Déclaration de M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, sur la coopération universitaire franco-algérienne, notamment dans le domaine médical, Dergana le 13 octobre 2004.

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Circonstance : Voyage de Xavier Darcos en Algérie, les 13 et 14 octobre 2004 : allocution à la faculté de médecine de Dergana le 13

Texte intégral

Monsieur le Doyen,
Mesdames et Messieurs les Professeurs et Membres du corps enseignant et d'encadrement,
Chères Étudiantes et Chers Étudiants,
Je suis très heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de m'adresser à vous, étudiantes et étudiants de la jeune faculté de médecine de Dergana, et je le suis pour trois raisons.
Tout d'abord, j'ai été longtemps professeur et j'ai toujours plaisir à rencontrer des étudiants et à dialoguer avec eux.
Ensuite, avant d'occuper mes fonctions actuelles de ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, j'ai été ministre délégué à l'Enseignement scolaire et, à ce titre, je continue de porter un très vif intérêt aux questions d'enseignement, de pédagogie et de politique éducative.
Enfin et surtout, c'est la première fois, dans le cadre de mes fonctions, qu'il m'est donné de m'adresser, à travers vous, à l'ensemble de nos amis algériens, au nom de la coopération française.
Je voudrais, en premier lieu, faire écho aux propos tenus par les autres ministres français qui se sont rendus nombreux cette année dans ce pays et réaffirmer que la France est bien aux côtés de l'Algérie, de sa jeunesse - c'est-à-dire son avenir -, pour l'aider à relever les défis auxquels elle est confrontée. Au premier rang de ceux-ci, il y a celui, immense, du développement économique et social d'un pays, le vôtre, dont les potentialités sont considérables.
Il n'est pas indifférent que ce soit dans cette université, avec vous, que je souhaite commencer par engager le dialogue, à peine descendu de l'avion, pour ces deux jours de visite en Algérie. C'est là mon premier déplacement en Afrique du Nord et dans le monde arabe depuis que je suis en fonction.
C'est qu'en effet, l'Université est bien le lieu, l'un des lieux clefs, où s'élabore l'avenir d'un pays. C'est là que les jeunes femmes et les jeunes hommes que vous êtes acquièrent les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être qui feront l'Algérie de demain. C'est donc un défi considérable pour l'Université que de transmettre ces savoirs et de ne pas décevoir sa jeunesse. Ainsi se construit le "développement humain", celui par lequel, en créant les conditions d'une meilleure santé et d'une meilleure éducation, nous vivons mieux.
Le défi est de taille. L'Algérie est riche de sa jeunesse : il faut pouvoir répondre à ses immenses besoins de formation et de qualification et lui offrir l'assurance d'un avenir meilleur dans des délais très courts.
C'est une affaire d'argent, certes : il faut accueillir et donc bâtir les infrastructures. Mais c'est surtout une affaire de ressources humaines. Et l'urgence est grande : il faut former les enseignants, les cadres, les chercheurs de demain, mais il faut former en même temps ceux d'aujourd'hui ! Notre relation peut nous y aider.
En effet, les relations entre les universités de nos deux pays offrent à la France une occasion exceptionnelle de manifester son appui. Ces relations, vous le savez, n'ont jamais cessé. Elles ont perduré au plus fort des années difficiles qu'ait traversées votre pays, manifestant notre proximité de manière éclatante. C'est ce terreau qu'il nous faut exploiter.
C'est sur ce socle, en tout cas, que les deux gouvernements ont souhaité bâtir un partenariat plus approfondi, plus exigeant aussi, concourant plus directement au développement humain de l'Algérie, et pour tout dire à son mieux-être. C'est là, vous le savez, l'une des grandes priorités manifestées par les présidents de nos deux pays lorsqu'ils ont signé, en 2003, la Déclaration d'Alger.
Depuis cette date, nos deux pays ont beaucoup travaillé pour donner un nouvel élan à notre partenariat. Je viens en Algérie pour donner le coup d'envoi de deux grandes réalisations qui vont y contribuer de façon décisive et qui illustrent bien mon propos.
Il s'agit de l'École supérieure algérienne des Affaires (ESAA) qui, avec l'appui de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, va développer des formations d'excellence dans les domaines de la gestion, du management et former ainsi de nouvelles générations d'entrepreneurs.
Il s'agit aussi - et cela vous intéresse plus directement - du Haut Conseil franco-algérien de coopération universitaire et de recherche. Cette instance a vocation à mettre notre capacité de coopération le plus efficacement possible au service de l'université et de l'enseignement supérieur algériens pour l'aider dans sa modernisation.
Je pense notamment à la professionnalisation des filières, aux formations aux métiers dont le marché de l'emploi a besoin, à l'ouverture sur le monde, à la mise en réseau avec des établissements partenaires, que ce soit en France ou dans l'Union européenne, ou encore au développement de partenariats avec les grands organismes de recherche français.
Je le disais en commençant mon propos, il n'est pas indifférent que je m'adresse à vous ici à Dergana, jeunes étudiantes et étudiants, qui commencez votre cursus en médecine. C'est l'occasion pour moi de vous délivrer trois messages :
Le premier a trait à la médecine et à la santé. Vous vous engagez à exercer une profession dans un domaine qui est prioritaire pour le développement de votre pays. L'Algérie a fait de grands investissements dans le domaine de la santé et des progrès importants ont été réalisés : la mortalité infantile a fortement diminué ; le personnel médical et paramédical est aujourd'hui qualifié et de qualité.
Pour autant, la politique de soins doit être améliorée, de même que la gestion des établissements hospitaliers. C'est un domaine de coopération que nos deux gouvernements jugent prioritaire.
Le Comité des projets de coopération, qui se réunit aujourd'hui, examinera précisément des propositions d'actions de coopération dans trois domaines stratégiques :
- tout d'abord, l'appui à la formation d'équipes algériennes pour les soins de haut niveau. Il est en effet urgent de substituer au transfert de malades à l'étranger une compétence, ici en Algérie, pour la formation des médecins qualifiés. Cela a déjà commencé pour les greffes de moelle osseuse, la chirurgie orthopédique et cardiovasculaire ; ce sera bientôt le cas pour la cardiologie et la prise en charge de la douleur.
- Ensuite l'appui à la réforme hospitalière par les partenariats CHU-EHU. Ainsi, deux partenariats nouveaux vont démarrer bientôt : l'un entre le CHU de Montpellier et l'EHU d'Oran, qui vient d'être signé ; l'autre entre le CHU d'Annaba et celui de Saint-Étienne.
- Enfin, le domaine de la recherche médicale, notamment en ce qui concerne la prise en charge des maladies génétiques, les affections respiratoires et la génétique neuromusculaire.
L'Algérie a besoin de ses médecins comme de tous ses cadres qualifiés. C'est un postulat que nous partageons et c'est pour cela aussi que nous développons notre coopération dans le domaine de la santé, ici et maintenant l'objectif est de rendre l'exercice de la médecine et des professions de santé suffisamment attractif pour que les professionnels restent au pays.
Certes, je n'ignore pas que les conditions de travail et de vie au pays sont difficiles et que la tentation est grande pour les cadres qualifiés, que vous allez devenir, d'émigrer dans un pays où les conditions offertes sont meilleures. Ce défi de l'exil est au moins aussi important pour l'Algérie que celui de l'amélioration de son système de santé. Nous y sommes très sensibles et nous devons travailler ensemble à l'examen des moyens que nous pourrions mettre en oeuvre pour favoriser le maintien au pays des compétences.
D'ailleurs, cette question dépasse très largement le seul domaine des professions médicales. Savez-vous que l'OCDE recense plus de 214.000 Algériens diplômés de l'enseignement supérieur qui sont expatriés en Europe ou aux États-Unis, soit 214.000 cadres algériens qui ne travaillent pas au pays ? Et le problème ne concerne pas la seule Algérie : s'agissant de la médecine, on estime que 15.000 médecins arabes ont émigré en 1998 et 2000 dans les pays développés, principalement en France.
C'est là un phénomène d'une ampleur considérable, qui constitue un frein pour le développement du pays et un manque à gagner pour sa croissance. Je sais la préoccupation du président Bouteflika dans ce domaine et son souhait que la France ou d'autres pays n'encouragent pas ce mouvement par des politiques trop incitatives.
Il nous faut donc inventer les instruments et les dispositifs qui inciteront les Algériens qualifiés à rester au pays et les expatriés à consacrer de leur temps à leur pays d'origine.
Considérons que la présence d'une émigration algérienne qualifiée en France peut être une opportunité pour notre coopération ! Considérons que l'intérêt des étudiants algériens pour la France est une occasion à saisir pour développer notre coopération ! Faisons d'eux des acteurs de coopération et pas seulement des bénéficiaires ! Il y a là, me semble-t-il, des perspectives qui peuvent renouveler le cadre de notre coopération. Je compte proposer à mes interlocuteurs que nous y réfléchissions ensemble. Ce pont entre les deux rives de la Méditerranée, fait d'une noria d'échanges, mérite d'être mieux exploité pour le développement de l'Algérie.
Dès l'an prochain, nous proposerons à l'Algérie, mais aussi à tous les pays qui ont une population émigrée, de travailler à un grand projet d'aide à la mobilisation au service de leur pays d'origine.
Je voudrais maintenant aborder un sujet dont je ne pouvais ne pas parler aujourd'hui avec vous, parce qu'il est un outil essentiel de notre coopération et qu'il cimente la relation franco-algérienne, je veux parler de la langue française.
Pour être plus exact, je devrais parler d'abord de nos langues respectives, le français et l'arabe, parce que c'est d'abord la relation singulière qu'elles ont nouée qui donne à la langue française ce statut d'instrument hors du commun de notre dialogue et, au final, de notre coopération.
Cette relation entre nos langues, faite d'emprunts respectifs, a produit de longue date un enrichissement mutuel et forgé, au fil de l'histoire, un fonds culturel partagé. Ces deux langues ont aussi ceci de commun qu'elles sont véritablement, l'une et l'autre, des langues de culture : leur patrimoine dépasse leurs frontières géographiques.
On peut dire qu'aujourd'hui, il existe entre elles une relation librement consentie : il y a d'un côté en France près de 3,5 millions de citoyens d'origine arabe qui ont gardé un lien avec leur langue et leur culture d'origine et de l'autre, la langue française, que Kateb Yacine appelait son "butin de guerre" et qui continue de rester présente dans les pays arabes et notamment du Maghreb.
Par-delà ces héritages et cette relation, il y a, aujourd'hui, une communauté d'intérêts et de vues entre nos langues et chacun de nos présidents a pu le souligner ces dernières années. Nous accordons en effet la même importance au dialogue culturel et à son soubassement, la diversité culturelle.
L'un des grands messages du Sommet de la Francophonie de Beyrouth, en 2002, reste celui du président Bouteflika sur le nécessaire respect des identités et des cultures, condition d'une mondialisation humanisée et qui refuse l'uniformité.
En écho, je rappellerai l'initiative du président Jacques Chirac pour faire de la défense de la diversité culturelle une référence normative, par la préparation d'une convention internationale à l'UNESCO, convention appelée à reconnaître la spécificité des biens culturels, eux-mêmes produits de nos cultures.
La France et l'Algérie ont d'ailleurs une grande proximité de vues dans la préparation de la négociation de cette convention qui constitue un enjeu considérable pour l'avenir du monde : l'existence d'un cinéma français ou d'une musique algérienne dans les vingt années qui viennent, se joue aujourd'hui.
Par ailleurs, la langue française vous concerne très directement puisqu'elle constitue en Algérie la langue de travail de l'enseignement supérieur, notamment dans les disciplines scientifiques comme la médecine. C'est un choix que nous respectons et dont je souhaite vous dire ici que nous sommes disposés à continuer de l'accompagner.
Je sais que la langue française est d'un usage difficile et exigeant pour vous qui avez accompli l'essentiel de vos études en langue arabe. Je sais aussi qu'à Dergana un investissement important a été fait pour concevoir une méthode spécifique, à la fois linguistique et pédagogique, vous aidant à mieux utiliser cette langue dans vos études. Je souhaite d'ailleurs en féliciter les universitaires algériens et français qui en sont les auteurs. Ce sont là des actes forts de coopération.
Cet appui qui est le nôtre, il existe aussi à l'échelle de l'Algérie. Cet après-midi, lors de la réunion inaugurale du Haut Conseil franco-algérien de coopération universitaire et de recherche, je pourrai annoncer que le projet d'école doctorale de français, conçu avec le ministère algérien de l'enseignement supérieur, pour un montant de 6,5 millions d'euros, démarrera très prochainement. Cette école aura pour but de former des enseignants qui, dans les universités comme la vôtre et dans tous les établissements qui le souhaiteront, pourront favoriser l'acquisition de ce "français fonctionnel".
Cette langue que nous avons en partage représente évidemment aussi un atout pour notre coopération. Elle facilite nos échanges ainsi que, je le souhaite, votre mobilité en France, lors de votre formation dans les différents établissements universitaires qui vous accueilleront. Elle permet précisément de passer ce pont entre les deux rives de la Méditerranée.
Cher Doyen,
Chers Professeurs,
Chers Étudiantes et Étudiants,
Je crois avoir été déjà bien long et je voudrais pouvoir maintenant vous entendre et mieux comprendre vos attentes pour que nous puissions éventuellement y répondre.
J'espère vous avoir convaincu que le souci qui est le mien et qui anime notre coopération en faveur de l'Algérie est de donner la priorité à la formation, à la "ressource humaine". Dans ces domaines, notre proximité culturelle, les valeurs que nous partageons, notre complicité autorisent la France à tenir une place privilégiée aux côtés de l'Algérie. Mais c'est aussi et surtout parce qu'il y a là un enjeu concret et immédiat pour le développement humain et économique de votre pays. Nous sommes prêts à y prendre toute notre part.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2004)