Texte intégral
Mesdames et messieurs,
Cette séance du Conseil supérieur de l'éducation est pour moi la première. Je suis heureux d'être à vos côtés pour servir notre système éducatif. J'utilise le verbe " servir " à dessein car l'éducation nationale s'inscrit de façon quasi régalienne au coeur du contrat national.
J'ai une double conviction qui a été renforcée à l'occasion de mon passage au ministère du travail, des affaires sociales et de la solidarité :
- la première est que dans le monde d'aujourd'hui, la France livre un combat dont dépend son influence internationale, sa prospérité sociale et économique, sa singularité culturelle. Dans ce combat, notre atout central se situe dans la formation, le savoir. C'est une priorité nationale dont je défendrai le principe ;
- ma seconde conviction est que la société française a besoin de repères collectifs. Face à l'individualisme ambiant et aux réflexes communautaires, face à la violence et la résurgence des phénomènes antisémites ou racistes, bref, devant la confusion des valeurs que suscite notre univers contemporain, j'estime nécessaire de revitaliser l'alliance entre la République et son Ecole.
Chaque fois que cela sera nécessaire, je serai présent aux côtés des chefs d'établissement et des enseignants lorsqu'il conviendra d'arbitrer en faveur de certains principes : autorité et respect des professeurs, éthique de l'effort et de la responsabilité, égalité des chances, fraternité, civisme, laïcité, tous ces mots ont pour moi du sens. Ils doivent s'incarner dans l'institution scolaire car elle reste l'épine dorsale du pays. A cet égard, le terme " Education nationale " porte en lui même un projet : celui d'instruire et de rassembler.
Devant cette large responsabilité, je sais - pour en avoir discuté sur le terrain avec des enseignants et avec certains d'entre-vous - que la communauté éducative ressent une difficulté de fond : l'Ecole est en effet devenue le réceptacle de toutes difficultés et par là même de toutes les attentes de notre société. Cette charge est à la fois immense, sans doute excessive car elle conduit parfois nos concitoyens à tout reporter sur l'Ecole, mais elle est un honneur pour celles et ceux qui font vivre le service public de l'éducation.
Le débat national sur l'avenir de l'Ecole, conduit avec détermination par la commission présidée par Claude Téhlot, s'est conclu par la réalisation d'une synthèse " Le miroir du débat " dont il vous revient de débattre. Ce miroir stimulant est à l'image de cette relation étroite mais parfois complexe qui existe entre les Français et leur Ecole.
Il met en exergue les atouts de notre système, mais aussi ses points faibles. Je pense ici aux 160 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans réelle qualification. Je pense aussi à la reproduction de certaines inégalités sociales que notre système éducatif n'arrive pas toujours à briser. Je pense à la violence, mais également au problème de la drogue. Je pense à certains de nos dysfonctionnements administratifs qui peuvent conduire à un manque de réactivité, voire de transparence, au regard des élèves et des parents, mais aussi pour ceux - chefs d'établissement, enseignants et personnels techniques - qui sont sur le terrain. Je pense à la formation des maîtres dont on me dit qu'elle peut être en certains endroits remarquable et en d'autres insatisfaisante. Je pense enfin à cette absence de confiance en eux-mêmes que je ressens chez nombre d'adolescents.
Tout ceci doit être examiné avec lucidité, de façon ouverte et constructive. La commission a précisément pour mandat de poursuivre ses travaux et de proposer des pistes d'action. Elles nourriront les propres réflexions du gouvernement dans l'élaboration de la loi d'orientation prévue pour l'année prochaine. A l'évidence, cette loi ne peut être abordée avec un esprit de système. Elle ne peut être une loi de rupture, mais une loi qui relance nos objectifs fondamentaux et réajuste les méthodes et les pratiques pour y parvenir.
Qu'attendons-nous, au fond, de notre école ?
Le premier des objectifs doit être que tous les enfants acquièrent un bagage commun. Face aux connaissances, il faut l'égalité des chances. Tout enfant qui entre en 6ème doit savoir lire, écrire, compter. Si cette priorité exigeante n'est pas assurée, alors le collège ne peut, en aval, tenir pleinement son rôle. Dans cette perspective, la poursuite à l'école primaire du plan de prévention des difficultés de lecture et d'écriture, à travers notamment les cours préparatoires dédoublés ou renforcés, doit être approfondie et évaluée sur le moyen terme.
Le second objectif est que chacun puisse librement choisir, au terme d'un tronc commun, la voie qui lui est la plus appropriée. Je refuse d'entrer dans les débats théoriques sur le collège unique ou multiple, " indivisible " ou " bicéphale "... Il faut que le collège soit pour tous ! C'est-à-dire un collège qui donne les moyens à chacun d'acquérir des savoirs fondamentaux - c'est la notion de " socle " - et qui offre en parallèle une ouverture sur des filières professionnelles qui doivent être motivantes et valorisantes. Pour cela, il ne faut pas hiérarchiser et opposer les filières. Parce que l'excellence peut être plurielle, Il faut de la diversité, il faut des passerelles. C'est dans cet esprit que j'examine actuellement sans préjugé le projet d'adaptation de la 3e.
D'une façon plus générale, nous devons donner leurs lettres de noblesse à toutes ces voies qui mènent vers une connaissance des métiers et des qualifications professionnelles.
Dans votre ordre du jour, vous êtes appelés à vous prononcer sur l'expérimentation du baccalauréat professionnel en trois ans à l'issue de la classe de troisième. Je sais qu'elle suscite quelques inquiétudes. Cette expérimentation, qui doit être juridiquement encadrée par un décret, mérite d'être évaluée sereinement. Il me semble qu'elle présente certains intérêts, sous réserve de ne pas être généralisée trop vite et inconsidérément, sous réserve d'être centrée sur des filières au sein desquelles les élèves sont souvent plus âgés que la moyenne et qui répondent aux besoins de secteurs professionnels qui éprouvent de fortes difficultés de recrutement. A ce jour, 17 académies ont sollicité l'accord de mes services pour des ouvertures expérimentales à la rentrée 2004.
Sur un plan plus structurel, le spectre de nos formations professionnalisantes me conduit à penser que nous devons travailler aux moyens de contribuer à la réussite du droit à la formation individuelle tout au long de la vie, droit qui vient d'être adopté par le Parlement à la suite de l'accord interprofessionnel du 20 septembre 2003.
L'ambition de notre système scolaire se situe, mesdames et messieurs, dans la perspective des 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat. Mais derrière ce chiffre ambitieux et symbolique, il y a, nous le savons tous, des réalités plus complexes, des noeuds à délier, des revers silencieux mais douloureux Face à cette réalité, il faut enrichir notre horizon en visant 100% des élèves qui atteignent une qualification, en trouvant leur voie, leur épanouissement. On est là au coeur de la question de l'orientation. Elle se pose au collège, comme elle s'impose à l'Université.
Enfin, dans ce rapide panorama, le troisième objectif renvoie aux valeurs partagées qui doivent animer l'institution scolaire. L'autorité du chef d'établissement, le respect des professeurs, le travail en équipe, l'écoute des parents : tout ceci forge une communauté d'action et de dialogue.
Sur ce point, vous êtes d'ailleurs appelés à vous prononcer sur des ajustements relatifs aux élections des représentants des parents d'élèves. Ces ajustements sont rendus nécessaires au regard des évolutions sociologiques intervenues dans la vie des familles depuis quelques décennies, comme celle de la séparation, du divorce. Il s'agit, vous le savez, de ne plus réserver le droit de suffrage et de candidature à une seule personne par famille, mais à chaque parent d'un élève inscrit. Cet élargissement du collège électoral peut susciter quelques interrogations d'ordre pratique dont certains d'entre-vous se sont fait les interprètes, mais il témoigne, selon moi, d'une volonté grandissante de chaque parent d'être associé à l'avenir de l'Ecole et de leurs enfants. C'est une prédisposition qu'il nous faut exploiter.
Cette communauté doit avancer ensemble, avec ses règles, avec ses droits et ses devoirs. Parmi ceux-ci, il y a la laïcité.
Dès ma nomination, je me suis attelé à la rédaction de la circulaire qui est aujourd'hui soumise à votre jugement et qui est destinée à encadrer la loi du 15 mars. J'ai fortement milité en faveur de cette loi car j'estimais que la Nation devait prendre ses responsabilités afin d'épauler la communauté éducative dans son travail. Il m'apparaissait inconcevable de laisser l'Ecole se " débrouiller " seule, sous le regard attentiste des pouvoirs publics. Cela n'est pas ma conception de l'autorité de l'Etat.
Je sais que parmi vous, les avis étaient partagés vis-à-vis de cette législation qui a été votée de façon quasi consensuelle par le Parlement. Votre conseil s'est prononcé en sa faveur mais beaucoup d'entre-vous se sont cependant abstenus. A l'image de tous ceux qui ont eu à traiter ce dossier sensible, vous vous interrogiez, non sur la nécessité de valoriser le principe de laïcité, mais sur les modalités d'application de ce principe.
C'est l'objet de cette circulaire qui a été ajustée à trois reprises. J'ai reçu et écouté toutes les parties prenantes intéressées par ce dossier. C'est ma méthode de travail. Je l'ai appliquée sur ce sujet, comme je l'appliquerai sur d'autres. Je l'ai fait sans précipitation et sans préjugé.
Mais je vous dois la franchise sur deux points :
- le premier, est que ces ajustements démontrent que l'exercice d'écriture de cette circulaire n'était pas aisé. Entre ceux qui désiraient sur-réglementer la loi et ceux qui escomptaient la dévitaliser, il fallait définir un axe républicain qui ne soit ni angélique, ni arbitraire. Ni angélique car les velléités de contournement ne peuvent être écartées ; ni arbitraire car l'application de la loi ne doit pas être vécue par toute notre jeunesse comme un carcan abusif, ni perçue comme un instrument grossièrement tourné contre la liberté de conscience ;
- le second point, est que les tiraillements que j'ai ressentis autour de la rédaction de cette circulaire m'ont confirmé dans la conviction que nous avions trop longtemps laissé en suspens cette question. J'ai refusé de céder aux pressions. Il fallait trancher cette affaire, et la trancher, selon moi, avec autant de clarté possible. Je sais que beaucoup d'enseignants attendent un cadre pratique et je sais que nombre de parents souhaitent que l'éducation de leurs enfants puisse s'organiser dans un climat sérieux, protégé des tensions extérieures, qu'elles soient religieuses ou autres. Les organisations syndicales et professionnelles que j'ai pu rencontrer, m'ont largement invité à poursuivre dans cette voie. Leur concours et leur expérience m'ont été, en la matière, précieux.
Sans entrer dans le détail de cette circulaire, permettez-moi d'insister sur ses idées forces :
- celle, tout d'abord, de la fermeté républicaine sur l'essentiel : c'est-à-dire l'interdiction des signes religieux les plus évidemment ostensibles. Cette règle simple et nette, si fortement attendue, s'appliquera partout et pour tous et quelle que soit la forme revêtue par ces signes;
- cette fermeté sur l'essentiel va de pair avec une part de pragmatisme et de responsabilité laissée aux acteurs de terrain pour faire respecter la règle commune et sanctionner ses éventuels contournements. La plupart des chefs d'établissement que j'ai pu rencontrer, si soucieux soient-ils du caractère exhaustif de la circulaire, m'ont indiqué qu'ils étaient attachés à cette responsabilité de terrain. Je mise donc sur leur autorité et celle de leurs équipes. J'ai confiance en leur discernement pour cibler la portée religieuse qui pourrait être attachée à certaines tenues vestimentaires, et plus encore lorsque leur port contreviendrait au règlement intérieur comme cela est indiqué dans la circulaire ;
- conformément à la législation, la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire d'exclusion est précédée d'un dialogue avec l'élève ; un dialogue qui ne peut avoir d'autre but que de conduire avec pédagogie au respect de la loi. L'organisation de ce dialogue relève de la responsabilité du chef d'établissement, qui désigne la ou les personnes qui seront chargées de celui-ci, notamment au sein des équipes éducatives, et qui définit les conditions dans lesquelles l'élève est scolarisé dans l'établissement durant cette phase. Les recteurs diffuseront aux établissements une liste de personnes qualifiées susceptibles de renseigner et, si nécessaire, d'appuyer ces chefs d'établissement si ces derniers le souhaitaient.
Vous le savez - car la presse s'en est fait l'écho - certains auraient voulu intégrer dans cette circulaire la médiation des autorités religieuses. Je ne l'ai pas accepté. Ces autorités, comme tous les usagers du service public, pourront cependant prendre attache avec le rectorat pour faire valoir leur point de vue.
- enfin, dans le cadre de l'évaluation annuelle de la loi, les chefs d'établissement devront adresser au recteur de leur académie un compte rendu faisant le bilan des conditions d'application de la loi. Il permettra au gouvernement et au parlement d'ajuster, si cela s'avère nécessaire, son approche.
Voilà, mesdames et messieurs, l'esprit de cette circulaire. J'ai cherché la clarté et l'efficacité. Je me suis - bien humblement - efforcé de me " glisser dans la peau " de ceux qui devront la mettre en pratique avec autorité et tact.
Nul ne prétend que cette circulaire puisse tout régler, car chacun sait que derrière la question de la laïcité il y a des problématiques et des enjeux plus larges. Mais nul ne pourra cependant me convaincre - nous convaincre ! - que la résolution de ces enjeux passe par le recul des principes républicains.
J'insiste, pour conclure, sur un dernier point : cette circulaire ne doit pas être interprétée comme la victoire des uns sur les autres. Nul ne doit se sentir stigmatisé par le renforcement de la laïcité et nul ne doit se sentir offensé par les observations des différentes autorités confessionnelles.
L'Ecole, parce qu'elle réunit des enfants et des adolescents, est un lieu singulier. La laïcité est ce qui permet à chacun d'entre eux - au-delà de leurs origines, de leur sexe, et dans le respect des convictions spirituelles de chacun - de vivre ensemble à égalité, dans le respect mutuel.
Faire en sorte que ce qui nous rassemble soit plus fort que ce qui peut nous diviser : voilà le message d'union qui est sous jacent à cette circulaire.
Elle mérite, je le crois, d'être portée de façon collective. Dans cet esprit, votre soutien nous est utile. Je crois qu'il est attendu sur le terrain, comme par nos concitoyens. Ce soutien me semble important pour l'Ecole de la République, qui est la somme de ce que nous voulons ensemble pour elle, pour son avenir.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 19 mai 2004)
Cette séance du Conseil supérieur de l'éducation est pour moi la première. Je suis heureux d'être à vos côtés pour servir notre système éducatif. J'utilise le verbe " servir " à dessein car l'éducation nationale s'inscrit de façon quasi régalienne au coeur du contrat national.
J'ai une double conviction qui a été renforcée à l'occasion de mon passage au ministère du travail, des affaires sociales et de la solidarité :
- la première est que dans le monde d'aujourd'hui, la France livre un combat dont dépend son influence internationale, sa prospérité sociale et économique, sa singularité culturelle. Dans ce combat, notre atout central se situe dans la formation, le savoir. C'est une priorité nationale dont je défendrai le principe ;
- ma seconde conviction est que la société française a besoin de repères collectifs. Face à l'individualisme ambiant et aux réflexes communautaires, face à la violence et la résurgence des phénomènes antisémites ou racistes, bref, devant la confusion des valeurs que suscite notre univers contemporain, j'estime nécessaire de revitaliser l'alliance entre la République et son Ecole.
Chaque fois que cela sera nécessaire, je serai présent aux côtés des chefs d'établissement et des enseignants lorsqu'il conviendra d'arbitrer en faveur de certains principes : autorité et respect des professeurs, éthique de l'effort et de la responsabilité, égalité des chances, fraternité, civisme, laïcité, tous ces mots ont pour moi du sens. Ils doivent s'incarner dans l'institution scolaire car elle reste l'épine dorsale du pays. A cet égard, le terme " Education nationale " porte en lui même un projet : celui d'instruire et de rassembler.
Devant cette large responsabilité, je sais - pour en avoir discuté sur le terrain avec des enseignants et avec certains d'entre-vous - que la communauté éducative ressent une difficulté de fond : l'Ecole est en effet devenue le réceptacle de toutes difficultés et par là même de toutes les attentes de notre société. Cette charge est à la fois immense, sans doute excessive car elle conduit parfois nos concitoyens à tout reporter sur l'Ecole, mais elle est un honneur pour celles et ceux qui font vivre le service public de l'éducation.
Le débat national sur l'avenir de l'Ecole, conduit avec détermination par la commission présidée par Claude Téhlot, s'est conclu par la réalisation d'une synthèse " Le miroir du débat " dont il vous revient de débattre. Ce miroir stimulant est à l'image de cette relation étroite mais parfois complexe qui existe entre les Français et leur Ecole.
Il met en exergue les atouts de notre système, mais aussi ses points faibles. Je pense ici aux 160 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans réelle qualification. Je pense aussi à la reproduction de certaines inégalités sociales que notre système éducatif n'arrive pas toujours à briser. Je pense à la violence, mais également au problème de la drogue. Je pense à certains de nos dysfonctionnements administratifs qui peuvent conduire à un manque de réactivité, voire de transparence, au regard des élèves et des parents, mais aussi pour ceux - chefs d'établissement, enseignants et personnels techniques - qui sont sur le terrain. Je pense à la formation des maîtres dont on me dit qu'elle peut être en certains endroits remarquable et en d'autres insatisfaisante. Je pense enfin à cette absence de confiance en eux-mêmes que je ressens chez nombre d'adolescents.
Tout ceci doit être examiné avec lucidité, de façon ouverte et constructive. La commission a précisément pour mandat de poursuivre ses travaux et de proposer des pistes d'action. Elles nourriront les propres réflexions du gouvernement dans l'élaboration de la loi d'orientation prévue pour l'année prochaine. A l'évidence, cette loi ne peut être abordée avec un esprit de système. Elle ne peut être une loi de rupture, mais une loi qui relance nos objectifs fondamentaux et réajuste les méthodes et les pratiques pour y parvenir.
Qu'attendons-nous, au fond, de notre école ?
Le premier des objectifs doit être que tous les enfants acquièrent un bagage commun. Face aux connaissances, il faut l'égalité des chances. Tout enfant qui entre en 6ème doit savoir lire, écrire, compter. Si cette priorité exigeante n'est pas assurée, alors le collège ne peut, en aval, tenir pleinement son rôle. Dans cette perspective, la poursuite à l'école primaire du plan de prévention des difficultés de lecture et d'écriture, à travers notamment les cours préparatoires dédoublés ou renforcés, doit être approfondie et évaluée sur le moyen terme.
Le second objectif est que chacun puisse librement choisir, au terme d'un tronc commun, la voie qui lui est la plus appropriée. Je refuse d'entrer dans les débats théoriques sur le collège unique ou multiple, " indivisible " ou " bicéphale "... Il faut que le collège soit pour tous ! C'est-à-dire un collège qui donne les moyens à chacun d'acquérir des savoirs fondamentaux - c'est la notion de " socle " - et qui offre en parallèle une ouverture sur des filières professionnelles qui doivent être motivantes et valorisantes. Pour cela, il ne faut pas hiérarchiser et opposer les filières. Parce que l'excellence peut être plurielle, Il faut de la diversité, il faut des passerelles. C'est dans cet esprit que j'examine actuellement sans préjugé le projet d'adaptation de la 3e.
D'une façon plus générale, nous devons donner leurs lettres de noblesse à toutes ces voies qui mènent vers une connaissance des métiers et des qualifications professionnelles.
Dans votre ordre du jour, vous êtes appelés à vous prononcer sur l'expérimentation du baccalauréat professionnel en trois ans à l'issue de la classe de troisième. Je sais qu'elle suscite quelques inquiétudes. Cette expérimentation, qui doit être juridiquement encadrée par un décret, mérite d'être évaluée sereinement. Il me semble qu'elle présente certains intérêts, sous réserve de ne pas être généralisée trop vite et inconsidérément, sous réserve d'être centrée sur des filières au sein desquelles les élèves sont souvent plus âgés que la moyenne et qui répondent aux besoins de secteurs professionnels qui éprouvent de fortes difficultés de recrutement. A ce jour, 17 académies ont sollicité l'accord de mes services pour des ouvertures expérimentales à la rentrée 2004.
Sur un plan plus structurel, le spectre de nos formations professionnalisantes me conduit à penser que nous devons travailler aux moyens de contribuer à la réussite du droit à la formation individuelle tout au long de la vie, droit qui vient d'être adopté par le Parlement à la suite de l'accord interprofessionnel du 20 septembre 2003.
L'ambition de notre système scolaire se situe, mesdames et messieurs, dans la perspective des 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat. Mais derrière ce chiffre ambitieux et symbolique, il y a, nous le savons tous, des réalités plus complexes, des noeuds à délier, des revers silencieux mais douloureux Face à cette réalité, il faut enrichir notre horizon en visant 100% des élèves qui atteignent une qualification, en trouvant leur voie, leur épanouissement. On est là au coeur de la question de l'orientation. Elle se pose au collège, comme elle s'impose à l'Université.
Enfin, dans ce rapide panorama, le troisième objectif renvoie aux valeurs partagées qui doivent animer l'institution scolaire. L'autorité du chef d'établissement, le respect des professeurs, le travail en équipe, l'écoute des parents : tout ceci forge une communauté d'action et de dialogue.
Sur ce point, vous êtes d'ailleurs appelés à vous prononcer sur des ajustements relatifs aux élections des représentants des parents d'élèves. Ces ajustements sont rendus nécessaires au regard des évolutions sociologiques intervenues dans la vie des familles depuis quelques décennies, comme celle de la séparation, du divorce. Il s'agit, vous le savez, de ne plus réserver le droit de suffrage et de candidature à une seule personne par famille, mais à chaque parent d'un élève inscrit. Cet élargissement du collège électoral peut susciter quelques interrogations d'ordre pratique dont certains d'entre-vous se sont fait les interprètes, mais il témoigne, selon moi, d'une volonté grandissante de chaque parent d'être associé à l'avenir de l'Ecole et de leurs enfants. C'est une prédisposition qu'il nous faut exploiter.
Cette communauté doit avancer ensemble, avec ses règles, avec ses droits et ses devoirs. Parmi ceux-ci, il y a la laïcité.
Dès ma nomination, je me suis attelé à la rédaction de la circulaire qui est aujourd'hui soumise à votre jugement et qui est destinée à encadrer la loi du 15 mars. J'ai fortement milité en faveur de cette loi car j'estimais que la Nation devait prendre ses responsabilités afin d'épauler la communauté éducative dans son travail. Il m'apparaissait inconcevable de laisser l'Ecole se " débrouiller " seule, sous le regard attentiste des pouvoirs publics. Cela n'est pas ma conception de l'autorité de l'Etat.
Je sais que parmi vous, les avis étaient partagés vis-à-vis de cette législation qui a été votée de façon quasi consensuelle par le Parlement. Votre conseil s'est prononcé en sa faveur mais beaucoup d'entre-vous se sont cependant abstenus. A l'image de tous ceux qui ont eu à traiter ce dossier sensible, vous vous interrogiez, non sur la nécessité de valoriser le principe de laïcité, mais sur les modalités d'application de ce principe.
C'est l'objet de cette circulaire qui a été ajustée à trois reprises. J'ai reçu et écouté toutes les parties prenantes intéressées par ce dossier. C'est ma méthode de travail. Je l'ai appliquée sur ce sujet, comme je l'appliquerai sur d'autres. Je l'ai fait sans précipitation et sans préjugé.
Mais je vous dois la franchise sur deux points :
- le premier, est que ces ajustements démontrent que l'exercice d'écriture de cette circulaire n'était pas aisé. Entre ceux qui désiraient sur-réglementer la loi et ceux qui escomptaient la dévitaliser, il fallait définir un axe républicain qui ne soit ni angélique, ni arbitraire. Ni angélique car les velléités de contournement ne peuvent être écartées ; ni arbitraire car l'application de la loi ne doit pas être vécue par toute notre jeunesse comme un carcan abusif, ni perçue comme un instrument grossièrement tourné contre la liberté de conscience ;
- le second point, est que les tiraillements que j'ai ressentis autour de la rédaction de cette circulaire m'ont confirmé dans la conviction que nous avions trop longtemps laissé en suspens cette question. J'ai refusé de céder aux pressions. Il fallait trancher cette affaire, et la trancher, selon moi, avec autant de clarté possible. Je sais que beaucoup d'enseignants attendent un cadre pratique et je sais que nombre de parents souhaitent que l'éducation de leurs enfants puisse s'organiser dans un climat sérieux, protégé des tensions extérieures, qu'elles soient religieuses ou autres. Les organisations syndicales et professionnelles que j'ai pu rencontrer, m'ont largement invité à poursuivre dans cette voie. Leur concours et leur expérience m'ont été, en la matière, précieux.
Sans entrer dans le détail de cette circulaire, permettez-moi d'insister sur ses idées forces :
- celle, tout d'abord, de la fermeté républicaine sur l'essentiel : c'est-à-dire l'interdiction des signes religieux les plus évidemment ostensibles. Cette règle simple et nette, si fortement attendue, s'appliquera partout et pour tous et quelle que soit la forme revêtue par ces signes;
- cette fermeté sur l'essentiel va de pair avec une part de pragmatisme et de responsabilité laissée aux acteurs de terrain pour faire respecter la règle commune et sanctionner ses éventuels contournements. La plupart des chefs d'établissement que j'ai pu rencontrer, si soucieux soient-ils du caractère exhaustif de la circulaire, m'ont indiqué qu'ils étaient attachés à cette responsabilité de terrain. Je mise donc sur leur autorité et celle de leurs équipes. J'ai confiance en leur discernement pour cibler la portée religieuse qui pourrait être attachée à certaines tenues vestimentaires, et plus encore lorsque leur port contreviendrait au règlement intérieur comme cela est indiqué dans la circulaire ;
- conformément à la législation, la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire d'exclusion est précédée d'un dialogue avec l'élève ; un dialogue qui ne peut avoir d'autre but que de conduire avec pédagogie au respect de la loi. L'organisation de ce dialogue relève de la responsabilité du chef d'établissement, qui désigne la ou les personnes qui seront chargées de celui-ci, notamment au sein des équipes éducatives, et qui définit les conditions dans lesquelles l'élève est scolarisé dans l'établissement durant cette phase. Les recteurs diffuseront aux établissements une liste de personnes qualifiées susceptibles de renseigner et, si nécessaire, d'appuyer ces chefs d'établissement si ces derniers le souhaitaient.
Vous le savez - car la presse s'en est fait l'écho - certains auraient voulu intégrer dans cette circulaire la médiation des autorités religieuses. Je ne l'ai pas accepté. Ces autorités, comme tous les usagers du service public, pourront cependant prendre attache avec le rectorat pour faire valoir leur point de vue.
- enfin, dans le cadre de l'évaluation annuelle de la loi, les chefs d'établissement devront adresser au recteur de leur académie un compte rendu faisant le bilan des conditions d'application de la loi. Il permettra au gouvernement et au parlement d'ajuster, si cela s'avère nécessaire, son approche.
Voilà, mesdames et messieurs, l'esprit de cette circulaire. J'ai cherché la clarté et l'efficacité. Je me suis - bien humblement - efforcé de me " glisser dans la peau " de ceux qui devront la mettre en pratique avec autorité et tact.
Nul ne prétend que cette circulaire puisse tout régler, car chacun sait que derrière la question de la laïcité il y a des problématiques et des enjeux plus larges. Mais nul ne pourra cependant me convaincre - nous convaincre ! - que la résolution de ces enjeux passe par le recul des principes républicains.
J'insiste, pour conclure, sur un dernier point : cette circulaire ne doit pas être interprétée comme la victoire des uns sur les autres. Nul ne doit se sentir stigmatisé par le renforcement de la laïcité et nul ne doit se sentir offensé par les observations des différentes autorités confessionnelles.
L'Ecole, parce qu'elle réunit des enfants et des adolescents, est un lieu singulier. La laïcité est ce qui permet à chacun d'entre eux - au-delà de leurs origines, de leur sexe, et dans le respect des convictions spirituelles de chacun - de vivre ensemble à égalité, dans le respect mutuel.
Faire en sorte que ce qui nous rassemble soit plus fort que ce qui peut nous diviser : voilà le message d'union qui est sous jacent à cette circulaire.
Elle mérite, je le crois, d'être portée de façon collective. Dans cet esprit, votre soutien nous est utile. Je crois qu'il est attendu sur le terrain, comme par nos concitoyens. Ce soutien me semble important pour l'Ecole de la République, qui est la somme de ce que nous voulons ensemble pour elle, pour son avenir.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 19 mai 2004)