Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Grand Rabin,
Monsieur le Cardinal,
Monsieur le Préfet,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Membres du Corps Diplomatique,
Chers Amis,
Permettez-moi d'abord de vous remercier pour votre invitation.
Vous avez invité le Garde des Sceaux, merci de bien vouloir recevoir un ami. Je suis en effet très heureux d'être parmi vous ce soir et de pouvoir ainsi prolonger en quelque sorte le contact permanent que la Chancellerie entretient avec vos représentants au niveau national.
Par la voix de Maître Médina et par celle de Maître Jacubowicz, j'ai entendu retentir un cri, un cri d'alerte - le cri d'alerte des Juifs de France.
Ce qui vous arrache ce cri, c'est un constat : les actes antisémites se sont multipliés sur notre territoire ces derniers mois; la République et les valeurs de respect qui la fondent semblent perdre du terrain.
J'ai entendu combien vous étiez à la fois préoccupés et scandalisés par ce constat.
Ces " territoires perdus de la République ", moi aussi ils me préoccupent, moi aussi ils me scandalisent.
Mais d'emblée je veux me faire rassurant et vous dire que face à cette nouvelle montée d'antisémitisme, les pouvoirs publics dans leur ensemble ont vivement réagi.
À commencer par le Président de la République, qui y a répondu fermement en condamnant solennellement au nom de la Nation tout acte d'antisémitisme.
" Depuis des siècles et des siècles, nos compatriotes juifs sont en France chez eux comme chacun de nos compatriotes ".
" Quand on s'attaque en France à un juif, il faut bien comprendre que c'est à la France tout entière que l'on s'attaque ".
Par ces mots, le Président de la République a redit que les juifs de France faisait partie intégrante du corps social français, qu'ils constituaient comme un " membre " de ce corps.
Sous l'impulsion du Président de la République, le gouvernement s'est mobilisé pour faire front face à cette recrudescence d'actes antisémites d'une particulière gravité.
Le Président de la République m'a expressément demandé de veiller à ce que les sanctions requises contre les auteurs d'actes d'antisémitisme soient exemplaires.
Le 18 novembre dernier, j'ai fait parvenir à tous les parquets généraux des instructions en ce sens. J'aimerais, si vous me le permettez, vous lire les sept points de cette directive :
" En réponse aux actes antisémites caractérisés par de récentes atteintes graves aux personnes et aux biens, je vous demande de vous conformer aux instructions suivantes :
1- Aviser en temps réel la Direction des affaires criminelles et des grâces, par télécopie ou par message électronique, de toute infraction à caractère antisémite ;
2 - Faire donner toutes instructions aux services de police judiciaire saisis pour que les moyens nécessaires à l'identification et à l'arrestation des auteurs soient mobilisés ;
3 - Mettre en mouvement l'action publique dans les délais les plus brefs sous la plus haute qualification pénale utile et choisir, chaque fois que cette perspective est ouverte, la voie de la comparution immédiate pour les majeurs et le déferrement devant le juge des enfants pour les mineurs ;
4 - Prendre des réquisitions de placement en détention provisoire en cas d'ouverture d'information, en considération notamment du trouble causé à l'ordre public - qui met en cause la cohésion nationale et le respect du pacte républicain ;
5 - Présenter devant les juridictions de jugement des réquisitions d'une particulière fermeté en demandant une application exemplaire des sanctions prévues par la loi pénale ;
6 - Veiller à ce que les victimes soient strictement informées des suites des investigations et des procédures judiciaires en mobilisant le cas échéant les associations locales d'aide aux victimes ;
7 - Désigner au sein de votre parquet général un magistrat référent qui aura pour mission d'une part d'assurer les relations avec la communauté juive et les associations de lutte contre l'antisémitisme et d'autre part de veiller à la cohérence des réponses pénales.
Je vous demande de mettre en uvre, sans délai avec la plus grande vigilance, les présentes instructions. "
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
De telles directives témoignent assez, je crois, de la détermination qui est la mienne de faire tout ce qui est en mon possible pour mobiliser les parquets contre les actes d'antisémitisme.
Vous doutez qu'une telle circulaire soit suffisante, Maître Médina. Elle était nécessaire en tout cas.
La fermeté des pouvoirs publics s'est illustrée récemment encore dans cette affaire où, au croisement des problèmes d'antisémitisme, de laïcité et de respect de l'autorité judiciaire, un magistrat du tribunal correctionnel de Paris a fait l'objet d'une demande de récusation de la part d'un justiciable au motif qu'elle aurait été de religion juive - " et donc ", selon le justiciable, partial à son égard.
Cette affaire a suscité une triple réaction :
1 - j'ai donné instruction que des poursuites pénales soient exercées contre le justiciable pour " outrage à magistrat " ;
2 - j'ai reçu personnellement la magistrate ;
3 - Le Président de la République a saisi le Conseil Supérieur de la Magistrature de cette affaire.
Pour ce qui est des réactions récentes des pouvoirs publics, j'aimerais dire un mot également de la mise en place d'une commission au sein de laquelle le ministère de la justice, les procureurs les plus concernés et les représentants de la communauté juive pourront échanger et continuer d'élaborer ensemble notre politique judiciaire en matière d'actes d'antisémitisme.
La mise en place d'une telle commission ne sera peut-être pas suffisante, elle non plus. Mais le dialogue et la réflexion commune qui auront lieu au sein de cette commission me paraissent d'une absolue nécessité.
Une première réunion des procureurs concernés a eu lieu avant-hier et les contacts sont pris pour assurer la représentation des juifs de France.
Mais l'action du gouvernement dans le domaine de la lutte contre les actes de racisme et d'antisémitisme, et mon action en particulier, ne date pas de ces dernières semaines.
Au début de l'année, j'ai personnellement soutenu devant le Parlement la proposition de loi déposée par Pierre Lellouche, devenue depuis la " loi du 3 février 2003 ", qui a permis de créer une circonstance aggravante pour des infractions commises avec une intention raciste, antisémite ou xénophobe.
Cette circonstance aggravante a déjà été invoquée dans un certain nombre d'affaires, notamment lors de poursuites engagées en matière d'actes antisémites.
Mais il y a également les dispositions contenues dans la loi criminalité organisée, qui prévoient d'allonger la durée de prescription de l'action publique de 3 mois à un an pour les infractions de diffamation et injure raciale, incitation à la haine raciale et révisionnisme.
Cette disposition va certes, à l'encontre de la liberté d'expression et nos démocraties sont fondées sur le respect de cette liberté. Mais le droit que chacun a d'exprimer librement ses opinions est limité par une exigence plus forte encore : le respect de la personne humaine, quelle que soit son appartenance à telle ou telle communauté. Si j'ai pris cette décision touchant à la loi de 1881 sur la presse, c'est parce qu'on ne peut pas tolérer que des propos d'intolérance se banalisent.
Il n'y a pas de bon antisémitisme, pas de compromis ni de discussion possible avec toute incitation à la haine raciale.
Les pouvoirs publics ne sont pas restés passifs face à la gangrène du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie.
Et pourtant, Maître Médina, j'ai entendu vos remarques et vos critiques et j'aimerais y répondre.
Vous évoquez la " faiblesse " des moyens mis à disposition des magistrats et de la justice.
Nous y remédions. La loi d'orientation et de programmation pour la Justice que le Parlement a adoptée suite à mon arrivée place Vendôme prévoit la création sur la période 2003 - 2007 de 950 nouveaux postes de magistrats, 3300 postes de juges de proximité et 3500 postes de fonctionnaires et agents des services judiciaires. Elle permettra également d'augmenter les crédits d'équipement des services judiciaires de 277 millions d'euros. La justice est une priorité du gouvernement et la part du budget qui lui est consacrée en est le reflet.
Vous doutez que les dispositions prévues par la loi soient toujours appliquées avec fermeté ?
C'est pour cette raison précisément qu'il m'a paru nécessaire de redonner des directives claires et fermes aux parquets.
Vous croyez que les parquets ne m'entendent pas ?
C'est pour être sûr du contraire que je réunis régulièrement les procureurs généraux à la Chancellerie et que je m'adresse à eux directement. Je peux vous assurer qu'ils m'entendent et me comprennent.
Je ne prendrais qu'un seul exemple, dans le ressort de la Cour d'Appel de Grenoble - dès l'an passé, le procureur général vous a fait part de sa totale disponibilité pour instaurer un système de veille en matière de comportements racistes et antisémites, pour vérifier ensemble que les plaintes déposées, les faits connus de vous, ont connu le traitement policier et la suite judiciaire non susceptibles de critiques. Cette proposition demeure valable.
On m'a beaucoup reproché de donner de nouveau des instructions précises aux parquets. Ce que nous vivons aujourd'hui montre que c'était nécessaire.
" Trop de priorités tue les priorités ", dîtes-vous en substance ?
Eh bien je crois que nous serions coupables de ne pas être sur tous les fronts.
Nous avons reçu mandat des Français pour lutter contre la violence et l'insécurité sous toutes leurs formes.
Vous évoquiez la violence conjugale. D'après certaines sources chiffrées, une femme décéderait tous les 5 jours des suites de violences conjugales. Il me semble absolument juste qu'une partie des actions du gouvernement soit consacrée à lutter contre cette intolérable réalité.
Mais cette série de réponses n'entame en rien, bien au contraire, la compréhension que j'ai de votre émotion et de votre incompréhension face au déroulement de certaines affaires.
En ce qui concerne le mobilisation des parquets, vous l'avez entendu tout à l'heure, ma détermination est entière.
À Brunoy, plusieurs événements se sont déroulés.
3 jeunes filles d'une école juive ont effectivement été victimes de violences volontaires de la part d'élèves du collège Albert Camus, l'agression résultant d'un échange d'insultes verbales racistes et antisémites entre les mis en cause et les victimes.
Le procureur de la République classait sans suite, après avoir adressé aux auteurs de l'agression physique une mise en demeure de ne pas récidiver.
Le lendemain des faits, le parent d'une des élèves avait menacé de se venger sur l'établissement Albert Camus s'il arrivait quelque chose à sa fille.
Après une plainte du principal du collège contre ce parent d'élève, le procureur classait également sans suite.
Cette série de décisions illustre je crois un souci d'équilibre de la part du parquet, qui s'il n'a pas pris de décision de poursuivre, n'en a pas moins fait preuve de fermeté face aux mis en cause.
Dans l'affaire concernant l'agression de deux membres de la communauté juive en mars dernier, en marge d'une manifestation contre la guerre en Irak, il est vrai que l'exploitation des films enregistrés par plusieurs journalistes présents au moment de l'agression n'a pas permis d'identifier les auteurs de l'agression. Mais le parquet de Paris a requis l'ouverture d'une information judiciaire pour violences aggravées, menaces de mort et dégradation de bien, en invoquant la circonstance aggravante d'antisémitisme.
Pour ce qui est des décisions de relaxe prononcées par les juges, il nous est permis d'utiliser les voies de recours, et c'est ce que l'autorité publique a fait dans un certain nombre d'affaires.
Ainsi dans cette affaire où le maire communiste de Seclin, dans la banlieue lilloise, avait appelé à boycotter les produits israéliens :
le parquet de Lille a fait appel à mon initiative de la décision de relaxe qui avait été prononcée en première instance - à la suite de quoi la Cour d'appel de Douai réformait ce jugement et prononçait une condamnation.
De la même manière, suite aux décisions de relaxe dans les poursuites concernant ledit humoriste Dieudonné, le parquet a interjeté appel et l'affaire viendra devant la Cour d'appel en janvier prochain.
A Maître Jacubowicz, qui s'inquiétait du renvoi quasi systématique en maison de justice, je voudrais simplement indiquer qu'à Lyon en 2003, il n'y a eu que 2 renvois, avec l'accord des victimes qui ont été consultées au préalable par le parquet. Les affaires renvoyées devant le tribunal correctionnel doivent être solidement étayées pour éviter de déboucher sur des relaxes, fondées en droit, mais dont l'effet serait contraire à l'objectif poursuivi.
Dans les cas où les voies de recours ont été épuisées, il me revient de vous dire qu'il convient - aussi difficile cela soit-il - de respecter l'indépendance de l'autorité judiciaire et les décisions rendues par elle.
Mais en tout cas, vous ne devez pas vous sentir seuls. Car vous n'êtes pas seuls.
Si vous êtes victimes d'injustices, je suis à vos côtés, et comme Ministre de la Justice je me battrai avec résolution, dans la limite des pouvoirs qui me sont conférés, pour que vous obteniez réparation.
Au delà de moi, sachez que l'ensemble des magistrats, des juridictions et des cours, est infiniment attentif à ce que l'institution judiciaire agisse, dans ce domaine comme dans tout autre, dans une parfaite équité.
Savoir que la justice a fait son travail a une vertu " thérapeutique " ou " consolatrice ", je le sais - c'est une condition nécessaire à la cicatrisation des plaies de la victime.
Et je sais aussi la frustration qui accompagne le sentiment que la justice n'est pas passée.
La justice doit être saisie chaque fois que cela est nécessaire : le découragement des victimes que vous évoquez, Maître Jacubowicz, doit être surmonté, car renoncer c'est donner raison aux agresseurs. Je suis, nous sommes fermement du côté des victimes.
J'espère vous avoir convaincu que vous étiez fondés à ne pas douter de la détermination des pouvoirs publics.
Mais permettez-moi maintenant de me situer plus en amont et de donner mon sentiment sur cette question :
Qu'est-ce qui nourrit l'antisémitisme ?
J'irai vite sur les deux premières réponses pour développer un peu la troisième.
L'ignorance, c'est une première réponse.
Et cette réponse donne à l'éducation un rôle de première importance, un rôle de prévention en quelque sorte - alors que le rôle de la police et de la justice est plus de nature répressive.
Je pense aux cours d'histoire et à l'enseignement de la Shoah, aux cours de français où en même temps que la belle langue de Voltaire ou de Montesquieu on découvre l'esprit des Lumières, aux classes d'éducation civique, où l'on doit apprendre les règles du vivre-ensemble. Je pense aussi aux cours de philosophie et, en particulier bien sûr, à la lecture d'Emmanuel Lévinas.
Car l'auteur des Lectures Talmudiques est également, vous le savez, le philosophe de l'altérité, lui qui décrit si bien comment le visage nu de l'autre et son regard m'obligent au respect.
Bien sûr on peut douter de l'efficacité de l'éducation.
Et pourtant, n'y a-t-il pas que l'éducation qui permette d'acquérir un esprit critique - qui seul peut faire se dissiper les fantômes ?
N'y a-t-il pas qu'en étant éduqué qu'on peut devenir autre chose qu'une marionnette - et ne pas répéter " sale juif " parce qu'on entendu tel caïd de quartier proférer cette insulte.
L'école a incontestablement sa place dans l'apprentissage de la tolérance et du respect des différences. Là encore, condition nécessaire mais hélas non suffisante.
Deuxième réponse : ce qui nourrit l'antisémitisme, c'est l'exclusion.
Car l'exclusion engendre la violence.
Cette violence qui touche la communauté juive touche également l'ensemble de la société, là où se manifestent des différences.
Ce qui ne veut pas dire évidemment que les actes d'antisémitisme puissent se dissoudre dans les actes de violence en général - mais qu'il procèdent en partie d'une même source.
Quand l'agresseur agresse, c'est souvent parce qu'il est incapable de communiquer avec le reste de la société.
Cela n'excuse aucunement ses actes. Cela montre l'immense enjeu de l'intégration auquel nous devons encore nous affronter.
Dans le contexte international, c'est en partie la même logique : la violence vient des exclus, de ceux qui souffrent sous l'emprise de systèmes autoritaires.
Pour eux, le visage de l'Autre, c'est celui de la démocratie, de la démocratie israélienne comme de toutes les démocraties occidentales.
La France est mobilisée sur ces deux fronts : à l'intérieur, un combat contre l'intolérance ; sur le plan international, un combat pour la démocratie.
Une troisième réponse pourrait être : l'antisémitisme se nourrit de l'anti-sionisme.
L'antisémitisme aujourd'hui semble cristalliser autour d'Israël. Les brimades du quotidien apparaissent liées au contexte international. L'antisémitisme aujourd'hui prétend trouver sa consistance dans Israël.
Mais vous avez raison, Maître Médina et Maître Jacubowizc, de suggérer une autre interprétation de la corrélation : c'est peut-être l'anti-sionisme qui se nourrit d'un antisémitisme ancestral.
Je sais la place qu'Israël occupe dans votre cur.
Je sais que l'essence du judaïsme, c'est à la fois le sentiment d'appartenance à un peuple - sentiment d'autant plus fort que l'histoire de ce peuple a été douloureuse - et l'attachement à la terre promise d'Israël, " Erezt Israël ".
Cet attachement à une terre, qui va de pair avec un attachement aux racines, aux traditions héritées, c'est vraiment cela être un peuple.
Se sentir membre d'un groupe, c'est indispensable - et, le sociologue Emile Durkheim l'a bien montré, c'est ce qui permet à une société de ne pas tomber dans l'anomie, l'absence de repères.
Il y a des gens pourtant qui voient d'un mauvais oeil cet attachement aux racines, qui soupçonnent les mots " sol ", " peuple "
Il y a des gens " au grand cur ", ces " antisémites sympas ", comme l'a évoqué Maître Médina, pour dire que les juifs sont racistes, que l'Etat israélien est raciste.
C'est le paradoxe d'un anti-racisme qui mène à l'antisémitisme.
Ce type de discours est tout simplement intolérable.
Je dirai juste un mot du conflit israélo-palestinien, qui constitue pour tout un chacun une douloureuse réalité.
Je comprends que vous soyez comme touchés dans votre chair à l'annonce de chaque attentat.
Les attentats-suicides qui ont ensanglanté la population civile israëlienne ont été condamnés par la communauté internationale, notamment par la voix du Conseil de Sécurité de l'ONU.
Ils procèdent d'une lecture fausse de la religion, d'un intégrisme et d'une fascination morbide dont se désolidarise clairement la majorité des musulmans, que l'on ne peut pas stigmatiser en tant que groupe.
La société civile se mobilise pour la paix.
Ainsi, le fait-elle autour de l'initiative de Genève, résultant des négociations secrètement menées par Yasser Abed Rabbo et Yossi Beilin.
Évidemment, seuls les gouvernements démocratiquement élus et politiquement responsables devant leurs populations pourront finaliser ces espoirs de paix.
Mais de telles initiatives constituent un signal positif, elles donnent un horizon au-delà de la guerre.
Il est certain qu'on ne peut pas, quand son existence-même est menacée, cesser de se battre. Un État doit protéger ses ressortissants.
Mais le courage par-delà le courage, c'est risquer la paix. C'est pour avoir eu ce courage qu'Itzhac Rabin est entré dans l'Histoire. Ce que l'Histoire a retenu, ce n'est pas le militaire, héros de la guerre, mais le grand homme qui a voulu la paix, y compris contre une frange de la société israélienne - dont son assassin était issu.
La peur et la méfiance sont de mise, et pourtant il faudra bien les surmonter et faire prévaloir la logique du dialogue sur la logique de l'affrontement, celle de l'espoir sur celle de la haine alimentée par les frustrations.
Comment, sinon, refaire de cette terre de deuil où coule le sang des combattants et des victimes civiles une terre où coulent le lait et le miel ?
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Pour conclure mon propos, je rappellerai cette phrase du père d'Emmanuel Levinas : " un pays qui se déchire à propos d'un petit capitaine juif est un pays où il faut aller ".
Permettez-moi cette double exhortation en réponse aux questions que m'ont posé vos deux Présidents :
-Oui, Maître Médina, les juifs de Grenoble doivent continuer de marcher dans les rues de leur ville.
-Oui, Maître Jacubowicz, dites à ceux qui sont tentés de quitter leur pays, la France, que les pouvoirs publics Français sont mobilisés à leurs côtés, vigilants, - avec, pour reprendre une formule de Bernard-Henri Lévy, " la Shoah en tête et au cur ".
Dites leur aussi, qu'Israël a besoin d'eux ici, qu'Israël a besoin de tous les juifs dispersés dans le monde.
Les juifs de France sont " fils d'Abraham et de Marianne ". La République défendra ses fils.
Maître Jacubowicz, dîtes à votre petit cousin que oui, il a un avenir en France.
(source http://www.crif-grenoble.org, le 10 décembre 2003)
Monsieur le Grand Rabin,
Monsieur le Cardinal,
Monsieur le Préfet,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Membres du Corps Diplomatique,
Chers Amis,
Permettez-moi d'abord de vous remercier pour votre invitation.
Vous avez invité le Garde des Sceaux, merci de bien vouloir recevoir un ami. Je suis en effet très heureux d'être parmi vous ce soir et de pouvoir ainsi prolonger en quelque sorte le contact permanent que la Chancellerie entretient avec vos représentants au niveau national.
Par la voix de Maître Médina et par celle de Maître Jacubowicz, j'ai entendu retentir un cri, un cri d'alerte - le cri d'alerte des Juifs de France.
Ce qui vous arrache ce cri, c'est un constat : les actes antisémites se sont multipliés sur notre territoire ces derniers mois; la République et les valeurs de respect qui la fondent semblent perdre du terrain.
J'ai entendu combien vous étiez à la fois préoccupés et scandalisés par ce constat.
Ces " territoires perdus de la République ", moi aussi ils me préoccupent, moi aussi ils me scandalisent.
Mais d'emblée je veux me faire rassurant et vous dire que face à cette nouvelle montée d'antisémitisme, les pouvoirs publics dans leur ensemble ont vivement réagi.
À commencer par le Président de la République, qui y a répondu fermement en condamnant solennellement au nom de la Nation tout acte d'antisémitisme.
" Depuis des siècles et des siècles, nos compatriotes juifs sont en France chez eux comme chacun de nos compatriotes ".
" Quand on s'attaque en France à un juif, il faut bien comprendre que c'est à la France tout entière que l'on s'attaque ".
Par ces mots, le Président de la République a redit que les juifs de France faisait partie intégrante du corps social français, qu'ils constituaient comme un " membre " de ce corps.
Sous l'impulsion du Président de la République, le gouvernement s'est mobilisé pour faire front face à cette recrudescence d'actes antisémites d'une particulière gravité.
Le Président de la République m'a expressément demandé de veiller à ce que les sanctions requises contre les auteurs d'actes d'antisémitisme soient exemplaires.
Le 18 novembre dernier, j'ai fait parvenir à tous les parquets généraux des instructions en ce sens. J'aimerais, si vous me le permettez, vous lire les sept points de cette directive :
" En réponse aux actes antisémites caractérisés par de récentes atteintes graves aux personnes et aux biens, je vous demande de vous conformer aux instructions suivantes :
1- Aviser en temps réel la Direction des affaires criminelles et des grâces, par télécopie ou par message électronique, de toute infraction à caractère antisémite ;
2 - Faire donner toutes instructions aux services de police judiciaire saisis pour que les moyens nécessaires à l'identification et à l'arrestation des auteurs soient mobilisés ;
3 - Mettre en mouvement l'action publique dans les délais les plus brefs sous la plus haute qualification pénale utile et choisir, chaque fois que cette perspective est ouverte, la voie de la comparution immédiate pour les majeurs et le déferrement devant le juge des enfants pour les mineurs ;
4 - Prendre des réquisitions de placement en détention provisoire en cas d'ouverture d'information, en considération notamment du trouble causé à l'ordre public - qui met en cause la cohésion nationale et le respect du pacte républicain ;
5 - Présenter devant les juridictions de jugement des réquisitions d'une particulière fermeté en demandant une application exemplaire des sanctions prévues par la loi pénale ;
6 - Veiller à ce que les victimes soient strictement informées des suites des investigations et des procédures judiciaires en mobilisant le cas échéant les associations locales d'aide aux victimes ;
7 - Désigner au sein de votre parquet général un magistrat référent qui aura pour mission d'une part d'assurer les relations avec la communauté juive et les associations de lutte contre l'antisémitisme et d'autre part de veiller à la cohérence des réponses pénales.
Je vous demande de mettre en uvre, sans délai avec la plus grande vigilance, les présentes instructions. "
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
De telles directives témoignent assez, je crois, de la détermination qui est la mienne de faire tout ce qui est en mon possible pour mobiliser les parquets contre les actes d'antisémitisme.
Vous doutez qu'une telle circulaire soit suffisante, Maître Médina. Elle était nécessaire en tout cas.
La fermeté des pouvoirs publics s'est illustrée récemment encore dans cette affaire où, au croisement des problèmes d'antisémitisme, de laïcité et de respect de l'autorité judiciaire, un magistrat du tribunal correctionnel de Paris a fait l'objet d'une demande de récusation de la part d'un justiciable au motif qu'elle aurait été de religion juive - " et donc ", selon le justiciable, partial à son égard.
Cette affaire a suscité une triple réaction :
1 - j'ai donné instruction que des poursuites pénales soient exercées contre le justiciable pour " outrage à magistrat " ;
2 - j'ai reçu personnellement la magistrate ;
3 - Le Président de la République a saisi le Conseil Supérieur de la Magistrature de cette affaire.
Pour ce qui est des réactions récentes des pouvoirs publics, j'aimerais dire un mot également de la mise en place d'une commission au sein de laquelle le ministère de la justice, les procureurs les plus concernés et les représentants de la communauté juive pourront échanger et continuer d'élaborer ensemble notre politique judiciaire en matière d'actes d'antisémitisme.
La mise en place d'une telle commission ne sera peut-être pas suffisante, elle non plus. Mais le dialogue et la réflexion commune qui auront lieu au sein de cette commission me paraissent d'une absolue nécessité.
Une première réunion des procureurs concernés a eu lieu avant-hier et les contacts sont pris pour assurer la représentation des juifs de France.
Mais l'action du gouvernement dans le domaine de la lutte contre les actes de racisme et d'antisémitisme, et mon action en particulier, ne date pas de ces dernières semaines.
Au début de l'année, j'ai personnellement soutenu devant le Parlement la proposition de loi déposée par Pierre Lellouche, devenue depuis la " loi du 3 février 2003 ", qui a permis de créer une circonstance aggravante pour des infractions commises avec une intention raciste, antisémite ou xénophobe.
Cette circonstance aggravante a déjà été invoquée dans un certain nombre d'affaires, notamment lors de poursuites engagées en matière d'actes antisémites.
Mais il y a également les dispositions contenues dans la loi criminalité organisée, qui prévoient d'allonger la durée de prescription de l'action publique de 3 mois à un an pour les infractions de diffamation et injure raciale, incitation à la haine raciale et révisionnisme.
Cette disposition va certes, à l'encontre de la liberté d'expression et nos démocraties sont fondées sur le respect de cette liberté. Mais le droit que chacun a d'exprimer librement ses opinions est limité par une exigence plus forte encore : le respect de la personne humaine, quelle que soit son appartenance à telle ou telle communauté. Si j'ai pris cette décision touchant à la loi de 1881 sur la presse, c'est parce qu'on ne peut pas tolérer que des propos d'intolérance se banalisent.
Il n'y a pas de bon antisémitisme, pas de compromis ni de discussion possible avec toute incitation à la haine raciale.
Les pouvoirs publics ne sont pas restés passifs face à la gangrène du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie.
Et pourtant, Maître Médina, j'ai entendu vos remarques et vos critiques et j'aimerais y répondre.
Vous évoquez la " faiblesse " des moyens mis à disposition des magistrats et de la justice.
Nous y remédions. La loi d'orientation et de programmation pour la Justice que le Parlement a adoptée suite à mon arrivée place Vendôme prévoit la création sur la période 2003 - 2007 de 950 nouveaux postes de magistrats, 3300 postes de juges de proximité et 3500 postes de fonctionnaires et agents des services judiciaires. Elle permettra également d'augmenter les crédits d'équipement des services judiciaires de 277 millions d'euros. La justice est une priorité du gouvernement et la part du budget qui lui est consacrée en est le reflet.
Vous doutez que les dispositions prévues par la loi soient toujours appliquées avec fermeté ?
C'est pour cette raison précisément qu'il m'a paru nécessaire de redonner des directives claires et fermes aux parquets.
Vous croyez que les parquets ne m'entendent pas ?
C'est pour être sûr du contraire que je réunis régulièrement les procureurs généraux à la Chancellerie et que je m'adresse à eux directement. Je peux vous assurer qu'ils m'entendent et me comprennent.
Je ne prendrais qu'un seul exemple, dans le ressort de la Cour d'Appel de Grenoble - dès l'an passé, le procureur général vous a fait part de sa totale disponibilité pour instaurer un système de veille en matière de comportements racistes et antisémites, pour vérifier ensemble que les plaintes déposées, les faits connus de vous, ont connu le traitement policier et la suite judiciaire non susceptibles de critiques. Cette proposition demeure valable.
On m'a beaucoup reproché de donner de nouveau des instructions précises aux parquets. Ce que nous vivons aujourd'hui montre que c'était nécessaire.
" Trop de priorités tue les priorités ", dîtes-vous en substance ?
Eh bien je crois que nous serions coupables de ne pas être sur tous les fronts.
Nous avons reçu mandat des Français pour lutter contre la violence et l'insécurité sous toutes leurs formes.
Vous évoquiez la violence conjugale. D'après certaines sources chiffrées, une femme décéderait tous les 5 jours des suites de violences conjugales. Il me semble absolument juste qu'une partie des actions du gouvernement soit consacrée à lutter contre cette intolérable réalité.
Mais cette série de réponses n'entame en rien, bien au contraire, la compréhension que j'ai de votre émotion et de votre incompréhension face au déroulement de certaines affaires.
En ce qui concerne le mobilisation des parquets, vous l'avez entendu tout à l'heure, ma détermination est entière.
À Brunoy, plusieurs événements se sont déroulés.
3 jeunes filles d'une école juive ont effectivement été victimes de violences volontaires de la part d'élèves du collège Albert Camus, l'agression résultant d'un échange d'insultes verbales racistes et antisémites entre les mis en cause et les victimes.
Le procureur de la République classait sans suite, après avoir adressé aux auteurs de l'agression physique une mise en demeure de ne pas récidiver.
Le lendemain des faits, le parent d'une des élèves avait menacé de se venger sur l'établissement Albert Camus s'il arrivait quelque chose à sa fille.
Après une plainte du principal du collège contre ce parent d'élève, le procureur classait également sans suite.
Cette série de décisions illustre je crois un souci d'équilibre de la part du parquet, qui s'il n'a pas pris de décision de poursuivre, n'en a pas moins fait preuve de fermeté face aux mis en cause.
Dans l'affaire concernant l'agression de deux membres de la communauté juive en mars dernier, en marge d'une manifestation contre la guerre en Irak, il est vrai que l'exploitation des films enregistrés par plusieurs journalistes présents au moment de l'agression n'a pas permis d'identifier les auteurs de l'agression. Mais le parquet de Paris a requis l'ouverture d'une information judiciaire pour violences aggravées, menaces de mort et dégradation de bien, en invoquant la circonstance aggravante d'antisémitisme.
Pour ce qui est des décisions de relaxe prononcées par les juges, il nous est permis d'utiliser les voies de recours, et c'est ce que l'autorité publique a fait dans un certain nombre d'affaires.
Ainsi dans cette affaire où le maire communiste de Seclin, dans la banlieue lilloise, avait appelé à boycotter les produits israéliens :
le parquet de Lille a fait appel à mon initiative de la décision de relaxe qui avait été prononcée en première instance - à la suite de quoi la Cour d'appel de Douai réformait ce jugement et prononçait une condamnation.
De la même manière, suite aux décisions de relaxe dans les poursuites concernant ledit humoriste Dieudonné, le parquet a interjeté appel et l'affaire viendra devant la Cour d'appel en janvier prochain.
A Maître Jacubowicz, qui s'inquiétait du renvoi quasi systématique en maison de justice, je voudrais simplement indiquer qu'à Lyon en 2003, il n'y a eu que 2 renvois, avec l'accord des victimes qui ont été consultées au préalable par le parquet. Les affaires renvoyées devant le tribunal correctionnel doivent être solidement étayées pour éviter de déboucher sur des relaxes, fondées en droit, mais dont l'effet serait contraire à l'objectif poursuivi.
Dans les cas où les voies de recours ont été épuisées, il me revient de vous dire qu'il convient - aussi difficile cela soit-il - de respecter l'indépendance de l'autorité judiciaire et les décisions rendues par elle.
Mais en tout cas, vous ne devez pas vous sentir seuls. Car vous n'êtes pas seuls.
Si vous êtes victimes d'injustices, je suis à vos côtés, et comme Ministre de la Justice je me battrai avec résolution, dans la limite des pouvoirs qui me sont conférés, pour que vous obteniez réparation.
Au delà de moi, sachez que l'ensemble des magistrats, des juridictions et des cours, est infiniment attentif à ce que l'institution judiciaire agisse, dans ce domaine comme dans tout autre, dans une parfaite équité.
Savoir que la justice a fait son travail a une vertu " thérapeutique " ou " consolatrice ", je le sais - c'est une condition nécessaire à la cicatrisation des plaies de la victime.
Et je sais aussi la frustration qui accompagne le sentiment que la justice n'est pas passée.
La justice doit être saisie chaque fois que cela est nécessaire : le découragement des victimes que vous évoquez, Maître Jacubowicz, doit être surmonté, car renoncer c'est donner raison aux agresseurs. Je suis, nous sommes fermement du côté des victimes.
J'espère vous avoir convaincu que vous étiez fondés à ne pas douter de la détermination des pouvoirs publics.
Mais permettez-moi maintenant de me situer plus en amont et de donner mon sentiment sur cette question :
Qu'est-ce qui nourrit l'antisémitisme ?
J'irai vite sur les deux premières réponses pour développer un peu la troisième.
L'ignorance, c'est une première réponse.
Et cette réponse donne à l'éducation un rôle de première importance, un rôle de prévention en quelque sorte - alors que le rôle de la police et de la justice est plus de nature répressive.
Je pense aux cours d'histoire et à l'enseignement de la Shoah, aux cours de français où en même temps que la belle langue de Voltaire ou de Montesquieu on découvre l'esprit des Lumières, aux classes d'éducation civique, où l'on doit apprendre les règles du vivre-ensemble. Je pense aussi aux cours de philosophie et, en particulier bien sûr, à la lecture d'Emmanuel Lévinas.
Car l'auteur des Lectures Talmudiques est également, vous le savez, le philosophe de l'altérité, lui qui décrit si bien comment le visage nu de l'autre et son regard m'obligent au respect.
Bien sûr on peut douter de l'efficacité de l'éducation.
Et pourtant, n'y a-t-il pas que l'éducation qui permette d'acquérir un esprit critique - qui seul peut faire se dissiper les fantômes ?
N'y a-t-il pas qu'en étant éduqué qu'on peut devenir autre chose qu'une marionnette - et ne pas répéter " sale juif " parce qu'on entendu tel caïd de quartier proférer cette insulte.
L'école a incontestablement sa place dans l'apprentissage de la tolérance et du respect des différences. Là encore, condition nécessaire mais hélas non suffisante.
Deuxième réponse : ce qui nourrit l'antisémitisme, c'est l'exclusion.
Car l'exclusion engendre la violence.
Cette violence qui touche la communauté juive touche également l'ensemble de la société, là où se manifestent des différences.
Ce qui ne veut pas dire évidemment que les actes d'antisémitisme puissent se dissoudre dans les actes de violence en général - mais qu'il procèdent en partie d'une même source.
Quand l'agresseur agresse, c'est souvent parce qu'il est incapable de communiquer avec le reste de la société.
Cela n'excuse aucunement ses actes. Cela montre l'immense enjeu de l'intégration auquel nous devons encore nous affronter.
Dans le contexte international, c'est en partie la même logique : la violence vient des exclus, de ceux qui souffrent sous l'emprise de systèmes autoritaires.
Pour eux, le visage de l'Autre, c'est celui de la démocratie, de la démocratie israélienne comme de toutes les démocraties occidentales.
La France est mobilisée sur ces deux fronts : à l'intérieur, un combat contre l'intolérance ; sur le plan international, un combat pour la démocratie.
Une troisième réponse pourrait être : l'antisémitisme se nourrit de l'anti-sionisme.
L'antisémitisme aujourd'hui semble cristalliser autour d'Israël. Les brimades du quotidien apparaissent liées au contexte international. L'antisémitisme aujourd'hui prétend trouver sa consistance dans Israël.
Mais vous avez raison, Maître Médina et Maître Jacubowizc, de suggérer une autre interprétation de la corrélation : c'est peut-être l'anti-sionisme qui se nourrit d'un antisémitisme ancestral.
Je sais la place qu'Israël occupe dans votre cur.
Je sais que l'essence du judaïsme, c'est à la fois le sentiment d'appartenance à un peuple - sentiment d'autant plus fort que l'histoire de ce peuple a été douloureuse - et l'attachement à la terre promise d'Israël, " Erezt Israël ".
Cet attachement à une terre, qui va de pair avec un attachement aux racines, aux traditions héritées, c'est vraiment cela être un peuple.
Se sentir membre d'un groupe, c'est indispensable - et, le sociologue Emile Durkheim l'a bien montré, c'est ce qui permet à une société de ne pas tomber dans l'anomie, l'absence de repères.
Il y a des gens pourtant qui voient d'un mauvais oeil cet attachement aux racines, qui soupçonnent les mots " sol ", " peuple "
Il y a des gens " au grand cur ", ces " antisémites sympas ", comme l'a évoqué Maître Médina, pour dire que les juifs sont racistes, que l'Etat israélien est raciste.
C'est le paradoxe d'un anti-racisme qui mène à l'antisémitisme.
Ce type de discours est tout simplement intolérable.
Je dirai juste un mot du conflit israélo-palestinien, qui constitue pour tout un chacun une douloureuse réalité.
Je comprends que vous soyez comme touchés dans votre chair à l'annonce de chaque attentat.
Les attentats-suicides qui ont ensanglanté la population civile israëlienne ont été condamnés par la communauté internationale, notamment par la voix du Conseil de Sécurité de l'ONU.
Ils procèdent d'une lecture fausse de la religion, d'un intégrisme et d'une fascination morbide dont se désolidarise clairement la majorité des musulmans, que l'on ne peut pas stigmatiser en tant que groupe.
La société civile se mobilise pour la paix.
Ainsi, le fait-elle autour de l'initiative de Genève, résultant des négociations secrètement menées par Yasser Abed Rabbo et Yossi Beilin.
Évidemment, seuls les gouvernements démocratiquement élus et politiquement responsables devant leurs populations pourront finaliser ces espoirs de paix.
Mais de telles initiatives constituent un signal positif, elles donnent un horizon au-delà de la guerre.
Il est certain qu'on ne peut pas, quand son existence-même est menacée, cesser de se battre. Un État doit protéger ses ressortissants.
Mais le courage par-delà le courage, c'est risquer la paix. C'est pour avoir eu ce courage qu'Itzhac Rabin est entré dans l'Histoire. Ce que l'Histoire a retenu, ce n'est pas le militaire, héros de la guerre, mais le grand homme qui a voulu la paix, y compris contre une frange de la société israélienne - dont son assassin était issu.
La peur et la méfiance sont de mise, et pourtant il faudra bien les surmonter et faire prévaloir la logique du dialogue sur la logique de l'affrontement, celle de l'espoir sur celle de la haine alimentée par les frustrations.
Comment, sinon, refaire de cette terre de deuil où coule le sang des combattants et des victimes civiles une terre où coulent le lait et le miel ?
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Pour conclure mon propos, je rappellerai cette phrase du père d'Emmanuel Levinas : " un pays qui se déchire à propos d'un petit capitaine juif est un pays où il faut aller ".
Permettez-moi cette double exhortation en réponse aux questions que m'ont posé vos deux Présidents :
-Oui, Maître Médina, les juifs de Grenoble doivent continuer de marcher dans les rues de leur ville.
-Oui, Maître Jacubowicz, dites à ceux qui sont tentés de quitter leur pays, la France, que les pouvoirs publics Français sont mobilisés à leurs côtés, vigilants, - avec, pour reprendre une formule de Bernard-Henri Lévy, " la Shoah en tête et au cur ".
Dites leur aussi, qu'Israël a besoin d'eux ici, qu'Israël a besoin de tous les juifs dispersés dans le monde.
Les juifs de France sont " fils d'Abraham et de Marianne ". La République défendra ses fils.
Maître Jacubowicz, dîtes à votre petit cousin que oui, il a un avenir en France.
(source http://www.crif-grenoble.org, le 10 décembre 2003)