c'est le titre du livre que vous publiez chez Fayard. Quand il y a de grands moments, vous allez vers la route des Chapieux. Qu'a-t-elle de particulier ?
R- Je ne peux pas y aller l'hiver puisqu'il y a tellement de neige qu'elle est fermée cette route. C'est une vallée qui dans ma commune natale de Bourg-Saint-Maurice, qui est au pied de l'Aiguille des glaciers, qui est une des aiguilles qui entoure le Mont-Blanc, et pour moi c'est un lieu de ressourcement, ce sont mes racines, ma famille y est depuis des siècles, y a vécu à un titre ou à un autre. Donc, c'est important pour moi. On a chacun ses lieux et ses visages qui vous ressourcent.
[...]
Q- L'homme des montagnes [que vous êtes], est aussi fasciné par l'Orient, par les déserts. Cet homme des montagnes n'est-il pas touché par la mort de Cannelle, l'ourse des Pyrénées, abattue dans la vallée d'Aspe ? Comme nous tous, J. Chirac a déploré cette mort. Comment, avec S. Lepeltier, allez-vous protéger, si c'est aussi votre rôle, l'ourson et puis repeupler, peut-être, les Pyrénées en ours ?
R- C'est vrai que cette mort est absurde et révoltante, puisque cette ourse, au féminin, ne menaçait personne, et c'était la dernière de son espèce. S. Lepeltier a annoncé hier que l'Etat se portait partie civile et que tout était fait pour retrouver et protéger cet ourson. Je crois que c'est une nécessité que de défendre la biodiversité.
Q- Combien en reste-t-il des ours dans les Pyrénées ?
R- Je ne sais pas.
Q- On dit : 20, 18 ... ? Pourquoi faudrait-il repeupler les Pyrénées en ours ?
R- Je ne suis pas sûr qu'il faille repeupler. Sur ce sujet des prédateurs, il y a des polémiques - que ce soit sur le loup ou que ce soit sur l'ours - qui d'ailleurs ont des racines idéologiques assez profondes.
Q- C'est-à-dire ?
R- Vous avez aujourd'hui, une grande partie de l'opinion publique qui, au nom de la biodiversité, défend, par exemple, le loup, qui me concerne plus particulièrement en tant que ministre de l'Agriculture...
Q- Vous avez donné votre accord quand on la tué une louve.
R- Oui, bien sûr. Parce que je pense que le loup n'est pas compatible avec le pastoralisme et que si on n'a plus de bergers dans les montagnes, les montagnes ne seront plus entretenues, c'est la friche qui avancera, et ce ne sera pas bon pour l'environnement. Mais sur ce sujet, c'est sans doute un de ceux sur lequel j'ai reçu le plus de courrier réactif et éruptif depuis deux ans et demi.
Q- Puis-je vous demander quelle est votre contribution à la réduction des dépenses d'énergie qui sont en ce moment liées à la hausse du pétrole ?
R- J.-P. Raffarin a décidé de "mettre le turbo" si je puis dire, pour développer chez nous les biocarburants. Donc d'ici à 2007, nous allons multiplier par trois ces biocarburants qui sont produits à base de produits agricoles, soit pour être mélangés à du gazole soit pour être mélangé à de l'essence.
Q- Et cela ça fait des économies ?
R- Ca fait des économies d'énergie. Cela permet de satisfaire les objectifs du protocole de Kyoto pour le respect de l'environnement, et puis cela permet d'utiliser des produits agricoles à des fins non alimentaires.
Q- Hier, à l'Assemblée nationale, N. Sarkozy a répondu à un député socialiste qui l'interpellait : "Rassurez-vous, comme président de l'UMP, je ne vous décevrai pas". Sur ce point, êtes-vous d'accord avec Sarkozy ? Il ne décevra pas ?
R- On peut lui faire confiance, il a du talent, de l'énergie qu'il devra mettre au service d'un mouvement dont on sait qu'il est très varié puisqu'il y a des gaullistes, des libéraux, des démocrates-chrétiens, des radicaux, des gens aussi qui n'avaient pas d'appartenance politique. Donc, il y a vraiment un gros travail à faire.
Q- Fait-il partie lui aussi de ceux qui donnent du sens, comme vous le demandez, à l'engagement et à l'action politique ?
R- Chacun dans la vie publique a sa part de vérité, sa part de sens, et ensuite ce sont les électeurs qui décident.
Q- D'un mot. Publier un livre, c'est un acte politique. Pourquoi le faites-vous maintenant ?
R- Tout simplement parce que je voulais le faire depuis longtemps, que je voulais...
Q- Mais pourquoi le moment ?
R- J'ai signé mon contrat au début de l'année avec mon éditeur pour le livrer à l'automne. Voilà.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 novembre 2004)