Texte intégral
Q - A entendre le président de la République, le Premier ministre, le ministre de l'Économie et vous-même, la désindustrialisation guette la France. Pourquoi aujourd'hui ces mises en garde ? Y a-t-il une accélération du phénomène ?
R - Je préfère parler de politique industrielle plutôt que de désindustrialisation. Face à ce fantasme, il faut rappeler les données de base. La France est la cinquième puissance industrielle du monde et compte dix entreprises parmi les plus grandes du monde. Et depuis vingt ans, la part de l'industrie dans le PIB est constante à 19 % environ. Ensuite, considérons l'emploi. En quinze ans, l'industrie a perdu 600.000 emplois, même si l'économie en a gagné 1,8 millions en solde net. De ce point de vue, l'industrie française s'est beaucoup mieux tenue que la plupart des industries des partenaires européens.
En outre, les statistiques ne reflètent pas toujours la réalité parce qu'il y a eu des mouvements d'externalisation. Par exemple, les restaurants d'entreprise sur les sites industriels qui étaient intégrés aux entreprises ont été externalisés et leurs emplois sont maintenant comptabilisés dans les services. L'industrie est le coeur de l'activité des services et bien des services vivent de l'industrie. Un pays a donc besoin de ce mélange d'industries et de services et d'une économie active.
Q - Assiste-t-on à un grand retour de la politique industrielle en France ?
R - Le premier acte de politique industrielle est de donner confiance aux acteurs de notre économie. Je veux dire aux Français que notre industrie est performante, que la France a des atouts grâce à la qualité de son travail, que la productivité de l'heure travaillée y est largement supérieure à la moyenne européenne, et qu'il ne faut pas penser que la délocalisation est un phénomène inéluctable. Il faut réhabiliter le concept de politique industrielle en le réinventant. De ce point de vue, ce qui se passe pour le textile avec la Commission européenne va plutôt dans le sens de ce que les Français ont su promouvoir. On a créé un groupe de haut niveau qui définit les conditions d'une politique industrielle sectorielle européenne en matière de textile et un plan devrait être élaboré au mois de juillet. Il comprendrait une vaste zone de libre-échange pan-euro-méditerranéenne composée de 45 pays, destinés à créer un vaste marché. Nous demandons que le marché mondial soit ouvert, mais loyal et équilibré. Cela signifie que l'abaissement des droits de douane qui se pratiquent dans l'Union européenne doit avoir une contrepartie dans les autres pays. En particulier, les pics tarifaires des États-Unis sont inacceptables.
Q - Cette attitude des États-Unis a-t-elle influencé la position des pouvoirs publics français ?
R - Oui, parce que nous pensons qu'il faut les mettre face à leurs contradictions. De la même manière, nous souhaitons par rapport à la Chine que l'Union européenne reste très vigilante lorsque les quotas seront supprimés au 1er janvier 2005, et que l'OMC soit saisie en premier recours et non pas en ultime recours. Nous souhaitons également une vraie organisation à l'échelon européen de la lutte contre la contrefaçon, y compris à l'intérieur de l'Union européenne. Et nous préconisons la constitution de pôles de compétitivité où puissent se concentrer, comme à Grenoble, des centres de recherche qui coopèrent.
Q - Le gouvernement avait fait preuve de beaucoup de volontarisme dans l'affaire Asltom...
R - Notre politique est de favoriser l'émergence de champions européens. L'affaire Alstom est assez exemplaire du volontarisme du gouvernement. Nicolas Sarkozy a négocié durement avec Bruxelles. Nous ne pouvons nous en remettre purement et simplement à la doctrine de Bruxelles quand un grand pan de notre économie nationale est menacé. Quant à la doctrine libérale, je suis d'accord pour appliquer la discipline des marchés à condition que le marché soit loyal. Or, je constate que bien souvent ce n'est pas le cas.
Q - Manque-t-il selon vous à la Commission européenne une instance qui traite de politique industrielle dans l'Union ?
R - Une instance existe avec les Conseils de compétitivité qui fonctionnent comme les Conseils Ecofin. Un Conseil de compétitivité vient par exemple de se tenir où il a été question de la chimie européenne.
Q - C'est malgré tout par le seul biais de la concurrence que les dossiers industriels sont abordés. Faut-il une autre approche face à l'élargissement européen ?
R - A l'intérieur de l'Union européenne, nous ne pouvons pas accepter de voir financer par des fonds structurels des baisses de prélèvements qui s'analysent en véritables dumping social et fiscal. Ce qui a été accepté pour l'Irlande, à une époque où ce pays était vraiment déshérité, ne peut pas être généralisé aux nouveaux pays d'Europe de l'Est compte tenu de leur nombre. Nous devons rester prudents pour ne pas financer le dumping social.
Q - Craignez-vous les conséquences des délocalisations ?
R - La délocalisation peut être la meilleure comme la pire des choses : la meilleure, parce qu'elle stimule l'export et permet à des pays moins favorisés de se développer et d'augmenter leur niveau de vie. Grâce à ces développements, ces pays retiennent leur population, ce qui limite les flux migratoires vers les pays industriels. Il est vrai que la fermeture d'usines en France crée des situations souvent dramatiques. L'État doit mieux anticiper ces crises. Et il faut conditionner le versement de nos aides aux entreprises à des engagements de non-délocalisation.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 juin 2004)
R - Je préfère parler de politique industrielle plutôt que de désindustrialisation. Face à ce fantasme, il faut rappeler les données de base. La France est la cinquième puissance industrielle du monde et compte dix entreprises parmi les plus grandes du monde. Et depuis vingt ans, la part de l'industrie dans le PIB est constante à 19 % environ. Ensuite, considérons l'emploi. En quinze ans, l'industrie a perdu 600.000 emplois, même si l'économie en a gagné 1,8 millions en solde net. De ce point de vue, l'industrie française s'est beaucoup mieux tenue que la plupart des industries des partenaires européens.
En outre, les statistiques ne reflètent pas toujours la réalité parce qu'il y a eu des mouvements d'externalisation. Par exemple, les restaurants d'entreprise sur les sites industriels qui étaient intégrés aux entreprises ont été externalisés et leurs emplois sont maintenant comptabilisés dans les services. L'industrie est le coeur de l'activité des services et bien des services vivent de l'industrie. Un pays a donc besoin de ce mélange d'industries et de services et d'une économie active.
Q - Assiste-t-on à un grand retour de la politique industrielle en France ?
R - Le premier acte de politique industrielle est de donner confiance aux acteurs de notre économie. Je veux dire aux Français que notre industrie est performante, que la France a des atouts grâce à la qualité de son travail, que la productivité de l'heure travaillée y est largement supérieure à la moyenne européenne, et qu'il ne faut pas penser que la délocalisation est un phénomène inéluctable. Il faut réhabiliter le concept de politique industrielle en le réinventant. De ce point de vue, ce qui se passe pour le textile avec la Commission européenne va plutôt dans le sens de ce que les Français ont su promouvoir. On a créé un groupe de haut niveau qui définit les conditions d'une politique industrielle sectorielle européenne en matière de textile et un plan devrait être élaboré au mois de juillet. Il comprendrait une vaste zone de libre-échange pan-euro-méditerranéenne composée de 45 pays, destinés à créer un vaste marché. Nous demandons que le marché mondial soit ouvert, mais loyal et équilibré. Cela signifie que l'abaissement des droits de douane qui se pratiquent dans l'Union européenne doit avoir une contrepartie dans les autres pays. En particulier, les pics tarifaires des États-Unis sont inacceptables.
Q - Cette attitude des États-Unis a-t-elle influencé la position des pouvoirs publics français ?
R - Oui, parce que nous pensons qu'il faut les mettre face à leurs contradictions. De la même manière, nous souhaitons par rapport à la Chine que l'Union européenne reste très vigilante lorsque les quotas seront supprimés au 1er janvier 2005, et que l'OMC soit saisie en premier recours et non pas en ultime recours. Nous souhaitons également une vraie organisation à l'échelon européen de la lutte contre la contrefaçon, y compris à l'intérieur de l'Union européenne. Et nous préconisons la constitution de pôles de compétitivité où puissent se concentrer, comme à Grenoble, des centres de recherche qui coopèrent.
Q - Le gouvernement avait fait preuve de beaucoup de volontarisme dans l'affaire Asltom...
R - Notre politique est de favoriser l'émergence de champions européens. L'affaire Alstom est assez exemplaire du volontarisme du gouvernement. Nicolas Sarkozy a négocié durement avec Bruxelles. Nous ne pouvons nous en remettre purement et simplement à la doctrine de Bruxelles quand un grand pan de notre économie nationale est menacé. Quant à la doctrine libérale, je suis d'accord pour appliquer la discipline des marchés à condition que le marché soit loyal. Or, je constate que bien souvent ce n'est pas le cas.
Q - Manque-t-il selon vous à la Commission européenne une instance qui traite de politique industrielle dans l'Union ?
R - Une instance existe avec les Conseils de compétitivité qui fonctionnent comme les Conseils Ecofin. Un Conseil de compétitivité vient par exemple de se tenir où il a été question de la chimie européenne.
Q - C'est malgré tout par le seul biais de la concurrence que les dossiers industriels sont abordés. Faut-il une autre approche face à l'élargissement européen ?
R - A l'intérieur de l'Union européenne, nous ne pouvons pas accepter de voir financer par des fonds structurels des baisses de prélèvements qui s'analysent en véritables dumping social et fiscal. Ce qui a été accepté pour l'Irlande, à une époque où ce pays était vraiment déshérité, ne peut pas être généralisé aux nouveaux pays d'Europe de l'Est compte tenu de leur nombre. Nous devons rester prudents pour ne pas financer le dumping social.
Q - Craignez-vous les conséquences des délocalisations ?
R - La délocalisation peut être la meilleure comme la pire des choses : la meilleure, parce qu'elle stimule l'export et permet à des pays moins favorisés de se développer et d'augmenter leur niveau de vie. Grâce à ces développements, ces pays retiennent leur population, ce qui limite les flux migratoires vers les pays industriels. Il est vrai que la fermeture d'usines en France crée des situations souvent dramatiques. L'État doit mieux anticiper ces crises. Et il faut conditionner le versement de nos aides aux entreprises à des engagements de non-délocalisation.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 juin 2004)