Texte intégral
Q - Pensez-vous que, depuis juin 1997, l'articulation entre l'économique et le social se fait mieux en Europe ?
R - Pendant des années, la politique sociale européenne, à l'exception de la protection des salariés en matière de conditions de travail, a été considérée au mieux comme une simple correction des effets néfastes du marché, au pire comme un coût.
Je crois que ce qui a changé profondément depuis trois ans, c'est qu'aujourd'hui nous avons une bien meilleure articulation entre la politique économique et la politique sociale, sans doute parce que l'ensemble des gouvernements européens ont pris conscience de la nécessité de lutter contre le chômage. Cette articulation s'est révélée d'abord par la prise en compte de l'objectif emploi dans la définition des grandes orientations de politique économique. Et, à cet égard, les conclusions du Sommet européen de Lisbonne sont très intéressantes puisque, pour la première fois, les Quinze ont dit qu'il fallait un taux de croissance supérieur à 3 %, une politique budgétaire et monétaire qui accompagne cette croissance, pour parvenir au plein emploi.
Ensuite, le processus dit de Luxembourg que les Quinze mettent en place depuis trois ans maintenant, a permis, de considérer que la politique sociale - même si elle a ses objectifs autonomes de réduction des inégalités, de définition de droits sociaux fondamentaux -, est aussi un investissement sur le plan économique. Donc, nous avons fortement progressé sur l'idée qu'une société plus solidaire est aussi une économie plus performante.
Q - Sans doute reste-t-il encore beaucoup de chemin à parcourir pour parler d'une vraie Europe sociale...
R -·Le grand objectif de l'Agenda social européen, tel que la France l'a proposé, et qui sera examiné au Sommet de Nice en décembre prochain, est de prouver que nous avons la même volonté et la même énergie pour mettre en place une véritable Europe sociale qu'à créer le marché unique ou l'euro. Sur cinq années, nous voulons dessiner les objectifs, les thèmes qui seront abordés, le calendrier, et les outils qui seront utilisés.
Q - Envisagez-vous des objectifs chiffrés ?
R - Je pense que quand on touche les hommes et les problèmes sociaux, on ne doit pas être uniquement dans la statistique. Nous savons bien, par exemple que, lorsqu'on lutte contre l'exclusion sociale et la pauvreté, un indicateur comme le pourcentage de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté - défini relativement - dans un pays donné, n'est pas obligatoirement significatif de la réalité de l'exclusion. Les causes de l'exclusion - la maladie, le chômage, les problèmes personnels - ne se retrouvent pas dans des indicateurs globaux. La qualité des politiques publiques menées, les moyens mis en uvre, la multiplicité des outils sont des réponses essentielles.
Nous souhaitons, durant la présidence française, engager un processus similaire à celui de Luxembourg sur l'emploi : une stratégie européenne de lutte contre l'exclusion sociale et la pauvreté. Sur ce thème, nos objectifs sont particulièrement ambitieux. Nous devons mettre la lutte contre l'exclusion au cur du modèle social européen. Pour des millions de nos concitoyens, les plus fragiles, les plus éloignés de l'emploi, c'est le signe que l'Europe est sensible à ce que ses habitants vivent, à leurs soucis, à leur détresse. Nous souhaitons fixer des objectifs quantifiés non pas globaux mais d'amélioration de la situation de chaque pays, accompagnés d'engagements sur les moyens humains et financiers à mettre en uvre pour pouvoir répondre à ce souci.
Q - Sur l'exclusion, comment allez-vous procéder concrètement ?
R - En matière de logement, par exemple, chaque Etat membre pourra partir de son diagnostic sur le nombre de personnes vivant sans domicile fixe ou dans des logements insalubres, et il sera amené à dire ce qu'il fait pour améliorer la situation. Nous parlerons aussi de l'accès aux soins des plus démunis, ce qui est mis en place pour y répondre. Les réponses peuvent différer d'un pays à l'autre puisque, dans certains cas, le rôle dévolu à l'Etat est majeur, pour d'autres, les régions ou les collectivités locales sont sollicitées, pour d'autres enfin, ce sont les systèmes de sécurité sociale ou les associations qui jouent le rôle essentiel. Il nous paraît très important que, dans ce processus, la mobilisation des différents acteurs occupe un chapitre important de nos engagements. Et d'ailleurs, nous souhaitons, comme je l'ai fait lors du conseil informel qui vient de se réunir à Paris, faire participer les associations à ce qui sera le processus de Nice contre l'exclusion. Je souhaite qu'il existe au niveau européen un "dialogue civil ", comme existe aujourd'hui un dialogue social avec les organisations patronales et syndicales.
Q - Vous avez évoqué l'objectif de 3 % de croissance arrêté à Lisbonne. Peut-on fixer de la même manière, un seuil maximal pour le chômage ?
R - Le problème est toujours le même : c'est celui de la fiabilité des statistiques au niveau européen. Les pays qui connaissent bien leur nombre de chômeurs, car ceux-ci ont intérêt à s'inscrire à l'Agence pour l'emploi, demandent depuis un certain temps que soient rendues plus fiables les statistiques européennes. En parlant de taux d'activité par classe d'âge, par exemple, on aurait une appréciation plus claire de la réalité du chômage. Quand Tony Blair est arrivé, il a ajouté d'un coup 500.000 chômeurs aux statistiques britanniques ! On voit donc bien que ces statistiques globales doivent encore être affinées.
Q - A part ce volet pour la lutte contre l'exclusion, qu'y a-t-il dans l'Agenda social ?
R - En premier lieu, nous allons souligner que le plein emploi est désormais un objectif partagé par tous les gouvernements et que l'articulation des politiques économiques et sociales doit permettre de poursuivre cet objectif de plein emploi. Mais nous allons surtout insister à présent sur la qualité des emplois en termes d'intérêt du travail, de compétence, de qualification... Nous allons combiner démarche quantitative et démarche qualitative. Ensuite, nous allons poursuivre la mise en place des droits sociaux fondamentaux. Nous allons notamment insister sur les nouvelles sécurités pour les travailleurs. Je pense à la formation tout au long de la vie, et à un observatoire des mutations industrielles afin de prévoir les emplois de demain et préparer les salariés à acquérir les compétences nécessaires tout en progressant personnellement. Bien sûr, il faut continuer à avancer sur la participation des salariés aux décisions qui les intéressent directement, sur les droits et la protection des catégories particulières : l'égalité hommes-femmes, les salariés âgés, les handicapés, les chômeurs de longue durée... Enfin, il y a un chapitre de l'agenda qui me tient à cur comme l'Europe va mieux, je pense qu'elle doit aussi se tourner vers l'extérieur, vers les pays candidats à l'adhésion et vers les pays les plus pauvres.
Q - Le dialogue social n'est-il pas le grand absent de l'Agenda social ?
R - Pas du tout, c'est un élément extrêmement important. L'excellent document de la Commission dit clairement que l'Agenda social doit combiner l'ensemble des méthodes d'action au niveau européen en fonction des domaines directives, " coordination ouverte ", fonds structurels, mais aussi négociation collective... Le dialogue social est essentiel et doit se renforcer. Négociation collective et intervention législative se renforcent mutuellement. Je me réjouis d'ailleurs que les partenaires sociaux européens commencent une négociation sur le travail intérimaire.
Q - Souhaitez-vous que la charte des droits fondamentaux soit intégrée dans le Traité de l'Union européenne ?
R - Que serait une charte européenne des droits fondamentaux dépourvue de valeur juridique ? Ceci dit, je pense que l'on ne peut pas aujourd'hui parvenir à une charte des droits fondamentaux ambitieuse et concrète - avec non pas des droits théoriques à accrocher au fronton de nos mairies, mais des droits réels -, et une charte qui soit en même temps, d'emblée et dans sa totalité, contraignante. Il faut que nous réfléchissions à une intégration progressive de ces droits dans le traité. Prenons un exemple : qu'est-ce qui empêche aujourd'hui d'intégrer, quand la charte sera adoptée, le droit syndical dans le traité ?
Q - Parce que le droit syndical existe déjà dans tous les Etats membres ?
R - Oui, et surtout parce qu'aujourd'hui, on pourrait sanctionner l'application de ce droit. En revanche, vous ne pouvez pas faire la même chose avec l'accès aux soins. Si vous inscrivez le droit à l'accès aux soins pour tous dans le traité, vous savez très bien que vous ne pourrez pas le sanctionner aujourd'hui. Je préfère donc avoir une charte au volet social ambitieux et concret qui s'intégrera peu à peu dans les textes fondateurs de l'Europe.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2000)
R - Pendant des années, la politique sociale européenne, à l'exception de la protection des salariés en matière de conditions de travail, a été considérée au mieux comme une simple correction des effets néfastes du marché, au pire comme un coût.
Je crois que ce qui a changé profondément depuis trois ans, c'est qu'aujourd'hui nous avons une bien meilleure articulation entre la politique économique et la politique sociale, sans doute parce que l'ensemble des gouvernements européens ont pris conscience de la nécessité de lutter contre le chômage. Cette articulation s'est révélée d'abord par la prise en compte de l'objectif emploi dans la définition des grandes orientations de politique économique. Et, à cet égard, les conclusions du Sommet européen de Lisbonne sont très intéressantes puisque, pour la première fois, les Quinze ont dit qu'il fallait un taux de croissance supérieur à 3 %, une politique budgétaire et monétaire qui accompagne cette croissance, pour parvenir au plein emploi.
Ensuite, le processus dit de Luxembourg que les Quinze mettent en place depuis trois ans maintenant, a permis, de considérer que la politique sociale - même si elle a ses objectifs autonomes de réduction des inégalités, de définition de droits sociaux fondamentaux -, est aussi un investissement sur le plan économique. Donc, nous avons fortement progressé sur l'idée qu'une société plus solidaire est aussi une économie plus performante.
Q - Sans doute reste-t-il encore beaucoup de chemin à parcourir pour parler d'une vraie Europe sociale...
R -·Le grand objectif de l'Agenda social européen, tel que la France l'a proposé, et qui sera examiné au Sommet de Nice en décembre prochain, est de prouver que nous avons la même volonté et la même énergie pour mettre en place une véritable Europe sociale qu'à créer le marché unique ou l'euro. Sur cinq années, nous voulons dessiner les objectifs, les thèmes qui seront abordés, le calendrier, et les outils qui seront utilisés.
Q - Envisagez-vous des objectifs chiffrés ?
R - Je pense que quand on touche les hommes et les problèmes sociaux, on ne doit pas être uniquement dans la statistique. Nous savons bien, par exemple que, lorsqu'on lutte contre l'exclusion sociale et la pauvreté, un indicateur comme le pourcentage de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté - défini relativement - dans un pays donné, n'est pas obligatoirement significatif de la réalité de l'exclusion. Les causes de l'exclusion - la maladie, le chômage, les problèmes personnels - ne se retrouvent pas dans des indicateurs globaux. La qualité des politiques publiques menées, les moyens mis en uvre, la multiplicité des outils sont des réponses essentielles.
Nous souhaitons, durant la présidence française, engager un processus similaire à celui de Luxembourg sur l'emploi : une stratégie européenne de lutte contre l'exclusion sociale et la pauvreté. Sur ce thème, nos objectifs sont particulièrement ambitieux. Nous devons mettre la lutte contre l'exclusion au cur du modèle social européen. Pour des millions de nos concitoyens, les plus fragiles, les plus éloignés de l'emploi, c'est le signe que l'Europe est sensible à ce que ses habitants vivent, à leurs soucis, à leur détresse. Nous souhaitons fixer des objectifs quantifiés non pas globaux mais d'amélioration de la situation de chaque pays, accompagnés d'engagements sur les moyens humains et financiers à mettre en uvre pour pouvoir répondre à ce souci.
Q - Sur l'exclusion, comment allez-vous procéder concrètement ?
R - En matière de logement, par exemple, chaque Etat membre pourra partir de son diagnostic sur le nombre de personnes vivant sans domicile fixe ou dans des logements insalubres, et il sera amené à dire ce qu'il fait pour améliorer la situation. Nous parlerons aussi de l'accès aux soins des plus démunis, ce qui est mis en place pour y répondre. Les réponses peuvent différer d'un pays à l'autre puisque, dans certains cas, le rôle dévolu à l'Etat est majeur, pour d'autres, les régions ou les collectivités locales sont sollicitées, pour d'autres enfin, ce sont les systèmes de sécurité sociale ou les associations qui jouent le rôle essentiel. Il nous paraît très important que, dans ce processus, la mobilisation des différents acteurs occupe un chapitre important de nos engagements. Et d'ailleurs, nous souhaitons, comme je l'ai fait lors du conseil informel qui vient de se réunir à Paris, faire participer les associations à ce qui sera le processus de Nice contre l'exclusion. Je souhaite qu'il existe au niveau européen un "dialogue civil ", comme existe aujourd'hui un dialogue social avec les organisations patronales et syndicales.
Q - Vous avez évoqué l'objectif de 3 % de croissance arrêté à Lisbonne. Peut-on fixer de la même manière, un seuil maximal pour le chômage ?
R - Le problème est toujours le même : c'est celui de la fiabilité des statistiques au niveau européen. Les pays qui connaissent bien leur nombre de chômeurs, car ceux-ci ont intérêt à s'inscrire à l'Agence pour l'emploi, demandent depuis un certain temps que soient rendues plus fiables les statistiques européennes. En parlant de taux d'activité par classe d'âge, par exemple, on aurait une appréciation plus claire de la réalité du chômage. Quand Tony Blair est arrivé, il a ajouté d'un coup 500.000 chômeurs aux statistiques britanniques ! On voit donc bien que ces statistiques globales doivent encore être affinées.
Q - A part ce volet pour la lutte contre l'exclusion, qu'y a-t-il dans l'Agenda social ?
R - En premier lieu, nous allons souligner que le plein emploi est désormais un objectif partagé par tous les gouvernements et que l'articulation des politiques économiques et sociales doit permettre de poursuivre cet objectif de plein emploi. Mais nous allons surtout insister à présent sur la qualité des emplois en termes d'intérêt du travail, de compétence, de qualification... Nous allons combiner démarche quantitative et démarche qualitative. Ensuite, nous allons poursuivre la mise en place des droits sociaux fondamentaux. Nous allons notamment insister sur les nouvelles sécurités pour les travailleurs. Je pense à la formation tout au long de la vie, et à un observatoire des mutations industrielles afin de prévoir les emplois de demain et préparer les salariés à acquérir les compétences nécessaires tout en progressant personnellement. Bien sûr, il faut continuer à avancer sur la participation des salariés aux décisions qui les intéressent directement, sur les droits et la protection des catégories particulières : l'égalité hommes-femmes, les salariés âgés, les handicapés, les chômeurs de longue durée... Enfin, il y a un chapitre de l'agenda qui me tient à cur comme l'Europe va mieux, je pense qu'elle doit aussi se tourner vers l'extérieur, vers les pays candidats à l'adhésion et vers les pays les plus pauvres.
Q - Le dialogue social n'est-il pas le grand absent de l'Agenda social ?
R - Pas du tout, c'est un élément extrêmement important. L'excellent document de la Commission dit clairement que l'Agenda social doit combiner l'ensemble des méthodes d'action au niveau européen en fonction des domaines directives, " coordination ouverte ", fonds structurels, mais aussi négociation collective... Le dialogue social est essentiel et doit se renforcer. Négociation collective et intervention législative se renforcent mutuellement. Je me réjouis d'ailleurs que les partenaires sociaux européens commencent une négociation sur le travail intérimaire.
Q - Souhaitez-vous que la charte des droits fondamentaux soit intégrée dans le Traité de l'Union européenne ?
R - Que serait une charte européenne des droits fondamentaux dépourvue de valeur juridique ? Ceci dit, je pense que l'on ne peut pas aujourd'hui parvenir à une charte des droits fondamentaux ambitieuse et concrète - avec non pas des droits théoriques à accrocher au fronton de nos mairies, mais des droits réels -, et une charte qui soit en même temps, d'emblée et dans sa totalité, contraignante. Il faut que nous réfléchissions à une intégration progressive de ces droits dans le traité. Prenons un exemple : qu'est-ce qui empêche aujourd'hui d'intégrer, quand la charte sera adoptée, le droit syndical dans le traité ?
Q - Parce que le droit syndical existe déjà dans tous les Etats membres ?
R - Oui, et surtout parce qu'aujourd'hui, on pourrait sanctionner l'application de ce droit. En revanche, vous ne pouvez pas faire la même chose avec l'accès aux soins. Si vous inscrivez le droit à l'accès aux soins pour tous dans le traité, vous savez très bien que vous ne pourrez pas le sanctionner aujourd'hui. Je préfère donc avoir une charte au volet social ambitieux et concret qui s'intégrera peu à peu dans les textes fondateurs de l'Europe.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2000)