Interview de Mme Roselyne Bachelot-Narquin ministre de l'écologie et du développement durable, à Europe 1 le 7 janvier 2004, sur l'épidémie de légionellose autour du site de l'usine Noroxo dans le nord de la France.

Prononcé le

Média : Emission Journal de 8h - Europe 1

Texte intégral


J.-P. Elkabbach.- On attend les explications que vous allez donner. On connaît la source ou l'une des sources de l'épidémie de légionellose, l'usine pétrochimique de Noroxo. Vous avez révélé hier que Noroxo, classée Seveso, n'a pas respecté les règles. Est-ce que vous confirmez ce matin ce que vous disiez hier ?
R. BACHELOT.- "J'ai fait une observation en constatant les chiffres de contamination de l'usine Noroxo. Le 15 octobre, c'est-à-dire bien avant le début de l'épidémie - le 28 novembre 2003 -, la société Noroxo retrouve dans une de ses tours aéro-réfrigérantes un taux sept fois plus élevé que le taux qui entraîne non seulement la désinfection de l'installation mais qui doit entraîner l'arrêt de l'installation."
J.-P. Elkabbach.- Elle n'arrête pas...
R. BACHELOT.- "Elle n'arrête pas, mais elle procède effectivement à une désinfection, à un choc biocide, qui va permettre d'ailleurs de ramener le taux de contamination de la tour à un taux inférieur à ce qui est toléré."
J.-P. Elkabbach.- Est-ce que, à ce moment-là, elle est dans ce qu'elle doit faire ?
R. BACHELOT.- "Non, elle aurait dû - je le maintiens - fermer l'installation à ce moment-là."
J.-P. Elkabbach.- Puis l'épidémie reprend...
R. BACHELOT.- "L'épidémie va reprendre. On va retrouver à nouveau un taux six fois supérieur à ce qui entraîne la fermeture d'un site industriel ; on va retrouver ce taux le 28 novembre. Ce taux va être communiqué à l'autorité administrative, à la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement. La décision de fermeture va être prise par les autorités de l'Etat le 29 novembre, et la fermeture effective va survenir le 2 décembre, parce que l'arrêt d'une installation met quelques dizaines d'heures à se produire."
J.-P. Elkabbach.- L'usine est fermée...
R. BACHELOT.- "L'usine est fermée. A nouveau, on procède à la désinfection de la tour aéro-réfrigérante impliquée dans cette affaire. La décontamination va réussir et va permettre la réouverture du site le 22 décembre."
J.-P. Elkabbach.- Mais maintenant, aujourd'hui, elle est fermée ?
R. BACHELOT.- "J'ai pris à nouveau, le 1er janvier de cette année, la décision de fermer le site à nouveau. Pourquoi ? Parce qu'alors que la désinfection, la décontamination semblait avoir réussi, néanmoins, l'infection, l'épidémie par la légionelle a continué. Nous avions pourtant multiplié les contrôles dans les communes aux alentours du foyer de l'épidémie ; 350 contrôles ont été faits, nous n'avons pas trouvé de source secondaire, d'autre source de contamination. Et nous avons pu aussi, à travers tous les malades que nous avons détectés, voir que c'était la souche Noroxo qui était à l'origine de l'infection par légionelle."
J.-P. Elkabbach.- Le directeur contestait sur Europe 1 votre version. Vous lui répondez qu'il n'a pas respecté les règles ?
R. BACHELOT.- "Voilà."
J.-P. Elkabbach.- S'il n'a pas respecté les règles, c'est grave. Est-ce que cela veut dire que c'est presque un comportement, je n'ose pas dire "criminel" parce qu'il y a eu des morts ?
-R. BACHELOT.- Non, je ne veux pas dire cela. Je vais dire que c'est vrai que dans une région qui a été très sévèrement touchée par le chômage, par les difficultés industrielles... Rappelez-vous : dans les communes que nous avons vérifiées, il y a Noyelles-Godault ; nous parlions il y a un an de Metaleurop et du drame industriel que cela a suscité. Il y a 160 salariés qu'on met au chômage en arrêtant un site industriel. Et que des gens qui sont responsables de la sécurité, de l'hygiène, se soient dit : "On va maîtriser cette affaire" - et d'une certaine manière, ils l'ont maîtrisée, ils y sont arrivés par le choc biocide."
J.-P. Elkabbach.- Donc ils n'ont aucune responsabilité ?
R. BACHELOT.- "Non. Je veux rappeler justement que la réglementation n'est pas faite pour embêter les gens, elle est faite pour les protéger, et il faut la respecter."
J.-P. Elkabbach.- Même quand il y a une menace pour l'emploi ?
R. BACHELOT.- "Même quand il y a une menace pour l'emploi. Quand il y a une question de santé publique, on ne doit pas opposer l'emploi et la protection de la santé et de l'environnement. Le président de la République l'a rappelé hier dans son discours sur l'emploi : le développement, c'est un développement durable."
J.-P. Elkabbach.- Le Président dit : pas de désindustrialisation, il faut industrialiser. Mais comment fait-on pour à la fois faire cela et en même temps respecter la Charte de l'environnement et du développement durable ?
R. BACHELOT.- Si on veut que notre pays reste un grand pays industriel, il faut que les activités industrielles soient acceptées par le public. Il faut que les personnes qui vivent aux alentours de l'usine Noroxo ou d'un grand site des 1.350 sites industriels qui ont des tours aéro-réfrigérantes soumises à autorisation, se sentent en sécurité. Et elles l'acceptent parce qu'il y a une réglementation qui est respectée."
J.-P. Elkabbach.- Restons sur Noroxo. L'usine est fermée ; elle le restera combien de temps ?
R. BACHELOT.- "L'usine est fermée, elle le restera tant que les inspections que je mène de façon accélérée... J'ai décidé d'augmenter le périmètre d'inspection à dix kilomètres autour de l'usine Noroxo. J'ai renforcé l'inspection de dix inspecteurs supplémentaires..."
J.-P. Elkabbach.- Un inspecteur de la DRIRE, c'est quelqu'un de très costaud...
R. BACHELOT.- "C'est quelqu'un de très costaud, c'est quelqu'un qui a fait évidemment plusieurs années d'étude, ce n'est pas quelqu'un qui a fait un stage de trois semaines. UN DRIRE, c'est une personne de très très haut niveau technique."
J.-P. Elkabbach.- Il y en a dix de plus, et vous en voudriez beaucoup plus à l'échelle de la France ?
R. BACHELOT.- "Mon but, c'est, sur la mandature, de doubler le nombre des inspecteurs des installations classées pour l'environnement."
[...]
J.-P. Elkabbach.- Est-ce que vous voulez que la justice identifie les responsables, les juge, éventuellement les sanctionne ?
R. BACHELOT.- "J'ai transmis les résultats des inspections, bien entendu, à l'autorité judiciaire. Il y a une instruction judiciaire, une procédure judiciaire qui est en cours. Je me dois d'apporter mon concours à la justice, c'est tout à fait normal."
J.-P. Elkabbach.- La gauche demande une commission d'enquête au Parlement...
R. BACHELOT.- "Je trouve qu'elle a quand même un culot d'acier, parce que quand même la réglementation actuelle, si elle est insuffisante, elle date de 1999, elle date du gouvernement de monsieur Jospin. Mais bien entendu, s'il y a une commission d'enquête qui est faite, qui est décidée par le Parlement, bien entendu je viendrai être auditionnée par cette commission d'enquête."
J.-P. Elkabbach.- Au passage, on n'entend pas tellement les Verts, mais ne faisons pas de polémique. Est-ce qu'il y a d'autres Noroxo à la fois dans le Nord-Pas-de-Calais et en France ?
R. BACHELOT.- "Il y a 1.350 installations soumises à autorisation, qui ont des tours aéro-réfrigérantes, pas du type Noroxo, mais qui peuvent être des tours qui émettent de la légionelle. Et il y a plusieurs dizaines de milliers d'installations qui sont soumises à déclaration. Et puis il y a aussi toutes sortes d'installations qui sont des installations de... Le climatiseur du studio d'Europe 1 peut émettre de la légionelle."
J.-P. Elkabbach.- C'est-à-dire qu'il faut revoir tous les climatiseurs ?
R. BACHELOT.- "Il faut très certainement revoir cette réglementation, elle est insuffisante. J'ai fait une communication au Conseil des ministres le 5 novembre sur la qualité de l'air, pour faire en sorte de renforcer cette réglementation, d'appeler à la vigilance de tous les exploitants d'installations et de climatisations."
J.-P. Elkabbach.- Il faut voir les administrations, les entreprises, les hôpitaux, les maisons de retraite, les actuelles et les futures, il faut tout revoir ?
R. BACHELOT.- "Exactement."
J.-P. Elkabbach.- C'est un drôle de travail, et pas seulement pour vous, mais pour l'ensemble. Je vous pose une ou deux questions politiques : "J. Chirac rentre au Gouvernement", "il reprend la barre", "Chirac super-Premier ministre" ; vous "qui savez", est-ce qu'il était absent ou est-ce qu'on a la révélation publique de ce qu'il a toujours fait ?
R. BACHELOT.- "Cette approche est véritablement une calembredaine. Le président de la République a toujours été à la barre. Il nous a toujours fixé les grandes orientations. Je vous garantis qu'en ce qui concerne mon secteur, le secteur de l'écologie et du développement durable, la Charte de l'environnement, il ne l'a pas quittée des yeux tout au long de son élaboration."
[...]
J.-P. Elkabbach.- Est-ce que cela veut dire qu'il est plus que jamais aux commandes ?
R. BACHELOT.- "La période des voeux est l'occasion, pour le président de la République, de fixer la feuille de route à son Gouvernement, de refixer les objectifs, d'appeler comme hier les forces vives à leurs responsabilités. Il est dans son rôle, comme il l'était l'année dernière."
J.-P. Elkabbach.- Ce n'est pas une nouvelle étape ?
R. BACHELOT.- "Ce n'est pas une nouvelle étape."
J.-P. Elkabbach.- Ce n'est pas, de sa part, gronder un Gouvernement qui n'agit pas assez, assez vite ?
R. BACHELOT.- "S'il avait l'occasion de le faire, il l'aurait fait avant."
J.-P. Elkabbach.- Et J.-P. Raffarin, vous le revoyez maintenant plus satisfait ? On dit : "Où est le Premier ministre ? Il est affaibli, il n'existe pas." ...
R. BACHELOT.- "Je n'ai pas vraiment l'impression que le Premier ministre n'existe pas."
J.-P. Elkabbach.- Faites-moi le portrait de J.-P. Raffarin par R. Bachelot...
R. BACHELOT.- "Le portrait de J.-P. Raffarin, ça va d'abord être un portrait affectif. Avoir à la tête du Gouvernement un homme aussi dépourvu de paranoïa, aussi simple, aussi proche des gens, des Français, de ses ministres - oui, sans doute, ce qui surprend dans J.-P. Raffarin, c'est que c'est une exception dans le monde politique."
J.-P. Elkabbach.- C'est l'affectif. Mais la réalité ?
R. BACHELOT.- "La réalité, c'est que c'est un homme qui est aux commandes."
J.-P. Elkabbach.- Il y a un jeu de la presse : on dit que R. Bachelot est sur la liste des ex-ministres. Cela vous sape le moral, ça vous sape votre action, ou vous vous en fichez ?
R. BACHELOT.- "Je ne m'en fiche pas... Cela ne m'empêche pas de continuer... Je suis à la tête d'un ministère qui est particulièrement difficile, qui est particulièrement exposé, qui est face à une demande sociale considérable. J'ai les 160 salariés de Noroxo, j'ai les familles touchées par la légionelle, j'ai la question des inondés, les chasseurs, les agriculteurs... Je me rends tout à l'heure au Forum de l'agriculture raisonnée avec C. Lambert. Je connais les difficultés des gens ; c'est cela qui m'importe ; ma petite personne n'a que peu d'intérêt."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 janvier 2004)