Déclaration de Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, sur le projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, à l'Assemblée nationale le 5 mai 2004.

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Circonstance : Examen du projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées à l'Assemblée nationale à Paris le 5 mai 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés
Le ministre délégué aux personnes âgées vient de rappeler l'évolution rapide et profonde de notre démographie ainsi que la nécessité de remettre nos politiques publiques en phase avec notre démographie.
Je souhaite lever d'emblée l'ambiguïté de l'expression " vieillissement de la population ".
Une population vieillit parce qu'un nombre insuffisant de naissances ne permet pas le remplacement des générations. Ce n'est pas le cas de la France. La natalité y est plus forte qu'ailleurs en Europe et c'est d'autant plus remarquable que nous sommes parvenus à concilier natalité et activité professionnelle des femmes.
Une population vieillit aussi lorsque l'espérance de vie s'accroît et, avec elle, la durée moyenne de vie. C'est le cas de la France. Le nombre des centenaires continuera d'augmenter. C'est un événement heureux pour son bénéficiaire, pour sa famille, pour la société tout entière. L'allongement de la durée de la vie est l'aboutissement du rêve de toutes les générations qui nous ont précédés. Mais il multiplie malheureusement les situations de dépendance et crée, par conséquent, une charge supplémentaire pour les familles et pour la société.
Nous savons tous que le grand âge emporte le plus souvent avec lui la perte partielle ou totale d'autonomie. Et nous savons aussi que les femmes sont plus nombreuses que les hommes aux âges élevés de la vie.
A ce constat démographique nous devons ajouter un constat strictement financier. La disparition du conjoint, cela signifie la réduction mécanique de la pension de retraite et, par conséquent, des ressources du survivant.
Nous devons y ajouter encore le constat sociologique de l'isolement qui tient davantage aux contraintes de la mobilité géographique qu'au desserrement parfois évoqué des liens familiaux. La famille est forte, en France, mais les conditions de vie de notre monde moderne amputent les liens familiaux de leur totale efficacité.
Dans ces conditions, il est légitime de solliciter la solidarité nationale pour prévenir les conséquences vitales de l'isolement, pour prendre en charge la perte d'autonomie, pour organiser les services individuels et collectifs auxquels ont droit les personnes les plus âgées non par compassion mais parce qu'elles ont le même droit que tout citoyen à vivre leur vie, fût-ce dans des conditions toujours plus difficiles. La solidarité envers le grand âge ne peut être l'expression d'une quelconque idéologie. Elle est avant tout un acte de citoyenneté partagée.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter devant vous, avec mon collègue Hubert Falco, est très attendu par les personnes âgées. Je veux vous dire qu'il est aussi très attendu par les personnes handicapées.
Les personnes handicapées vivent elles-mêmes la révolution de la longévité. L'espérance de vie s'est accrue pour les personnes handicapées à la naissance, pour celles atteintes de maladies dégénératives, pour tous les adultes handicapés. Les progrès de la médecine permettent aujourd'hui aux personnes handicapées de vivre beaucoup plus longtemps, mais cette évolution heureuse se transforme en une source d'angoisse pour leurs parents : " Que va-t-il devenir lorsque nous ne serons plus là ? ". Se pose, en outre, le redoutable problème des personnes handicapées vieillissantes.
Il est difficile de chiffrer la population des personnes handicapées. Dans son enquête Handicap, Incapacités, Dépendance (HID), l'INSEE attire l'attention sur les significations du handicap qui peuvent varier selon les situations sociales et les points de vue des acteurs concernés: personnes ayant une incapacité, personnes utilisant une aide technique ou humaine, personnes limitées dans certaines activités en raison de leur état de santé, personnes bénéficiant d'une reconnaissance sociale et donc désignées comme handicapées, personnes estimant avoir un handicap.
Dans ces conditions, ce que l'INSEE appelle " le noyau dur du handicap " est estimé à 1,2 millions de personnes, celles qui déclarent à la fois une ou plusieurs incapacités, une limitation des activités et une reconnaissance d'un taux d'incapacité ou d'invalidité.
On ne saurait pour autant oublier que la population handicapée, entendue au sens large, serait de l'ordre de 5,3 millions de personnes, celles qui ne déclarent qu'une ou plusieurs incapacités, sans restriction d'activité ni reconnaissance administrative.
Quels que soient les effectifs de la population handicapée, une chose est certaine : les personnes handicapées ne trouvent pas dans notre pays la réponse adaptée à leurs besoins et à leur projet de vie, en institution ou à domicile.
Malgré les efforts continus des gouvernements successifs, la réponse en institution est loin d'être satisfaisante. Les listes d'attente sont longues pour tous les types d'établissements, social, médico-social, d'enseignement, de travail protégé, etc. pour les enfants et pour les adultes. Nous manquons cruellement de foyers pour adultes et de maisons pour les personnes handicapées vieillissantes. Quand je vois un trisomique 21 âgé de 40 ans ou un adulte autiste dans un hôpital psychiatrique, je ne peux m'empêcher de penser que la société porte une lourde responsabilité, car ce n'est pas sa place.
Aussi criant est le déficit de réponse adaptée à domicile. Ni l'allocation compensatrice de tierce personne, à la charge des départements, ni les services d'auxiliaires de vie, financés par l'Etat, ni le remboursement par l'assurance maladie des aides techniques inscrites à LPP (Liste des produits et prestations remboursables par l'assurance maladie), ne sont aujourd'hui à la hauteur du droit que revendiquent légitimement les personnes handicapées.
C'est l'ambition, vous le savez, d'un autre projet de loi, celui relatif à " l'égalité des droits et des chances, à la participation et à la citoyenneté des personnes handicapées ", voté en première lecture par le Sénat et dont nous débattrons très prochainement, d'apporter aux personnes handicapées les réponses adaptées qu'elles souhaitent. Conformément à l'engagement du Président de la République, il est fondé sur le droit à la compensation du handicap pour augmenter l'autonomie des personnes handicapées : transport, logement, vie quotidienne.
Tel qu'il a été voté en première lecture, le projet de loi comporte notamment la création d'une prestation personnalisée de compensation destinée à couvrir les dépenses de toute nature liées aux besoins spécifiques des personnes handicapées, qu'il s'agisse d'aides techniques, humaines, animalières ou d'aménagement du logement, qui permettent à la personne handicapée d'être autant que possible à égalité de chances avec les personnes qui ne subissent pas d'incapacités.
Ce droit à compensation, vous l'aviez inscrit dans l'article 53 de la loi du 17 janvier 2002, dite loi de modernisation sociale , codifié ensuite à l'art. L 114-1 du code de l'action sociale et des familles. Vous l'avez encore évoqué à l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 en précisant que la compensation du handicap relève de la solidarité nationale.
Nous avions le devoir de lui donner un contenu. Car le droit à compensation pour les personnes handicapées est la condition du plein exercice de leur citoyenneté.
Ainsi, l'aide à la dépendance des personnes âgées et le droit à la compensation pour les personnes handicapées sont fondamentalement liés par l'exigence de citoyenneté, le droit à vivre une vie digne quelles que soient les conditions liées à l'âge, à la maladie, à l'accident auxquelles chacun d'entre nous peut se trouver provisoirement ou durablement confronté. Aux uns et aux autres, la société tout entière se doit de garantir le maximum d'autonomie possible, la plus grande participation possible à la vie en société, le plus grand exercice de sa citoyenneté.
Ce devoir de solidarité, je devrais dire ce devoir de fraternité, s'exprime de multiples manières.
La perte d'autonomie est quasi irréversible au regard de l'âge des personnes dépendantes. L'APA leur apporte heureusement l'aide à l'accomplissement des gestes courants de la vie quotidienne.
Il n'en va pas nécessairement de même pour les personnes handicapées qui, le plus souvent, sont davantage en recherche d'autonomie qu'en perte d'autonomie. En outre, une autonomie insuffisante peut être liée à une déficience autant qu'à l'environnement. Je pense bien sûr aux personnes dont le handicap a une composante physique, sensorielle ou auditive. L'autonomie peut parfois emporter des risques pour la personne elle-même ou pour un tiers. Je pense aux personnes handicapées mentales dont il faut encadrer l'autonomie (protection juridique) et aux personnes souffrant d'un handicap psychique, dont il faut organiser les formes souples de suivi et d'accompagnement. Dans tous les cas, la compensation du handicap vise à maintenir ou restaurer la plus grande autonomie possible et ne saurait être confondue avec l'aide qui est due aux personnes âgées dépendantes.
J'en viens maintenant à la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA.
Le projet de loi qui vous est soumis est l'aboutissement de l'annonce faite le 6 novembre dernier par le Premier Ministre. Cette annonce est novatrice. Elle porte l'espoir d'un nouveau paradigme de la protection sociale.
Pour la première fois, le risque dépendance - autonomie est reconnu comme un risque autonome. Car c'est un risque vrai, universel et irréductible.
C'est un risque vrai, un risque physique, comme la maladie ou l'accident, dont elle est une conséquence parfois inévitable, qui exige à la fois une compensation financière et une compensation en biens et services ;
C'est un risque universel, un risque pour tous, détaché de la condition de salarié : naissance, maladie, accident, vieillissement peuvent engendrer une situation ou un état de dépendance, selon que celle-ci est plus ou moins durable ;
C'est un risque irréductible à d'autres risques, dont la spécificité consiste notamment en besoins d'aides humaines et techniques pour accomplir les actes courants de la vie quotidienne ou participer à la vie sociale.
C'est un risque nouveau, qui n'existait pas ou n'existait que peu en 1945, lorsque Pierre Laroque bâtissait son plan ambitieux de sécurité sociale avec l'idée de ne pas accroître les inégalités en raison de l'occurrence d'un risque financier lié à la maladie, à la vieillesse, à la famille, à un accident du travail.
La reconnaissance de ce risque nouveau s'accompagne, en outre, de la définition de moyens nouveaux, institutionnels et financiers. Car le Gouvernement a choisi de sortir des sentiers traditionnels de la sécurité sociale pour jeter les bases d'une protection sociale fondée sur la solidarité nationale.
En invitant les Français et les Françaises à travailler un jour de plus chaque année au profit des personnes dépendantes, du fait d'un handicap ou de l'âge, le gouvernement établit le lien entre l'obligation individuelle et l'obligation commune et générale de venir en aide aux plus fragiles d'entre nous, conformément à notre nature même, qui est de vivre ensemble.
Dans son discours du 6 novembre, le Premier Ministre a employé l'expression " fraternité " pour donner son sens à la journée de travail supplémentaire. Il a appelé à l'engagement personnel et la solidarité de tous les Français. Il a demandé à chaque Français de "donner un peu de soi-même". Je crois pouvoir dire que le Premier Ministre, a eu une formule juste et certainement fondatrice. Car l'enjeu de notre société devenue trop technique, trop bureaucratique, trop froide est bien d'aller au delà de la solidarité purement comptable, faite de transferts sociaux anonymes, pour enclencher une solidarité citoyenne, cette solidarité du corps social vivant une communauté de destin, une communauté de valeurs, une fraternité.
D'autres pays ont fait face à de nouveaux besoins avec de nouveaux moyens. L'Allemagne, qui a inventé les assurances sociales, a donné l'exemple, en 1993, en créant une assurance dépendance financée par la suppression d'un jour férié. C'est aussi dans cette voie que réfléchissent d'autres pays européens, comme l'Italie.
Faut-il rappeler qu'en Allemagne cette réforme a été votée à l'unanimité, majorité CDU/CSU et opposition SPD/Verts et que les puissants syndicats allemands l'ont approuvé. Personne n'y a vu un quelconque démantèlement de l'Etat social allemand. Le ministre lui-même, Norbert Blüm, a conduit la réforme avec son secrétaire d'Etat, Werner Tegtmaïer, membre du SPD. Et faut-il rappeler qu'à cette époque la durée conventionnelle du travail était encore de 38 heures par semaine, la métallurgie ne parvenant aux 35 heures que le 1er octobre 1995. Dans un contexte plus difficile que celui que nous connaissons aujourd'hui, les Allemands ont fait le choix de l'innovation créatrice en prélevant sur les ressources en temps libre plutôt que sur les revenus monétaires.
Pour la première fois, un progrès social était possible sans réduire le niveau de vie, sans alourdir la charge des assurés sociaux, sans compromettre la compétitivité des entreprises mais en mobilisant la ressource la plus répandue : le temps libre.
Osons, à notre tour, dire que la protection sociale à visée universelle ne peut plus reposer sur la seule redistribution des revenus monétaires, quel que soit le mode de prélèvement.
La création de la CNSA permet ainsi de répondre à quatre préoccupations majeures exprimées par les associations de personnes handicapées :
1/ dégager un financement substantiel, pérenne et individualisé pour le nouveau droit à compensation : 5 milliards de francs, soit 850 millions d'euros. Au total, des moyens considérables sont alloués à la prise en charge de la dépendance - autonomie : 9 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2008, soit 20 % de crédits en plus pour la dépendance.
Pour les personnes handicapées, le droit à compensation c'est d'abord la liberté de choisir son mode de vie. Non pas d'être enfermé en institution ni même dans le choix exclusif domicile ou établissement, mais trouver la réponse adaptée là où on le souhaite, soit à domicile, soit en établissement.
C'est aussi l'égalité des droits et des chances. Pour les personnes handicapées, cela signifie être en mesure de faire face aux charges spécifiques engendrées par le handicap.
2/ associer dans un mode de gouvernance nouveau les personnes handicapées à la gestion des aides qui leur sont destinées. Sans anticiper sur la 2ème loi CNSA et la concertation qui suivra la remise du rapport de MM. Briet et Jamet, nous souhaitons que la CNSA inaugure un mode nouveau de gouvernance qui ferait une place égale aux personnes handicapées et aux personnes âgées à côté des représentants des pouvoirs publics et des partenaires sociaux. C'est ainsi que sera garantie l'indispensable égalité de traitement sur l'ensemble du territoire.
3/ distinguer la compensation du handicap de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, la dépendance ne constituant qu'une des dimensions du handicap. L'aide aux personnes âgées dépendantes relève d'une logique de la solvabilité, d'une aide à la personne pour l'accès à un besoin collectif reconnu, de la réduction des inégalités dans l'accès aux biens publics. Le droit à compensation évoque d'emblée l'égalité des conditions et conduit à neutraliser le coût financier des aménagements nécessaires afin de maintenir les mêmes conditions de vie avant et après l'occurrence du handicap.
4/ amorcer la création d'une nouvelle branche de la protection sociale qui consacrera à terme le passage définitif de l'aide sociale à la solidarité nationale. Droit universel, le droit à compensation sera ouvert sans condition de ressources à toute personne handicapée, quel que soit son âge. La création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie matérialisera à la fois le changement de niveau et de nature de l'effort social de la nation.
Mesdames et Messieurs les Députés, le texte sur lequel vous êtes invités à vous prononcer ce soir est porteur d'une réforme sociale sans précédent. Il n'est pas l'achèvement d'un édifice ancien. Il marque l'avènement d'un ordre social nouveau.
Il fournit l'architecture institutionnelle et le financement de deux dispositifs ambitieux, l'un pour les personnes âgées, que Hubert Falco vous a présenté, l'autre pour les personnes handicapées, que j'aurai l'honneur de vous présenter dans quelques jours.
Je souhaite que nous soyons guidés, tout au long de la discussion, par cette perspective nouvelle de protection sociale, ouverte avec la conviction que la vie vaut la peine d'être vécue quel que soit l'âge ou le handicap.


(source http://www.handicap.gouv.fr, le 5 mai 2004)