Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, à RTL le 20 octobre 2004, sur le report de l'élection du président de la Polynésie, le climat politique, l'enquête parlementaire demandée par le PS sur le contrôle des fonds publics et la mise en examen de Gaston Flosse, candidat à la présidence, ancien président et sénateur (UMP) de Polynésie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Renversement du gouvernement d'Oscar Temaru le 9 octobre 2004-élection du président de la Polynésie française reportée au 22 octobre 2004

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel APHATIE : Bonjour Brigitte Girardin. La Polynésie n'a pas élu son président hier soir, les élus indépendantistes ayant boudé la séance de l'Assemblée, et empêchant ainsi la Constitution du quorum nécessaire à cette élection. On s'enfonce donc dans la crise à Tahiti. Etes-vous inquiète ce matin Brigitte Girardin ?
Brigitte GIRARDIN : Je ne suis pas inquiète, je suis vigilante. Je veux simplement vous faire remarquer que la dernière élection de Monsieur Temaru s'était faite dans les mêmes conditions, c'est-à-dire en deux temps. Il n'y avait pas eu tout d'abord le quorum nécessaire des trois cinquièmes. Et l'élection de Monsieur Temaru s'était faite dans un délai de onze jours après l'élection de l'Assemblée.
Q - 20.000 manifestants samedi, sur une population de 200.000. Une Assemblée qui n'arrive pas à élire son président. On ne peut pas dire que le climat soit bon tout de même.
R - Ecoutez, le fait qu'il y ait eu des manifestants nombreux, je dirais qu'il y a un côté rassurant dans tout cela, c'est que nous sommes bien en France, la démocratie fonctionne, et le droit de manifester est assuré. C'est une liberté fondamentale, et je ne peux que m'en réjouir.
Q - Mais les causes de la manifestation, elles, traduisent ce mauvais climat.
R - Il y a un climat politique que l'on connaît en Polynésie, mais ce qui m'importe surtout c'est de veiller à ce qu'il n'y ait pas de dérapages. Je constate avec satisfaction que tout le monde s'est tenu de façon responsable au cours de cette manifestation. Nous avions pris évidemment un certain nombre de précautions, et je me réjouis que tout le monde ait pu garder son calme. Mon souci majeur c'est de faire respecter la loi et les institutions.
Q - Vendredi, l'assemblée de Polynésie se réunira à nouveau et très probablement là, le sénateur Gaston Flosse retrouvera le siège de président qu'il avait perdu aux élections du mois de mai.
R - Ca c'est votre analyse. Je ne préjuge pas du résultat de ce vote qui se fait à scrutin secret et vous savez, quand une majorité tient à une voix, tout est toujours possible.
Q - Si Gaston Flosse n'était pas élu, ce serait tout de même une grosse surprise, nous en conviendrons ce matin, Brigitte Girardin.
R - Je ne fais pas de pronostic sur l'issue de ce vote. J'avais eu exactement la même position avant l'élection de Monsieur Temaru, et j'avais notamment fait savoir au parti socialiste - qui voulait absolument que je reçoive Monsieur Temaru avant qu'il soit élu président de la Polynésie - qu'il fallait laisser le processus institutionnel se dérouler jusqu'au bout. Tant que le vote du président de la Polynésie n'a pas eu lieu, je crois qu'il ne faut absolument préjuger de rien.
Q - Puisque vous parlez d'Oscar Temaru... Il est venu en France - du moins à Paris puisque la Polynésie c'est la France...
R - En métropole.
Q - Il est venu à Paris notamment au mois de juillet. Il a demandé à voir Jacques Chirac, et Jacques Chirac a refusé de le recevoir. Pourquoi ?
R - Ecoutez, le président de la République ne reçoit pas tous les élus d'Outre-mer. Il ne reçoit même pas tous les parlementaires d'Outre-mer.
Q - Mais il reçoit souvent Monsieur Flosse.
R - Monsieur Flosse est sénateur de la Polynésie, et franchement je crois qu'il ne faut pas faire d'interprétation sur ce point. Le président de la République reçoit très souvent des élus d'Outre-mer en fonction de son emploi du temps et de son agenda. Il n'y avait pas de manifestation d'hostilité à l'égard de Monsieur Temaru ; nous respectons tous les élus, quelles soient leurs convictions et leur couleur politique. Et j'ai reçu d'ailleurs Monsieur Temaru au mois de juillet dernier de la façon la plus courtoise qui soit.
Q - Vous oui, et le président de la République non. "Le gouvernement ne fait que protéger un système clanique, celui de Monsieur Flosse en Polynésie française". Vous savez qui dit ça ? C'est Jean-Christophe Lagarde, qui est un élu UDF. Donc qui n'est pas forcément hostile à ce que vous êtes. "Système clanique, celui de Monsieur Flosse".
R - Monsieur Lagarde assume la responsabilité de ses propos. Le gouvernement dans cette affaire depuis toujours, et depuis en tout cas que je suis ministre de l'Outre-mer, observe je peux vous l'assurer une attitude de stricte neutralité en Polynésie française, qui est un territoire autonome, et les élus polynésiens doivent choisir eux-mêmes leur président, et nous n'avons aucune ingérence, aucune interférence à faire dans un processus qui doit se dérouler selon le jeu de la démocratie locale, en Polynésie d'ailleurs comme ailleurs.
Q - Le budget de l'Etat - donc les citoyens que nous sommes - donne 150 millions d'euros, chaque année, aux Polynésiens.
R - Oui, c'est une dette nucléaire, qui ne doit jamais s'éteindre et je suis fière d'appartenir à un gouvernement qui a pérennisé ces transferts financiers vis-à-vis de la Polynésie.
Q - Donc 150 miliions d'euros. Libération nous dit ce matin que Monsieur Gaston Flosse a été mis en examen en octobre 2003 "pour prise illégale d'intérêts, détournements de fonds publics", en fait il s'agirait d'emplois fictifs. Votre commentaire Brigitte Girardin.
R - Ecoutez, votre allusion aux 150 millions d'euros et ce que vous venez de dire me choque quelque peu. Je voudrais rappeler que ces 150 millions d'euros, qui représentent les transferts financiers qui avaient lieu au temps de nos essais nucléaires, et que nous avons souhaité pérenniser, parce que les Polynésiens ont apporté une contribution essentielle à la défense de la République, et c'est tout à fait normal que maintenant que nous n'avons plus besoin de la Polynésie pour notre Défense, que nous pérennisions ces transferts financiers. Je tiens à souligner que nous avons introduit, ce qui n'était pas le cas sous le gouvernement précédent où il y avait déjà un fonds de reconversion de l'économie polynésienne, nous avons introduit le contrôle de la chambre territoriale des comptes dans le dispositif de contrôle de tout argent public, qui est déversé en Polynésie. Donc je ne peux pas accepter que l'on puisse dire qu'un euro versé par le contribuable français puisse être utilisé sans le moindre contrôle! Au contraire...
Q - Je n'ai pas dit ça, la justice...
R - Au contraire, nous avons mis en place un contrôle particulièrement rigoureux, de tout l'argent public qui est envoyé en Polynésie.
Q - La justice française qualifie la mise en examen ainsi: "détournement de fonds publics". Je ne fais que reprendre ce qu'a fait la justice. Une demande d'enquête parlementaire sur l'utilisation des fonds publics est réclamée par le parti socialiste. Soutenez-vous cette demande ?
R - Je n'ai ni à soutenir, c'est le rôle du Parlement, je n'ai pas là non plus à interférer dans le travail parlementaire. Le Parlement, s'il le décide, mènera cette enquête. Il y a une séparation des pouvoirs en France, comme vous le savez.
Q - On ne peut pas être neutre à ce point Brigitte Girardin. Politiquement, pensez-vous qu'une enquête parlementaire soit une bonne chose, ou une mauvaise chose ?
R - Mais écoutez, le gouvernement est pour la transparence, sur tous les dossiers, et je n'ai aucune crainte, ou aucun jugement à porter là-dessus. Nous souhaitons qu'il n'y ait aucune zone d'obscurité sur quoi que ce soit en Polynésie.
Q - Donc, si le groupe UMP soutient la proposition socialiste, pour vous ce sera une bonne chose, ou une mauvaise chose, Brigitte Girardin ?
R - Le groupe UMP prend ses responsabilités et, encore une fois, le Parlement fait son travail, et le gouvernement fait son travail.
Q - Jacques Lafleur qui est de votre parti a été battu à Nouméa. Lucette Michaux-Chevry à la Guadeloupe a été battue. Gaston Flosse au mois de mai a été battu. On dit que le bilan qui est le vôtre, Brigitte Girardin, n'est pas très bon que vos jours sont comptés au ministère de l'Outre-mer. Que répondez-vous ?
R - Ecoutez le gouvernement est constitué par le Premier ministre et par le président de la République. Ce n'est pas à moi de répondre sur ce point.
Q - Il y a des ministères plus faciles que le vôtre vous pensez ?
R - Oh la tâche de n'importe quel ministre est toujours très difficile.
[Q - Brigitte Girardin, ministre de Tahiti - c'est loin Tahiti - était l'invitée d'RTL ce matin. Bonne journée.]

(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 20 octobre 2004)