Texte intégral
L'Humanité Le 4 octobre 2004
Les récentes mobilisations ont amené la CGT à s'interroger sur l'état du rapport de forces, qui reflète la capacité des syndicats à mobiliser. Prenant la tête d'une opération vérité, Bernard Thibault plaide pour une refonte des structures et du fonctionnement de son organisation. Le secrétaire général de la CGT appelle à un examen lucide sur les limites rencontrées, qui ne s'expliquent pas par les seules causes extérieures.
L'humanité : Dans le bras de fer qui a opposé Nestlé et les salariés de Perrier, la CGT a été accusée d'être un syndicat " jusqu'au-boutiste ". Comment réagissez-vous à cette campagne ?
Bernard Thibault. Dans le conflit Perrier, beaucoup se sont efforcés de renverser l'échelle des responsabilités. La section syndicale CGT a refusé de prendre pour argent comptant le bien-fondé du projet de restructuration de Nestlé, groupe qui, soit dit entre nous, n'est pas réputé pour être un fervent partisan du dialogue social. Qui peut être considéré comme jusqu'au-boutiste quand une direction d'entreprise tente d'imposer son plan et ne conçoit le rôle des syndicats que comme des accompagnateurs de sa restructuration ? Il ne faut pas compter sur la CGT pour accepter une telle conception, tout simplement parce qu'elle met en cause l'indépendance syndicale. Les représentants de la CGT ont utilisé le droit qui existe de s'opposer à une réforme qu'ils considéraient, à juste titre, comme négative pour l'entreprise et pour l'emploi. La direction de Perrier a voulu contourner l'influence de la CGT, qui recueille plus de 85 % des voix aux élections à Perrier Vergèze. Elle a échoué. Certains se sont efforcés d'attiser les divisions entre salariés, en laissant entendre par exemple que la CGT s'opposait aux départs en retraite anticipée. Notre attitude a contraint la direction d'entreprise à s'engager sur des investissements et à revoir le niveau d'embauche pour compenser partiellement les départs. Je remarque que les mêmes justifiaient l'an dernier le recul de l'âge de départ en retraite à taux plein après 60 ans ! Ce n'est pas nous qui avons le plus de contradictions dans cette affaire. Ce conflit a eu le mérite de révéler au grand jour l'inefficacité des règles de la négociation sociale. Dès lors que le législateur a conçu le dialogue autour du droit de s'opposer et non autour du droit de négocier, il ne faut pas s'étonner d'arriver à des situations de blocage. Nous l'avions annoncé en son temps. Dans la vie politique, le fait majoritaire est reconnu comme la règle normale de la démocratie. Je ne vois pas pourquoi les questions sociales demeurent le seul domaine où la minorité aurait le droit d'imposer son point de vue à la majorité. Quant à la concentration des projecteurs sur le conflit de Perrier, elle témoigne de la volonté de discréditer l'action de la CGT qui dérange beaucoup de monde. Je ne peux pas m'empêcher de faire le parallèle avec le silence remarquable dont a fait preuve le gouvernement dans la même période, pendant les dix premiers jours de conflit à la SNCM, alors que le trafic maritime d'une compagnie publique était bloqué par 3 % de grévistes d'obédience autonomiste. Que n'aurions-nous entendu si la CGT avait été responsable d'une telle paralysie !
L'humanité : Cette campagne trouve appui sans doute dans les difficultés des syndicats à construire un rapport de forces suffisant face à l'offensive patronale contre le droit du travail. Cette situation motive-t-elle votre appel à " changer de braquet " sur le déploiement de la CGT ?
Bernard Thibault. Alors que les enjeux se sont effectivement accrus, le décalage entre les bonnes résolutions du dernier congrès de la CGT et leur concrétisation est trop important. Les salariés sont très majoritairement mécontents de la politique conduite sur le plan économique et social. Mais le contexte politique permet même au MEDEF d'appuyer sur le ventre du gouvernement pour le pousser à réformer selon ses revendications. Le budget 2005 vient encore de confirmer combien l'équipe de Jean-Pierre Raffarin est disposée à satisfaire les exigences patronales. La CGT a pris toute sa part dans les dernières mobilisations. D'autres sont prévisibles, à La Poste, dans la métallurgie, pour défendre le droit de grève dans les transports, contre les délocalisations ou encore pour préserver le Code du travail. Nous travaillons à franchir un palier partout dans la mobilisation des salariés, sur leurs revendications. Mais nous pourrions buter sur les mêmes difficultés. Nous devons accroître le nombre des forces syndiquées susceptibles de se mettre en mouvement. Comment construire des mobilisations significatives sans une organisation à la hauteur de nos ambitions ? Les indicateurs sur la place qu'occupe la CGT sont positifs. Nous progressons dans les élections professionnelles. Le rythme d'adhésions est un peu plus soutenu que l'an passé. Mais il est loin de ce qu'il faut pour atteindre l'objectif du million de syndiqués. Nous devons la vérité aux salariés. Leurs attentes vis-à-vis de la CGT sont importantes. Ils doivent s'engager en plus grand nombre pour être des acteurs de la vie syndicale et des mobilisations à venir.
L'humanité : Que faut-il changer dans la CGT pour adapter le fonctionnement de l'organisation aux objectifs de conquêtes sociales que vous vous fixez ?
Bernard Thibault. Le comité confédéral national vient de décider de lancer un plan de syndicalisation pour réaliser des adhésions et aider à la création de syndicats. Nous allons par exemple mettre en place des syndicats multi-professionnels locaux qui permettront de développer des liens entre les syndiqués qui ne disposent pas d'un syndicat ayant une réelle activité dans leur entreprise. Ils assureront aussi l'accueil des salariés qui travaillent dans les PME. Nous allons aussi tester une carte syndicale permanente auprès des saisonniers, des salariés du commerce ou des futurs retraités afin de leur permettre de rester à la CGT même s'ils changent d'emploi ou de résidence. Sept millions de salariés changent de situation chaque année et nous ne sommes pas équipés pour répondre à cette mobilité. Nous allons aussi davantage nous organiser par site de production entre les salariés des entreprises donneuses d'ordre et ceux des sous-traitants. La structuration de la CGT mérite d'être repensée pour répondre aux besoins d'aujourd'hui. Plus d'un salarié sur deux travaille dans une entreprise de moins de 50 personnes où il n'y a pas de syndicat. Nous devons passer un cap. L'expérience des luttes de ces derniers mois va nous y aider. On ne peut prétendre gagner sur notre conception de sécurité sociale professionnelle avec une mobilisation d'une toute petite partie des salariés ou d'une seule profession. L'enjeu est le même concernant le système d'indemnisation du chômage ou sur l'avenir de la Sécurité sociale. Acceptons de reconnaître que nos résultats sont proportionnels au rapport de forces que nous générons. Si nous y consacrons des moyens et du temps militant, je suis convaincu que beaucoup de salariés seront prêts à prendre leur place dans la CGT. Le gouvernement vient de reculer sur les pensions de réversion. Cela montre que nous sommes en capacité d'infléchir certaines de ses décisions. Mais pour aller plus loin, il faut être plus nombreux, plus organisés, plus réactifs et accepter de réviser plusieurs aspects fondamentaux de notre structuration et de notre mode de fonctionnement.
L'humanité : L'urgence des batailles à développer vous laisse-t-elle le temps de cette introspection ?
Bernard Thibault. L'un va avec l'autre. La démarche du patronat consiste à enfermer les salariés dans le cercle étroit de leur entreprise. Il développe une forme de management qui érige la concurrence entre salariés et entre territoires en mode de gestion des ressources humaines. Pour y faire face, il faut être présent partout et se réapproprier la dimension solidaire entre profession et localité. Chacune de nos organisations mesure mieux aujourd'hui que la défense des intérêts particuliers de ses adhérents se situe aussi dans la défense des droits collectifs. En situation de crise, nous ne sommes pas à l'abri de réflexes de repli. La vocation d'une organisation interprofessionnelle est de situer le combat syndical de chacun dans un ensemble cohérent.
L'humanité : Cette cohérence concerne aussi l'ensemble de l'offre syndicale, or, de ce point de vue, la division semble durablement installée. Vous avez même dressé un constat de désaccord entre les approches syndicales lors du CCN. Est-ce à dire que la CGT baisse les bras sur le syndicalisme rassemblé ?
Bernard Thibault. Pas du tout. On remet au contraire l'ouvrage sur le métier. Comme je l'avais annoncé à la Fête de l'Humanité, nous sommes partisans de constituer un front uni pour faire comprendre au gouvernement qu'il y a une ligne blanche à ne pas franchir sur les réformes du Code du travail ou des 35 heures. Conscients de nos différences sur certains dossiers sociaux, si le syndicalisme français, toutes organisations confondues, ne fait pas la démonstration de son unité sur ce terrain fondamental, nous risquons tous le discrédit. D'où notre proposition de nous concerter. Des rencontres bilatérales sont en cours. Nous gardons l'objectif de parvenir à un front syndical le plus large possible sur la base d'objectifs clairement partagés.
L'humanité : Vous dites que la responsabilité du syndicalisme c'est de " tenir son poste ". Qu'en est-il de l'intervention sur le terrain européen ?
Bernard Thibault. L'actualité pour le syndicalisme européen est de contenir l'offensive de remise en cause des régimes sociaux dans de nombreux pays. L'an dernier, pour la première fois depuis quarante ans, l'Autriche a connu un fort mouvement de grève sur la réforme des retraites. L'Allemagne est traversée de mécontentements sur les réformes Schröder. C'est une première depuis quinze ans, une manifestation nationale a rassemblé 200 000 participants samedi à Amsterdam sur des réformes antisociales. Les délocalisations et le chantage sur le temps de travail se généralisent. La prochaine réunion de la Confédération européenne des syndicats, mi-octobre, va donc forcément s'interroger sur les initiatives à prendre. Deux projets de directives européennes sont menaçants. Celle dite Bolkenstein, envisage que les entreprises de services seraient autorisées à appliquer la législation sociale du pays dans lequel elles ont leur siège et non pas celle du pays dans lequel elles emploient leurs salariés. C'est proprement inacceptable pour l'ensemble du mouvement syndical ! L'autre de révision sur le temps de travail amplifie les dérogations. Inspirée de la conception anglaise, elle est conforme aux positions de principe du MEDEF et comporte d'énormes régressions. Par exemple, certaines périodes d'activité professionnelles, comme les temps de pause ou les gardes, ne seraient plus comptées comme du travail effectif. On est là sur des batailles syndicales fondamentales. Le rendez-vous du sommet des chefs d'État en mars 2005 sera important pour le mouvement syndical. Le bilan à mi-parcours des décisions prises sur l'emploi à Lisbonne est à l'ordre du jour. Il revient aux organisations syndicales d'intervenir parce que l'emploi se précarise et le niveau de chômage reste dramatiquement important. Il ne faut pas qu'une fois de plus le sommet arrive à la conclusion que la compétitivité par la mise en concurrence des salariés serait la réponse appropriée.
L'humanité : Vous exprimez une position critique sur le cours de la construction européenne. Pourtant, la CGT a décidé de prendre le temps pour se positionner sur le traité constitutionnel. N'est-ce pas contradictoire ?
Bernard Thibault. Il faut d'abord savoir que le débat sur le traité constitutionnel n'est pas très animé parmi les organisations syndicales en Europe. Presque unanimement, elles le considèrent même comme un pas positif. La déclaration du comité directeur de la Confédération européenne des syndicats en faveur du traité représente, de ce point de vue, l'avis de la très grande majorité des organisations syndicales, même si les opinions publiques sont plus partagées.
Le débat en France est, pour de multiples raisons, plus important qu'ailleurs. Beaucoup de salariés ne savent pas exactement quels sont les enjeux. Une majorité de Français hésitent encore à prendre position, souvent par méconnaissance. Nous allons en effet prendre le temps de donner de l'information à nos syndiqués avant de nous exprimer. Nous n'avons pas les mêmes impératifs ni les mêmes échéances que les partis politiques. Pour les raisons que j'indiquais, nous n'en faisons pas la question prioritaire qui conditionnerait toute notre activité. Ainsi, le moment venu, nous apporterons notre contribution de syndicat au débat public, naturellement avant que nos concitoyens soient consultés par référendum.
Entretien réalisé par Paule Masson
(Source http://www. tresor.cgt.fr, le 5 octobre 2004)
Le Parisien 16 octobre 2004
Très critique sur le projet gouvernemental de réforme des licenciements, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, n'en reste pas moins prudent quant à une possible mobilisation syndicale. Il souhaite que les autres centrales réagissent. Ses explications à notre journal.
La délégation de la CGT a claqué la porte, hier, après la présentation de l'avant-projet de réforme des licenciements. Pourquoi ?
Bernard Thibault : Il fallait marquer le coup ! La manière dont le gouvernement s'est conduit dans cette affaire est inqualifiable. Cela fait dix-huit mois que l'on discutait sans résultat à sa demande avec le Medef pour négocier de nouvelles dispositions sociales en cas de restructurations d'entreprise. Or, la semaine même où nous rencontrons le Premier ministre, nous découvrons que le projet de loi est un véritable " copié-collé " des revendications du Medef. Ceci est une véritable provocation.
En quoi, selon vous, la réforme du licenciement est-elle dangereuse pour les salariés ?
L'objet de notre négociation avec le Medef était, je le rappelle, de faire face au scandale de certains plans de licenciement privant les salariés de tout droit. 80 % des licenciés économiques ne bénéficient pas de plan social, en particulier dans les petites entreprises. C'est pour de nouveaux droits en faveur des salariés que nous étions censés négocier. De son côté, le Medef n'a eu de cesse, lui, que d'imposer une plus grande flexibilité et facilité de licenciement. Il ne pouvait donc pas y avoir d'accord.
Ça c'est le point de vue patronal, mais que reprochez-vous concrètement au projet gouvernemental ?
Beaucoup de choses. Par exemple, nous pouvons aujourd'hui contester juridiquement le bien-fondé de certains licenciements économiques, comme par exemple les licenciements boursiers uniquement destinés à accroître la rentabilité financière d'une entreprise. Or, le projet du gouvernement prévoit de nous priver de ce moyen de contestation en légalisant, en quelque sorte, un critère de rentabilité opposable par l'employeur à tout salarié. Autrement dit, on suggère par ce biais de légaliser le " salarié-kleenex ". C'est inadmissible.
Selon nos informations, le gouvernement pourrait reculer sur plusieurs points de son projet, dont celui concernant la sauvegarde de la compétitivité. Qu'en pensez-vous ?
Compte tenu du nombre de mesures programmées, je ne pense pas qu'une correction de tel ou tel paragraphe suffise. Mais nous serons attentifs à la manière dont le gouvernement va réagir. Dès lors que les cinq confédérations syndicales ont confirmé leur désaccord de fond avec ce texte, il n'y a que deux hypothèses : 1. Ou le gouvernement ouvre de vraies négociations. 2. Ou il maintient la philosophie générale de sa loi qui, même avec des corrections, va désorganiser le droit du travail. Dans ce dernier cas, nous organiserons la mobilisation nécessaire.
Raffarin veut aller vite sur ce dossier. Peut-il vous prendre de court ?
J'aimerais savoir en tout cas comment le gouvernement va justifier qu'une loi défende d'un côté la cohésion sociale, et de l'autre généralise la précarité au travail ! Il y a là une incohérence politique flagrante qui n'échappera pas à l'opinion.
Va-t-on dès lors vers la bataille du licenciement ?
Si le gouvernement confirme son orientation, il est évident qu'il y aura une bataille pour empêcher une nouvelle précarisation des salariés. Dans un premier temps, il faudra que les organisations syndicales se concertent pour décider ensemble les initiatives à envisager. Dans tous les cas de figure, la CGT fera face si le gouvernement nous met au défi.
Propos recueillis par Jean-Marc Plantade
Interview reproduite avec l'aimable autorisation du journal Le Parisien. Tous droits de reproduction et de diffusion réservés au journal.
(Source http://www.cgt.fr, le 26 octobre 2004)
Le Monde 16 octobre 2004
Q - Pourquoi la CGT s'est-elle abstenue lors du vote à la confédération européenne des syndicats (ces) sur le projet de traité constitutionnel ?
R - Nous nous sommes abstenus, comme d'autres syndicats, dans la mesure où nous voulons privilégier la phase d'information de nos adhérents, avant de prendre précisément position. Nous sommes l'un des huit pays européens confrontés à un référendum, et nous avons souhaité que la position de la CGT soit celle de syndiqués informés sur le sujet. Le débat de mercredi a montré que la plupart des confédérations avaient, en leur sein, des organisations et des adhérents avec des positions différentes sur le traité, y compris parmi celles qui ont soutenu la position de la CES. Nous ne sommes donc pas les seuls à compter des adhérents aux opinions variées sur le sujet.
Q - En 1992, la CGT avait appelé au rejet du traité de Maastricht, aujourd'hui elle s'abstient. Votre syndicat est-il en train de modifier son identité ?
R - La CGT est pleinement engagée dans le syndicalisme européen. Rien ne permet de préjuger ce que sera notre position, que nous définirons lors d'un comité confédéral national en février. Il existe, d'une part, des avancées dans le projet de traité, notamment l'inscription des droits sociaux fondamentaux, et, d'autre part, de graves lacunes, comme le maintien des politiques libérales. Il n'est donc pas surprenant que tout le monde n'ait pas la même conclusion vis-à-vis d'un texte ambigu, dont la CES reconnaît elle-même les limites.
Q - La CGT donnera-t-elle une consigne précise ?
R - Nous connaissons par l'expérience, notamment sur des consultations politiques, les limites d'une consigne de vote. Il est tout à fait concevable que des adhérents partageant les mêmes objectifs fassent des choix différents sur un vote de cette nature.
Q - A l'occasion de ce débat, le syndicalisme français apparaît une fois encore très divisé...
R - Il n'y a pas que sur les questions européennes que les syndicats français sont trop divisés. Certains ont voté pour, contre ou se sont abstenus. La CES est une organisation pluraliste : son objectif n'est pas d'obtenir une position unanime. Le pluralisme syndical français se retrouve dans les débats au sein de la CES.
Q - Une partie de la base de votre syndicat est critique sur le texte de la Constitution. Le "oui" de la CES ne risque-t-il pas de donner des arguments supplémentaires aux adversaire du choix européen de la CGT ?
R - Je ne le crois pas. Ce débat est tranché : notre participation au sein du syndicalisme européen est une orientation sur laquelle nous ne reviendrons pas. Il n'y aurait pas grand avenir pour une organisation syndicale qui se replierait sur son territoire national. Les institutions ont bougé, les réseaux économiques ont changé, et l'Europe est un terrain d'intervention qui s'impose naturellement à tout syndicat qui s'intéresse au quotidien des salariés. Nous devons continuer à occuper les lieux de convergence et d'action.
Q - Au-delà de sa position sur le traité, la CES a-t-elle prévu de se mobiliser dans les mois à venir ?
R - Le comité exécutif a approuvé une stratégie de mobilisation plus visible. Cette volonté se traduira par des initiatives contre les directives sur la révision du temps de travail et les services publics, que la CES rejette. Nous organiserons aussi une manifestation pour l'emploi à Bruxelles lors du sommet des chefs d'Etat au printemps. Il faut donc créer les conditions pour réussir ces mobilisations, que souhaitait la CGT.
Propos recueillis par Rémi Barroux
(Source http://tresor.cgt.fr, le 22 octobre 2004)
Q- Est-ce le dernier qui parlera qui l'emportera ? Le Gouvernement, sous la pression des syndicats a assoupli l'avant-projet de loi sur les restructurations. Aussitôt, le Medef a dénoncé ce qu'il jugeait être la reculade précipité du Gouvernement. La CGT demande une véritable négociation. Et maintenant ? Parce qu'on a l'impression que jour après jour tout peut changer... Il suffit d'un peu de pression ici ou là ...
R- C'est la raison pour laquelle je renouvelle mon appel à la clarification sur les bases à partir desquelles un projet de loi est susceptible d'être déposé à l'Assemblée nationale, s'agissant des restructurations et des licenciements. Nous n'avons pas eu, jusqu'à présent, de véritable séance de négociations avec tous les acteurs autour de la table.
Q- On ne comprend plus rien, parce que tout le monde nous dit qu'on n'arrête pas de se réunir ici et là pour discuter de tout...
R-Oui, et chacun a sa version de ce que pourrait être les textes actuellement en référence au Gouvernement. C'est pour cela que je réinsiste sur le besoin de clarification. Je voudrais revenir un instant sur les raisons pour lesquelles nous rediscutons de ces aspects. Cela fait dix-huit mois que nous avons une négociation entamée avec le Medef, suite à la décision politique du Gouvernement de suspendre les dispositions dites "Jospin", contre les licenciements qualifiés à l'époque de "boursiers". Dix-huit mois de négociations avec le Medef, sur lesquelles nous chutons. A l'unanimité, les organisations syndicales considèrent que les propositions, si j'ose parler de propositions du Medef, sont à contresens des attentes syndicales, puisque l'on a un discours patronal, qui, au contraire, veut accélérer les procédures de licenciement, alléger les contraintes des employeurs à l'égard des licenciements, alors que les syndicats, bien évidemment, cherchent de nouvelles garanties sociales pour les salariés, victimes de restructurations et de licenciements. De quoi s'aperçoit-on, à la fin de ces négociations, lorsque le Gouvernement reprend la main ? Il transforme dans un projet de loi le document du Medef du mois d'avril, au point d'ailleurs que certains paragraphes entiers sont une reprise intégrale de ce qu'avait écrit le Medef, rejeté par les syndicats. J'ai parlé de "copier coller" - c'est la technique que l'on utilise en informatique - : on a repris des paragraphes entiers que l'on a remis dans des projet de loi. Deux aspects : premier aspect, on ne répond pas aux revendications syndicales, s'agissant de droit sociaux, lorsque l'on est confronté à des restructurations et aux licenciements. Deuxième aspects : on en profite pour changer des aspects fondamentaux du droit du travail. Ce que nous avons dénoncé la semaine dernière, un coup de colère à Matignon, puis qu'il se trouve que nous avions une rencontre mardi dernier et je l'ai dit personnellement au Premier ministre. C'est aussi ce qui a motivé notre départ de la commission nationale, vendredi. J'espère avoir confirmation que cette attitude a au moins pesé. Mais lorsque j'entends ce matin certains commentaires qui considèrent que c'est arrière toute, je voudrais quand même tempérer. Ce n'est pas parce que le Gouvernement...
Q- Juste pour bien vous comprendre : un coup en avant, un coup en arrière ? Il n'y a pas une ligne précise qui se dégage ? L'ouvertement a tout de même reculé sur la sauvegarde de compétitivité, sur les délais qui sont doublés pour les recours, sur la réintégration judiciaire. Ce sont des points importants du texte.
R-Oui, mais si le Gouvernement fait 10 kilomètres dans la direction du editor, qu'il recule d'un kilomètre, il demeure qu'il a quand même franchit 9 kilomètres en direction des positions du Medersa. Je veux bien ue le Medef continue d'hurler au motif que tout son cahier revendicatif 'est pas pris en compte, mais dès lors que 90 % de son document est etraduit dans le texte de loi, on ne me fera pas croire qu'il est totalement de la tournure des évènements.
Q- Mais comment expliquez-vous que vous soyez à ce point-là seul sur ette ligne un peu extrême ? La CFDT dit que la CGT pratique la olitique de la chaise vide et n'arrive pas à influencer l'ouvertement, alors que nous, on a réussi ; la CFDT dit que c'est très bien maintenant que le texte est modifié.
R- 'est un commentaire d'un des dirigeants de la CFDT, qui me semble e plus en plus aigri en fin de parcours. Ce n'est pas très important. Je rois que nous avons aussi marqué les esprits par un claquement de sorte vendredi qui se voulait très symbolique. Je remarque aussi que vous n'avons pas été les seuls : la CGC a eu la même attitude, les commentaires trèilaires de la part des organisations syndicales Peu importe soit le résultat de ceux qui soient restés n réunion ou de ceux qui soient partis. L'important, c'est que l'on commence faire bouger le Gouvernement sur sa position. Mais il y a encore eau coup à faire. Je souhaite, dans les clarifications, par exemple que l'on ne des dispositions. Il y en a une essentielle qui demeure dans le texte - je n'en prends qu'une ; il y en a plusieurs, mais 'en prends une. Il me semble que le texte permet toujours aux employeurs de modifier de manière unilatérale ce que l'on appelle les éléments fondamentaux du contrat de travail, sans possibilité de recours pour le salarié. Possibilité d'imposer une mutation du lieu de travail, possibilité d'imposer une diminution du salaire, tout cela enrober du motif économique. Et cela, cela fait partie des verrous dont nous disposons aujourd'hui dans le code du travail, qui risque de sauter si le texte qui est soumis était approuvé à l'Assemblée nationale.
Q- Comment, sur des questions aussi complexes liées la mondialisation et évidemment la question des délocalisations, comment une centrale comme la vôtre peut-elle aujourd'hui, avec le Gouvernement, essayer de trouver une voie possible ? Parce qu'évidemment qu'il y a des réalités économiques qui sont incontournables. Et en effet, la délocalisation ou le changement d'affectation du lieu de travail fait partie de la donne. Comment vous négociez cela ?
R-Déjà, il faudrait parvenir à négocier. En même temps, je voudrais rappeler que ce n'est pas un débat uniquement franco-français. L'actualité, ces derniers mois, en Italie était celle-là. En Espagne, on a aussi eu des discussions s'agissant de l'évolution du code du travail sur une pression patronale. En Allemagne, les bases du dialogue social telles qu'elles ont existé pendant des décennies sont en train d'être malmenées, alors que la place faite aux syndicats, en Allemagne, notamment pour réfléchir aux aspects stratégiques des entreprises, est sans commune mesure avec la place accordée aux syndicats en France. En l'occurrence, je rappelle que dans les propositions que nous avons faites, nous souhaitons conforter le droit, le pouvoir d'intervention des salariés sur ce qui touche aux décisions stratégiques des entreprises, et que ce droit, nous est contesté. Le Medef est dans une attitude qui nier la capacité, voire le droit aux salariés de donner leur mot sur ce qui fait l'avenir de l'entreprise.
Q- Cela veut dire qu'en l'état, si le texte est adopté tel qu'il est maintenant présenté par le Gouvernement, c'est-à-dire avec un assouplissement sur des points importants tout de même, cela vous pousserait à engager une action ?
R-Je ne suis absolument pas satisfait avec la fait que le Gouvernement ait ôté une partie seulement des exigences du Medef, parce que c'est cela la réalité ce matin. Nous n'avons pas de réponse sur des droits sociaux supplémentaires pour les salariés en cas de restructuration et de licenciement. C'est quand même sur cette base-là que l'on avait ouvert les négociations. Alors que le résultat de cette loi, c'est de permettre aux entreprises de licencier plus rapidement, d'alléger les procédures là où il y a des comités d'entreprise, de ne pas répondre à la majorité des licenciements économiques. Je rappelle que 80 % des licenciements économiques se font dans des entreprises de moins de 50 salariés, où il n'y a ni comité d'entreprise ni plan social. Nous n'avons pas, là, un début de réponse approprié à ce droit-là ?
Q- Est-ce que l'on peut imaginer que le Gouvernement lâche ailleurs, notamment sur la question du service minimum à la SNCF, et qu'encore une fois, on aille plutôt vers un accord que vers une loi, ce qui compenserait un peu le fait que sur la question des restructurations, il faille trouver un voie possible ? Est-ce que les choses se passent comme ça ou pas ?
R-Je ne suis pas là pour marchander des avancées et des reculs dans tel ou tel domaine. Ce ne peut pas être le droit de grève contre les restructurations ou l'inverse, le traitement des restructurations contre le droit de grève. Chaque dossier s'examine pour ce qu'il est et nous avons l'occasion de faire des propositions sur chacun de ces points. Là, il s'agit des procédures applicables en matière de licenciement et de restructurations, je ne peux pas croire - quoique ce Gouvernement ait fait tout de même la démonstration qu'il en est capable - que sur un sujet aussi fondamental, s'agissant de l'emploi, des réponses sociales à apporter en la matière, que le Gouvernement procède à la hussarde. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que dès cette semaine, nous ayons une réunion tripartite de clarification pour connaître quelles sont véritablement les bases sur lesquelles il a l'intention de saisir l'Assemblée nationale.
Q- Cela veut dire que malgré le temps qui passe et ce qui a pu être dit ici et là, il n'y a toujours pas de mode opératoire mis au point entre les différents partenaires sociaux quand il s'agit d'engager une réflexion ou une action ?
R-Non, je crois même qu'il n'y a même pas de mode opératoire pour savoir qui, à un moment donné, prend les décisions, au nom du Gouvernement, en fonction des sujets. On est dans une période très hésitante sur la manière et la capacité du Gouvernement aujourd'hui, à conduire sa politique.
Q- Par exemple, on est dans une semaine où beaucoup de choses très importantes vont se négocier. L'avenir de Perrier, de Vittel, de Contre, les décisions de Nestlé... Beaucoup de salariés...
R-Oui, vous avez vue, à ce propos, qu'il a fallu utiliser un droit qui ne nous satisfait pas, c'est-à-dire un droit d'opposition qui a été instaurer par ce Gouvernement, parce que ce n'est que le moyen que nous avons eu pour nous opposer à un plan de restructuration, alors que nous voulons nous, un droit à la négociation qui reconnaisse le fait majoritaire. On nous a mis en place un droit d'opposition et après on se plaint que les syndicats soient par trop sur l'opposition. On a codifié un droit d'opposition plutôt qu'un droit à la véritable négociation démocratique.
Q- Et vous, où sont vos limites ? Vous vous êtes livré à un inventaire sans complaisance d'ailleurs vis-à-vis de l'action de la CGT, on disant "on n'y arrive pas, on est très loin du compte, on n'a pas suffisamment d'adhérents..." ; où êtes-vous mauvais ?
R-Je ne pense pas que nous soyons mauvais. Nous progressons aux élections professionnelles, je pense que ce que dit et essaye de porter la CGT est de mieux en mieux compris, voire partagé sur un certain nombre de sujets. Mais en même temps, nous devons être bien conscients que dans le contexte politique et compte tenu du positionnement de nos interlocuteurs patronaux, le rapport de force n'est pas suffisamment favorable. Donc, nous devons prendre conscience de nos limites. Limites de nos implantations dans les entreprises ; il y a beaucoup trop d'entreprises en France qui n'ont pas de section syndicale, c'est même la très grande majorité des cas. Et nous ne pouvons pas penser peser fondamentalement sur le cours des évènements si nous restons avec un syndicalisme français aussi faible qu'il l'est aujourd'hui. D'où une réflexion quant à ce que nous devons nous-mêmes faire vis-à-vis des salariés des petites entreprises, vis-à-vis de la cohérence entre donneurs d'ordre et sous-traitance. Voilà un axe par exemple, qui, dans les discussions avec le Gouvernement, s'agissant des restructurations, devrait être retravaillé et nous n'avons pas de réponse. Syndicalement, nous devons aussi réfléchir à nos propres limites et prendre des dispositions pour nous développer. Nous avons pris de décisions en ce sens, notamment lancé une grande campagne de syndicalisation, essayé de s'y mettre vraiment, en tenant le langage de la vérité aux salariés. Je remarque qu'il y a beaucoup d'attentes à notre égard, il y a même exigence à notre égard. A nous d'expliquer que nous n'avons qu'un pouvoir proportionnel au nombre de salariés qui s'engagent dans le syndicalisme.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 octobre 2004)
Les récentes mobilisations ont amené la CGT à s'interroger sur l'état du rapport de forces, qui reflète la capacité des syndicats à mobiliser. Prenant la tête d'une opération vérité, Bernard Thibault plaide pour une refonte des structures et du fonctionnement de son organisation. Le secrétaire général de la CGT appelle à un examen lucide sur les limites rencontrées, qui ne s'expliquent pas par les seules causes extérieures.
L'humanité : Dans le bras de fer qui a opposé Nestlé et les salariés de Perrier, la CGT a été accusée d'être un syndicat " jusqu'au-boutiste ". Comment réagissez-vous à cette campagne ?
Bernard Thibault. Dans le conflit Perrier, beaucoup se sont efforcés de renverser l'échelle des responsabilités. La section syndicale CGT a refusé de prendre pour argent comptant le bien-fondé du projet de restructuration de Nestlé, groupe qui, soit dit entre nous, n'est pas réputé pour être un fervent partisan du dialogue social. Qui peut être considéré comme jusqu'au-boutiste quand une direction d'entreprise tente d'imposer son plan et ne conçoit le rôle des syndicats que comme des accompagnateurs de sa restructuration ? Il ne faut pas compter sur la CGT pour accepter une telle conception, tout simplement parce qu'elle met en cause l'indépendance syndicale. Les représentants de la CGT ont utilisé le droit qui existe de s'opposer à une réforme qu'ils considéraient, à juste titre, comme négative pour l'entreprise et pour l'emploi. La direction de Perrier a voulu contourner l'influence de la CGT, qui recueille plus de 85 % des voix aux élections à Perrier Vergèze. Elle a échoué. Certains se sont efforcés d'attiser les divisions entre salariés, en laissant entendre par exemple que la CGT s'opposait aux départs en retraite anticipée. Notre attitude a contraint la direction d'entreprise à s'engager sur des investissements et à revoir le niveau d'embauche pour compenser partiellement les départs. Je remarque que les mêmes justifiaient l'an dernier le recul de l'âge de départ en retraite à taux plein après 60 ans ! Ce n'est pas nous qui avons le plus de contradictions dans cette affaire. Ce conflit a eu le mérite de révéler au grand jour l'inefficacité des règles de la négociation sociale. Dès lors que le législateur a conçu le dialogue autour du droit de s'opposer et non autour du droit de négocier, il ne faut pas s'étonner d'arriver à des situations de blocage. Nous l'avions annoncé en son temps. Dans la vie politique, le fait majoritaire est reconnu comme la règle normale de la démocratie. Je ne vois pas pourquoi les questions sociales demeurent le seul domaine où la minorité aurait le droit d'imposer son point de vue à la majorité. Quant à la concentration des projecteurs sur le conflit de Perrier, elle témoigne de la volonté de discréditer l'action de la CGT qui dérange beaucoup de monde. Je ne peux pas m'empêcher de faire le parallèle avec le silence remarquable dont a fait preuve le gouvernement dans la même période, pendant les dix premiers jours de conflit à la SNCM, alors que le trafic maritime d'une compagnie publique était bloqué par 3 % de grévistes d'obédience autonomiste. Que n'aurions-nous entendu si la CGT avait été responsable d'une telle paralysie !
L'humanité : Cette campagne trouve appui sans doute dans les difficultés des syndicats à construire un rapport de forces suffisant face à l'offensive patronale contre le droit du travail. Cette situation motive-t-elle votre appel à " changer de braquet " sur le déploiement de la CGT ?
Bernard Thibault. Alors que les enjeux se sont effectivement accrus, le décalage entre les bonnes résolutions du dernier congrès de la CGT et leur concrétisation est trop important. Les salariés sont très majoritairement mécontents de la politique conduite sur le plan économique et social. Mais le contexte politique permet même au MEDEF d'appuyer sur le ventre du gouvernement pour le pousser à réformer selon ses revendications. Le budget 2005 vient encore de confirmer combien l'équipe de Jean-Pierre Raffarin est disposée à satisfaire les exigences patronales. La CGT a pris toute sa part dans les dernières mobilisations. D'autres sont prévisibles, à La Poste, dans la métallurgie, pour défendre le droit de grève dans les transports, contre les délocalisations ou encore pour préserver le Code du travail. Nous travaillons à franchir un palier partout dans la mobilisation des salariés, sur leurs revendications. Mais nous pourrions buter sur les mêmes difficultés. Nous devons accroître le nombre des forces syndiquées susceptibles de se mettre en mouvement. Comment construire des mobilisations significatives sans une organisation à la hauteur de nos ambitions ? Les indicateurs sur la place qu'occupe la CGT sont positifs. Nous progressons dans les élections professionnelles. Le rythme d'adhésions est un peu plus soutenu que l'an passé. Mais il est loin de ce qu'il faut pour atteindre l'objectif du million de syndiqués. Nous devons la vérité aux salariés. Leurs attentes vis-à-vis de la CGT sont importantes. Ils doivent s'engager en plus grand nombre pour être des acteurs de la vie syndicale et des mobilisations à venir.
L'humanité : Que faut-il changer dans la CGT pour adapter le fonctionnement de l'organisation aux objectifs de conquêtes sociales que vous vous fixez ?
Bernard Thibault. Le comité confédéral national vient de décider de lancer un plan de syndicalisation pour réaliser des adhésions et aider à la création de syndicats. Nous allons par exemple mettre en place des syndicats multi-professionnels locaux qui permettront de développer des liens entre les syndiqués qui ne disposent pas d'un syndicat ayant une réelle activité dans leur entreprise. Ils assureront aussi l'accueil des salariés qui travaillent dans les PME. Nous allons aussi tester une carte syndicale permanente auprès des saisonniers, des salariés du commerce ou des futurs retraités afin de leur permettre de rester à la CGT même s'ils changent d'emploi ou de résidence. Sept millions de salariés changent de situation chaque année et nous ne sommes pas équipés pour répondre à cette mobilité. Nous allons aussi davantage nous organiser par site de production entre les salariés des entreprises donneuses d'ordre et ceux des sous-traitants. La structuration de la CGT mérite d'être repensée pour répondre aux besoins d'aujourd'hui. Plus d'un salarié sur deux travaille dans une entreprise de moins de 50 personnes où il n'y a pas de syndicat. Nous devons passer un cap. L'expérience des luttes de ces derniers mois va nous y aider. On ne peut prétendre gagner sur notre conception de sécurité sociale professionnelle avec une mobilisation d'une toute petite partie des salariés ou d'une seule profession. L'enjeu est le même concernant le système d'indemnisation du chômage ou sur l'avenir de la Sécurité sociale. Acceptons de reconnaître que nos résultats sont proportionnels au rapport de forces que nous générons. Si nous y consacrons des moyens et du temps militant, je suis convaincu que beaucoup de salariés seront prêts à prendre leur place dans la CGT. Le gouvernement vient de reculer sur les pensions de réversion. Cela montre que nous sommes en capacité d'infléchir certaines de ses décisions. Mais pour aller plus loin, il faut être plus nombreux, plus organisés, plus réactifs et accepter de réviser plusieurs aspects fondamentaux de notre structuration et de notre mode de fonctionnement.
L'humanité : L'urgence des batailles à développer vous laisse-t-elle le temps de cette introspection ?
Bernard Thibault. L'un va avec l'autre. La démarche du patronat consiste à enfermer les salariés dans le cercle étroit de leur entreprise. Il développe une forme de management qui érige la concurrence entre salariés et entre territoires en mode de gestion des ressources humaines. Pour y faire face, il faut être présent partout et se réapproprier la dimension solidaire entre profession et localité. Chacune de nos organisations mesure mieux aujourd'hui que la défense des intérêts particuliers de ses adhérents se situe aussi dans la défense des droits collectifs. En situation de crise, nous ne sommes pas à l'abri de réflexes de repli. La vocation d'une organisation interprofessionnelle est de situer le combat syndical de chacun dans un ensemble cohérent.
L'humanité : Cette cohérence concerne aussi l'ensemble de l'offre syndicale, or, de ce point de vue, la division semble durablement installée. Vous avez même dressé un constat de désaccord entre les approches syndicales lors du CCN. Est-ce à dire que la CGT baisse les bras sur le syndicalisme rassemblé ?
Bernard Thibault. Pas du tout. On remet au contraire l'ouvrage sur le métier. Comme je l'avais annoncé à la Fête de l'Humanité, nous sommes partisans de constituer un front uni pour faire comprendre au gouvernement qu'il y a une ligne blanche à ne pas franchir sur les réformes du Code du travail ou des 35 heures. Conscients de nos différences sur certains dossiers sociaux, si le syndicalisme français, toutes organisations confondues, ne fait pas la démonstration de son unité sur ce terrain fondamental, nous risquons tous le discrédit. D'où notre proposition de nous concerter. Des rencontres bilatérales sont en cours. Nous gardons l'objectif de parvenir à un front syndical le plus large possible sur la base d'objectifs clairement partagés.
L'humanité : Vous dites que la responsabilité du syndicalisme c'est de " tenir son poste ". Qu'en est-il de l'intervention sur le terrain européen ?
Bernard Thibault. L'actualité pour le syndicalisme européen est de contenir l'offensive de remise en cause des régimes sociaux dans de nombreux pays. L'an dernier, pour la première fois depuis quarante ans, l'Autriche a connu un fort mouvement de grève sur la réforme des retraites. L'Allemagne est traversée de mécontentements sur les réformes Schröder. C'est une première depuis quinze ans, une manifestation nationale a rassemblé 200 000 participants samedi à Amsterdam sur des réformes antisociales. Les délocalisations et le chantage sur le temps de travail se généralisent. La prochaine réunion de la Confédération européenne des syndicats, mi-octobre, va donc forcément s'interroger sur les initiatives à prendre. Deux projets de directives européennes sont menaçants. Celle dite Bolkenstein, envisage que les entreprises de services seraient autorisées à appliquer la législation sociale du pays dans lequel elles ont leur siège et non pas celle du pays dans lequel elles emploient leurs salariés. C'est proprement inacceptable pour l'ensemble du mouvement syndical ! L'autre de révision sur le temps de travail amplifie les dérogations. Inspirée de la conception anglaise, elle est conforme aux positions de principe du MEDEF et comporte d'énormes régressions. Par exemple, certaines périodes d'activité professionnelles, comme les temps de pause ou les gardes, ne seraient plus comptées comme du travail effectif. On est là sur des batailles syndicales fondamentales. Le rendez-vous du sommet des chefs d'État en mars 2005 sera important pour le mouvement syndical. Le bilan à mi-parcours des décisions prises sur l'emploi à Lisbonne est à l'ordre du jour. Il revient aux organisations syndicales d'intervenir parce que l'emploi se précarise et le niveau de chômage reste dramatiquement important. Il ne faut pas qu'une fois de plus le sommet arrive à la conclusion que la compétitivité par la mise en concurrence des salariés serait la réponse appropriée.
L'humanité : Vous exprimez une position critique sur le cours de la construction européenne. Pourtant, la CGT a décidé de prendre le temps pour se positionner sur le traité constitutionnel. N'est-ce pas contradictoire ?
Bernard Thibault. Il faut d'abord savoir que le débat sur le traité constitutionnel n'est pas très animé parmi les organisations syndicales en Europe. Presque unanimement, elles le considèrent même comme un pas positif. La déclaration du comité directeur de la Confédération européenne des syndicats en faveur du traité représente, de ce point de vue, l'avis de la très grande majorité des organisations syndicales, même si les opinions publiques sont plus partagées.
Le débat en France est, pour de multiples raisons, plus important qu'ailleurs. Beaucoup de salariés ne savent pas exactement quels sont les enjeux. Une majorité de Français hésitent encore à prendre position, souvent par méconnaissance. Nous allons en effet prendre le temps de donner de l'information à nos syndiqués avant de nous exprimer. Nous n'avons pas les mêmes impératifs ni les mêmes échéances que les partis politiques. Pour les raisons que j'indiquais, nous n'en faisons pas la question prioritaire qui conditionnerait toute notre activité. Ainsi, le moment venu, nous apporterons notre contribution de syndicat au débat public, naturellement avant que nos concitoyens soient consultés par référendum.
Entretien réalisé par Paule Masson
(Source http://www. tresor.cgt.fr, le 5 octobre 2004)
Le Parisien 16 octobre 2004
Très critique sur le projet gouvernemental de réforme des licenciements, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, n'en reste pas moins prudent quant à une possible mobilisation syndicale. Il souhaite que les autres centrales réagissent. Ses explications à notre journal.
La délégation de la CGT a claqué la porte, hier, après la présentation de l'avant-projet de réforme des licenciements. Pourquoi ?
Bernard Thibault : Il fallait marquer le coup ! La manière dont le gouvernement s'est conduit dans cette affaire est inqualifiable. Cela fait dix-huit mois que l'on discutait sans résultat à sa demande avec le Medef pour négocier de nouvelles dispositions sociales en cas de restructurations d'entreprise. Or, la semaine même où nous rencontrons le Premier ministre, nous découvrons que le projet de loi est un véritable " copié-collé " des revendications du Medef. Ceci est une véritable provocation.
En quoi, selon vous, la réforme du licenciement est-elle dangereuse pour les salariés ?
L'objet de notre négociation avec le Medef était, je le rappelle, de faire face au scandale de certains plans de licenciement privant les salariés de tout droit. 80 % des licenciés économiques ne bénéficient pas de plan social, en particulier dans les petites entreprises. C'est pour de nouveaux droits en faveur des salariés que nous étions censés négocier. De son côté, le Medef n'a eu de cesse, lui, que d'imposer une plus grande flexibilité et facilité de licenciement. Il ne pouvait donc pas y avoir d'accord.
Ça c'est le point de vue patronal, mais que reprochez-vous concrètement au projet gouvernemental ?
Beaucoup de choses. Par exemple, nous pouvons aujourd'hui contester juridiquement le bien-fondé de certains licenciements économiques, comme par exemple les licenciements boursiers uniquement destinés à accroître la rentabilité financière d'une entreprise. Or, le projet du gouvernement prévoit de nous priver de ce moyen de contestation en légalisant, en quelque sorte, un critère de rentabilité opposable par l'employeur à tout salarié. Autrement dit, on suggère par ce biais de légaliser le " salarié-kleenex ". C'est inadmissible.
Selon nos informations, le gouvernement pourrait reculer sur plusieurs points de son projet, dont celui concernant la sauvegarde de la compétitivité. Qu'en pensez-vous ?
Compte tenu du nombre de mesures programmées, je ne pense pas qu'une correction de tel ou tel paragraphe suffise. Mais nous serons attentifs à la manière dont le gouvernement va réagir. Dès lors que les cinq confédérations syndicales ont confirmé leur désaccord de fond avec ce texte, il n'y a que deux hypothèses : 1. Ou le gouvernement ouvre de vraies négociations. 2. Ou il maintient la philosophie générale de sa loi qui, même avec des corrections, va désorganiser le droit du travail. Dans ce dernier cas, nous organiserons la mobilisation nécessaire.
Raffarin veut aller vite sur ce dossier. Peut-il vous prendre de court ?
J'aimerais savoir en tout cas comment le gouvernement va justifier qu'une loi défende d'un côté la cohésion sociale, et de l'autre généralise la précarité au travail ! Il y a là une incohérence politique flagrante qui n'échappera pas à l'opinion.
Va-t-on dès lors vers la bataille du licenciement ?
Si le gouvernement confirme son orientation, il est évident qu'il y aura une bataille pour empêcher une nouvelle précarisation des salariés. Dans un premier temps, il faudra que les organisations syndicales se concertent pour décider ensemble les initiatives à envisager. Dans tous les cas de figure, la CGT fera face si le gouvernement nous met au défi.
Propos recueillis par Jean-Marc Plantade
Interview reproduite avec l'aimable autorisation du journal Le Parisien. Tous droits de reproduction et de diffusion réservés au journal.
(Source http://www.cgt.fr, le 26 octobre 2004)
Le Monde 16 octobre 2004
Q - Pourquoi la CGT s'est-elle abstenue lors du vote à la confédération européenne des syndicats (ces) sur le projet de traité constitutionnel ?
R - Nous nous sommes abstenus, comme d'autres syndicats, dans la mesure où nous voulons privilégier la phase d'information de nos adhérents, avant de prendre précisément position. Nous sommes l'un des huit pays européens confrontés à un référendum, et nous avons souhaité que la position de la CGT soit celle de syndiqués informés sur le sujet. Le débat de mercredi a montré que la plupart des confédérations avaient, en leur sein, des organisations et des adhérents avec des positions différentes sur le traité, y compris parmi celles qui ont soutenu la position de la CES. Nous ne sommes donc pas les seuls à compter des adhérents aux opinions variées sur le sujet.
Q - En 1992, la CGT avait appelé au rejet du traité de Maastricht, aujourd'hui elle s'abstient. Votre syndicat est-il en train de modifier son identité ?
R - La CGT est pleinement engagée dans le syndicalisme européen. Rien ne permet de préjuger ce que sera notre position, que nous définirons lors d'un comité confédéral national en février. Il existe, d'une part, des avancées dans le projet de traité, notamment l'inscription des droits sociaux fondamentaux, et, d'autre part, de graves lacunes, comme le maintien des politiques libérales. Il n'est donc pas surprenant que tout le monde n'ait pas la même conclusion vis-à-vis d'un texte ambigu, dont la CES reconnaît elle-même les limites.
Q - La CGT donnera-t-elle une consigne précise ?
R - Nous connaissons par l'expérience, notamment sur des consultations politiques, les limites d'une consigne de vote. Il est tout à fait concevable que des adhérents partageant les mêmes objectifs fassent des choix différents sur un vote de cette nature.
Q - A l'occasion de ce débat, le syndicalisme français apparaît une fois encore très divisé...
R - Il n'y a pas que sur les questions européennes que les syndicats français sont trop divisés. Certains ont voté pour, contre ou se sont abstenus. La CES est une organisation pluraliste : son objectif n'est pas d'obtenir une position unanime. Le pluralisme syndical français se retrouve dans les débats au sein de la CES.
Q - Une partie de la base de votre syndicat est critique sur le texte de la Constitution. Le "oui" de la CES ne risque-t-il pas de donner des arguments supplémentaires aux adversaire du choix européen de la CGT ?
R - Je ne le crois pas. Ce débat est tranché : notre participation au sein du syndicalisme européen est une orientation sur laquelle nous ne reviendrons pas. Il n'y aurait pas grand avenir pour une organisation syndicale qui se replierait sur son territoire national. Les institutions ont bougé, les réseaux économiques ont changé, et l'Europe est un terrain d'intervention qui s'impose naturellement à tout syndicat qui s'intéresse au quotidien des salariés. Nous devons continuer à occuper les lieux de convergence et d'action.
Q - Au-delà de sa position sur le traité, la CES a-t-elle prévu de se mobiliser dans les mois à venir ?
R - Le comité exécutif a approuvé une stratégie de mobilisation plus visible. Cette volonté se traduira par des initiatives contre les directives sur la révision du temps de travail et les services publics, que la CES rejette. Nous organiserons aussi une manifestation pour l'emploi à Bruxelles lors du sommet des chefs d'Etat au printemps. Il faut donc créer les conditions pour réussir ces mobilisations, que souhaitait la CGT.
Propos recueillis par Rémi Barroux
(Source http://tresor.cgt.fr, le 22 octobre 2004)
Q- Est-ce le dernier qui parlera qui l'emportera ? Le Gouvernement, sous la pression des syndicats a assoupli l'avant-projet de loi sur les restructurations. Aussitôt, le Medef a dénoncé ce qu'il jugeait être la reculade précipité du Gouvernement. La CGT demande une véritable négociation. Et maintenant ? Parce qu'on a l'impression que jour après jour tout peut changer... Il suffit d'un peu de pression ici ou là ...
R- C'est la raison pour laquelle je renouvelle mon appel à la clarification sur les bases à partir desquelles un projet de loi est susceptible d'être déposé à l'Assemblée nationale, s'agissant des restructurations et des licenciements. Nous n'avons pas eu, jusqu'à présent, de véritable séance de négociations avec tous les acteurs autour de la table.
Q- On ne comprend plus rien, parce que tout le monde nous dit qu'on n'arrête pas de se réunir ici et là pour discuter de tout...
R-Oui, et chacun a sa version de ce que pourrait être les textes actuellement en référence au Gouvernement. C'est pour cela que je réinsiste sur le besoin de clarification. Je voudrais revenir un instant sur les raisons pour lesquelles nous rediscutons de ces aspects. Cela fait dix-huit mois que nous avons une négociation entamée avec le Medef, suite à la décision politique du Gouvernement de suspendre les dispositions dites "Jospin", contre les licenciements qualifiés à l'époque de "boursiers". Dix-huit mois de négociations avec le Medef, sur lesquelles nous chutons. A l'unanimité, les organisations syndicales considèrent que les propositions, si j'ose parler de propositions du Medef, sont à contresens des attentes syndicales, puisque l'on a un discours patronal, qui, au contraire, veut accélérer les procédures de licenciement, alléger les contraintes des employeurs à l'égard des licenciements, alors que les syndicats, bien évidemment, cherchent de nouvelles garanties sociales pour les salariés, victimes de restructurations et de licenciements. De quoi s'aperçoit-on, à la fin de ces négociations, lorsque le Gouvernement reprend la main ? Il transforme dans un projet de loi le document du Medef du mois d'avril, au point d'ailleurs que certains paragraphes entiers sont une reprise intégrale de ce qu'avait écrit le Medef, rejeté par les syndicats. J'ai parlé de "copier coller" - c'est la technique que l'on utilise en informatique - : on a repris des paragraphes entiers que l'on a remis dans des projet de loi. Deux aspects : premier aspect, on ne répond pas aux revendications syndicales, s'agissant de droit sociaux, lorsque l'on est confronté à des restructurations et aux licenciements. Deuxième aspects : on en profite pour changer des aspects fondamentaux du droit du travail. Ce que nous avons dénoncé la semaine dernière, un coup de colère à Matignon, puis qu'il se trouve que nous avions une rencontre mardi dernier et je l'ai dit personnellement au Premier ministre. C'est aussi ce qui a motivé notre départ de la commission nationale, vendredi. J'espère avoir confirmation que cette attitude a au moins pesé. Mais lorsque j'entends ce matin certains commentaires qui considèrent que c'est arrière toute, je voudrais quand même tempérer. Ce n'est pas parce que le Gouvernement...
Q- Juste pour bien vous comprendre : un coup en avant, un coup en arrière ? Il n'y a pas une ligne précise qui se dégage ? L'ouvertement a tout de même reculé sur la sauvegarde de compétitivité, sur les délais qui sont doublés pour les recours, sur la réintégration judiciaire. Ce sont des points importants du texte.
R-Oui, mais si le Gouvernement fait 10 kilomètres dans la direction du editor, qu'il recule d'un kilomètre, il demeure qu'il a quand même franchit 9 kilomètres en direction des positions du Medersa. Je veux bien ue le Medef continue d'hurler au motif que tout son cahier revendicatif 'est pas pris en compte, mais dès lors que 90 % de son document est etraduit dans le texte de loi, on ne me fera pas croire qu'il est totalement de la tournure des évènements.
Q- Mais comment expliquez-vous que vous soyez à ce point-là seul sur ette ligne un peu extrême ? La CFDT dit que la CGT pratique la olitique de la chaise vide et n'arrive pas à influencer l'ouvertement, alors que nous, on a réussi ; la CFDT dit que c'est très bien maintenant que le texte est modifié.
R- 'est un commentaire d'un des dirigeants de la CFDT, qui me semble e plus en plus aigri en fin de parcours. Ce n'est pas très important. Je rois que nous avons aussi marqué les esprits par un claquement de sorte vendredi qui se voulait très symbolique. Je remarque aussi que vous n'avons pas été les seuls : la CGC a eu la même attitude, les commentaires trèilaires de la part des organisations syndicales Peu importe soit le résultat de ceux qui soient restés n réunion ou de ceux qui soient partis. L'important, c'est que l'on commence faire bouger le Gouvernement sur sa position. Mais il y a encore eau coup à faire. Je souhaite, dans les clarifications, par exemple que l'on ne des dispositions. Il y en a une essentielle qui demeure dans le texte - je n'en prends qu'une ; il y en a plusieurs, mais 'en prends une. Il me semble que le texte permet toujours aux employeurs de modifier de manière unilatérale ce que l'on appelle les éléments fondamentaux du contrat de travail, sans possibilité de recours pour le salarié. Possibilité d'imposer une mutation du lieu de travail, possibilité d'imposer une diminution du salaire, tout cela enrober du motif économique. Et cela, cela fait partie des verrous dont nous disposons aujourd'hui dans le code du travail, qui risque de sauter si le texte qui est soumis était approuvé à l'Assemblée nationale.
Q- Comment, sur des questions aussi complexes liées la mondialisation et évidemment la question des délocalisations, comment une centrale comme la vôtre peut-elle aujourd'hui, avec le Gouvernement, essayer de trouver une voie possible ? Parce qu'évidemment qu'il y a des réalités économiques qui sont incontournables. Et en effet, la délocalisation ou le changement d'affectation du lieu de travail fait partie de la donne. Comment vous négociez cela ?
R-Déjà, il faudrait parvenir à négocier. En même temps, je voudrais rappeler que ce n'est pas un débat uniquement franco-français. L'actualité, ces derniers mois, en Italie était celle-là. En Espagne, on a aussi eu des discussions s'agissant de l'évolution du code du travail sur une pression patronale. En Allemagne, les bases du dialogue social telles qu'elles ont existé pendant des décennies sont en train d'être malmenées, alors que la place faite aux syndicats, en Allemagne, notamment pour réfléchir aux aspects stratégiques des entreprises, est sans commune mesure avec la place accordée aux syndicats en France. En l'occurrence, je rappelle que dans les propositions que nous avons faites, nous souhaitons conforter le droit, le pouvoir d'intervention des salariés sur ce qui touche aux décisions stratégiques des entreprises, et que ce droit, nous est contesté. Le Medef est dans une attitude qui nier la capacité, voire le droit aux salariés de donner leur mot sur ce qui fait l'avenir de l'entreprise.
Q- Cela veut dire qu'en l'état, si le texte est adopté tel qu'il est maintenant présenté par le Gouvernement, c'est-à-dire avec un assouplissement sur des points importants tout de même, cela vous pousserait à engager une action ?
R-Je ne suis absolument pas satisfait avec la fait que le Gouvernement ait ôté une partie seulement des exigences du Medef, parce que c'est cela la réalité ce matin. Nous n'avons pas de réponse sur des droits sociaux supplémentaires pour les salariés en cas de restructuration et de licenciement. C'est quand même sur cette base-là que l'on avait ouvert les négociations. Alors que le résultat de cette loi, c'est de permettre aux entreprises de licencier plus rapidement, d'alléger les procédures là où il y a des comités d'entreprise, de ne pas répondre à la majorité des licenciements économiques. Je rappelle que 80 % des licenciements économiques se font dans des entreprises de moins de 50 salariés, où il n'y a ni comité d'entreprise ni plan social. Nous n'avons pas, là, un début de réponse approprié à ce droit-là ?
Q- Est-ce que l'on peut imaginer que le Gouvernement lâche ailleurs, notamment sur la question du service minimum à la SNCF, et qu'encore une fois, on aille plutôt vers un accord que vers une loi, ce qui compenserait un peu le fait que sur la question des restructurations, il faille trouver un voie possible ? Est-ce que les choses se passent comme ça ou pas ?
R-Je ne suis pas là pour marchander des avancées et des reculs dans tel ou tel domaine. Ce ne peut pas être le droit de grève contre les restructurations ou l'inverse, le traitement des restructurations contre le droit de grève. Chaque dossier s'examine pour ce qu'il est et nous avons l'occasion de faire des propositions sur chacun de ces points. Là, il s'agit des procédures applicables en matière de licenciement et de restructurations, je ne peux pas croire - quoique ce Gouvernement ait fait tout de même la démonstration qu'il en est capable - que sur un sujet aussi fondamental, s'agissant de l'emploi, des réponses sociales à apporter en la matière, que le Gouvernement procède à la hussarde. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que dès cette semaine, nous ayons une réunion tripartite de clarification pour connaître quelles sont véritablement les bases sur lesquelles il a l'intention de saisir l'Assemblée nationale.
Q- Cela veut dire que malgré le temps qui passe et ce qui a pu être dit ici et là, il n'y a toujours pas de mode opératoire mis au point entre les différents partenaires sociaux quand il s'agit d'engager une réflexion ou une action ?
R-Non, je crois même qu'il n'y a même pas de mode opératoire pour savoir qui, à un moment donné, prend les décisions, au nom du Gouvernement, en fonction des sujets. On est dans une période très hésitante sur la manière et la capacité du Gouvernement aujourd'hui, à conduire sa politique.
Q- Par exemple, on est dans une semaine où beaucoup de choses très importantes vont se négocier. L'avenir de Perrier, de Vittel, de Contre, les décisions de Nestlé... Beaucoup de salariés...
R-Oui, vous avez vue, à ce propos, qu'il a fallu utiliser un droit qui ne nous satisfait pas, c'est-à-dire un droit d'opposition qui a été instaurer par ce Gouvernement, parce que ce n'est que le moyen que nous avons eu pour nous opposer à un plan de restructuration, alors que nous voulons nous, un droit à la négociation qui reconnaisse le fait majoritaire. On nous a mis en place un droit d'opposition et après on se plaint que les syndicats soient par trop sur l'opposition. On a codifié un droit d'opposition plutôt qu'un droit à la véritable négociation démocratique.
Q- Et vous, où sont vos limites ? Vous vous êtes livré à un inventaire sans complaisance d'ailleurs vis-à-vis de l'action de la CGT, on disant "on n'y arrive pas, on est très loin du compte, on n'a pas suffisamment d'adhérents..." ; où êtes-vous mauvais ?
R-Je ne pense pas que nous soyons mauvais. Nous progressons aux élections professionnelles, je pense que ce que dit et essaye de porter la CGT est de mieux en mieux compris, voire partagé sur un certain nombre de sujets. Mais en même temps, nous devons être bien conscients que dans le contexte politique et compte tenu du positionnement de nos interlocuteurs patronaux, le rapport de force n'est pas suffisamment favorable. Donc, nous devons prendre conscience de nos limites. Limites de nos implantations dans les entreprises ; il y a beaucoup trop d'entreprises en France qui n'ont pas de section syndicale, c'est même la très grande majorité des cas. Et nous ne pouvons pas penser peser fondamentalement sur le cours des évènements si nous restons avec un syndicalisme français aussi faible qu'il l'est aujourd'hui. D'où une réflexion quant à ce que nous devons nous-mêmes faire vis-à-vis des salariés des petites entreprises, vis-à-vis de la cohérence entre donneurs d'ordre et sous-traitance. Voilà un axe par exemple, qui, dans les discussions avec le Gouvernement, s'agissant des restructurations, devrait être retravaillé et nous n'avons pas de réponse. Syndicalement, nous devons aussi réfléchir à nos propres limites et prendre des dispositions pour nous développer. Nous avons pris de décisions en ce sens, notamment lancé une grande campagne de syndicalisation, essayé de s'y mettre vraiment, en tenant le langage de la vérité aux salariés. Je remarque qu'il y a beaucoup d'attentes à notre égard, il y a même exigence à notre égard. A nous d'expliquer que nous n'avons qu'un pouvoir proportionnel au nombre de salariés qui s'engagent dans le syndicalisme.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 octobre 2004)