Extraits d'une interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, dans "Le Parisien" du 18 décembre 2003, sur la position de la France vis à vis de la situation actuelle en Irak et en Côte d'Ivoire.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - L'arrestation de Saddam Hussein change-t-il la donne dans la lutte contre le terrorisme ?
R - L'incertitude demeure sur le rôle réel joué par Saddam Hussein et ses fidèles dans la contestation des forces de la coalition. Seule l'analyse de l'évolution de la résistance armée à la coalition déterminera l'impact réel de cette arrestation. En tout état de cause, deux scénarios semblent possibles. Soit les fidèles de Saddam Hussein jouaient un rôle central dans la résistance et celle-ci va rapidement s'affaiblir faute de motivation. Soit, et c'est sans doute plus vraisemblable, Saddam Hussein jouait un rôle marginal dans la résistance et les attaques violentes vont se poursuivre. Il se pourrait que les autres groupes sunnites, liés à la mouvance islamiste radicale, poursuivent, voire intensifient leurs opérations, ne se sentant pas concernés par la capture de l'ancien dirigeant. Seuls les loyalistes pro-Saddam seraient alors affaiblis.
Q - La France a-t-elle eu raison de s'opposer à la guerre ?
R - Notre expérience nous permet de sentir ce que peuvent être les réactions des populations dans cette région. J'avais moi-même fait part au vice-président Cheney, à Colin Powell, à Condoleezza Rice, au patron de la CIA, George Tenet, des risques encourus notamment de ce qu'une telle intervention pouvait servir de prétexte à une vague terroriste. Malheureusement pour les Américains (je pense aux familles des morts et des blessés), ce que nous avions craint se réalise. Il faut absolument que, le plus tôt possible, il y ait un signal fort de rupture.
Q - Paris planifie-t-il l'envoi de 10 000 hommes en Irak ?
R - Je puis vous garantir qu'il n'y a jamais eu de planification de ce type. Ce n'est qu'une rumeur infondée. Certes, si les conditions changent vraiment, nous sommes disponibles pour participer à la reconstruction de l'Irak notamment dans la formation de la police ou des armées. Mais on n'en est pas là.
Q - En Côte d'Ivoire, où la France est engagée, considérez-vous que le président Gbagbo joue le jeu de la réconciliation nationale ?
R - Je crois que le président de la Côte d'Ivoire est bien conscient de la nécessité de la réconciliation nationale, pour sauvegarder l'unité du pays et pour retrouver une vie quotidienne normale. Mais il se heurte à un certain nombre de résistances. Elles viennent de son propre entourage, qui estime qu'il a trop cédé aux Forces nouvelles dans les accords de Marcoussis, ainsi que des Forces nouvelles elles-mêmes. Le problème vient de ce que ces accords ne se mettent pas en place assez rapidement Cela entraîne des impatiences, de la méfiance. Les extrémistes des deux bords rêvent d'en découdre. D'où la nécessité d'avancer. Les dernières mesures prises vont dans le bon sens.
Q - Vous êtes donc relativement optimiste ?
R - Oui. J'ai constaté sur place en septembre que la situation s'est déjà stabilisée grâce aux forces impartiales composées du dispositif Licorne et des forces ouest-africaines. Dans la zone de confiance, les gens sont retournés à leurs activités, ont regagné leurs villages, ont même planté - ce qui est un signe important de confiance durable -, et les écoles ont rouvert... Il faut continuer. La France appuie la demande faite aux Nations unies de s'impliquer davantage, notamment au niveau du désarmement.
Q - Y a-t-il un plan d'évacuation des ressortissants français au cas où ?
R - Notre première préoccupation est de protéger les ressortissants français et étrangers. C'est la raison pour laquelle nous sommes intervenus, notamment à Bouaké, pour procéder à des évacuations il y a un an. Et nous avons, depuis le début, envisagé toutes les situations, et planifié, comme nous le faisons toujours, un plan d'évacuation si le besoin en était. Je n'ai absolument pas le sentiment que nous en soyons là
Q - La confiance est-elle aujourd'hui totale entre Paris et le président Gbagbo ?
R - Je dirais que nous n'avons pas de raison d'avoir une méfiance particulière.
Q - Les troupes françaises vont-elles rester encore longtemps ?
R - Nous sommes là à la fois pour protéger les personnes, pour garantir l'unité de la Côte d'Ivoire et pour faciliter le processus de réconciliation nationale déjà engagé jusqu'à l'élection présidentielle de 2005. ().
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 décembre 2003)