Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, merci de recevoir "La Lettre de la rue Saint-Guillaume ". Ce numéro de notre revue est consacré aux problèmes posés par la redéfinition des concepts et des tâches de la Défense nationale et européenne dans le monde postsoviétique. Vous avez bien voulu prendre connaissance des articles écrits à cette occasion et c'est donc sur les idées qui y sont développés que portera notre entretien. Tout d'abord, il est vrai que la défense n'est vraiment plus ressentie aujourd'hui comme une condition de survie de la nation. Comment faut-il la présenter pour la justifier ?
R - Les risques pouvant porter sur la survie de la nation ne s'analysent pas à l'horizon de la décennie. Aujourd'hui, on peut raisonnablement soutenir qu'on ne perçoit pas de risque affectant notre sécurité vitale. Pour combien de temps ? Je ne le sais pas. Le système de défense vit à un rythme et à un horizon de prévoyance qui n'est pas celui du quotidien, il doit rester adapté à des risques potentiels ou imprévus. Deuxièmement, pour survivre une nation n'a pas simplement besoin d'être physiquement préservée, elle a aussi besoin d'exercer une influence et de peser sur les évènements. Pour avoir un rôle international significatif, il faut avoir la capacité de maîtriser la violence. Sinon, il y a une quantité de thèmes d'action internationale sur lesquels notre pays sera tenu pour quantité négligeable.
La France a des responsabilités en matière de sécurité, elle a des alliances ou des accords de défense qui justifient que ses forces armées soient disponibles et je crois que les Français le comprennent bien.
Q - Justement, c'est la seconde partie de l'article de Jean-Marie Guehénno : "Notre influence sur la gestion des crises va dépendre des moyens militaires mis en oeuvre, mais ceux-ci reflètent la conception que les Européens se font de leurs responsabilités collectives". Alors quelles sont ces responsabilités ?
R - L'Europe de la défense est une amélioration et espérons-le, une démultiplication de l'influence des Européens dans les crises, mais il serait vain, irréel, de prétendre qu'aujourd'hui la Défense européenne pourrait se substituer aux actions nationales. Nos amis Britanniques ont une influence, aujourd'hui, sur la gestion de la crise de Sierra Leone. Nous avons une influence sur la façon dont peut évoluer le contexte du Liban Sud. Ce rôle, nous l'exerçons en tant que nations et pas en tant que composantes de l'Europe. Donc, il faut éviter les généralisations hâtives.
Cela n'empêche pas que je souhaite ardemment que l'Europe de la défense avance. Simplement chacun a noté que l'ambition collective à laquelle ont souscrit les chefs d'Etat et le gouvernement de l'Union européenne, c'est de pouvoir intervenir efficacement dans les crises européennes ou touchant à l'environnement européen, et par ailleurs, d'améliorer notre contribution aux opérations des Nations unies. L'Europe n'a pas aujourd'hui le cahier des charges d'une superpuissance militaire. Cela veut dire très concrètement que le mieux est l'ennemi du bien et que si nous sommes capables de traiter les crises dans notre propre environnement, nous aurons contribué, dans cette phase historique, au rééquilibrage des responsabilités internationales. Nos successeurs iront plus loin, je l'espère ; mais si nous nous croyons à leur place nous échouerons dans nos tâches d'aujourd'hui et nous les priverons des opportunités de demain.
Q - François Heisbourg, lui, fait remarquer que les armées européennes comptent 500.000 hommes et plus que celles des Etats-Unis et dépensent trois fois moins en équipement par soldat. Est-ce que c'est une situation qui est destinée à durer ?
R - L'un des risques que courent les Européens, en général, c'est de ne pas se fixer une barre assez haute, en termes de moyens de supériorité. Quand vous choisissez de prendre parti dans une situation de crise politico-militaire, il vaut mieux que vous gagniez. Quand on approche de la prise de décision, en pareille matière, on cherche à se donner un certain nombre de garanties. Si on n'en dispose pas, on décide à la fin de ne pas y aller, ce qui laisse d'autres peser sur l'issue. Il y a donc une relation directe entre le niveau d'efficacité militaire des Européens et leur capacité à peser effectivement sur des situations difficiles. Quand il s'agit de ce qu'on appelle des conflits de faible intensité, se pose le problème de la détermination politique beaucoup plus que celui de la capacité à surmonter la violence que l'on a en face. Mais le bouillonnement de l'actualité politico-militaire ne permet pas d'affirmer qu'on aura toujours affaire à des conflits de faible intensité. On l'a vu avec une confrontation, pourtant limitée géopolitiquement, comme le Kosovo l'année dernière. A cet égard, donc, l'acceptation par les Européens d'objectifs qualitatifs ambitieux en matière d'efficacité militaire est une condition de crédibilité de l'Europe. Les textes adoptés aux derniers conseils européens en la matière, à Cologne et Helsinki, indiquent bien que cette exigence d'ambition a été assumée. A nous, maintenant, de l'accomplir dans les actes.
Q - Puisque nous parlons des questions européennes, les dernières initiatives ont été prises avec les Britanniques. Que peut faire la France avec l'Allemagne ? La conception retenue jusqu'à présent d'une armée de conscription n'a-t-elle pas gêné la coopération ?
R - D'abord, je fais partie des Européens pour qui le traité franco-allemand de 1963 a été une véritable seconde fondation de l'Europe et je suis certain que ce moteur franco-allemand garde toute son importance. Deuxièmement, le dynamisme britannique sur ce point ne peut être que positif. Cela montre que la Grande-Bretagne n'est pas forcément ankylosée dans une attitude eurosceptique. De surcroît, ce dialogue franco-britannique est pertinent parce que nous sommes les deux pays qui ont aujourd'hui les systèmes de défense les plus divers dans leurs capacités, et deux pays qui, de longue date, ont placé leurs capacités de défense en très forte synergie avec leur démarche internationale globale. Enfin, nous sommes parmi les pays qui ont justement le niveau de dépenses budgétaires, en matière d'équipement, le plus similaire.
Mais, pour revenir à l'état actuel de l'Europe de la défense, chacun voit bien que l'objet central de la construction européenne c'est que les avancées soient souhaitées et portées par tous. C'est bien comme cela que nous avons procédé et c'est ce que nous souhaitons continuer à faire. Quant aux réformes envisagées par nos amis Allemands, elles se situent dans un mouvement d'adaptation de chacune de nos nations au nouveau contexte stratégique, engagé au milieu de la décennie 90. On ne peut que se satisfaire de ce que la France ait été assez précoce. D'autres pays ont suivi la même démarche de professionnalisation, notamment nos amis Italiens et Espagnols. Que l'Allemagne fédérale se soit donné un calendrier un peu différent n'empêchera pas que nous ayons des convergences croissantes à l'avenir.
Q - Puisque l'on parle justement de la réforme des forces militaires françaises, êtes-vous inquiet ou non du risque de coupure entre l'armée et les citoyens ?
R - J'ai l'esprit assez tranquille là-dessus. Quand les autorités françaises ont choisi d'engager nos forces, dans la crise du Kosovo, les Français ont massivement approuvé la décision de recourir à la force armée. De manière plus constante, les Français reconnaissent massivement l'utilité collective de leur système de défense. Les recrutements de jeunes militaires professionnels de tous niveaux et de toutes spécialités se font avec un grand nombre de candidatures de qualité. La défense professionnelle est en même temps une défense de jeunes professionnels dans laquelle une très large majorité fera une carrière courte, poursuivra sa vie professionnelle dans la société civile. Donc l'échange de population active entre la défense et le reste de la société sera intense, d'où nos efforts prioritaires pour réussir les démarrages d'une seconde carrière des militaires qui quittent l'Etat. Si ceci est réussi, je pense que ce sera un facteur d'échanges confiants entre les armées et la nation.
Q - Tout à l'heure, nous parlions des questions budgétaires ; Dominique Moïsi, dans son article pose la question "la France peut-elle se doter d'une armée compétitive tout en continuant à entretenir un arsenal nucléaire significatif ? ".
R - Oui, je crois qu'elle peut le faire et qu'elle est en train de le faire. Il faut se souvenir que l'investissement que l'on fait en matière nucléaire n'est pas coupé des autres secteurs de haute technologie : il y a un effet de diffusion scientifique et technologique des programmes nucléaires français. Ensuite, cela renvoie à la question que nous évoquions tout à l'heure à propos du texte de Jean-Marie Guéhenno : pensons-nous que nous sommes définitivement en sécurité ? Quand les Français apportent leur approbation très majoritaire à la préservation de notre dissuasion, ils ne pensent pas qu'on puisse répondre oui, en responsabilité, à cette question. Et je suis de leur avis. Et globalement, l'effort budgétaire maintenu pour la dissuasion ne nous empêche pas d'acquérir des moyens de supériorité en matière d'armements modernes. Cela nous amène à une autre question qui est posée par Jacques Andréani sur l'attitude de la France vis-à-vis du système de défense antimissile américain.
Notre position est pragmatique ; elle consiste à interroger nos amis Américains sur l'importance relative de la menace à laquelle ce système prétend faire échec. Il faut s'interroger sur les conséquences négatives d'un déploiement des capacités antimissiles qui pourraient être bien supérieures au risque relativement limité que présentent des pays possédant de faibles capacités balistiques. Le risque existe de pousser certaines puissances nucléaires....
Q - La Chine ?
R - .....à intensifier, à augmenter les capacités de leur propre dispositif. Est-ce que cela pourrait avoir un effet de contagion sur les autres puissances à ce moment-là ? C'est précisément là-dessus que nous nous interrogeons, nous ne voulons pas du tout élever le ton sur ce sujet mais nous voyons à la fois les limites technologiques et financières à la réalisation effective de ce projet et ses effets stratégiques indésirables. Quand nous les comparons à la menace qu'il s'agit de traiter, cela nous paraît disproportionné.
L'information et le renseignement jouent aujourd'hui un rôle prépondérant dans la compétition mondiale. Dans son article, Bertrand Warusfel regrette le dispersion des services français, le fait qu'ils rendent compte à leur ministère de tutelle uniquement : DST, et Renseignement militaire pour le ministre de la Défense et qu'il n'y ait pas de véritable interface permettant de faire bénéficier tout l'exécutif de ces informations.
Cela s'appelle le Comité interministériel du renseignement. On n'appose pas des grandes pancartes devant l'entrée quand on le réunit, mais il existe.
Q - Oui mais cela se fait par réunions ponctuelles.....
R - Ces réunions sont préparées par un travail de rapprochement des services et d'échange de données.
Q - Donc, il ne vous semble pas utile d'avoir un organisme qui soit chargé de centraliser et de redistribuer de façon permanente ?
R - Cela se fait. Nous n'avons pas cru utile de publier un communiqué pour l'annoncer.
Q - Monsieur le Ministre, aujourd'hui, quelle est votre tâche tout à fait prioritaire ?
R - D'achever, pour la période pendant laquelle je suis en responsabilité, la mise en forme cohérente d'un système de défense répondant efficacement aux risques identifiés par notre pays en obtenant le soutien conscient de nos concitoyens. En priorité, il y a le bon emploi des moyens c'est-à-dire que les ressources forcément limitées que la République confie à sa défense permettent d'atteindre les objectifs visés. Il y a le développement des ressources humaines, fondées sur la compétence et la motivation. Et puis, le maintien d'échanges entre la société démocratique et l'institution militaire. J'ajoute à cela, parce que j'y crois intensément, que dans un pays très extériorisé comme le nôtre, nous avons un besoin constant de rapports de confiance et de collaboration efficace entre notre système diplomatique et notre système militaire. Nous sommes un des pays les plus avancés dans ce domaine et j'en suis particulièrement fier. .
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juin 2000)
R - Les risques pouvant porter sur la survie de la nation ne s'analysent pas à l'horizon de la décennie. Aujourd'hui, on peut raisonnablement soutenir qu'on ne perçoit pas de risque affectant notre sécurité vitale. Pour combien de temps ? Je ne le sais pas. Le système de défense vit à un rythme et à un horizon de prévoyance qui n'est pas celui du quotidien, il doit rester adapté à des risques potentiels ou imprévus. Deuxièmement, pour survivre une nation n'a pas simplement besoin d'être physiquement préservée, elle a aussi besoin d'exercer une influence et de peser sur les évènements. Pour avoir un rôle international significatif, il faut avoir la capacité de maîtriser la violence. Sinon, il y a une quantité de thèmes d'action internationale sur lesquels notre pays sera tenu pour quantité négligeable.
La France a des responsabilités en matière de sécurité, elle a des alliances ou des accords de défense qui justifient que ses forces armées soient disponibles et je crois que les Français le comprennent bien.
Q - Justement, c'est la seconde partie de l'article de Jean-Marie Guehénno : "Notre influence sur la gestion des crises va dépendre des moyens militaires mis en oeuvre, mais ceux-ci reflètent la conception que les Européens se font de leurs responsabilités collectives". Alors quelles sont ces responsabilités ?
R - L'Europe de la défense est une amélioration et espérons-le, une démultiplication de l'influence des Européens dans les crises, mais il serait vain, irréel, de prétendre qu'aujourd'hui la Défense européenne pourrait se substituer aux actions nationales. Nos amis Britanniques ont une influence, aujourd'hui, sur la gestion de la crise de Sierra Leone. Nous avons une influence sur la façon dont peut évoluer le contexte du Liban Sud. Ce rôle, nous l'exerçons en tant que nations et pas en tant que composantes de l'Europe. Donc, il faut éviter les généralisations hâtives.
Cela n'empêche pas que je souhaite ardemment que l'Europe de la défense avance. Simplement chacun a noté que l'ambition collective à laquelle ont souscrit les chefs d'Etat et le gouvernement de l'Union européenne, c'est de pouvoir intervenir efficacement dans les crises européennes ou touchant à l'environnement européen, et par ailleurs, d'améliorer notre contribution aux opérations des Nations unies. L'Europe n'a pas aujourd'hui le cahier des charges d'une superpuissance militaire. Cela veut dire très concrètement que le mieux est l'ennemi du bien et que si nous sommes capables de traiter les crises dans notre propre environnement, nous aurons contribué, dans cette phase historique, au rééquilibrage des responsabilités internationales. Nos successeurs iront plus loin, je l'espère ; mais si nous nous croyons à leur place nous échouerons dans nos tâches d'aujourd'hui et nous les priverons des opportunités de demain.
Q - François Heisbourg, lui, fait remarquer que les armées européennes comptent 500.000 hommes et plus que celles des Etats-Unis et dépensent trois fois moins en équipement par soldat. Est-ce que c'est une situation qui est destinée à durer ?
R - L'un des risques que courent les Européens, en général, c'est de ne pas se fixer une barre assez haute, en termes de moyens de supériorité. Quand vous choisissez de prendre parti dans une situation de crise politico-militaire, il vaut mieux que vous gagniez. Quand on approche de la prise de décision, en pareille matière, on cherche à se donner un certain nombre de garanties. Si on n'en dispose pas, on décide à la fin de ne pas y aller, ce qui laisse d'autres peser sur l'issue. Il y a donc une relation directe entre le niveau d'efficacité militaire des Européens et leur capacité à peser effectivement sur des situations difficiles. Quand il s'agit de ce qu'on appelle des conflits de faible intensité, se pose le problème de la détermination politique beaucoup plus que celui de la capacité à surmonter la violence que l'on a en face. Mais le bouillonnement de l'actualité politico-militaire ne permet pas d'affirmer qu'on aura toujours affaire à des conflits de faible intensité. On l'a vu avec une confrontation, pourtant limitée géopolitiquement, comme le Kosovo l'année dernière. A cet égard, donc, l'acceptation par les Européens d'objectifs qualitatifs ambitieux en matière d'efficacité militaire est une condition de crédibilité de l'Europe. Les textes adoptés aux derniers conseils européens en la matière, à Cologne et Helsinki, indiquent bien que cette exigence d'ambition a été assumée. A nous, maintenant, de l'accomplir dans les actes.
Q - Puisque nous parlons des questions européennes, les dernières initiatives ont été prises avec les Britanniques. Que peut faire la France avec l'Allemagne ? La conception retenue jusqu'à présent d'une armée de conscription n'a-t-elle pas gêné la coopération ?
R - D'abord, je fais partie des Européens pour qui le traité franco-allemand de 1963 a été une véritable seconde fondation de l'Europe et je suis certain que ce moteur franco-allemand garde toute son importance. Deuxièmement, le dynamisme britannique sur ce point ne peut être que positif. Cela montre que la Grande-Bretagne n'est pas forcément ankylosée dans une attitude eurosceptique. De surcroît, ce dialogue franco-britannique est pertinent parce que nous sommes les deux pays qui ont aujourd'hui les systèmes de défense les plus divers dans leurs capacités, et deux pays qui, de longue date, ont placé leurs capacités de défense en très forte synergie avec leur démarche internationale globale. Enfin, nous sommes parmi les pays qui ont justement le niveau de dépenses budgétaires, en matière d'équipement, le plus similaire.
Mais, pour revenir à l'état actuel de l'Europe de la défense, chacun voit bien que l'objet central de la construction européenne c'est que les avancées soient souhaitées et portées par tous. C'est bien comme cela que nous avons procédé et c'est ce que nous souhaitons continuer à faire. Quant aux réformes envisagées par nos amis Allemands, elles se situent dans un mouvement d'adaptation de chacune de nos nations au nouveau contexte stratégique, engagé au milieu de la décennie 90. On ne peut que se satisfaire de ce que la France ait été assez précoce. D'autres pays ont suivi la même démarche de professionnalisation, notamment nos amis Italiens et Espagnols. Que l'Allemagne fédérale se soit donné un calendrier un peu différent n'empêchera pas que nous ayons des convergences croissantes à l'avenir.
Q - Puisque l'on parle justement de la réforme des forces militaires françaises, êtes-vous inquiet ou non du risque de coupure entre l'armée et les citoyens ?
R - J'ai l'esprit assez tranquille là-dessus. Quand les autorités françaises ont choisi d'engager nos forces, dans la crise du Kosovo, les Français ont massivement approuvé la décision de recourir à la force armée. De manière plus constante, les Français reconnaissent massivement l'utilité collective de leur système de défense. Les recrutements de jeunes militaires professionnels de tous niveaux et de toutes spécialités se font avec un grand nombre de candidatures de qualité. La défense professionnelle est en même temps une défense de jeunes professionnels dans laquelle une très large majorité fera une carrière courte, poursuivra sa vie professionnelle dans la société civile. Donc l'échange de population active entre la défense et le reste de la société sera intense, d'où nos efforts prioritaires pour réussir les démarrages d'une seconde carrière des militaires qui quittent l'Etat. Si ceci est réussi, je pense que ce sera un facteur d'échanges confiants entre les armées et la nation.
Q - Tout à l'heure, nous parlions des questions budgétaires ; Dominique Moïsi, dans son article pose la question "la France peut-elle se doter d'une armée compétitive tout en continuant à entretenir un arsenal nucléaire significatif ? ".
R - Oui, je crois qu'elle peut le faire et qu'elle est en train de le faire. Il faut se souvenir que l'investissement que l'on fait en matière nucléaire n'est pas coupé des autres secteurs de haute technologie : il y a un effet de diffusion scientifique et technologique des programmes nucléaires français. Ensuite, cela renvoie à la question que nous évoquions tout à l'heure à propos du texte de Jean-Marie Guéhenno : pensons-nous que nous sommes définitivement en sécurité ? Quand les Français apportent leur approbation très majoritaire à la préservation de notre dissuasion, ils ne pensent pas qu'on puisse répondre oui, en responsabilité, à cette question. Et je suis de leur avis. Et globalement, l'effort budgétaire maintenu pour la dissuasion ne nous empêche pas d'acquérir des moyens de supériorité en matière d'armements modernes. Cela nous amène à une autre question qui est posée par Jacques Andréani sur l'attitude de la France vis-à-vis du système de défense antimissile américain.
Notre position est pragmatique ; elle consiste à interroger nos amis Américains sur l'importance relative de la menace à laquelle ce système prétend faire échec. Il faut s'interroger sur les conséquences négatives d'un déploiement des capacités antimissiles qui pourraient être bien supérieures au risque relativement limité que présentent des pays possédant de faibles capacités balistiques. Le risque existe de pousser certaines puissances nucléaires....
Q - La Chine ?
R - .....à intensifier, à augmenter les capacités de leur propre dispositif. Est-ce que cela pourrait avoir un effet de contagion sur les autres puissances à ce moment-là ? C'est précisément là-dessus que nous nous interrogeons, nous ne voulons pas du tout élever le ton sur ce sujet mais nous voyons à la fois les limites technologiques et financières à la réalisation effective de ce projet et ses effets stratégiques indésirables. Quand nous les comparons à la menace qu'il s'agit de traiter, cela nous paraît disproportionné.
L'information et le renseignement jouent aujourd'hui un rôle prépondérant dans la compétition mondiale. Dans son article, Bertrand Warusfel regrette le dispersion des services français, le fait qu'ils rendent compte à leur ministère de tutelle uniquement : DST, et Renseignement militaire pour le ministre de la Défense et qu'il n'y ait pas de véritable interface permettant de faire bénéficier tout l'exécutif de ces informations.
Cela s'appelle le Comité interministériel du renseignement. On n'appose pas des grandes pancartes devant l'entrée quand on le réunit, mais il existe.
Q - Oui mais cela se fait par réunions ponctuelles.....
R - Ces réunions sont préparées par un travail de rapprochement des services et d'échange de données.
Q - Donc, il ne vous semble pas utile d'avoir un organisme qui soit chargé de centraliser et de redistribuer de façon permanente ?
R - Cela se fait. Nous n'avons pas cru utile de publier un communiqué pour l'annoncer.
Q - Monsieur le Ministre, aujourd'hui, quelle est votre tâche tout à fait prioritaire ?
R - D'achever, pour la période pendant laquelle je suis en responsabilité, la mise en forme cohérente d'un système de défense répondant efficacement aux risques identifiés par notre pays en obtenant le soutien conscient de nos concitoyens. En priorité, il y a le bon emploi des moyens c'est-à-dire que les ressources forcément limitées que la République confie à sa défense permettent d'atteindre les objectifs visés. Il y a le développement des ressources humaines, fondées sur la compétence et la motivation. Et puis, le maintien d'échanges entre la société démocratique et l'institution militaire. J'ajoute à cela, parce que j'y crois intensément, que dans un pays très extériorisé comme le nôtre, nous avons un besoin constant de rapports de confiance et de collaboration efficace entre notre système diplomatique et notre système militaire. Nous sommes un des pays les plus avancés dans ce domaine et j'en suis particulièrement fier. .
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juin 2000)