Interview de M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie, à LCI le 7 juin 2004, sur la manifestation unitaire des syndicats et des partis de gauche contre la réforme de l'assurance maladie et la réforme de l'assurance maladie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. Cette manifestation unitaire, syndicats et partis de gauche, de samedi, n'a pas eu le succès escompté. Est-ce que vous dites, comme certains, que le Gouvernement a déjà gagné la bataille ?
R- "Le Gouvernement est tout simplement, aujourd'hui, à une étape de la réforme avec un texte qui va être présenté au Conseil des ministres la semaine prochaine."
Q- Vous avez quand même regardé de très près cette manifestation ?
R- "Nous avons regardé de près cette manifestation. Mais cette manifestation, c'était davantage l'affaire des syndicats. C'est à eux de dire ce qu'ils pensent de la mobilisation, c'est à vous de la commenter, mais ce n'est pas au Gouvernement d'apporter un commentaire sur cette manifestation. Il faut savoir que depuis maintenant plus de deux mois, avec P. Douste-Blazy, nous avons joué la carte du dialogue social. Et le dialogue social, ça marche. Nous avons réussi à présenter un texte qui a l'accord sur un grand nombre de points de la part des partenaires sociaux, des acteurs de santé et aussi des Français. Le dossier médical personnel, aujourd'hui, on s'aperçoit qu'une très large majorité de Français y adhèrent. La notion de "médecin traitant" pour un nouveau parcours de soins, là aussi, on voit, parce qu'on a mis la qualité au coeur de cette réforme de l'assurance maladie, que les Français y adhèrent."
Q- Je vous arrête un instant, parce que vous dites "le médecin traitant", bien sûr les Français y adhèrent quand ils ont un bon médecin - enfin qu'ils considèrent comme bon. Mais la France manque de généralistes, on le sait. Donc, ils ne vont pas être formés du jour au lendemain...
R- "Et de spécialistes et de chirurgiens aussi..."
Q- D'autre part, maintenant, il faut passer par le généraliste pour aller voir un spécialiste. Donc, cela va encore augmenter le coût de la réforme.
R- "Non, pas du tout. Je crois qu'il y a deux principes qui sont importants dans le dossier du médecin traitant. Le premier, c'est l'égalité d'accès aux soins, quels que soient ses moyens, quel que soit aussi l'endroit où l'on habite sur le territoire, et ensuite, la liberté de choix. Donc, ce que nous voulons, c'est un meilleur parcours de soins où le médecin traitant peut vous orienter vers un spécialiste. Et dans ces cas-là, les choses sont claires : on sera remboursé exactement de la même façon qu'aujourd'hui, il n'y a pas de problème. La deuxième chose, c'est que vous aurez la possibilité, le libre choix d'aller voir directement un spécialiste et dans ce cas-là..."
Q- Et là, problème de tarif ?
R- "Il n'y a pas de problème de tarif. Il y a tout simplement une question qui est simple : nous souhaitons que les choses soient précisées par la convention, la convention entre l'assurance maladie et les professionnels de santé, parce que nous ne voulons pas d'une médecine à deux vitesses. Bien évidemment, il y aura la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires dans le cas d'un accès direct, mais ces dépassements seront bien précisés par la convention. Pas de médecine à deux vitesses, surtout pas."
Q- Mais comment pouvez-vous dire "pas de médecine à deux vitesses", si vous avez un patient qui n'a pas les moyens, et qui doit aller voir un spécialiste que son généraliste lui conseille, et le patient qui a les moyens, qui va voir un spécialiste qui lui plaît moyennement et qui se dit "non, je ne suis pas bien soigné, je veux aller en voir un autre, parce que de toute façon, moi, j'ai les moyens de me le payer" ?
R- "Il y a deux possibilités d'entrée. Ce que je veux vous dire, c'est que de toute façon, c'est le patient qui décide. Il décide d'aller voir son médecin traitant, et il voit avec son généraliste quel spécialiste il veut avoir. Je pense que dans ce premier cas, vous le voyez bien, il n'y a aucune difficulté, il n'y a aucune inquiétude. Et dans le deuxième cas, s'il décide lui-même d'aller voir directement ce spécialiste, il sait dans ces cas-là qu'il peut y avoir des dépassements d'honoraires, mais ce ne sera pas l'inconnu, cela sera fixé par la convention. Et ce que nous avons besoin d'apporter dans ce texte, d'ici justement le vote par le Parlement, ce sont ces garanties-là. Parce qu'il y a aussi une autre question qui nous est posée - et que nous nous posons avec P. Douste-Blazy -, c'est aussi les délais pour aller voir, justement, ce spécialiste. Nous souhaitons, encore une fois, qu'il n'y ait pas de médecine à deux vitesses."
Q- Six mois pour certains ophtalmo, pour l'hôpital même...
R- "Il faut bien préciser aujourd'hui ce qui va se passer s'il n'y a pas de réforme : s'il n'y avait pas de réforme, nous aurions cette médecine à deux vitesses. Et c'est parce que nous voulons justement garantir ce système de sécurité sociale à la française, ce système solidaire, que nous mettons en place aussi ces parcours de soins. Je m'aperçois aujourd'hui que très majoritairement, les Français - je le lis, mais je le constate aussi chez moi dans le Saint-Quentinois -, adhèrent à ce système, justement, de médecin traitant parce que c'est de la qualité avant tout."
Q- Sont-ils prêts à payer le prix de la réforme également, c'est-à-dire qu'ils acceptent une petite augmentation de la CSG, l'euro symbolique ?
R- "Vous savez ce que j'entends chez moi ? Si chacun y met du sien, ça va marcher. Parce que les Français ont compris qu'il y avait la nécessité d'une réforme. Ils ont compris aussi qu'il y avait urgence. Quand P. Douste-Blazy parle de 23.000 euros de déficit supplémentaire par minute, les Français ont bien compris que la pire des choses serait de ne rien faire. C'est pour cela que c'est une priorité du président de la République, que J.-P. Raffarin a mis toutes ses forces également dans cette réforme, parce que nous sommes face à une exigence vis-à-vis du politique : savoir prendre ses responsabilités. Et sur ces mesures dont vous parlez, les Français ont bien compris aussi que nous avions des mesures qui étaient équitables, justes. Les décisions sont mesurées. Le 1 euro, c'est davantage une prise de conscience de ce que représente l'acte médical, ce n'est pas du tout une mesure financière.
Q- Pas pour tout le monde...
R- "Comment ça, pas pour tout le monde ?"
Q- Pour les petits revenus, ce n'est pas simplement une prise de responsabilité.
R- "Il a toujours été indiqué, justement, que cet euro ne serait pas applicable pour les Français les plus démunis, notamment ceux qui sont à la CMU, et que cette mesure ne s'appliquerait pas non plus quand il s'agit d'une consultation pour les enfants. Là encore, l'équité."
Q- Il y a un problème entre ceux qui sont à la CMU et ceux qui n'ont pas d'assurance complémentaire et qui ont de faibles revenus. On attend des mesures là-dessus.
R- "Nous avons, dans la demi-heure qui vient, une réunion de travail avec P. Douste-Blazy pour voir, justement, les derniers points sur lesquels nous pouvons et nous voulons avancer dans le cadre de la préparation du débat parlementaire ; le président de la République l'avait indiqué lors d'un discours à Toulouse. Il y a aujourd'hui la volonté de mettre encore davantage l'équité au coeur de l'action gouvernementale, et cette notion de la couverture complémentaire est une notion qui, pour nous, est importante. Certains partenaires sociaux en ont parlé, mais nous avons aussi cette conviction qu'il faut faire un effort sur ces Français qui sont au-delà du seuil aujourd'hui de la CMU."
Q-Comment cet effort sera-t-il fait ?
R- "Aujourd'hui, il y a cinq millions de Français qui n'ont pas de couverture complémentaire. Et certains ont fait le choix de ne pas avoir de couverture complémentaire. D'autres, hélas, n'ont pas la possibilité d'aller vers une couverture complémentaire. Donc, ceux auxquels nous nous intéressons, en premier, si nous pouvons mettre en place ce dispositif dans le cadre du débat parlementaire, ce sont les salariés les plus modestes.
Q- Et c'est une marge de manoeuvre que vous laissez au débat parlementaire ? Parce qu'on a l'impression que tout sera bouclé avant...
R- "Non. Nous avons beaucoup avancé depuis le début. Nous avons joué la carte du dialogue social. Les points d'accord sont très nombreux mais il y a, en ce qui nous concerne, la volonté de continuer à améliorer ce texte. Donc, il ne s'agit pas de s'enfermer dans des dates. Nous avons un débat parlementaire qui va s'ouvrir dans l'Hémicycle, à l'Assemblée nationale, le 29 juin. D'ici là, et même après le 29 juin, nous aurons un vrai débat avec les parlementaires. Je tiens en plus à souligner le travail qui a été fait par J.-L. Debré et la mission Debré, qui nous permet de bien voir qu'aujourd'hui - de quoi parlons-nous - d'améliorer, de moderniser notre système d'assurance maladie. Mais ce que nous faisons, c'est bien de sauver le système de Sécurité sociale à la française. C'est bien ça l'enjeu."
Q- Mais on a aussi dit qu'on allait sauver le régime des retraites, c'est peut-être vrai, mais c'est très mal passé chez les Français, la réforme des retraites.
R- "Je n'ai pas ce sentiment. Je crois que ce qui est plus important pour nous, c'est davantage d'expliquer et de valoriser. C'est pour cela que notre travail n'est pas terminé avec la présentation du texte en conseil des ministres. Notre travail ne sera pas non plus terminé après le vote du Parlement. Nous sommes particulièrement attachés à la mise en place d'un service après vote. Et J.-P. Raffarin nous incite, aussi, à penser à préparer l'après-vote du texte. Nous aurons besoin..."
Q- Vous allez prendre votre bâton de pèlerin et aller expliquer sur le terrain ?
R- "Oui, le bâton de pèlerin, et aussi de faire en sorte que les décrets d'application ne sortent pas deux ans, trois ans après. Les décrets d'application, en ce moment, nous sommes déjà en train de les préparer, de les penser."
Q- Donc, le débat est ficelé d'avance ?
R- "Le débat n'est pas du tout ficelé d'avance. Mais en même temps que nous présentons un texte au Parlement, nous préparons les décrets et ces décrets seront modifiés si le texte est modifié. Mais il est insupportable, aujourd'hui, que nous prenions des décisions, que nous les fassions voter par les parlementaires et qu'ensuite, cela mette des années à s'appliquer sur le terrain. Vous savez, nous avons une obligation de résultat avec cette réforme de l'assurance maladie. Il ne s'agit pas de se contenter d'aligner des chiffres, mais tout simplement de faire en sorte que nous ayons une garantie, une sécurité pour les dix, quinze ans à venir. C'est ce que nous demandent les Français : faire des efforts, oui, mais il faut que cela serve à quelque chose."
Q- Et vous êtes sûr que cette réforme va le faire ?
R- "J'en suis intimement persuadé. Mais ce n'est pas seulement à nous de le dire, c'est à nous de le démontrer."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 juin 2004)