Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur les débats devant animer la préparation du projet de loi sur l'agriculture prévu pour 2005-2006, Lyon le 2 novembre 2004.

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Circonstance : A l'occasion du débat " Agriculture, territoires, société " à Lyon le 2 novembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec une joie sincère que je viens aujourd'hui ouvrir dans notre région ce cycle de débats régionaux. Des débats qui doivent nous permettre de décider ensemble l'avenir que nous voulons pour l'agriculture française.
Lorsque je suis arrivé, il y a 30 mois, rue de Varenne, ce fut animé de plusieurs convictions :
- la conviction, tout d'abord, que l'agriculture qui a su répondre au cours des 50 dernières années aux demandes successives et parfois contradictoires de la société, ne mérite pas les mauvais procès ou les fausses alternatives -la qualité contre la quantité, la production contre le respect de l'environnement, la rentabilité contre le maintien des aides- dans lesquels on voudrait souvent l'enfermer.
- la conviction, ensuite, que les agriculteurs souffrent à la fois d'un excès de normes, très éloignées des réalités, et d'un manque de visibilité pour leur avenir. Préserver les instruments d'une politique agricole efficaces, tout en simplifiant les règles et les procédures exigent beaucoup d'effort et de persévérance, tant " le diable se niche souvent dans les détails ".
- la conviction, enfin, que les pouvoirs publics ne sauraient abandonner les agriculteurs, mais qu'il est de notre devoir de réguler les transformations d'une profession qui ne rêve plus de changer la vie mais qui a déjà changé de vie.
Au cours de ces deux années, nous avons entrepris un certain nombre de choses ensemble. Certaines ont reçu un accueil très favorables ; d'autres ont été moins comprises.
En plusieurs occasions -les négociations sur le financement de l'élargissement, la réforme de la PAC ou les discussions dans le cadre de l'OMC- j'ai cherché à maintenir nos outils de politique agricole et à sauvegarder nos intérêts fondamentaux.
Chaque jour, je me suis efforcé de poursuivre un certain nombre d'objectifs essentiels : favoriser l'installation, encourager une agriculture écologiquement responsable grâce à la création de la PHAE, garantir la solidarité aux retraités agricoles grâce à la revalorisation des retraites et à la mise en place de la retraite complémentaire obligatoire, rééquilibrer les relations avec la distribution, encourager l'agriculture de montagne à travers l'augmentation de l'ICHN, promouvoir et repositionner le vin français furent ainsi parmi nos priorités.
J'ai foi en l'action, et demeure convaincu qu'une volonté inflexible et des efforts concentrés sur quelques objectifs peuvent avoir raison de la fatalité et des circonstances.
Je crois pour cela que nous devons nous attaquer aux problèmes, non à leur symptômes mais à leur cause.
Si nous voulons ainsi servir l'agriculture française et préparer son avenir, privilégier les solutions de long terme aux apaisements temporaires, confortables mais illusoires, doit être notre maître-mot. C'est tout le sens du projet de loi d'orientation que le Président de la République m'a demandé de préparer.
[La genèse du projet de loi]
A l'origine de ce projet de loi, il y a, très certainement, la réforme de la PAC issue de l'accord de Luxembourg de juin 2003 ainsi que la nouvelle donne du commerce international dans le cadre des négociations de l'OMC. Ce contexte nouveau, en effet, nous impose de franchir une nouvelle étape dans l'amélioration de la compétitivité de notre agriculture.
La réforme de la PAC et les évolutions du commerce mondial nous conduisent également à revoir nos outils de régulation des marchés, ceux qui nous permettent de faire face aux crises et aux aléas et ceux qui peuvent favoriser un fonctionnement d'ensemble harmonieux de nos filières entre l'amont et l'aval.
Cette réforme de la PAC, enfin, aura sans doute des conséquences sur les structures mêmes de nos exploitations agricoles : quelles seront les conséquences du découplage sur le comportement des exploitants et des propriétaires, sur les conditions d'installation et de transmission des exploitations ?
Nous devons également prendre en compte les changements qu'a connus le monde agricole.
L'évolution, d'abord des relations entre l'amont et l'aval des filières, l'apparition des pays émergents
Les évolutions socio-économiques que j'ai pu mesurer tout au long de mes déplacements ces deux dernières années : évolution de la place du conjoint dans l'exploitation, diversification des formes d'agriculture et d'exploitations, développement de la pluriactivité, décalage des conditions de vie et de travail entre le monde agricole et le reste de la société.
L'évolution enfin -et c'est peut être le phénomène le plus visible et le plus sensible pour les agriculteurs- des attentes de la société à l'égard du monde agricole en matière de qualité de l'alimentation, de respect de l'environnement ou encore de bien-être animal.
Nous sommes aujourd'hui à une croisée des chemins. C'est ce constat qui a conduit Jacques CHIRAC à affirmer la nécessité d'une loi d'orientation agricole, socle -comme l'ont été les grandes lois agricoles des années 60- d'une nouvelle ambition pour notre agriculture et de perspectives élargies pour nos agriculteurs.
J'ai entendu, comme vous, Jacques CHIRAC le redire très nettement lors de son déplacement dans le Cantal : " il faut donner aux agriculteurs les moyens d'exercer pleinement leur métier, dans l'esprit d'entreprise et de conquête qui a toujours été le leur ".
Les défis du commerce mondial et de la nouvelle PAC tracent les contours d'une nouvelle frontière : c'est forts de cet esprit de conquête et assurés de la solidarité de la Nation que nous pourrons, ensemble, l'atteindre et la dépasser.
[Une triple ambition]
A travers ce projet de loi, il s'agit pour nous de poursuivre une triple ambition : économique, sociale et environnementale.
· Une ambition économique
Sans préjuger de l'issue des débats qui se dérouleront, ici même et dans toute la France, je crois pouvoir dire que le premier objectif de cette loi est de renforcer la compétitivité de notre agriculture.
Cela suppose à la fois d'alléger les charges qui pèsent sur les agriculteurs, d'appuyer le développement des filières de qualité, d'encourager les exportations, enfin d'accompagner le progrès technique.
Un enjeu spécifique sera d'imaginer les outils qui permettront aux agriculteurs de faire face aux risques propres aux activités agricoles, qu'il s'agisse des risques climatiques, des risques sanitaires ou des risques liés à la formation des prix.
· Une ambition sociale
En matière sociale, nous nous donnerons les moyens de tendre vers une parité de conditions de vie, de travail et de niveau de revenu avec le reste du pays. Comme l'a affirmé le Président de la République, plus qu'une exigence économique et sociale, c'est une question d'équité. C'est aussi une question de respect pour la contribution des agriculteurs à la puissance économique de notre pays, à son équilibre social et au développement harmonieux de notre territoire.
· Une ambition environnementale
Car la promotion d'une agriculture écologiquement responsable n'est pas un choix, mais une nécessité.
Je sais les efforts que vous avez engagé, depuis des années, pour faire de ce credo une réalité.
Mais, nous en sommes tous bien conscients, le respect de l'environnement, ce n'est pas quelque chose qui s'improvise. C'est un engagement à long terme, un véritable investissement. J'entends vous aider à le conduire dans la durée.
En veillant, d'une part, à ce que les réglementations européennes et nationales s'harmonisent au mieux. En évitant, d'autre part, que des distorsions de concurrence avec nos voisins nous soient préjudiciables.
Voilà notre feuille de route pour les mois à venir. Ce projet de loi devra être déposé avant l'été 2005 au Parlement. Le calendrier est donc serré. Mais je suis confiant que nous pourrons le tenir grâce à notre mobilisation commune.
[Un débat national pour fonder un diagnostic partagé]
Ce projet -vous l'avez compris- va donc bien au-delà d'une simple adaptation technique des dispositifs actuels. C'est pour cette raison qu'il m'a paru indispensable qu'un grand débat national précède l'élaboration de cette loi d'orientation agricole. J'ai souhaité que ce débat, qui ne saurait être confisqué, ni dériver vers une nouvelle forme de procès de l'agriculture, soit très ouvert, qu'il associe tous les acteurs qui s'y intéressent et qu'il soit organisé au plus près du terrain avec les femmes et les hommes que ces évolutions concernent directement.
[La Commission nationale d'orientation]
Vous le savez, j'ai chargé une commission nationale d'orientation associant des personnalités venus d'horizons très divers d'accompagner l'ensemble des débats et de me proposer, lorsqu'ils seront achevés, quelques grandes orientations. Pour suivre de très près l'avancée de leurs travaux, je peux vous dire qu'ils donnent lieu à des échanges particulièrement animés.
L'émulation entre les disciplines, la variété des profils, des expériences, des responsabilités garantissent un débat vif. Et c'est une bonne chose !
Car ce dont nous avons besoin, c'est d'idées fraîches, d'audace, de courage. Le courage de poser les vraies questions, celles qui préoccupent nos compatriotes au jour le jour. L'audace de surmonter les idées reçues. Le courage de proposer des réponses neuves.
Ce n'est qu'ainsi que nous parviendrons, ensemble, à dépoussiérer ce qui doit l'être, à stimuler l'initiative, à rajeunir et remodeler les pratiques, les règlements et les structures.
Ce document, dont vous prendrez connaissance en détail au sein des différents ateliers, constitue une base harmonisée pour les débats qui se dérouleront dans tout le pays. Il est un bon échantillon du franc-parler qui règne au sein de la commission.
Vous vous en rendrez compte par vous-mêmes : les thèmes abordés font l'économie de tout dogmatisme. Pas de langue de bois, ici. Pas de tabous, non plus.
[Un questionnement organisé autour de 5 axes de réflexion]
Cinq axes peuvent guider cette réflexion. Ils vous seront présentés tout à l'heure de façon détaillée. Mais je les évoquerai brièvement car je voudrais partager avec vous quelques éléments d'appréciation personnelle sur chacun d'eux.
· Premier thème : les règles de l'organisation économique, de la gestion des marchés, des relations commerciales entre les partenaires des filières.
Les membres de la commission posent, à cet égard, trois questions. Comment améliorer le revenu des producteurs agricoles ? Comment améliorer l'organisation de la production et assurer une répartition équilibrée de la valeur ajoutée entre les différents acteurs ? Comment les risques inhérents à l'activité agricole doivent-ils être pris en compte ?
Je crois que, dans ce domaine, nous devrons nous atteler à la question des relations commerciales entre l'amont et l'aval et à la question de la formation des prix.
Je sais aussi qu'ici, en Rhône-Alpes, vous serez particulièrement attentifs à la prise en charge des risques, avec, bien évidemment, ce risque majeur qu'est le gel - notamment pour les viticulteurs.
· Deuxième thème : l'adaptation de la notion d'exploitant et d'exploitation agricole.
Ici encore, trois questions. Quels modèles d'exploitation peut-on se donner, compte tenu de l'évolution des missions de l'agriculture ? Quel statut juridique est le mieux adapté aux conditions actuelles de production ? Comment améliorer les conditions de travail et l'attractivité des métiers de l'agriculture ?
Chaque fois que je me trouve auprès de vous, sur le terrain, j'entends les attentes, les demandes des femmes, des hommes qui ont choisi ce métier et qui l'exerce avec courage et détermination, mais non sans interrogations.
Beaucoup me disent souffrir du décalage entre leur mode de vie et celui des autres professions. Tel parle des 35 heures qu'il fait en deux jours auprès de ses bêtes. Tel autre me dit que les RTT, les congés, ça n'est que pour les autres.
Tous souffrent du discrédit que l'on attache à leur métier, des critiques qui fusent dès lors que l'on parle de pollution ou de sécurité des aliments. Mais tous sont fiers d'exercer un métier noble qui leur permet tout à la fois de nourrir les hommes et d'habiter la terre.
Je sais aussi que dans nos régions de montagne, beaucoup d'entre vous s'attacheront à tout ce qui pourra favoriser le développement de la pluriactivité.
· Troisième thème : l'accès au foncier.
La commission nous invite, dans ce domaine, à réfléchir aux outils d'intervention d'une politique foncière globale de l'espace rural. Elle nous invite également à redéfinir les outils d'une politique des structures et à moderniser les relations entre propriétaires et exploitants.
Je souhaite, pour ma part, que nous puissions prendre en compte toutes les conséquences de la réforme de la PAC et de la mise en place du découplage.
Nous devrons également imaginer ensemble les outils qui permettraient de mieux préserver l'activité agricole en zone périurbaine.
· Quatrième thème : l'organisation institutionnelle.
Je crois que nous partageons l'idée qu'il faut simplifier et améliorer l'efficacité de l'environnement institutionnel de l'agriculture si nous voulons offrir un meilleur service à l'exploitant.
Ici, encore plus qu'ailleurs, notre impératif doit être d'écouter les besoins réels des agriculteurs.
A cet égard, je serai particulièrement attentif à vos propositions. Je n'aurai qu'une question : que me proposez-vous ? et qu'une suggestion : n'ayez pas peur de décoiffer !
· Cinquième thème : un nouveau contrat entre l'agriculture et la société.
Nous devons bien réfléchir ensemble aux missions que la société confie aux agriculteurs. Dans ce domaine, gardons à l'esprit que la première relation entre le consommateur et l'agriculture est aujourd'hui fondée sur l'alimentation. Je suis également convaincu que notre enseignement agricole, qui offre un excellent taux d'insertion professionnelle à ses diplômés, et qui accueille des publics de plus en plus divers, peut et doit jouer un rôle important comme lieu de médiation entre la société et le monde agricole. Vous serez également très attentifs aux signes de qualité, par exemple l'appellation " de montagne " et son éventuelle clarification.
Enfin, quatre questions plus transversales ont émergé.
Les voici :
- Nous sommes fiers de notre modèle français d'agriculture. Comment pouvons-nous adapter le modèle d'exploitation agricole des années 60 pour tenir compte de la diversité croissante des formes d'agriculture et d'exploitations agricoles ?
- Nous sommes aussi, je crois, tous convaincus de la spécificité de l'activité agricole. Mais nous constatons également la banalisation des règles de fonctionnement qui la régisse. Quel nouvel équilibre pouvons-nous trouver ?
- Chaque région, en fonction de ses caractéristiques naturelles mais aussi des initiatives des hommes qui y ont compté, connaît aujourd'hui des dynamiques de développement différentes. Depuis 20 ans, les étapes successives de la décentralisation ont conduit les collectivités territoriales à prendre une part de plus en plus active au développement des activités agricoles et agroalimentaires. Comment prendre en compte ces différences ? Comment mieux associer les collectivités territoriales ?
- Enfin, la complexité administrative ayant atteint souvent un niveau insupportable, comment pouvons-nous, dans un environnement de plus en plus complexe, simplifier les outils d'encadrement de l'agriculture ?
Voilà donc le cadre que la commission nationale d'orientation propose à votre réflexion. C'est à mes yeux l'écho fidèle à la fois de l'ambition tracée par le Président de la République et des questions que j'ai pu recueillir au cours de mes déplacements.
Pas moins de 47 questions sont posées dans ce document cadre ! Dont certaines ouvertes depuis de nombreuses années Bien sûr, il ne peut être question de les traiter toutes en quelques heures.
Ce que j'attends de ces débats régionaux, ce sont donc des éléments de réponse et d'appréciation concrets, nourris des spécificités de chaque région.
Il ne s'agit pas de tout traiter mais bien de vous concentrer, dans chaque atelier, sur les questions qui vous paraissent les plus importantes pour votre région. Il ne s'agit pas non plus de rechercher d'emblée le consensus. Je crois au contraire utile, à ce stade, de laisser émerger les divergences et les dissonances. La synthèse n'en sera que plus riche. Je crois également que, lorsque des scénarios d'évolution sont évoqués, il peut être utile de préciser le rythme envisagé pour cette évolution : quelques années, une génération ? Les conséquences ne sont pas les mêmes
[Conclusion]
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Le Gouvernement s'est fixé comme objectif de mettre en uvre cette loi d'orientation courant 2006. Pour ce faire, j'entends présenter le projet de loi en Conseil des ministres au cours du 2ème trimestre 2005. De façon à tenir ce calendrier très serré, j'ai demandé au président de la Commission nationale d'orientation de me remettre son avis sur le résultat des débats régionaux avant Noël.
Je prévois de déterminer ensuite très rapidement les orientations concrètes sur la base desquelles je lancerai la phase institutionnelle de préparation de cette loi. Une loi qui doit nous permettre de refondre le cadre dans lequel s'opère l'activité agricole et garantir qu'elle conserve le meilleur de son avenir devant elle.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 5 novembre 2004)