Tribune de M. Georges Sarre, porte-parole du Mouvement républicain et citoyen, dans "Marianne" le 13 octobre 2003, sur l'avenir du statut de la Corse, intitulée "Corse : ça suffit !".

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Média : Marianne

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En Corse, les élus séparatistes ont joué ces dernières semaines à " ça s'en va et ça revient " à l'Assemblée territoriale. Mais c'est bien par rapport à la loi et à la démocratie en général qu'ils entretiennent depuis des années une posture ambiguë : ils se présentent aux élections organisées par l'Etat de droit, sans jamais pour autant condamner les entraves à la loi ni l'action violente. En réalité, ces élus, comme les poseurs de bombes - dont ils ne sont que la " vitrine légale ", comme on dit pudiquement - n'aiment pas la démocratie. De fait, pourquoi poser des bombes ou soutenir de tels actes, si on aime la démocratie, quand on a souvent l'occasion de se présenter librement devant les électeurs lors des différents scrutins ?
Le 6 juillet, la majorité des citoyens français exerçant leur droit de vote dans les deux départements de l'île, a rejeté la réforme institutionnelle proposée par le gouvernement et approuvée par le PS. Depuis, le gouvernement semble désemparé devant la recrudescence de la violence. Les attentats se multiplient. Les magistrats sont menacés. Les gendarmeries sont attaquées. Mais les ministres sont incapables d'offrir des perspectives, au-delà de quelques mesures d'urgence.
En effet, comme trop de leurs prédécesseurs, Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy croient que le problème corse est avant tout institutionnel. Le Premier ministre a déjà annoncé qu'il attendait les élections régionales de mars 2004 pour reprendre un dialogue politique sur un projet " Corse 2010 ", dont le coeur devrait être une fois de plus le statut de l'île. Mais le statut proposé en juillet dernier était déjà le quatrième statut en vingt ans ! Comme les autres, cette démarche est donc vouée à l'échec.
Les poseurs de bombe n'ont rien à faire de tout évolution juridique. Le seul statut qui trouve grâce à leurs yeux serait la complète indépendance de l'île. D'ailleurs si, par malheur, un tel horizon se dessinait, ils se livreraient plus que jamais à une sanglante lutte intestine pour essayer chacun de s'accaparer les fruits attendus du bétonnage et des activités louches.
Les poseurs de bombes ne voient dans toute concession qu'une étape en forme de capitulation vers leur objectif final. A peine engagé un compromis, ils s'attèlent à obtenir la compromission suivante. Aussi, la voie de la négociation est par nature une impasse.
Dès lors, la vague de violence que connaît actuellement l'île ne souffre qu'une interprétation : elle vise à bafouer la démocratie et à mettre le gouvernement devant le fait accompli, afin d'arracher par la force et par la lassitude ce que rejette la majorité de la population. En outre, c'est la surenchère entre les groupuscules terroristes.
Face à cette violence, Nicolas Sarkozy hausse parfois le ton. Mais d'actes, point. En réalité, Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy se sont trouvés fort dépourvus au soir du 6 juillet dernier. Ils n'avaient pas prévu que les citoyens désobéiraient aux injonctions que leur avaient adressées tant de ceux qui croient pouvoir se compter parmi les élites de la France, sinon de l'Europe. Ainsi, face à leur échec, ils n'ont pas de plan de rechange... Surtout, ils sont incapables de recourir tout simplement aux solutions qui s'imposent dans le cadre de la République. Il faut dire qu'une telle approche serait incompatible avec les discours sur l'Europe des régions ou le laxisme ambiant en faveur du communautarisme.
Pourtant, l'alternative à la fuite en avant dans la surenchère est simple. Il faut d'abord en finir avec toute complaisance sur le discours de " l'identité " corse. Les récentes déclarations sur " l'hospitalité corse ", qui est une caricature de cette " identité ", sont inadmissibles. Yvan Colonna était recherché par la police aux termes d'une loi démocratiquement adoptée. Le soustraire à la justice ne relève pas de l'hospitalité, mais de la complicité. Et puis, l'hospitalité n'est pas une spécificité corse. Heureusement, bien des populations, en France et dans le monde, sont accueillantes et hospitalières. Enfin, il faut regarder les faits sans aveuglement, et rappeler tous ceux qui ne bénéficient pas de cette hospitalité : des continentaux plastiqués, des marocains victimes d'attentats, des maghrébins insultés, des journalistes intimidés à coup de mitrailles... sans oublier le préfet assassiné !
La particularité objective de la Corse est d'être une île, et qui plus est montagneuse. De plus, elle souffre d'un certain retard de développement économique et social. Pour surmonter ces difficultés, il est normal que, par le système de la continuité territoriale, joue la solidarité nationale. Il faut donc un plan de développement.
Mais toute solution à la dérive que subit la Corse depuis plus d'un quart de siècle passe nécessairement, avant tout, par le respect scrupuleux de la loi et de l'ordre républicain. Toute faiblesse dans ce domaine est coupable. De ce point de vue, le laxisme dont fait preuve le gouvernement, de fait, en dépit des coups de menton, est alarmant. Une illustration en est la passivité avec laquelle, jusqu'à aujourd'hui, le gouvernement a réagi à la scandaleuse affaire de la gendarmerie de Luri. L'Etat ne peut pas accepter le traitement qui a été infligé à ses représentants et à leurs familles. Il ne peut tolérer que, des nuits entières, les bâtiments qui le symbolisent soient assiégés par de véritables émeutiers et que certains d'entre eux, jouant les agneaux, se répandent dans la presse et à la télévision. Il ne peut souffrir qu'un conseil municipal, même unanime, lui enjoigne de faire déguerpir les forces de l'ordre, qui n'ont fait que leur devoir. De même, après l'attaque de la gendarmerie de Propriano - dont le maire a eu, pour sa part, une réaction exemplaire -, on aurait aimé que les vitupérations de Nicolas Sarkozy soient suivies par l'action. Il n'est pas exact qu'on ne peut pas identifier, arrêter, et traduire en justice les terroristes et les truands. Le gouvernement doit réagir avec la plus grande fermeté, et il en a les moyens, sauf à vouloir nous faire croire que l'Etat n'est pas capable de canaliser une poignée de voyous et de mafieux. Toute mesure prématurée d'apaisement serait considérée comme un encouragement à des désordres encore plus grands d'ici peu. Il est grand temps que le gouvernement prenne ses responsabilités.
L'avenir de la Corse n'est pas dans l'exaltation d'un particularisme bien souvent mythique. Toutes les transgressions à la loi doivent être sanctionnées. Les moyens techniques et humains adaptés, et une volonté politique sans faille doivent être mis en oeuvre à tous les niveaux. S'il y a des résistances, dans la police, dans la justice, des mutations doivent intervenir. La démocratie doit jouer son rôle comme sur tout le territorial national. L'avenir de la Corse est dans une République, où peuvent se développer, sans entrave idéologique, tous les mécanismes de la solidarité. Alors, sur des bases solides, cette île, dotée d'une si belle nature, pourra s'engager dans la voie d'une réelle prospérité. Les Corses y sont prêts, eux qui comptent tant de citoyens et d'élus courageux, tels Emile Zucarelli, et dont les ancêtres n'ont jamais fait défaut à la République aux grandes heures de notre Histoire commune, de la Fête de la Fédération à la Libération de la France.
(Source http://www.mrc-france.org, le 22 octobre 2003)