Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur le blocage des négociations de l'OMC en matière de politique agricole et d'aide alimentaire, Chicago le 21 juin 2004.

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Circonstance : Salon Vinexpo à Chicago le 21 juin 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de ces mots d'introduction et de votre accueil.
Mes remerciements s'adressent en premier lieu à la John Marshall Law Scool, au Chicago Council on Foreign Relations et à Chicago Farmers, qui ont organisé cette rencontre avec une grande efficacité et beaucoup de gentillesse, avec un temps de réaction très bref.
Permettez-moi de saluer également Madame Lynne OSTFELD, qui a été notre correspondante pour l'organisation de cette rencontre.
Et je remercie chacun d'entre vous d'être présent aujourd'hui pour que nous puissions évoquer ensemble un enjeu important de l'avenir de nos agricultures.
Vous avez devant vous un ministre français de l'agriculture venu vous parler d'OMC. Sachez tout d'abord à quel point cette Organisation me paraît un univers réellement hors du temps.
D'abord parce que son siège porte le nom du Professeur William RAPPARD, né à New-York en 1883 de parents suisses, qui fut tour à tour le premier secrétaire de la Ligue des Sociétés de la Croix rouge et du Croissant rouge, recteur de l'Université de Genève, Directeur de la Section des mandats de la Société des Nations, ambassadeur de Suisse auprès des différentes organisations internationales ayant leur siège à Genève et, last but not least, Vice Président du Comité international pour le placement des intellectuels réfugiés.
Déjà, me direz vous, quelle hérédité !
On doit au hasard des temps que l'ancienne demeure personnelle de M. RAPPARD abrite aujourd'hui le centre d'accueil pour les délégations et organisations non gouvernementales. On doit également au hasard des temps que l'une de ses anciennes résidences professionnelles, le siège du Bureau International du Travail, premier immeuble construit à Genève en 1926 pour abriter une organisation internationale, soit devenue après la 2e guerre mondiale le siège du GATT, le Sénat américain ayant refusé de ratifier la charte de La Havane de 1948 instituant une Organisation Internationale du Commerce prévoyant par exemple des règles très ambitieuses sur les normes sociales et les investissements.
Cela nous permet de mieux situer, par exemple, la complexité des débats qui se sont déroulés dans cette enceinte il y a quelques années sur l'opportunité d'utiliser le commerce pour faire respecter les normes sociales fondamentales !
Cela nous donne également matière à réfléchir sur le " sens de l'Histoire ", et nous permet de supposer que l'OMC est une Organisation d'avenir, appelée à le rester encore longtemps.
Mais l'avenir, aujourd'hui, semble se limiter un peu trop, pour certains, à ce qui va ou pourrait se passer dans quelques semaines à Genève.
Et je crains pour ma part qu'il ne se passe pas grand chose, à en juger notamment par le peu d'effet sur les autres participants à la négociation des récentes propositions du commissaire Lamy sur les subventions à l'exportation.
De ce point de vue, le principal enseignement du communiqué final du Sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement du G 8 à Sea Island, c'est ce qu'il ne dit pas.
En effet, la proposition initiale de la Présidence américaine comportait une référence spécifique à l'élimination des subventions à l'exportation, présentée de façon très déséquilibrée, puisque l'Europe aurait assumée l'essentiel de l'effort collectif en supprimant ses restitutions, tandis que les contreparties des autres grands partenaires seraient restées quelque peu évanescentes.
Mais les discussions au G 8 sont à l'image des discussions à l'OMC, elles reposent sur le principe du consensus. La détermination du Président de la République et du Commissaire Lamy, qui s'est rallié à sa position, est à l'origine du retrait de toute référence à l'élimination des subventions à l'exportation, faute de pouvoir afficher un équilibre et un parallélisme des efforts de chacun.
Nous ne pouvons en effet établir un partenariat euro-américain constructif que sur la base d'un partage de l'effort équitable.
Le parallélisme dans la négociation agricole comporte en effet des exigences vis-à-vis des Etats-Unis et de quelques autres pays que je crois utile de vous détailler plus avant.
Que signifie le projet d'élimination des subventions à l'exportation ? Il signifie l'abandon de l'exception créée par l'article XVI du GATT, négocié à la Havane, et qui prévoyait, à la demande expresse du négociateur américain et contre l'avis tout aussi exprès des négociateurs australien et français, l'autorisation, sous certaines conditions, des subventions à l'exportation pour des produits agricoles, alors qu'elles sont un péché cardinal contre les règles du GATT.
A partir du moment où l'Europe devrait renoncer à ses restitutions, la règle du marché devrait alors s'imposer à tous, sans exceptions, dans le domaine des subventions à l'exportation.
Pour les Etats-Unis, la traduction du parallélisme est simple : élimination des crédits à l'exportation, de l'aide alimentaire en nature pour passer à des dons en espèces et de l'effet de distorsion des deficiency payments, ce qui est plus difficile.
Dans toutes les enceintes internationales compétentes en matière de crédits à l'exportation agroalimentaires, les Etats-Unis demandent la prise en compte de leur spécificité agricole. Eh bien, cette spécificité agricole n'aurait plus de raison d'être. Il suffit d'ailleurs, pour s'en convaincre, de se reporter au droit commun OMC de l'accord sur les subventions.
Le même raisonnement vaut pour l'aide alimentaire. L'aide alimentaire américaine aide d'abord les fermiers américains, et c'est d'ailleurs l'USAID elle-même qui le reconnaît. Ses rapports sont éloquents sur ce point. L'aide est essentiellement utilisée pour dégager le marché lorsque les prix intérieurs sont bas. Elle est donc abondante lorsque la nourriture est abordable pour les pays pauvres, et faible lorsque le coût d'approvisionnement de ces pays explose.
Par ailleurs, l'aide alimentaire est accordée prioritairement à des pays représentant un potentiel commercial futur. C'est la raison pour laquelle l'Ethiopie, pourtant menacée de famine en 2002, a reçu autant que le Pérou et moins que l'Indonésie.
Le droit commun de l'accord OMC sur les subventions est très clair : la fourniture d'un produit par un gouvernement est une subvention interdite.
Pour l'aide alimentaire, le parallélisme, cela signifie un déliement de l'aide, afin qu'elle soit accordée exclusivement en argent et sous forme de dons.
Plus importants économiquement, les deficiency payments ont un effet autrement plus pernicieux que les restitutions. Là où les restitutions font l'objet de plafonds budgétaires, les deficiency payments fonctionnent sans limites. Quand on sait qu'en moyenne un tiers de la production agricole américaine est exporté, on mesure l'ampleur du problème. Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, la mise en place à la frontière d'un droit compensateur qui serait égal au montant moyen du deficiency payment ?
Quant aux boards canadiens et australiens, là aussi la solution est simple : élimination.
Pour deux raisons.
D'abord, parce que le nom même d'entreprise commerciale d'Etat évoque davantage l'économie planifiée que l'économie libérale et globale du XXIème siècle.
Et aussi pour des raisons rigoureusement cartésiennes : ou bien en effet les boards n'ont aucun effet de subventionnement, et les producteurs canadien et australien s'en passeront volontiers, ou bien ils ont un effet de subventionnement et il faut donc s'en débarrasser.
Vous l'aurez compris, le parallélisme relève donc à la fois du droit, de l'équité et du bon sens.
De ce point de vue, je constate, une fois de plus, que les paramètres de la négociation se présentent dans des conditions qui ne sont pas si différentes en Europe et aux Etats-Unis : chacun doit faire des efforts sur des instruments importants de politique agricole, et c'est également vrai des pays du groupe de Cairns.
En demandant à l'Union européenne de sacrifier un des piliers de la politique agricole commune, chacun doit s'interroger sur les sacrifices qu'il est prêt à consentir en ce qui le concerne sur les instruments les plus distorsifs de sa politique agricole.
En ce qui concerne les Etats-Unis, posez-vous la question de savoir si les crédits à l'exportation, si l'aide alimentaire, si les deficiency payments, si les marketing loans, si décriés pour leurs effets déstabilisants dans des marchés comme les céréales ou le coton, font partie des cartes que le gouvernement américain est prêt à mettre sur la table pour faire progresser la négociation du cycle du développement ?
Il est clair que nous voulons rééquilibrer la négociation et que nous serons prêts à faire pleinement valoir nos droits à cet effet. Mais nous avons également des intérêts euro-américains communs à défendre : ne faut-il pas clarifier la situation des pays en développement ? Est-il bien raisonnable que des pays comme le Brésil prétendent bénéficier pleinement des réductions de droits de douane et de soutiens à l'agriculture dans les pays industrialisés tandis qu'ils ne seraient, pour leur part, soumis à aucune contrainte ? Ne faut-il pas plutôt diriger en priorité les efforts que nous serons amenés à consentir vers les pays les plus pauvres, qui ont le plus besoin de la solidarité internationale, et demander aux grands pays émergents de respecter des règles du jeu équilibrées pour tous ?
Je livre ces réflexions à votre analyse et au débat.
Il faut en être conscient, la discussion qui s'est déroulée à Sea Island devra avoir lieu à Genève en juillet. Soit tout le monde bouge. Soit personne ne bouge. Il n'y a pas de tyrannie du calendrier, et rien ne nous oblige à trouver un accord dans les semaines qui viennent.
Je vous remercie.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 22 juin 2004)