Texte intégral
Mesdames, Messieurs, Seul le prononcé fait foi
Vous réunir ici, futurs proviseurs et futurs principaux, c'est réunir l'école de demain. C'est lui donner un visage, c'est l'écouter, c'est tracer avec elle des lignes directrices.
Depuis mon entrée en fonctions, j'ai dit l'importance que j'attachais au dialogue et au contact direct. C'est avec vous, au seuil de votre nouvelle carrière, qu'il me paraît précieux de les nouer. Ils sont les conditions de notre collaboration. Vous ne pouvez servir l'école de demain sans l'appui de l'Etat et l'action publique ne peut, réciproquement, s'incarner sans vous. C'est ce double lien de confiance que notre rencontre symbolise.
Voilà pourquoi j'ai voulu être présent aujourd'hui, à Poitiers, sur ce site du Futuroscope. Je salue à cette occasion le directeur de l'ESEN, Bernard Dizambourg et ses équipes, qui apportent à votre formation toutes leurs compétences. Ils ont préparé cette rencontre, que j'avais annoncée le 10 juin, devant tous les chefs d'établissement de l'Académie de Lille, et je les en remercie.
Vous exercerez demain une fonction essentielle : celle de chef d'établissement. Comme toutes les fonctions de responsabilité, celle ci est passionnante mais lourde à assumer.
Au service de quelle école placerez-vous vos compétences ?
A l'aube d'un nouveau siècle, cette question n'est pas inconvenante. La loi d'orientation que nous sommes en train d'élaborer devra répondre à votre engagement et vos efforts.
Mesdames, messieurs,
La fonction de chef d'établissement est au croisement de logiques multiples. Elle demande que soient prises en compte conjointement, et parfois concurremment, les nécessités de la démarche pédagogique, celles de la bonne gestion financière, administrative et humaine, celles enfin des relations avec le milieu local et les instances académiques.
Des intérêts de long terme croisent les exigences de l'action quotidienne. Vous rencontrerez ce faisant des problèmes qui ne sont pas sans analogie avec ceux du ministre de l'éducation nationale...
A ces multiples logiques correspondent de nombreux interlocuteurs, dont les difficultés et les attentes recouvrent l'essence même de vos missions : élèves saisis par l'individualisme, parents plus inquiets ou plus revendicatifs qu'hier, enseignants en quête de reconnaissance, élus et partenaires locaux à l'implication pressante, instances académiques parfois jugées trop lointaines.
L'attachement de tous ces acteurs à l'Education nationale est le reflet de sa place centrale au sein de notre société. Entre les Français et leur école, la passion est ancienne. Comme toutes les passions, elle n'exclut pas, parfois, la controverse et le malentendu.
La décentralisation en cours rend ce point encore plus sensible.
En tant que personnels de direction, vous assumerez une responsabilité vis-à-vis des professeurs, mais aussi vis-à-vis de tous les personnels. La gestion de certains, notamment les TOS, sera désormais, vous le savez, assurée par les collectivités territoriales. Les transferts de compétence intervenant au 1 er janvier 2005 concerneront 93 000 agents. Plusieurs en conçoivent une inquiétude selon moi peu justifiée, mais qui doit être dissipée. Vous devrez leur rappeler qu'ils concourent eux aussi à la réussite des élèves, et qu'ils conservent toute leur place au sein de l'institution scolaire.
Face à leurs réactions, comme face à d'autres sollicitations ou interrogations qui parsèmeront votre tâche, vos capacités d'écoute et de négociation seront sollicitées. Vous devrez conserver une largeur de vue souveraine. Elle suppose de réels talents de diplomate et une rectitude exemplaire.
Difficile, votre fonction se révèle en contrepartie passionnante.
Votre rôle de responsable vous placera au coeur de tous les débats de la vie scolaire. Vous serez en position de conciliateur, d'arbitre et de décideur.
Il vous reviendra de définir le cap sur des questions aussi diverses que les rythmes de travail, la gestion des personnels, l'organisation matérielle, bref, le modus vivendi régissant un groupe qui se doit d'être solidaire et efficace.
Le chef d'établissement est celui qui, avec ses équipes, conçoit et élabore la politique du collège ou du lycée ; lui confère une dynamique ; veille à son application. En dernière instance, il est aussi appelé à trancher. Je n'ai pas d'hésitation à évoquer ce rôle décisionnel. Au service de votre établissement, je crois en votre autorité qui est le corollaire de votre responsabilité.
De cette autorité et de cette responsabilité dépend la cohérence de notre politique éducative. Le développement de la déconcentration et de la décentralisation est un développement heureux. Mais il exige que nous sachions garantir la permanence d'un service public homogène, structurant ses objectifs et partageant ses résultats. Le personnel de direction, par sa compétence et sa loyauté, doit en être l'artisan.
Le rôle qui vous échoie est au coeur des larges défis qui sont lancés à notre système éducatif.
Pour définir l'école de demain, cette année 2004-2005 sera décisive. Elle verra la naissance d'une loi d'orientation, la première depuis quinze ans. Elle constituera une des grandes réformes du quinquennat.
Depuis mon entrée en fonction, je me suis déjà attaché à mettre l'accent sur quelques priorités, que je veux vous livrer. Elles sont fondées sur trois objectifs que nous partageons : l'apprentissage des savoirs fondamentaux, l'initiation à la vie professionnelle, la transmission des valeurs républicaines.
J'ai souhaité remettre les savoirs fondamentaux, lecture, écriture, calcul, au premier rang de nos priorités. Ils conditionnent, selon moi, toute la vie scolaire de l'enfant, et au-delà. Ils sont le fondement de tout apprentissage, comme ils sont la clé de tout épanouissement. Ils sont aussi, de ce fait, une des conditions de l'égalité républicaine. Leur acquisition au moment de l'entrée en 6 e apparaît donc indispensable. Or, 15% des élèves ne les maîtrisent encore pas à ce stade. Cet échec ne peut demeurer sans réponse forte.
Je viens d'adresser une circulaire qui insiste sur l'usage d'exercices appropriés et éprouvés. J'y attache une importance particulière. Ces exercices familiers, la dictée, la récitation, la rédaction, exigent un surcroît de vigilance et d'application. Ils nourrissent une éthique de l'effort que je juge plus actuelle que jamais. Ils rendent à la démarche pédagogique sa lisibilité, y compris aux yeux des parents. J'ai foi en leur efficacité globale, et pour toutes ces raisons, je demande qu'ils retrouvent une application plus systématique.
Tout ceci doit, bien entendu, se faire dans la prise en compte de la diversité des élèves et de leurs aptitudes. Je sais trop bien que l'éducation d'un enfant, l'éveil de sa curiosité et de sa motivation, ne peuvent obéir à des schéma intangibles.
Mesdames et messieurs,
A la vie scolaire de l'enfant succède la vie professionnelle, et notre devoir est de l'y préparer par le choix d'une filière adéquate. La loi de 1989 retient l'objectif de 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat. Il est louable, et j'y reste attaché.
Mais s'il m'était permis de fixer un autre horizon, j'en fixerais un autre, plus large, et à tout prendre, pas moins réaliste, ni moins ambitieux : celui des 100% d'élèves obtenant une qualification. 160 000 jeunes quittent encore chaque année le système scolaire sans en disposer.
C'est là la question du collège.
Sans entrer dans un débat théorique qui me paraît oiseux, je dirai ceci : un bon collège est un collège qui offre à chacun la perspective d'une filière motivante et valorisante. La France a atteint, en matière de formations et de filières, un degré élevé de diversification. Elle peut se permettre de les proposer sans les hiérarchiser, ni les cloisonner.
C'est pourquoi une réforme de la classe de 3 e introduira progressivement un enseignement optionnel de " découverte professionnelle ", destiné à éclairer la réflexion de l'élève et de sa famille. Proposé d'abord dans les établissements qui y sont prêts, il sera généralisé à partir de l'année prochaine. Il ne constituera pas, bien entendu, une étape d'orientation ; elle serait prématurée. Mais il permettra d'éveiller l'intérêt du collégien pour les métiers, par le biais d'une approche vivante. Il contribuera ainsi à intégrer la voie professionnelle dans la culture scolaire de tous.
Enfin, la transmission des valeurs républicaines se présente à nous comme un véritable défi. Il ne fait aucun doute pour moi qu'elle est la mission la plus haute de l'Education nationale. Elle transcende la question du savoir, pour engager le devenir du pays.
Le civisme, le respect, l'égalité des chances, la dignité. Tout ceci participe de l'apprentissage de la citoyenneté.
Les évolutions et les crispations de notre société font peser sur l'Education nationales des attentes considérables, parfois même excessives. Le rôle de l'Education Nationale est de répondre présent.
A nous de nous retrousser les manches, pour résoudre, pêle-mêle, les problèmes de la délinquance et des comportements à risque ; de l'apprentissage des valeurs morales ; de la distinction entre vie commune et communautarisme !
Pour tout dire, la société nous demande de prendre en charge ce que d'autres instances n'assument pas toujours. Les violences ordinaires, les incivilités, les sectarismes de toutes sortes font ainsi leur entrée dans un lieu qui devait, par vocation, en être préservé. Et les meilleures volontés s'en trouvent ébranlées.
Je le dis, la violence à l'école est inacceptable, quelque forme qu'elle prenne. Elle doit être combattue avec ténacité. Votre rôle d'interface s'en trouvera mis à l'épreuve, puisque vous devrez coordonner les efforts des enseignants, des familles, des associations, avec ceux de la justice et de la police. J'ai récemment signé une convention avec le Rectorat de Paris et le Parquet, afin de faciliter le traitement des infractions en temps réel. Cette procédure doit être généralisée. Un partenariat avec le Ministère de l'Intérieur se met également en place contre le racket. J'ai bon espoir que vous vous sentirez, dans ce combat de longue haleine, soutenus et accompagnés.
De toutes les atteintes à nos valeurs, les discriminations, raciale ou religieuse, sont les plus révoltantes. Le chef de l'Etat les a condamnées, il a appelé à les sanctionner sans complaisance. Il n'a fait, en cela, qu'exprimer avec force notre conviction commune : l'insulte raciste, le graffiti antisémite, la scission des classes ou des établissements en groupes culturels ou ethniques portent en germes des dérives idéologiques graves ; et les expressions les plus infantiles de ces égarements ne sont pas les moins ravageuses.
En tant que représentants d'une institution qui exalte les valeurs héritées de l'humanisme, vous ne devrez permettre, à ce sujet, ni passivité, ni indifférence ; et vous contiendrez ces actes d'autant mieux que vous aurez su, par une démarche pédagogique, les prévenir. J'ai confiance en votre persuasion comme en votre fermeté sur ce point.
Evoquant les valeurs républicaines dont nous sommes comptables, je ne puis éluder la laïcité. Ce principe a provoqué un débat intense. Je suis heureux de dire qu'il est aujourd'hui largement apaisé. La sérénité de la rentrée 2004 en fait foi.
Sur une question aussi sensible que celle des signes religieux, abandonner chacun à son débat de conscience, mais aussi à des pressions directes, relevait de la démission. Ma conception de l'Etat s'y opposait, ma solidarité personnelle avec les cadres de l'éducation aussi. C'est pourquoi j'ai appuyé le vote de la loi du 15 mars, interdisant le port de signes religieux ostensibles ; et c'est pourquoi je l'ai accompagné d'une circulaire claire. Cette dernière est aujourd'hui comprise de tous. Elle n'autorise aucune transaction sur les principes car la loi de la République ne se marchande pas.
Elle vous laisse en revanche, à vous, chefs d'établissements, le soin de mener un dialogue explicatif, et d'aménager, pendant ce dialogue, une application judicieuse des sanctions. Elle vous offre donc une véritable responsabilité de terrain.
Je sais que certains voudraient abréger cette phase de dialogue qui suit encore, ici ou là, son cours, pour en venir au stade disciplinaire. La décision relève du chef d'établissement. Nous devons être conscients que l'exclusion est toujours un échec pour le service public ; même si cette hypothèse ultime donne sa forme exécutive à la loi.
Je compte sur la détermination et de le discernement de chacun pour faire respecter l'esprit de fraternité et d'égalité qui préside notre action en faveur de la laïcité.
Mesdames et messieurs,
Au terme de ce tableau, l'ampleur de la tâche peut apparaître considérable. Elle peut parfois faire naître des réactions d'inquiétude, voire de découragement.
Serons-nous assez efficaces pour accomplir ce travail ? Quelle autorité conserverons-nous, dans cette dilution des repères collectifs qui caractérise parfois notre civilisation contemporaine ? Je suis ici pour faire taire cette inquiétude, et pour prévenir ce découragement.
Des motifs de confiance existent, que je voudrais réaffirmer devant vous.
Le premier tient dans vos qualités personnelles ; et mon intervention relève ici d'un véritable hommage. Futurs chefs d'établissement, vous savez déjà que l'école se vit sans réserves. Vous avez éprouvé les exigences de ce choix de carrière. Vous en avez l'expérience et la connaissance intime.
Ayant donné les preuves de vos aptitudes professionnelles, vous avez voulu que vos responsabilités soient élargies. Vous avez choisi de devenir personnel de direction. Cela passait par un concours difficile. Vous avez mis au service de cette ambition la patience, la ténacité et l'application nécessaires. Ces efforts sont sur le point d'être couronnés de succès, puisque l'Education nationale vous confiera la responsabilité d'un collège, d'un lycée. Elle reconnaîtra alors, solennellement, une compétence acquise.
Votre formation est donc votre première force. Réalisée dans le cadre de l'alternance, elle conjuguera les moments de responsabilité sur le terrain avec les temps de réflexion et d'étude et d'analyse. La quantité de travail demandée par les établissements sera importante. Vous aurez la tentation de vous y consacrer entièrement. N'oubliez pas que votre formation est indispensable. Elle vous permet de prendre le recul indispensable à une véritable maîtrise professionnelle. Pour cette raison, il me paraît d'ailleurs légitime d'amorcer une réflexion commune sur sa reconnaissance universitaire.
Un deuxième motif de confiance tient dans le soutien sans faille de l'Etat, que j'ai voulu manifester aujourd'hui par ma présence. L'autorité que vous exercez, je le rappelle, est souvent issue de la loi elle-même. Elle ne peut être contestée. Elle vous est déléguée dans l'exercice de vos fonctions.
Elle dépasse infiniment l'autorité individuelle dont vous jouissez déjà. Elle recouvre vos décisions de sa force. Jamais, en conséquence, vous ne devrez vous sentir isolés ou démunis. Et chaque fois qu'un arbitrage sera nécessaire, vous me trouverez à vos côtés pour rappeler les missions fondamentales de l'école dont vous êtes les gardiens.
Au quotidien, ce soutien de l'Etat vous sera manifesté par les autorités académiques. Les recteurs et inspecteurs d'académie ont vocation à vous épauler, à vous offrir leur encadrement, et à entretenir avec vous des échanges étroits, fondés sur une pratique du terrain. Je sais que l'accroissement continuel de leurs charges ne les rend pas aussi disponibles qu'ils le souhaiteraient. Je compte néanmoins sur eux pour nouer avec vous, dès votre entrée en fonction, des relations de proximité et de collaboration.
Il faut se garder, à ce sujet, de confondre " proximité " avec " invasion ". Reconnaissons le avec un sourire : la bienveillante attention de ces échelons hiérarchiques s'est parfois traduite par un flot de sollicitations écrites, enquêtes, questionnaires et commandes. J'en ai demandé l'inventaire aux services centraux du ministère pour en vérifier la pertinence. Vos tâches sont déjà astreignantes. On ne peut pas décemment y ajouter ce harcèlement paperassier. J'ai insisté le 1 er juin auprès des recteurs et des inspecteurs d'académies, pour que de telles interventions restent contenues dans les strictes limites du nécessaire.
Plus généralement, on ne saurait vous accabler de tâches administratives sans lien direct avec la gestion de votre établissement. L'encadrement administratif de vos établissements devra donc être mieux défini et reconnu de manière spécifique.
Le dernier motif de confiance tient, à mon sens, dans vos conditions d'exercice. L'attachement de la nation à notre mission éducative se manifeste, depuis une trentaine d'années, par des moyens financiers et humains importants. Ces moyens peuvent être accrus, en fonction de la conjoncture. Ils peuvent aussi être mieux distribués et mieux gérés.
Cet été, un groupe de travail permanent a été mis en place avec la participation des syndicats représentatifs. En l'installant, j'attendais de lui une forme d'expertise. Sa réflexion a eu de premières retombées. Elles concernent notamment votre carrière, et je suis heureux de vous confirmer quelques unes de ces améliorations :
- l'augmentation de la part de la hors-classe;
- l'indexation des indemnités ;
- l'extension de la clause dite de pénibilité au-delà de 60 ans ;
- la réduction du nombre des postes de 2 e classe gagés sur les postes de 1 e classe, afin d'augmenter le nombre de promotions.
Autant de décisions qui témoignent de la légitime reconnaissance de l'institution à votre égard.
Mesdames et messieurs,
Responsables de la vie scolaire, au moment où les questions de vie scolaire sont au centre des préoccupations de l'Etat, vous vous trouverez en première ligne pour relever des défis que la société nous assigne. Cet engagement vous honore. Il mérite qu'on le soutienne, et c'est ce que je veux faire sans réserve.
Nous sommes, vous et moi, dépositaires d'une mission vitale, celle d'instruire et de rassembler la collectivité nationale. Nous en rendrons compte ensemble.
Avec chaleur et amitié, j'adresse, à chacune et chacun d'entre-vous, tous mes voeux de succès dans vos nouvelles fonctions. J'ai confiance en vous et en votre action. Vous pouvez compter sur notre détermination, et sur mon attention personnelle.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 4 octobre 2004)