Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 29 novembre 2004, sur l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de l'UMP et sur l'avenir de l'UMP.

Prononcé le

Circonstance : Congrès de l'UMP au Bourget (Hauts-de-Seine) le 28 novembre 2004

Média : Europe 1

Texte intégral

Q- On ne vous pas entendu, hier, on ne vous a pas vu. Debré l'absent. Pourquoi ?
R- Non, je n'étais pas absent, j'avais fait venir beaucoup de militants de mon département, je les avais incités à venir. Je n'ai pas pu y aller, j'avais des obligations dans mon département ; j'avais décidé d'y aller, je ne suis pas arrivé à l'heure. Voilà, c'est tout. Il n'y a pas d'autres commentaires à faire.
Q- Est-ce une manière de faire la mauvaise tête ?
R- Pas du tout ! Parce que je suis ravi que ce congrès se soit bien passé, qu'il y ait eu beaucoup de monde, et vous avez pu voir, si vous y étiez, vous, J.-P. Elkabbach, qu'il y avait beaucoup de militants de l'Eure qui étaient là, enthousiastes. Et je leur avais demandé d'être chaleureux.
Q- Mais vous auriez pu faire par exemple comme D. De Villepin : rester au fond de la salle, debout, et partir après le discours de N. Sarkozy ?
Chacun fait comme... Je voulais venir, j'avais même l'intention de me mettre avec mes militants, parce que moi j'ai des militants de l'UMP, on en recrute beaucoup, ils sont chaleureux, et je leur avais demandé de bien représenter la Haute-Normandie, et ils l'ont fait. Savez-vous pourquoi ils l'ont fait ? Savez-vous pourquoi je le sais ? Parce qu'ils m'ont appelé, ils avaient tous la voix cassée après tellement ils avaient crié.
Q- Pour Sarkozy ?
Ils avaient crié : "Vive l'union !".
Q- Y a-t-il des risques qu'il n'y ait pas d'union ?
R- Non il n'y a pas de risques. Je crois que les choses maintenant sont claires, même si elles ne sont pas forcément très simples. Il y a le président de la République qui fixe les orientations, le cap des réformes, il y a le Gouvernement, en fonction de ces orientations, qui dirige l'administration et fait entrer dans la réalité juridique ces réformes ; il y a le Parlement qui les vote, et il y a le parti majoritaire. Et le parti majoritaire soutient le président de la République et le Gouvernement. De Gaulle disait : "La politique de la France ne se fait pas à la corbeille", il aurait pu dire : la politique de la France ne se fait pas non plus dans les partis politiques. Parce que l'on a connu une époque où la politique de la France se faisait à la SFIO, au MRP ou même au PC lorsqu'il était puissant. C'étaient la IIIème et la IVème Républiques, et cela a abouti à la confusion des pouvoirs et à la paralysie de l'Etat. Or, nous voulons continuer à faire des réformes.
Q-C'est nouveau, parce que, quand J. Chirac présidait le RPR, c'était un parti important ; quand A. Juppé présidait le parti RPR puis l'UMP, c'était important. Aujourd'hui, c'est N. Sarkozy. Donc les partis politiques sont, d'une certaine façon, pas assez représentatifs du pays, ou en tout cas, il ne peut pas y avoir de démocratie des partis.
R- Il ne vous a pas échappé que les institutions ont évolué, qu'aujourd'hui, il n'y a pas deux ou trois partis qui soutiennent le Gouvernement, il y a un parti, l'UMP, qui est majoritaire. On est rentré carrément dans le système majoritaire tel qu'il fonctionne en Grande-Bretagne, par exemple. Et si le parti majoritaire ne soutient pas le Gouvernement, il y a crise politique, crise gouvernementale, et impuissance.
Q-Y a-t-il risque d'affaiblissement de la fonction présidentielle aujourd'hui ?
R- Par la force des choses. Si le parti majoritaire ne soutient pas le Gouvernement qui est dirigé par le président de la République, alors il y a affaiblissement de l'autorité de l'Etat. Je voudrais dire une chose, d'ailleurs, je ne fais de procès à personne, et j'ai bien le sentiment que N. Sarkozy...
Q-En général quand on dit "je ne fais pas un procès", c'est que l'on en fait un.
R-...N. Sarkozy est dans cette optique. D'ailleurs, je vois...il a voulu aller voir le président de la République avant de prendre la tête de l'UMP...
Q-Il a pris l'apéritif hier à l'Elysée, il y avait Madame Chirac, célébrée par tous au premier rang...
R- Oui. Il a souhaité lire un message du président de la République, et ce message a répété ce schéma institutionnel. Après, il est allé voir le président de la République à l'Elysée, montrant bien ainsi que le parti majoritaire qu'il dirige se met au service de la politique du Gouvernement, et donc des valeurs défendues par le Président...
Q- Et il a répété à plusieurs reprises qu'il allait être loyal, qu'il était loyal. Vous ne le croyez pas, vous !
R- Si, je crois tout le monde. Il faut être loyal, il faut être libre et il faut être aussi, je n'ai pas entendu beaucoup ce mot, "responsable". Responsable du destin de la France, et cette responsabilité, elle incline les uns et les autres à faire l'union derrière le président de la République pour des réformes, car la France a besoin de réformes.
Q-Mais ce matin, vous êtes plus chiraquien que Chirac lui-même...
R- Je ne suis pas "chiraquien", je suis profondément gaulliste. Et j'ai reçu en héritage, à la fois politique et familial, une certaine conception des institutions, "une certaine idée de la France", et je voudrais que l'on participe à cette idée de la France. Pour moi, nous ne sommes plus à la République des comités, des clans, des clubs. Nous sommes à la République où on rassemble tous pour faire bouger les choses.
Q-En fait, l'UMP, ce n'est pas un cadeau pour N. Sarkozy. Vous lui avez laissé un parti - sérieusement -, qui a été vaincu aux régionales, vaincu aux européennes, et qui pèse 16,5 % !
R- Je souhaite que tous ensemble l'on fasse en sorte que l'UMP, avec Sarkozy, avec Raffarin, derrière le président de la République, J. Chirac, eh bien qu'on fasse que ce parti, qui est le parti majoritaire, le reste.
Q-Qu'est ce qui vous chose le plus : que N. Sarkozy dise qu'il veut rassembler ou qu'il veut rester libre ?
R- Mais d'abord, "rassembler", si on fait de la politique pour diviser il vaut mieux faire autre chose. Et à ma connaissance, tous les députés, tous les responsables politiques sont libres. Je viens de vous le dire, je voudrais qu'ils soient aussi responsables.
Q-Vous avez dit à plusieurs reprises : "voilà le fonctionnement des institutions sous la Vème République". Mais en quoi est-il contradictoire d'être pour J. Chirac, et en même temps pour N. Sarkozy à l'UMP ?
R- Mais il n'y a pas de contradiction. Les militants l'ont bien prouvé, et tous ceux qui ont voté pour Sarkozy l'ont bien montré. Ils sont à la fois pour les institutions de la Vème République, pour le soutien au président de la République, et pour un rajeunissement du parti majoritaire.
Q-Vous, ce matin, êtes-vous partisan d'un deuxième quinquennat de J. Chirac pour succéder à Chirac, parce que...
R- Non, non...
Q- ...toute la presse présente ce qui s'est passé hier comme le fait que les militants UMP ont élu le candidat potentiel à la succession de J. Chirac. Pour vous, pour succéder à J. Chirac, le meilleur choix c'est J. Chirac ?
R- Pour succéder à J. Chirac, le meilleur choix c'est de réussir 2005 et 2006. C'est-à-dire qu'avant 2007, il y a deux années dans lesquelles nous devrons construire, continuer à réformer notre pays, et éviter de se diviser et de se chipoter. C'est clair ?
Q-Non... Vous ne m'avez pas répondu.
R- Si. Je suis pour le rassemblement et pour l'union.
Q-Mais pour 2007 ? Parce que là, vous laissez entendre que 2005, 2006 c'est ouvert. Il peut y avoir un autre candidat ?
R- Non... Mais attendez...Arrêtez...Non, non. Je dis que si nous n'avons pas la capacité de réformer notre pays, si nous sommes incapables de ne pas nous diviser, alors 2007, ça sera quelqu'un d'autre, ça sera ni Sarkozy et ni Chirac. Je souhaite que ce soit Chirac, mais je souhaite surtout que l'on réussisse à continuer à réformer notre pays. Et pour ce faire, nous avons deux années et il ne faut pas perdre de temps.
Q-Avant dimanche, vous mettiez déjà en garde - vous vous rappelez ? - N. Sarkozy. Vous disiez : "Aucune guerre de tranchées, même larvée, avec le Gouvernement, ne sera tolérée".
R- Oui.
Q-Vous vous rappelez de cela ?
R- Eh bien, je confirme, je signe et je persiste.
Q-Mais ce principe, pardon J.-L. Debré, allez-vous vous l'appliquer désormais à vous-même à l'égard de J.-P. Raffarin ?
R- Oui, tout à fait, je ne critique plus personne, et je suis l'artisan du rassemblement.
Q-C'est-à-dire, je n'ose pas dire c'est nouveau ? Parce que...
R- Non, ce n'est pas "nouveau".
Q-...parce que vous vous rappelez de l'époque où vous disiez que "la politique de J.-P. Raffarin n'était ni lisible, ni cohérente", qu'il était - je n'ose même pas le dire -, "c'était une gestion de boutiquier"...
R- Ecoutez...Si... Attendez... Si au départ, on m'avait peut-être...Je n'ai pas d'ambition. Je n'ai pas l'ambition de devenir Premier ministre, et je n'ai pas l'ambition de devenir président de la République.
Q-Personne ne le croit...
R- Mais moi je le crois et c'est le principal. Je suis en harmonie avec moi- même, c'est ce qui compte. Ce qui est important pour moi c'est de réussir à mettre le Parlement au cur du débat politique. Et je considère que, les idées que nous portons avec Chirac sont les bonnes pour la France. Par conséquent, il faut que la politique soit plus lisible. On ne peut pas à la fois faire, par exemple, une politique de lutte contre l'insécurité sur les routes et faire de la publicité pour l'alcool. Voilà les incohérences !
Q-Mais cela, dites-le à la majorité parlementaire.
R- Je l'ai dit, je l'ai dit.
Q-Deux questions très précises. N. Sarkozy va redevenir député en Janvier , février. A ce moment-là, qui dirigera la majorité : le président de l'Assemblée, c'est-à-dire, vous ? Le président du groupe, B. Accoyer ? Ou le président de l'UMP, N. Sarkozy ?
R- Mais le président de l'Assemblée ne dirige pas la majorité. C'est le président du groupe...
Q-Il l'influence.
R- Mais je n'influence pas, vous me prêtez une influence beaucoup plus importante que j'aie en réalité. C'est le président du groupe parlementaire qui a été élu par les députés.
Q-Oui...Et pas le président de l'UMP ?
R- Non, ce n'est pas le président de l'UMP.
Q-Et lors du référendum 2005 sur l'Europe, qui devra conduire la campagne au nom de la majorité ?
R- Tous ensemble, tous ensemble !
Q-C'est-à-dire, personne ?
R- Mais si. Chacun a sa place. Ce référendum est suffisamment important pour l'avenir de l'Europe et de la France pour que personne ne reste à côté de la route. Rassemblons-nous, soyons les meilleurs artisans d'une France et d'une Europe fortes.
Q-Sinon c'est la défaite ?
R- Sinon c'est la défaite, et ce sera la division, et cela ne sera pas bon pour
la France.
Q-C'est aujourd'hui l'anniversaire de J. Chirac. Quel cadeau allezvous
lui offrir ?
R- Je ne lui souhaite jamais son anniversaire. Je souhaite simplement, je le dirai tout à l'heure : "Continuez à être comme vous êtes".
Q-C'est-à-dire ?
R- En pleine forme.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 novembre 2004)