Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, à Europe 1 le 13 septembre 2004, sur la situation internationale notamment les enlèvements en Irak et le terrorisme, la construction européenne, son livre "Le Requin et la mouette", sa carrière et ses ambitions politiques.

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Média : Emission Journal de 8h - Europe 1

Texte intégral

QUESTION (Jean-Pierre ELKABBACH) : Acteur et poète de l'action en plus, avec votre livre "Le requin et la mouette". Vous êtes en charge de la sécurité intérieure et extérieure. Que pouvez-vous dire à l'instant sur le sort de C. CHESNOT et G. MALBRUNOT ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Nous continuons à être mobilisés, jour après jour, heure après heure, pour travailler à la libération de nos deux compatriotes. Nous le faisons dans un contexte extrêmement difficile, puisque les combats redoublent en Irak. Et en particulier à Bagdad, il y a même eu des éclats de mortiers dans l'ambassade de France...
QUESTION : Et cela ne s'arrêtera d'ailleurs pas ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : C'est un cycle qui est inquiétant, mais nous voulons croire que la prochaine libération de nos deux compatriotes est possible. En tout cas, nous y travaillons. La force que nous donne l'unité de la nation est un atout pour la France et pour nos deux compatriotes.
QUESTION : Le chaos à Bagdad rend-il les choses plus difficiles ?
La complexité de la situation irakienne rend bien évidemment les choses plus difficiles. Mais nous tirons chaque fil, nous voulons aller jusqu'au bout de chaque piste. C'est donc un travail difficile, il faut être patient.
QUESTION : Sait-on s'ils sont vivants ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Les indications que nous avons vont dans ce sens.
QUESTION : Et peut-on aussi avoir une pensée forte pour les deux Italiennes ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Bien sûr, la solidarité qui est la nôtre vis-à-vis de l'ensemble de ceux qui sont pris en otages est entière. C'est un combat pour la dignité, pour la vie de chacun. Au-delà et bien évidemment, il faut se préoccuper de l'avenir de ce pays. Nous le voyons bien : la spirale, l'engrenage de violence doit être interrompue. Ce qui veut dire des efforts diplomatiques, ce qui veut dire une capacité à apporter une réponse adéquate à cette violence, au terrorisme. Cela suppose, de la part de l'ensemble de nos pays, beaucoup d'efforts, beaucoup d'imagination beaucoup de concertation.
QUESTION : L'Irak est devenu un foyer du terrorisme, il y a eu 45 morts hier. Vous dites ce matin, dans Le Parisien, que le terrorisme "épouse les plaies du monde". Et dans votre livre, vous écrivez que "les guerres récentes ont été, pour les organisations terroristes, des occasions exceptionnelles". Faire la guerre, c'était entretenir le terrorisme ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Bien sûr, nous l'avons vu en Afghanistan, nous le voyons en Tchétchénie, nous le voyons en Irak, où il n'y avait pas de terrorisme il y a quelques années. Ce terrorisme est opportuniste, il est imprévisible, il s'installe là où il y a des souffrances, là où il peut tirer partie des humiliations et des frustrations. Et c'est pour cela que notre premier devoir est d'essayer d'apporter des remèdes, des réponses aux crises du monde. Nous l'avons dit fortement, tant sur le Proche-Orient que sur l'Irak : apportons des réponses, n'ouvrons pas de nouveaux fronts.
QUESTION : Et vous dites que ce que vous appelez "l'impérialisme messianique" - on voit à qui on pense - échoue quand il veut imposer la démocratie par les armes". Et vous citez Robespierre : "Personne n'aime les missionnaires armés". Les Américains n'ont pas compris ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Oui, parce que la tentation de la force suscite encore plus de violence. Nous le voyons, nous sommes dans un monde qui est allergique à la force, c'est-à-dire que des peuples même très faibles, des individus même avec très peu de moyens, se mobilisent et évidemment, opposent une autre violence, une autre force, une force et une violence aveugles, celle du terrorisme, à celle là même dont ils se sentent victimes.
QUESTION : Et il n'y a pas de raison que cela s'arrête... En Amérique, l'équipe de néo-conservateurs dont vous parlez dans le livre, qui se trompe, a des chances de rester en place. L'ONU est trop faible, hélas ! L'Europe est divisée, elle n'est pas prête à prendre le relais et à imposer une autre voie qui serait nécessaire ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Je pense que chacun, aujourd'hui, peut ouvrir les yeux. Nous avons, sur la scène internationale, une véritable leçon de choses. Nous le voyons au Proche-Orient, qui est regagné par cette spirale la violence. Nous le voyons en Irak, nous le voyons en Tchétchénie, nous le voyons en Afghanistan : rien n'est gagné. Je pense que cette leçon de choses nous oblige et oblige et les dirigeants du monde entier à beaucoup de lucidité. Je ne préjuge donc pas de ce que sera l'attitude de tel ou tel dirigeant américain. Ce que je constate, c'est que le bon sens fait son chemin en Europe, il fait son chemin à travers le monde. Je pense que quel que soit le dirigeant américain, il sera obligé de travailler avec d'autres moyens.
QUESTION : Même si c'est le même ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Même si c'est le même, il sera obligé de travailler avec d'autres moyens et nous savons avec quelle vitesse l'Amérique et ses dirigeants sont capables de changer de cap.
QUESTION : Vous dites de l'Europe qu'elle est "notre ambition", qu'elle doit garder "l'esprit pionnier". Est-ce que c'est ce que vous retrouvez dans le "non" de Laurent FABIUS, qui dit "suivre sa pente naturelle" vers le "non" ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Laurent FABIUS fait un choix personnel et, comme il le dit lui-même, il "suit sa pente naturelle". Je crois que ce n'est pas forcément la meilleure façon de faire de la politique aujourd'hui, d'épouser une ambition collective. Or l'Europe est la grande ambition collective des Européens. Et la France a toujours été pionnière dans cette ambition. Depuis soixante ans, l'Europe nous apporte la paix et la prospérité. Je pense donc que l'Europe vaut mieux que ce simple constat de résignation. L'Europe doit continuer à nourrir nos efforts, nos combats. Je pense d'ailleurs que l'ensemble des questions que pose Laurent FABIUS et qui ne sont pas évidemment tout à fait en phase avec le véritable débat, la véritable question qui nous est posée, qui est celle de savoir si nous sommes pour ou contre ce nouveau traité constitutionnel, cette Constitution européenne qui va nous apporter une règle commune et dont chacun s'accorde à penser qu'elle est un progrès, droite et gauche. Quand j'étais au Quai d'Orsay, nous avions formé un groupe de travail avec P. Moscovici, et l'ensemble des conventionnels français, droite et gauche, ont travaillé ensemble pour faire avancer cette Europe, en particulier dans le domaine social. Parmi les préoccupations qu'évoque L. Fabius, il y a donc cette question sociale. La meilleure façon d'apporter des réponses à l'intérieur de notre Europe, c'est bien évidemment de nous mettre ensemble. Cette Constitution constitue une étape ; il en faudra d'autres. A l'intérieur de cette Europe, il faudra mener ce combat, en particulier pour l'emploi et les délocalisations. Nous y travaillons très activement, nous Français, avec des propositions.
QUESTION : Un "non" socialiste, est-ce que c'est un échec, peut-être, pour le référendum 2005 et pour l'Europe à venir ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Je pense, d'abord, que c'est une question qui s'adresse au-delà des partis, à chacun des Français. Ce sera un choix que chacun devra faire en conscience. Quel avenir voulons-nous pour nos enfants ?
QUESTION : Donc, il n'y aura pas d'effet ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Je pense que c'est une question trop importante pour que chaque Français ne se pose pas a question en son for intérieur, et d'ailleurs y compris, le moment venu, Laurent FABIUS. Parce qu'on ne se détermine pas en fonction d'une pente personnelle ou d'une pente naturelle. Je crois que le destin d'un peuple, c'est une ambition. C'est une exigence. Or, l'Europe, elle est bien notre avenir. Ce qui ne veut pas dire, dans mon esprit, à aucun moment, que les forces de la nation ne doivent pas continuer de peser, de s'organiser pour relever les défis qui sont les siens.
QUESTION : "Le requin et la mouette" : quand l'avez-vous écrit ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Je l'ai écrit le jour, la nuit. J'y ai beaucoup pensé, parce que l'ambition derrière ce livre, c'est celle, justement, d'une réconciliation, alors que toutes les forces de ce monde vont dans le sens de la division.
QUESTION : Je vous cite : "le requin incarne la force, le refus de se laisser arrêter par la complexité du monde ; il fend la mer, fond sur sa proie. La mouette, elle, tournoie, portée par les vents, lâchant de temps en temps son rire déchirant. Elle observe, prend de la hauteur, monte, descend, virevolte, etc". Mais ils ne vivent pas dans les mêmes éléments. Comment les réconciliez-vous ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Justement, c'est parce qu'ils appartiennent tous les deux à l'ordre du monde qu'il ne peut y avoir ni vainqueur ni vaincu. Dans les fables de LA FONTAINE, il y a toujours un vainqueur et un vaincu : le loup mange l'agneau, la grenouille explose ; [dans] Le lièvre et la tortue, il y a un gagnant et un perdant. Dans l'allégorie du requin et de la mouette, il y a le souci que chacun aille jusqu'au bout de lui-même, la puissance et la grâce réconciliées. L'ordre du monde, c'est la capacité à avancer sur ces deux pieds, ce double idéal.
QUESTION : Toujours avec le risque que l'un bouffe l'autre ? Comment réconciliez-vous les contraires ? Par exemple, comment l'appliquez-vous dans un monde qui paraît à la dérive - on vient d'en parler avec la violence, le terrorisme de masse , l'homme kamikaze, avec nos peur ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Prenons le cas du terrorisme. Le terrorisme, c'est quelques centaines d'individus à travers la planète. Et nous voudrions, frileusement, nous replier sur nous-mêmes, avoir peur et déclencher une guerre massive contre des terroristes, alors même qu'il s'agit d'interlocuteurs que nous ne connaissons pas ? Ne tombons pas dans ce piège ! Le terrorisme sait utiliser toute la gamme des moyens qui sont les nôtres le renseignement, l'arme technologique - ; il y a là un vrai travail. Mais ne tombons pas dans cette erreur qui consisterait à opposer une partie de la planète à une autre, à travers un thème religieux par exemple ou culturel ! Donc, je crois que cela demande un véritable sursaut. Prenons le cas du Proche-Orient : réglons la question du Proche-Orient, réglons les crises et le terreau où se nourrit le terrorisme s'en trouvera considérablement diminué.
QUESTION : Vous dites que "le monde est en crise", qu'il "refuse la main le guider". Et vous en appelez à des "passeurs", des "défricheurs", des "éclaireurs", pour nous offrir le "nouveau mythe dont nous avons besoin". Où sont-ils ? Qui sont-ils ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : C'est chacun de nous, c'est vous Jean-Pierre ELKABBACH...
QUESTION : C'est plutôt vous !
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : C'est nous tous. Je pense que chacun a sa place : enseignant, homme d'affaires, travailleur social, nous sommes tous des passeurs de dialogue et de compréhension. Quand, dans la société française, nous faisons un pas vers l'autre, l'autre qui est différent, l'autre qui a une autre culture, parfois une autre religion, une autre origine ; quand nous faisons un pas dans le sens de la tolérance et du respect, nous travaillons à ce meilleur ordre du monde. C'est dans la main de chacun de nous.
QUESTION : Selon un sondage BVA-L'Express d'aujourd'hui, si J.-P. Raffarin quitte Matignon, puisque N. Sarkozy sera occupé alors, les Français vous placent devant J.-L. Borloo, M. Alliot-Marie pour devenir Premier ministre. Cela veut dire que vous vous préparez ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Vous trouvez que je n'ai pas assez de travail au ministère de l'Intérieur ? Je pars, dans quelques heures, au Maroc, pour m'attaquer à des questions difficiles : l'immigration clandestine, les trafics de drogues, le terrorisme... Vous savez, il y a des défis innombrables. Alors, cessons de penser au poste suivant, ce qui n'est pas mon cas. Travaillons et faisons en sorte de bien faire ce que nous avons à faire. J'ai le même esprit que les artisans : j'aime le travail bien fait !
QUESTION : Quel que soit le travail que l'on vous donne ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Absolument.
QUESTION : Et quand vous voyez que, dans le sondage, c'est la gauche qui pourrait gagner en 2007 à la présidentielle, qu'en dites-vous ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Je me dis que celui qui dit cela le dit pour en causer...
QUESTION : Dernière remarque : on répète souvent à votre propos que vous êtes "le romantisme au pouvoir". Mais quand on est le pouvoir, peut-on rester romantique et poète ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN (Réponse) : Comment peut-on concevoir et travailler à l'avenir, si on n'est pas capable d'inventer, d'innover, d'exprimer un enthousiasme ? Pour entraîner, pour forcer le destin, pour refuser la fatalité, il faut y mettre de l'énergie, il faut y mettre du rêve. On a donc besoin de tout cela pour faire l'Europe, pour faire en sorte que la France reste la France.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 septembre 2004)